Indomptable, mais indispensable Xinjiang

Patrick DOMBROWSKY

Directeur de l’Observatoire d’Analyse des Relations internationales Contemporaines. Membre du groupe de réflexion prospective Asie21-Futuribles.

  • Même si le monde se préoccupe davantage de la question du Tibet, l’Ouest chinois comporte une autre région autonome qui connaît régulièrement des troubles : le Xinjiang. Cet espace mu­sulman et turcophone a toujours causé des difficultés au pouvoir central de Pékin, qui a entrepris sa sinisation massive. Mais, pour d’importantes raisons politiques, stratégiques et économiques, le séparatisme du Xinjiang n’apparaît pas comme une perspective géopolitique crédible.
  • Even if the worldpreoccupies itself increasingly with the Tibetan question, the western part of China includes another autonomous region regularly beset by troubles: Xinjiang. This Muslim and Turkish speaking territory has always been a source of difficulties for China’s central authority, who thereupon instaured massive sinization of the territory. However, for strongpolitical, strategic and economic rea-sons, Xinjiang’s separatism doesnt seem to beyet a crediblegeopoliticalperspective.

COMME TOUS LES ÉTÉS depuis une demi-douzaine d’années, des attentats et des émeutes ont secoué en juillet 2011 les principales villes de la plus occidentale des régions autonomes chinoises : le Xinjiang. Rares en raison du contrôle strict exercé par les autorités gouvernementales, les informations sur ces événements, dont le bi­lan cette année est estimé à au moins une vingtaine de morts, nous parviennent en général au moment des vagues de condamnations (souvent à la peine capitale) sanc­tionnant les troubles1. Ces informations, relayées par de rares reportages sur place, sont toutefois suffisantes pour montrer que cette région musulmane, dont l’incorpo­ration à l’ensemble chinois a longtemps été fragile, recèle une conflictualité latente permanente, qui ne demande qu’à se rallumer. Comme le Tibet voisin, mais avec une visibilité internationale moindre en raison de l’absence de personnalité incarnant la résistance2, la Région autonome ouïgoure du Xinjiang constitue un défi pour le gou­vernement central chinois, qui veille scrupuleusement à ce que les acteurs étrangers n’y prennent pas part.

Au-delà de l’attachement à l’intégrité territoriale et institutionnelle de l’ensemble de la République populaire, le gouvernement de Pékin ne peut et ne veut en aucune manière courir le risque d’une sécession, ni même celui d’une agitation qui bénéficie­rait d’une compassion internationale analogue à celle qui est acquise une bonne fois pour toutes à la cause tibétaine. Le Xinjiang, en effet, est absolument indispensable à la Chine contemporaine. Depuis 2008, il est officiellement devenu la deuxième région productrice de pétrole du pays, et se situe à un carrefour stratégique de la plu­part des importations d’hydrocarbures provenant d’Asie centrale. Par ailleurs, le site de Lob Nor, ancien lac salé situé au débouché du fleuve Tarim, à l’est du désert du Taklamakan, est le principal site d’expérimentations nucléaires de l’armée chinoise. Enfin, même s’il semble avoir perdu de son ampleur par rapport au passé, l’univers concentrationnaire chinois est fortement implanté au sein de la région.

Pour toutes ces raisons, anciennes mais encore pertinentes aujourd’hui, l’indépen­dance de l’ancien Turkestan oriental est une option inenvisageable pour la Chine, qui a perpétuellement cherché à l’intégrer encore plus à son territoire. Le développement des enjeux économiques et sociaux qui affectent la région pourrait toutefois avoir des conséquences géopolitiques régionales accrues, que Pékin doit prendre en considéra­tion au-delà de sa volonté d’ancrer sa domination sur ses marches occidentales.

Une région indomptable

Immense territoire grand comme cinq fois la France, le Xinjiang représente un sixième du territoire total de la Chine, pour une population de seulement 21 mil­lions d’habitants. Il est principalement constitué par un vaste espace désertique, le Taklamakan, dont les ramifications séparent les régions habitées en autant d’isolats, répartis le long des tracés des anciennes Routes de la Soie : région de Kashgar au Sud, Dzoungarie et région d’Urumqi (la capitale régionale) au Nord. Situé au voisinage des États centrasiatiques nés de l’éclatement de l’Union soviétique, le Xinjiang appartient géopolitiquement à l’Asie médiane, espace dont les fragilités et les sources d’instabilité inquiètent le pouvoir chinois depuis des siècles. En effet, les populations autochtones de la région sont les Ouïgours, cousins ethniques et religieux des populations voisines, avec lesquelles ils ont plus d’affinités et de points communs qu’avec les chinois de l’ethnie majoritaire han. L’histoire régionale est ainsi une longue succession de contacts et de reflux entre les deux ensembles.

Bien qu’ils soient aujourd’hui le seul peuple numériquement important de la région à ne pas disposer d’un Etat indépendant, les Ouïgours sont en effet l’une des plus anciennes nations de l’ensemble centrasiatique. Au VIIIe siècle, leur empire, héritier d’une longue tradition nomade gardant la Chine contre les invasions sibé­riennes, remplaça celui des Oghouz sans qu’on en sache beaucoup plus que ce qu’en disent les rares sources chinoises. Au bout d’un siècle, l’Etat ouïgour dut quitter son implantation mongole sous la poussée des tribus kirghiz et s’installa dans l’ouest de la Chine, qui devint dès lors le Turkestan3, où les Ouïgours demeurèrent indépen­dants jusqu’au XIVe siècle. Sédentarisés, petit à petit islamisés, les différents groupes ouïgours se replièrent sur eux-mêmes, se fractionnant autour des centres urbains régionaux : Tourfan, Kachgar, Yarkand… C’est au XVIIIe siècle que le contact avec le monde extérieur fut renoué, sous la forme d’une nouvelle irruption chinoise. Les colons s’implantèrent sitôt le territoire annexé, provoquant durant tout le XIXe siècle un enchaînement de révoltes et de répressions. La plus grave fut celle de l’émir autoproclamé de Kachgarie, Yacub Beg, qui parvint pendant treize ans à maintenir hors de l’empire chinois tout le bassin du Tarim et les oasis du sud du Tian Chan. Il bénéficia du soutien du sultan de Constantinople et de la Grande-Bretagne. Mais l’hostilité du voisin russe, intéressé à aider la reconquête du Xinjiang en échange d’une extension de ses possessions en Sibérie méridionale, élimina rapidement tout espoir de réussite pour Yacub Beg. Les Russes poussèrent d’ailleurs plus loin encore leur avantage lors de l’effondrement de l’empire chinois en 1911, en laissant faire l’émancipation de la province derrière le chef de guerre Yang Zengxin, quitte à exercer sur lui un protectorat de fait.

Le Turkestan oriental fut ensuite mêlé à la grave dissolution de l’Etat chinois durant le début des années 1930 : confluent marginalisé de toutes les sécessions et de tous les aventuriers, la région connut deux années de guerre civile généralisée de 1931 à 1933, terminée au profit de Sheng Shicai, ex-dirigeant nationaliste chinois, proche des Russes blancs durant les années 1920, puis rallié au pouvoir soviétique. Le protectorat de ce dernier s’intensifia, jusqu’à ce que Sheng se rapproche à nou­veau du gouvernement nationaliste chinois. Durant cette période de troubles ins­titutionnels, deux Etats ouïgours furent même proclamés, qui n’eurent qu’une très éphémère existence4. Arrivé au pouvoir à Pékin en octobre 1949, le gouvernement communiste de Mao Zedong était particulièrement conscient de l’enjeu majeur de la région en terme de stratégie et de ressources naturelles. Il entama alors une vigoureuse politique de sinisation du territoire, même si la domination chinoise s’est mise en place de façon moins brutale qu’au Tibet5. Les caractères arabes de la langue ouïgoure furent ainsi réintroduits dès le début des années 1980, en même temps que l’islam se voyait autorisé, tant dans son enseignement que dans ses lieux de culte (il existe 17 000 mosquées sur tout le territoire).

Région autonome au sein de l’Etat chinois, le Xinjiang vit désormais de ma­nière duale, entre une population chinoise han rassemblée essentiellement dans les grandes villes (et surtout Urumqi, la capitale), et une population ouïgoure net­tement plus rurale et pauvre, principalement repliée dans les oasis méridionales6. Malgré la prise de conscience affichée par le pouvoir central vis-à-vis de la nécessaire réduction des inégalités socio-économiques, l’essentiel des situations économique­ment avantageuses est monopolisé par les immigrants hans, souvent liés à l’armée et aux structures de défense. Cette mise à l’écart entretient un fort sentiment de frus­tration chez les Ouïgours, que l’indépendance des peuples frères kirghiz, ouzbek et même kazakh a transformé en revendication nationaliste parfois violente, à partir des années 1990. Mais celle-ci manque, pour vraiment s’affirmer, d’une diaspora importante sur laquelle s’appuyer pour sortir de la chape de silence imposée par la Chine7. Elle est donc réduite à de brusques accès de violence, fréquemment inter­communautaire, qui ne font qu’aggraver le fossé entre les deux groupes ethniques. L’appartenance du Xinjiang à l’islam crée par ailleurs des interférences religieuses préoccupantes sur cette agitation, singulièrement dans une région centrasiatique sensible au discours de l’islam radical. La Chine a donc dû s’employer activement à créer des protections diplomatiques contre une éventuelle contagion islamiste dans la région autonome, véhiculée principalement par le Mouvement islamiste du Turkestan oriental, plus connu sous son sigle anglo-saxon ETIM. Durant les premières années de leur indépendance, les nouveaux Etats centrasiatiques, surtout le Kazakhstan et le Kirghizstan, avaient accueilli sans trop intervenir les réfugiés parvenant à quitter le Xinjiang et rejoignant la diaspora disséminée en Asie centrale, qui ne tarda pas à être instrumentalisée par les différentes structures se réclamant de l’islam radical dans l’ensemble de l’Asie médiane8. Très vite, la Chine se rapprocha de ces nouveaux Etats et parvint à les convaincre de signer, le 26 avril 1996 et le 24 avril 1997, deux traités de délimitation frontalière dont les clauses aboutissaient à interdire aux organisations d’exilés ouïgours toute activité sur les territoires li­mitrophes de la Chine9. Pourtant, la relative mise en veilleuse de ces mouvements ouïgours n’a pas empêché la violence politique de perdurer à l’intérieur du terri­toire. Les dernières années ont été finalement marquées par la radicalisation des parties en présence. Les mouvements ouïgours, de plus en plus, sont tentés d’uti­liser le facteur religieux pour faire progresser leur cause. En 1996, un parti d’Allah a été créé au Xinjiang, tandis que de plus en plus de jeunes réfugiés au Kazakhstan partent au sein de mouvements islamistes en Afghanistan, financés par des struc­tures religieuses basées en Arabie Saoudite, où vivent de nombreux Ouïgours. Sur place, bien qu’il semble que l’ETIM n’existe plus de façon opérationnelle, le gou­vernement continue néanmoins à agiter la menace de telles organisations, ne serait-ce que pour justifier sa politique de répression anti-Ouïgoure.

Par ailleurs, le pouvoir chinois refuse plus que jamais toute forme de concession sur le statut de la région. Ce serait créer un précédent dangereux dans un pays où les revendications nationales des régions périphériques (au Tibet, en Mongolie, en Mandchourie.) ne manquent pas et où les inégalités de développement frac­tionnent même le pays han. Le Xinjiang, plus que jamais, est indispensable à la République Populaire de Chine, pour des raisons à la fois politiques, stratégiques et économiques.

Une région indispensable Politiquement

La dimension politique du maintien de l’appartenance du Xinjiang à l’ensemble chinois est évidente, même si elle n’est plus désormais la plus importante. L’heure n’est en effet plus, au sein de la communauté internationale, à soutenir coûte que coûte toutes les revendications nationalistes, au détriment de la sauvegarde des frontières et des souverainetés existantes. La puissance économique et commerciale acquise par la Chine sur la scène mondiale la met par ailleurs définitivement à l’abri de toute forme de déstabilisation venant de l’extérieur, qui s’appuierait sur d’éventuels séparatismes. En revanche, c’est au plan intérieur que l’indépendance, ou même le renforcement de l’autonomie interne, du Xinjiang (comme d’ailleurs de n’importe laquelle des autres régions périphériques) est inacceptable. Cette évolution entraînerait trois conséquences également dommageables pour le système politique chinois.

  • Le désaveu de la politique d’insertion des Ouïgours. L’assouplissement des mesures coercitives qui maintiennent la population ouïgoure à l’intérieur de l’en­semble chinois serait un aveu d’échec significatif de la politique, constante depuis 1949, de sinisation de ce territoire. Dans les discours officiels, cette dernière se fait en préservant l’harmonie intercommunautaire, et les droits des populations autoch­ Tout changement de statut, au profit de celles-ci, serait la reconnaissance de facto qu’un développement à deux vitesses s’est en réalité installé, que le nouvel équilibre aurait vocation à corriger.
  • La rupture du monopole du pouvoir exercé par le Parti communiste. Accorder une autonomie renforcée, voire une indépendance, aux mouvements politiques ouïgours qui la réclament aboutirait à reconnaître que la légitimité politique à l’inté­rieur de la région peut appartenir à d’autres autorités que celles qui la monopolisent jusqu’à présent, et qui sont celles du Parti unique. Ce serait créer un précédent inen­visageable, une brèche mortelle dans la cohésion totalitaire du système politique.
  • Revoir la carte du L’univers concentrationnaire chinois, même s’il a considérablement perdu de son importance par rapport à la période de la Révolution culturelle, continue d’exister, et le Xinjiang en est un élément impor­tant. L’éloignement géographique, la fermeture régulière de la région aux étrangers, les conditions d’isolement du milieu désertique, le besoin de main d’œuvre des gisements pétroliers, rendent la région propice au maintien de plusieurs centres d’emprisonnement, qu’il serait problématique de déplacer.

Stratégiquement

Géographiquement excentré par rapport au cœur économique de la façade ma­ritime donnant sur le Pacifique, le Xinjiang est un verrou géopolitique majeur dans le positionnement régional de la Chine. La région autonome est en effet frontalière de huit États10 qui, de l’Inde à la Mongolie, constituent un arc de cercle stratégique majeur pour une Chine qui redoute toujours d’être encerclée par des puissances hos­tiles. C’est par le Xinjiang que transite la route stratégiquement essentielle qui a été construite à destination de l’allié pakistanais. C’est aussi dans cette région qu’arrivent les flux d’importation du pétrole kazakh, qui transitent ensuite vers l’ensemble de la Chine. C’est enfin au Xinjiang que la Chine partage une frontière commune avec les États d’Asie médiane les plus touchés par l’islamisme radical, dont l’Afghanistan, susceptible d’être une permanente source de déstabilisation. Le contrôle de la région ouïgoure est donc une clef essentielle dans l’ouverture diplomatique de la Chine vers son voisinage occidental, en même temps qu’une zone tampon face à d’éventuelles menaces.

Mais c’est toutefois l’aspect plus strictement militaire qui est le plus significa­tif dans l’importance stratégique du Xinjiang pour la Chine. Tout d’abord, l’Armée Populaire de Libération est devenue un acteur majeur de l’économie régionale11. La volonté du Président Hu Jintao et de son gouvernement de partir en chasse contre les aspects les moins discrets de la corruption a certes poussé le commandement militaire à plus de retenue dans son implication au sein des circuits économiques locaux. Il n’en reste pas moins que l’armée est régulièrement pointée du doigt, à l’intérieur même des instances politiques chinoises, pour avoir mis la main de façon exclusive sur les secteurs les plus intéressants du développement du Xinjiang, y compris dans leurs relations économiques et commerciales avec l’étranger. Il ne semble pas que Zhang Chunxian, le nouveau responsable du parti communiste pour la région, nommé en 2010 après quinze années de « règne » de son prédécesseur, ait pu changer grand-chose à cet état de fait jusqu’à présent.

Il faut dire que l’armée possède une implantation essentielle, et spécifiquement militaire celle-ci, au Xinjiang. Le site de Lob Nor est en effet le plus vaste centre d’essais nucléaires au monde, en fonctionnement depuis 1964 : 45 explosions y ont été réalisées depuis lors, dont 23 dans l’atmosphère. Ce complexe stratégique majeur joue d’ailleurs son rôle dans l’exacerbation des tensions avec la population autochtone ouïgoure. Celle-ci considère en effet que les retombées sanitaires et médicales qu’elle doit subir du fait de l’implantation de ce site sont considérablement trop élevées, d’autant plus que de nombreuses populations continuent de vivre près des zones irra­diées. En 1993, de violents affrontements se sont produits à l’intérieur même du site nucléaire, dont une partie des installations ont été saccagées par les émeutiers, avant qu’ils soient violemment réprimés par l’armée.

Économiquement

Pauvre et périphérique, le Xinjiang est un destinataire significatif des investisse­ments effectués par le gouvernement central. Les travaux d’infrastructures, notam­ment, sont considérables depuis trois décennies pour désenclaver la région. Avec l’arrivée au pouvoir de l’actuelle équipe dirigeante, la nécessité de rehausser le niveau de vie général de la population (y compris les Ouïgours) s’est traduite par une mo­dernisation des réseaux routiers, des infrastructures ferroviaires et du tissu urbain. Au passage, les gigantesques travaux entrepris ont permis d’intensifier la politique de sinisation, flagrante dans la destruction systématique des quartiers historiques et traditionnels des principales villes, comme Kashgar. Au nom de la modernité et de la salubrité des zones urbaines, le pouvoir uniformise les modes de vie de tous les habitants de la région, Hans ou Ouïgours. Cette orientation montre bien que l’inves­tissement économique mené par le gouvernement central se veut durable, et répond au désir d’arrimer la région à l’ensemble chinois.

Cette volonté s’explique aussi en raison du poids majeur pris par le Xinjiang dans la production pétrolière chinoise. La présence d’hydrocarbures dans l’ancien Turkestan oriental est certes connue depuis le début du XXe siècle. Durant les années 1950, elle avait d’ailleurs donné lieu à un des principaux domaines de la coopération avec l’Union soviétique. Désormais devenu la deuxième zone de production pétrolière de la Chine, le Xinjiang est également une pièce maîtresse de la stratégie d’approvision­nement d’hydrocarbures en provenance d’Asie. La production elle-même avoisine les 30 millions de tonnes annuelles, pour des réserves de plus de 20 milliards de tonnes, sur lesquelles la plupart des spécialistes sont unanimes. Et elle augmente régulière­ment, même si son niveau est encore insuffisant à couvrir les considérables besoins de la République populaire. Quant aux hydrocarbures importés du Kazakhstan, du Turkménistan et d’Ouzbékistan, ils empruntent les infrastructures construites pour évacuer vers l’Est les productions régionales. Non seulement la Chine peut ainsi ac­croître son approvisionnement, mais en plus elle se dote d’un instrument de pression commerciale vis-à-vis de ses voisins centrasiatiques, dans l’hypothèse où ceux-ci en­treprendraient de soutenir à nouveau les mouvements sécessionnistes ouïgours.

L’indépendance du Xinjiang, c’est incontestable, est à ranger au rang des utopies irréalisables, sauf cataclysme géopolitique majeur affectant l’ensemble de la Chine, et donc de l’Asie. Pour autant, même si le rapport démographique penche très proba­blement, désormais, en faveur des Hans, l’heure ne semble guère venue d’une stabilité pacifiée à l’intérieur de la région autonome. Le gouvernement central a certes su profiter de l’éclatement soviétique pour définir juridiquement et sécuriser sa frontière occidentale. Mais l’absorption des populations ouïgoures au sein du melting pot han ne se fait pas sans heurts ni sans résistance. Les inégalités socio-économiques se creu­sent à l’intérieur de la région, la répression politique se durcit au rythme des brusques flambées de violences, le développement économique général tarde à porter ses fruits pour une jeunesse ouïgoure désœuvrée.

Et même si, fidèle à son habitude, le pouvoir de Pékin estime que le temps joue en sa faveur, le Xinjiang, de plus en plus indispensable à la Chine, n’est pas définiti­vement dompté.

Notes

  1. C’est ainsi à la fin septembre 2011 qu’ont été annoncées les condamnations des émeutiers (ou présumés tels) arrêtés lors des événements de juillet.
  2. La seule personnalité mondialement connue et liée à la résistance ouïgoure est Mme Rebiya Kadeer, régulièrement qualifiée de « terroriste » par le gouvernement chinois. Mais son en­richissement considérable (elle a été la première Chinoise à devenir millionnaire) et sa par­ticipation à plusieurs instances officielles du Parti communiste avant sa disgrâce politique rendent son combat singulièrement moins simple à suivre que celui du Dalaï Lama.
  3. L’appellation de « Turkestan oriental » est venue des géographes européens, soucieux de le distinguer du reste du pays turc.
  4. En 1933, la République islamique du Turkestan, présidée par Niyaz Hajji ; elle ne sub­sista qu’un an, promptement battue par Sheng Shicai. En 1944, la République du Turkestan Oriental fut plus durable, même si la collusion de plus en plus manifeste entre l’Union sovié­tique et les communistes conduits par Mao Zedong la fit disparaître en fait en juin 1946, et en droit en octobre 1949.
  5. Il est vrai que le Xinjiang appartenait déjà à la souveraineté chinoise, alors que le Tibet a été formellement annexé en deux temps, durant les années 1950.
  6. En 1949, les Hans ne représentaient que 6 % de la population totale. Ils n’étaient encore que 10 % en 1957, mais déjà 40 % en 1982. Plusieurs spécialistes estiment qu’ils sont sur le point d’être désormais majoritaires, si ce n’est pas déjà le cas, même si les chiffres officiels veillent à maintenir la primauté statistique des Ouïgours.
  7. Il n’y a guère que dans quelques universités de la côte Ouest des États-Unis qu’un embryon de diaspora, sans lien significatif avec les populations restées sur place, tente de sensibiliser les opinions publiques.
  8. Jusqu’à Al Qaida elle-même. Lors de leur intervention en Afghanistan, à partir de 2001, les Américains ont ainsi trouvé des combattants ouïgours parmi leurs opposants, et certains furent même emprisonnés dans la base de Guantanamo.
  9. L’Organisation de libération du Ouïgouristan a dû interrompre ses publications, tandis que le Front national uni révolutionnaire du Turkestan oriental fut de plus en plus régulièrement la cible d’intimidations de la police kazakhe.
  10. Inde, Pakistan, Afghanistan, Tadjikistan, Kirghizstan, Kazakhstan, Russie et Mongolie.
  11. Le Xinjiang est la seule région de Chine où existe une organisation gouvernementale écono­mique et semi-militaire appelée Bingtuan (ou Corps de production et de construction) qui gère, par-dessus l’autorité du gouvernement central, l’activité économique et sociale des pans entiers de la société du Xinjiang : villes, villages, fermes, entreprises, industries, administra­..
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