Islamisme radical, islamophobie même combat?

Jean-Paul GOUREVITCH, expert international des questions africaines
COLLOQUE : LAICITE & ISLAMS
Actes du colloque-Conference proceedings
Jeudi 04 juin 2015
Assemblée Nationale
National Assembly

En analysant le propos de la conférence, on peut s’étonner d’un tel titre qui semble mettre sur un même plan la barbarie de l’Etat Islamique décidée à faire disparaître par la violence toute trace de civilisation préexistante à l’islam et les propos d’organisations appelant à une réaction sans violence autre que verbale contre ce qu’ils dénoncent comme une invasion sournoise des pratiques islamistes dans la société occidentales en prenant exemple du financement des mosquées, de la confusion entre associations culturelles et associations cultuelles, du non respect de l’interdiction de la burqâ dans l’espace public en contradiction avec la loi de 2011, des débats autour de la viande halal… La laïcité appellerait-elle à une contrecroisade contre l’islamisme ?

Ce n’est pas notre propos mais comme le fait observer le texte de présentation du colloque laïcité et islams, la laïcité est aussi l’objet d’appropriations militantes et intéressées. Ce que je voudrais donc souligner ici c’est que la confusion entre islam et islamisme voire la tentative d’assimilation de l’islam au terrorisme qui est un des fondements de l’islamophobie utilise des procédés analogues à la propagande de l’islamisme radical et conforte de fait la tentative de subversion de l’islam radical pour générer des conflits confessionnels et une stratégie de rupture qui laisserait face à face le monde musulman et l’Occident.

Je m’appuierais pour cela sur mon ouvrage La croisade islamiste sous-titré pour en finir avec les idées reçues sortie en 2011et qui était prémonitoire puisqu’il annonçait l’invasion du Mali par les islamistes , la percée de Boko Haram non seulement au Nigéria mais dans les territoires voisins du Cameroun, du Niger et du Tchad, les attaques de Al Shebab au Kenya ou les attentats en France. Cet ouvrage va d’ailleurs être réédité et actualisé en 2016. Et je commencerai par un exemple visible : l’existence en France de deux Observatoires aux objectifs diamétralement opposés.

En ce qui concerne l’Observatoire national contre l’islamophobie, il est issu d’une convention entre le Ministère de l’Intérieur et le Conseil Français du Culte Musulman en 2010. Il a été installé en 2011 et son objectif est de recenser les actes hostiles aux musulmans en France grâce aux référents installés dans chaque région et aux plaintes transmises par les simples citoyens. Jusqu’à là rien que de très normal d’autant plus que cet observatoire qui dénonce les discriminations, les discours populistes et la généralisation d’une l’image négative de l’islam entend stigmatiser (je cite) la montée d’un certain radicalisme islamique qui nuit d’abord aux citoyens français de confession musulmane qui se sentent otages par des tentatives certes marginales mais fortement médiatisées d’imposer la vision d’un islam présenté comme intolérant, belliqueux, voire sanguinaire, encourageant un repli sur soi, communautariste et exclusiviste, non représentatif des dynamiques sociales dans les communautés musulmanes.

Mais son action est souvent confondue avec le Comité Collectif contre l’Islamophobie en France créé en 2003 et soutenu par le Parti Socialiste, où l’on dérive de la lutte contre la discrimination au soutien du port du voile à l’école. Ainsi pour le porte-parole du CCIF Marwan Muhammad qui s’est associé à Tariq Ramadan et aux Indigènes de la République, et en dépit de la loi de 2004, la vraie laïcité autorise de porter le voile à l’école. Ce n’est pas moi qui le souligne mais le Plus qui est le blog du Nouvel Obs donc plutôt un compagnon de route du PS mais qui dans son édition du 8 novembre 2012 dénonce le double discours de ce collectif et ses chiffres truqués.

De l’autre côté de la barricade, si l’on peut dire, l’Observatoire de l’islamisation animé par Joachim Veliocas auteur notamment de « Ces maires qui courtisent l’islamisme » (Tatamis 2010) et soutenu par des mouvements comme Riposte Laïque, s’emploie à dénoncer systématiquement les subventions déguisées aux mosquées comme Argenteuil, Créteil ou Strasbourg, l’arrivée en France de personnes interdites de séjour comme le Cheik Mohammed Al-Hajiri venu prêcher pour la troisième fois dans la mosquée Abou Bakr à Roubaix (information reprise par le Canard Enchaîné qui n’est pas susceptible de sympathie pour l’extrême-droite) ou les discours incendiaires comme celui de l’ancien trésorier de cette même mosquée de Roubaix, Rachid Gacem, frère de l’actuel responsable, qui avait affirmé devant les caméras que si les musulmans deviennent majoritaires en France, ils appliqueront les peines de la charia.

Y-a-t-il des procédés identiques ? On pourrait continuer cette énumération mais ce que je voudrais souligner et ce sur quoi j’aimerais que l’on s’interroge, c’est la connivence des processus entre les tenants du radicalisme islamiste et ceux des islamophobes en Occident et plus spécifiquement en France. Je ne confonds pas les islamistes radicaux avec la majorité des musulmans et le chapitre que je leur ai consacré s’intitule explicitement l’islamisme contre l’islam. De même je ne confonds pas les islamophobes avec les partisans de la laïcité et le chapitre que je leur ai consacré s’intitule explicitement « la contrecroisade : de la laïcité à l’islamophobie », mais il y a des apparentements terribles.

Pour commencer les uns et les autres ont la certitude de mener le bon combat pour l’avenir de la République et plus largement du monde tout entier. Pour cette raison ils refusent tout compromis. Pour les islamophobes, il n’y a pas d’islamistes modérés car ceux qui se prétendent l’être font le jeu des radicaux et dans une situation de conflit choisiront plutôt leurs coreligionnaires que l’attachement à la laïcité républicaine. De la même façon, pour les tenants de l’islamisme radical, la stratégie de l’entrisme progressif les pousse à considérer que chaque succès n’est qu’un moment de transition qui doit préparer le grand bouleversement, celui du moment où les musulmans seront majoritaires en France et où se posera la question de leur leadership. Cette perspective est moins lointaine qu’on ne l’imagine. Pour les experts du Pew Research Center, les musulmans représenteront en France en 2050 40% de la population, une progression due à la fois à l’immigration, au différentiel de fécondité et aux conversions et même si ces musulmans ne sont pas en majorité des radicaux ni parfois même des pratiquants, l’objectif des islamistes sera de constituer un fer de lance qui exacerbera la montée des tensions et les invitera à se regrouper sous leur bannière.

Le second procédé est la diabolisation de l’adversaire. Auquel on ne prête qu’un seul dessein, la domination du monde et dont on grossit l’influence en dénonçant les complaisances des pouvoirs et des administrations en place, et en amalgamant au noyau dur la constellation de ses satellites et la nébuleuse de ses réseaux. Dans cette perspective les islamistes seraient une cinquième colonne avec des réseaux dormants multiples prêts à se réveiller aux premiers mots d’ordre, financés à la fois par l’étranger et l’islamo-business, et pouvant compter sur une jeunesse manipulée dans une entreprise de bricolage idéologique et de justification de la délinquance au nom de la transcendance des valeurs. Les islamophobes au contraire seraient des compagnons de route de l’extrême-droite prêts à profiter du succès des mouvements nationalistes et populistes pour, au nom d’une identité nationale « refabriquée », traquer des musulmans qui représentent déjà plus de 15% de la population française et dont les islamistes se font discrètement les défendeurs. Pour les uns et les autres les adversaires représentent un espace dont le cercle est partout et la circonférence nulle part.

Enfin le troisième procédé est la dénonciation systématique des medias dont on assure qu’ils formatent l’opinion. Les uns font le compte des silences des medias sur les exactions et les prénoms des délinquants, pointent les dérives d’une justice aux ordres qui adouberait les coupables en négligeant les victimes et le laxisme d’un univers carcéral où la propagande islamiste se diffuse sous l’œil complaisant de l’administration. Les autres dénoncent la surmédiatisation des attentats islamistes qui dresseraient la population contre l’ensemble du monde musulman, la survalorisation des massacres et des déprédations commises par les talibans et l’Etat islamique en oubliant que ce sont les Américains et les Occidentaux qui par leur intervention au Moyen Orient, en Irak ou en Libye ont allumé le feu.

Pourtant des lignes de fracture existent entre islamistes et la majorité de la population occidentale qu’elle soit musulmane, chrétienne juive ou incroyante. Ces lignes s’appellent éducation des filles, condition de la femme, refus de l’apologie de la violence, refus de la confusion entre le religieux et le politique, reconnaissance de la liberté de presse, de culte et d’opinion dans une laïcité républicaine respectueuse de toutes les croyances.

En définitive le problème est celui que posait déjà il y a vingt ans la revue Panoramiques : l’islam est-il soluble dans la République ? Elle soulignait que si l’islam occidental le serait progressivement si une dynamique ne venait pas de l’extérieur de l’Occident vivifier le combat des islamistes. Car dans ce nouveau cadre où il s’agirait d’assurer la victoire de l’islam et non la préservation d’une civilisation, de droits de l’homme ou la sauvegarde de la planète , la stratégie islamiste se déploierait selon trois processus cumulatifs : une stratégie d’entrisme là où les musulmans sont très minoritaires, une stratégie d’affirmation là où ils représentent une forte minorité, une stratégie d’exaction là où ils se trouvent en situation de supériorité.

Ce serait en quelque sorte l’opposition entre deux conceptions de l’histoire. Selon une conception linéaire, les trois religions monothéistes, apparues à des âges différents ont eu besoin d’un temps spécifique pour intégrer la dimension historique. L’islamophobie percevrait que la succession des âges est inéluctable – âge théologique, âge métaphysique, âge historique, âge scientifique et critique- et que l’islam est en retard sur son époque, étant encore à l’âge historique celui du conflit armé entre ses branches sunnites et chiites comme l’Europe l’a connu au temps des guerres de religion et n’a pas atteint l’âge critique c’est pourquoi il prend au pied de la lettre des œuvres critiques comme les caricatures de Mahomet.

Au contraire les islamistes réfutent l’idée même d’une évolution historique et s’arc-boutent sur un moment privilégié de l’histoire, le califat, auquel ils veulent revenir. Cela ne veut pas dire qu’ils récusent le progrès technique. Au contraire leur communication marque qu’ils ont bien intégré les procédés techniques, psychologiques et médiatiques de gouvernance des esprits. Mais ces processus sont au service d’une valeur plus haute, la transcendance qui peut concilier la lecture littérale du Coran et les impératifs de la mondialisation.

« Pour ne pas conclure », je citerais volontiers pour finir et pour élever le débat un texte qui pourrait être un récitatif de croisade et que j’emprunte au poète Saint-John Perse : C’étaient de très grandes forces en croissance sur toutes pistes de ce monde, et qui prenaient source plus haute qu’en nos chants, en lieu d’insulte et de discorde.

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