Globalisation, internationalisation, mondialisation: Des concepts à clarifier

Par le Recteur Gérard-François DUMONT, Professeur à l’Université de
Paris-Sorbonne

Au seuil du XXIe siècle, le contexte mondial est dominé par trois phénomènes nouveaux ou
de nature nouvelle dans l’Histoire de l’humanité : la globalisation, l’internationalisation et la
mondialisation. S’interroger sur la situation planétaire actuelle et future suppose une
clarification préalable de ces trois concepts sans laquelle il est impossible de comprendre le
monde contemporain et les changements géopolitiques actuels.
En outre, cette clarification est d’autant plus nécessaire que les définitions, implicites ou
explicites, utilisées pour ces trois concepts sont souvent floues, conduisant à des
représentations mêlées ou opaques qui ne permettent pas de faire la lumière sur l’évolution du monde. Ainsi, de nombreuses analyses et commentaires présentent la  » globalisation  »
(globalization) comme le résultat d’un appétit insatiable des firmes multinationales. Dans leur volonté de faire toujours des profits plus élevés, les entreprises seraient les hérauts de cette globalisation qui correspondraient parfaitement à leurs attentes : d’une part, la liberté accrue des échanges sur la planète leur permettrait de choisir les lieux permettant de parvenir aux prix de revient les plus bas : prix du travail, prix du capital, prix de l’immobilier, prix des impôts et charges sociales ; d’autre part, cette liberté des échanges leur permettrait d’élargirsans cesse leur marché à des consommateurs auparavant enfermés dans des systèmes politiques qui avaient organisés la fermeture (totale ou partielle) des leurs marchés.

Selon nombre de discours, la moindre difficulté apparaissant dans la vie de nos sociétés
contemporaines – mal-développement dans divers pays et régions, maladie de la vache folle,
marée noire de l’Erika, mévente de tel produit agricole, suppression d’emplois industriels
nécessitée par les besoins de la productivité… – conduit à dénoncer  » la mondialisation « , c’est-à-dire, selon le sens implicite donné à ce terme, le comportement de firmes ne pensant qu’à profiter de la globalisation. Ces réflexes souvent conditionnés par les grands médias
conduisent par exemple à se féliciter de l’échec du sommet de Seattle, dans l’idée qu’il devrait mettre un frein à la voracité des firmes multinationales, alors qu’il s’agit d’un échec politique.

La réalité nous semble totalement contraire à cette analyse. S’il y a toujours eu des
entrepreneurs curieux de connaître les autres mondes, si le commerce international s’est
développé, plus particulièrement à partir de la fin du XVe siècle, pour faire circuler des
produits nécessaires partout mais seulement disponibles dans certains espaces (songeons au
sel, aux épices, à la canne à sucre…), la globalisation, qui organise une concurrence
permanente sur des marchés mondiaux, n’a jamais été et n’est jamais pour l’entreprise un
objectif, encore moins un projet. L’idéal pour l’entreprise n’est pas se subir une concurrence
internationale toujours plus vive, mais serait au contraire de disposer d’avantages
concurrentiels permettant de s’approprier sur les marchés des secteurs ou des niches les moins concurrencés, voire les plus captifs possible. L’idéal pour l’entreprise n’est pas de subir la pression constante d’analystes financiers au tempérament vorace et aux exigences sans bornes, mais serait plutôt d’avoir l’assurance de maintenir une haute rentabilité grâce à la
prépondérance sur un marché protégé. Toutes les stratégies des entreprises visent donc à
acquérir des avantages concurrentiels, de préférence des niches captives, et, dans le cas
2 contraire, se trouve en échec. La stratégie de Renault ne consiste pas à souhaiter être
concurrencé par Ford ou Toyota auprès de sa clientèle, mais au contraire de mettre sur le
marché des produits et une image de ses produits ayant pour conséquence d’éloigner la
concurrence de sa clientèle.
Plutôt que de citer l’exemple bien connu de Microsoft qui n’a eu de cesse de se positionner en
situation de quasi-monopole, ce que la justice américaine a fini par condamner en 2000,
prenons l’exemple de la firme McDonald’s : son objectif n’est pas d’oeuvrer pour la
globalisation des marchés, c’est-à-dire pour des marchés de plus en plus ouverts à d’autres
sociétés de restauration rapide existantes ou nouvelles. Bien au contraire, son objectif est de
tendre à obtenir autant que possible une position forte, voire de quasi-monopole sur le marché de la restauration rapide pour limiter au maximum les risques nés de l’ouverture des marchés.
Que le français José Bové détruise en août 1999 un restaurant McDonald’s en construction à
Millau (dans l’Aveyron) ou qu’il plaide à Seattle pour la qualité du roquefort, cela ne porte
pratiquement pas atteinte à McDonald’s. En revanche, si José Bové utilisait sa notoriété
médiatique pour créer une chaîne de restauration rapide fondée dans chaque pays sur les
originalités culinaires de chaque terroir, McDonald’s aurait du souci à se faire.
L’objectif de l’entreprise consistant à s’assurer une certaine sécurité économique facilitant sa
rentabilité et sa pérennité est parfois difficile à réaliser seul. Aussi l’entreprise cherche-t-elle
par exemple à obtenir des appuis des pouvoirs publics : délégation d’une concession
exclusive, obtention d’un monopole, conditions de concurrence apaisée… Une autre méthode
consiste à s’appuyer sur d’autres entreprises du même secteur qui veulent également limiter les risques de la concurrence et la rentabilité de leurs investissements : d’où les alliances
permettant de stabiliser la compétition tarifaire, technologique, ou commerciale ; les joint
ventures, pour tirer profit de complémentarités et partager les coûts et les risques sur un projet donné ; la sous-traitance et la cession de licences, pour limiter le coût en capital du
développement international ; ou les fusions et acquisitions pour acquérir des tailles critiques
rendant la concurrence davantage supportable.
Contrairement à l’idée reçu et souvent répandue, les entreprises sont pratiquement étrangères au déclenchement et à l’extension du processus de globalisation qu’elles n’ont généralement pas appelé de leurs vœux. En réalité, la globalisation découle de décisions politiques, qui, arrivant dans un contexte de changements géographiques, que nous désignons sous le terme d’internationalisation, ont pu opérer rapidement et contraindre les entreprises à revoir leurs stratégies, en leur donnant une dimension mondiale (wordwide strategy).
La meilleure preuve que la globalisation, qui s’accentue depuis le dernier tiers du XXe siècle,
a été subie et non voulue par les entreprises est l’énorme choc qu’elle a provoqué chez des
firmes géantes qui semblaient aussi fortes et puissantes que des éléphants. Certaines de ces
firmes, comme Pan Am, ont disparu ou ont dû laisser leur place à d’autres. Quant aux
entreprises qui ont été capables de mettre en œuvre des stratégies contraintes, puis
interactives, elles se retrouvent dans des situations totalement nouvelles : la capacité de penser mondial s’est substituée à une approche séquentielle des marchés, l’entreprise-réseau a remplacé l’entreprise hiérarchisée, le recentrage sur des compétences-clés a remplacé la diversification rampante ou choisie sans véritable logique ; la recherche de la taille la plus performante a succédé à une simple volonté de puissance, et la question de la localisation des activités est devenue essentielle.
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Pour expliciter le résumé ci-dessus de notre analyse, précisons d’abord les changements
politiques, qui ont fécondé la  » globalisation « , puis les changements géographiques,
correspondant à l’internationalisation. Nous examinerons enfin comment les entreprises
modifient leurs stratégies pour s’adapter à ce nouvel environnement globalisé et international.
1. Les mutations politiques : La  » globalisation  »
Fruit de décisions politiques, la globalisation résulte d’un ensemble de décisions prises à
l’échelon mondial, à des échelons régionaux, à des échelons nationaux ou à des échelons
locaux.
Les choix mondiaux pour la globalisation
Dès le lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, le monde occidental signe le GATT dont
les principes sont le refus du protectionnisme et une ouverture progressive des marchés
intérieurs. Commence alors, d’abord à un niveau quantitatif modeste, un développement du
commerce international ; le taux annuel de croissance du commerce international devient
supérieur au taux moyen annuel de croissance économique et représente une proportion
croissante des activités économiques. Nous en sommes aux prémisses de la globalisation,
même si le terme n’est pas encore utilisé, dans une période où les décisions le concernant sont modestes.
Le traité de Rome de 1957 marque une étape très importante car il montre la voie d’une
globalisation des marchés dans un espace régional et offre un modèle qui sera imité dans
d’autres régions du monde. Le déroulement de cette étape illustre notre analyse selon laquelle la globalisation tient à des décisions politiques : ainsi, les dirigeants politiques français signent-ils le traité de Rome contre l’avis de l’instance représentant les entreprises, le Conseil national du patronat français. Ce dernier tente de s’opposer à la mise en œuvre d’un marché commun, argumentant officiellement que l’économie et les entreprises françaises sont incapables de résister suffisamment aux nouveaux concurrents attirés par l’ouverture des frontières, et souhaitant en réalité conserver les marchés protégés dont ils bénéficient.

Ce qui précède justifie pleinement de définir la globalisation comme l’ensemble des processus politiques visant à la mise en place d’organisations régionales des marchés et/ou d’une organisation planétaire unique des marchés, ces derniers étant de moins en moins segmentés ou rendus hétérogènes par les frontières existantes entre les espaces nationaux ou régionaux.
Les années et les décennies consécutives au traité de Rome confirment la véracité de cette
définition souvent occultée : tandis que les Six globalisent leur marché, les Etats-Unis
s’inquiètent des progrès économiques d’une Europe qui commence à s’unifier et réalisent que
leur part dans le commerce international est très modeste par rapport à leur poids économique dans le monde. En fait, ceci n’est pas anormal, car les Etats-Unis bénéficient d’un vaste territoire disposant de ressources diversifiées, et sont en conséquence pratiquement autosuffisants. Contrairement à l’Europe qui est dépendante du reste du monde pour de nombreuses matières premières et sources d’énergie, les Etats-Unis n’ont guère besoin d’importer, même s’ils importent par exemple du pétrole pour économiser leurs propres réserves ; en conséquence, ils n’ont guère la nécessité d’exporter pour équilibrer leurs importations.
Mais cette réalité ne convient pas à leur stratégie de puissance. Aussi, sous le président
Kennedy, les Etats-Unis décident-ils d’exercer un rôle majeur dans le commerce international.

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Le Trade Expansion Act se présente comme l’acte de naissance de la globalisation mondiale, à l’instar du traité de Rome, acte de naissance des processus de globalisation régionale. En effet, précédant le Kennedy Round (1964-1967), et en formant les prémices, le Trade Expansion Act, voté par le Congrès américain en 1962, décide de réduire de moitié, par paliers annuels, les droits de douanes sur l’ensemble des produits importés aux Etats-Unis. Il est suivi au plan international par l’ouverture de ces discussions visant à ouvrir davantage les marchés, connues sous le nom de Kennedy round. Puis le Tokyo round aboutit à une réduction non linéaire des droits de douane (les pays ayant les droits les plus élevés faisant l’effort le plus important) et à un démantèlement des barrières non tarifaires. Ensuite l’Uruguay round (1986-1993) aborde la négociation d’aspects nouveaux, comme le commerce des services (20% du commerce mondial et comprenant l’industrie cinématographique et l’audiovisuel), les investissements, et
le renforcement de la propriété intellectuelle. Cet Uruguay round, qui s’est heurté à l’épineuse question des aides et subventions étatiques à l’exportation accordées aux agricultures
nationales, a surtout entraîné la mise en place, en 1994, l’Organisation mondiale du commerce
(OMC) dont les décisions ont une portée juridique pleine et entière. L’objet de l’OMC consiste
en effet à promouvoir les échanges sur une base non discriminatoire, en mettant en place un
cadre juridique international permettant de réguler le fonctionnement des marchés et des
firmes étendu sur plusieurs pays. Il s’agit entre autre de modifier, en vue de les éliminer, les
politiques sectorielles de protection.
L’échec des négociations de Seattle, à l’automne 1999, n’est qu’une péripétie car la
globalisation ne provient pas uniquement de décisions arrêtées dans un cadre quasi-mondial,
comme celui de l’OMC, mais aussi de décisions régionales, nationales et locales qui n’ont
guère été stoppées par les événements de Seattle.
Les choix régionaux pour la globalisation
Depuis les années 1960, les décisions politiques multilatérales conduisant à élargir le champ
de la concurrence se multiplient. La formation d’ensembles économiques régionaux comme
l’Union européenne se traduit par de nouvelles libertés de circulation des hommes et des
capitaux, étendant par là même le champ spatial de la concurrence économique. Le succès
économique de le Communauté économique européenne a encouragé la création d’institutions
se fixant des objectifs équivalents : Mercosur, Alena…
En outre, ces ensembles économiques régionaux ont tendance à s’agrandir au fur et à mesure
que des bouleversements politiques conduisent davantage de pays à un fonctionnement
économique laissant une large place aux mécanismes du marché. Ainsi l’Union Européenne,
issue de l’Europe des Six de 1957, s’est-elle étendue notamment au Danemark à l’Irlande et au
Royaume-Uni en 1973, à la Grèce en 1981, à la Péninsule ibérique en 1986, avant de passer à
quinze le 1er janvier 1995 avec l’adjonction de la Suède, de la Finlande et de l’Autriche. De
façon générale, ces ensembles sont attirants pour les pays n’en faisant pas encore partie, d’où
l’élargissement de leur champ géographique.
Un autre échelon régional qui se dessine réunit des pays non limitrophes essayant de définir
des positions communes afin que les répercutions de la globalisation sur leurs économies ne
soient pas défavorables et si possible avantageuses. Ainsi huit pays musulmans (Bangladesh,
Egypte, Indonésie, Iran, Malaisie, Nigeria, Pakistan et Turquie) ont signé en février 2001 la
Déclaration du Caire formant un groupe baptisé  » D8  » pour le développement dont l’objet est
de défendre une position commune dans les négociations politiques de l’Organisation
mondiale du commerce. Là encore, cette démarche n’a pas pour objet de réfuter le processus
de globalisation mais, au contraire, lui donne son adhésion, puisque les pays du D8 souhaitent
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 » doubler au cours des cinq prochaines années le volume de leurs échanges commerciaux  »
avec l’ensemble de la planète.
Les décisions nationales ouvrant la globalisation
Conformément à la globalisation planétaire ou à des formes régionales de la globalisation,
l’internationalisation du droit unifie le contexte juridique des échanges, limitant l’impact des
politiques spécifiques des Etats. En outre, la plupart des Etats affichent une volonté visant à
abattre les frontières économiques et prennent des décisions facilitant l’ouverture croissante
des espaces nationaux aux flux d’échanges de toute nature avec l’extérieur. Dans cet esprit, la
diminution du champ des monopoles nationaux et le développement des privatisations font
entrer progressivement dans un marché concurrentiel international des secteurs précédemment
protégés, comme l’eau, l’électricité, le téléphone, la poste…Tout ceci facilite les ententes
internationales, les prises de participation croisées, voire les fusions.
Dans le même temps, les législations nationales se libéralisent, ouvrant davantage les marchés
nationaux. Ainsi la France, plutôt hostile encore au début des années 1980 à l’implantation
d’entreprises étrangères et notamment japonaises, a-t-elle changé d’attitude en 1984 en
supprimant une grande partie du pouvoir de l’Etat dans le contrôle des implantations
étrangères. Le principe de l’autorisation a priori pour les investissements d’entreprises dont le siège social est dans un pays membre de l’Union Européenne a été supprimé ; il en est
pratiquement de même pour les entreprises extérieures à l’Union Européenne. Quant aux
formalités administratives, elles ont été simplifiées et accélérées. Les territoires peuvent donc ouvertement susciter des implantations d’investisseurs étrangers.
Parmi les décisions nationales favorisant la globalisation, il faut citer l’implosion des régimes
communistes, généralement remplacés par des systèmes politiques favorables au
développement du commerce extérieur, ou la volonté d’ouverture économique de pays comme le Mexique qui adhère au GATT en 1986 ou comme la Chine qui entreprend en 1999
d’adhérer à l’OMC.
1 – Les changements politiques :
la  » globalisation  »
– Les choix mondiaux pour la globalisation
o du Kennedy Round à l’Organisation mondiale du commerce ;
o l’internationalisation des règles juridiques ;
– Les choix régionaux pour la globalisation
o la création et l’extension d’ensembles régionaux : Union Européenne, ASEAN,
ALENA, Mercosur… ;
o l’ouverture commerciale croissante des frontières ;
– Les décisions nationales ouvrant la globalisation
o la diminution du champ des monopoles nationaux;
o le développement des privatisations ;
o les réglementations économiques nationales plus
libre-échangistes, comme par exemple :
+ les investissements internationaux moins encadrés,
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+ les formalités administratives moins contraignantes.
– des espaces facilitant la globalisation
© Gérard-François Dumont
L’acceptation de micro-Etats facilitateurs
Enfin, la globalisation est facilitée par des lieux qui s’offrent, grâce à des réglementations
encore moins contraignantes, des règles de gestion plus souples, ou à des savoir-faire
particuliers, pour faciliter les échanges et notamment les échanges de capitaux. Il s’agit d’une
part de pays ayant déjà acquis de telles compétences (Pays-Bas dans l’accueil de holding,
Luxembourg, Suisse, Monaco ou de places offshore comme Jersey, Guernesey, l’île de Man,
les Bermudes, Curaçao dans les Antilles néerlandaises, les îles Caïman…). Tous ces sites sont
propices au développement de la globalisation parce qu’ils favorisent les mouvements de
capitaux et domicilient des capitaux flottants. Ils n’existent et ne développent leurs activités
que parce que les grands Etats de la planète leur permettent d’exister, car ils les considèrent
utiles au développement de la globalisation, même s’ils se plaignent le leur concurrence
fiscale ou de leur rôle dans le blanchiment d’argent.
Tout cet ensemble de décisions politiques conduisant à la globalisation s’est trouvée accélérée
parce qu’elle a été portée par la montée des nouvelles technologies et les mutations
géographiques qui y sont liées.
2. Les mutations géographiques : L’internationalisation
En effet, les effets économiques de la globalisation auraient sans doute été moins rapides si le
contexte géographique n’avait pas été marqué par des changements considérables dans
l’espace-temps, que l’on peut désigner de terme d’internationalisation. L’internationalisation se
définit donc comme l’utilisation d’un ensemble de techniques et de procédés réduisant
l’espace-temps, des échanges de ressources, de biens et des services entre les territoires de la
planète. Il convient d’abord de citer la révolution des transports matériels et immatériels,
facilitant la mobilité du capital productif et de hommes, ainsi que l’usage concomitant d’une
pluralité d’espaces. Cette internationalisation de l’espace ne doit néanmoins pas laisser penser
à une totale uniformisation de l’espace, notamment en raison du processus de métropolisation
et plus généralement d’une nouvelle hiérarchisation des espaces.
2 – Les évolutions géographiques
et spatio-temporelles :
l’internationalisation
o la révolution des transports matériels (les changements dans l’espace-temps) ;
o la révolution des transports immatériels : les nouvelles technologies de l’information et de
la communication ;
o la mobilité du capital productif ;
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o la mobilité des hommes avec l’élargissement des espaces de vie et de nouvelles logiques
migratoires, dont les migrations entrepreneuriales et managériales ;
o l’usage concomitant d’une pluralité d’espaces : la  » ville plurielle  » ;
o le processus de métropolisation.
o la hiérarchisation des espaces selon leurs accès aux communications les plus évoluées et au
meilleur rapport qualité-prix ;
© Gérard-François Dumont
La révolution des transports
Les progrès des communications sont essentiels. Ils « représentent le bond en avant le plus
marquant » des années 1980 et le changement le plus radical dans les systèmes de relations à
toutes les échelles, locale, régionale, nationale et internationale », avec « l’épopée du TGV », le
« triomphe des autoroutes », la « multiplication des voies aériennes » ou les bateaux porteconteneurs.
Dans le même temps, l’internationalisation de l’économie s’est trouvée facilitée par la
révolution des télécommunications (généralisation du téléphone automatique et maintenant
portable, baisse du coût des communications internationales en raison de la diffusion du
téléphone et des nouveaux moyens de transmission des messages, diffusion du télex, de la
télécopie, réseaux numériques, internet,…). Les débats sur la rentabilité éventuelle de
l’U.M.T.S. (Universal Mobile Telecommunication System), rendue difficile en Europe par la
taxation des Etats, oublie un élément essentiel, les conséquences de ce nouveau standard (s’il
se généralise) pour faciliter l’internationalisation. En effet, ce standard signifie non seulement
le mariage de la téléphonie mobile et de l’accès internet à haut débit, multipliant donc les
possibilités de communications planétaires, mais surtout une compatibilité entre les réseaux
téléphoniques américains et européens, alors que l’actuelle norme européenne numérique
G.S.M. (Global System for Mobile Communications), adoptée en 1987, et qui a supplanté le
système analogique, est incompatible avec le réseau américain.
Cette double révolution des transports, matériels et immatériels, facilite considérablement la
mobilité internationale.
L’élargissement de l’espace économique
La mobilité du capital productif est bien mise en évidence par l’élargissement de l’espace
économique. Deux changements d’échelle doivent être soulignés : le premier – l’élargissement
de l’espace économique – est de nature essentiellement nationale, avec le passage d’espaces
économiques relativement fermés à des espaces économiques inévitablement ouverts. Un
espace économique se définit comme « un espace hétérogène dont les diverses parties sont
complémentaires et entretiennent entre elles plus d’échanges qu’avec les régions voisines ». Or
une rupture, nettement accentuée dans les années 1970, vient profondément modifier le
rapport entre ces deux types d’échange. Auparavant, dans un monde où les coûts des
communications et les durées des déplacements sont encore élevés, la population privilégie
les productions locales car elle ne peut compter, pour se nourrir, pour se vêtir, pour améliorer
ses conditions de vie, que sur des ressources proches : « Le coût des communications obligeait
naguère les établissements d’une même filière à ne pas être trop éloignés les uns des autres.
Les cycles de transformation restaient généralement enfermés au sein des espaces nationaux »
et souvent à proximité des sources d’énergie ou de minerais.
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L’échange avec l’extérieur de l’espace, qui avait été secondaire, voire marginal, prend
maintenant une importance telle que tout espace économique s’inscrit désormais dans un
système plus large auquel il est lié. Les échanges concernent bien entendu les marchandises et
les services, mais aussi les hommes.
Le second changement d’échelle résultant de la révolution des transports concerne la mobilité
des hommes avec l’élargissement des espaces de vie et de nouvelles logiques migratoires.
L’élargissement des espaces de vie
La diversification des transports urbains, le développement des infrastructures autoroutières,
les trains à grande vitesse élargissent les espaces de vie en permettant une périurbanisation
des villes, puis des agglomérations. Cette périurbanisation est bien mise en évidence dans le
cas de Paris où l’on est passé d’une optique purement communale, avec un conseil municipal
empêchant le réseau du métro de sortir des vingt arrondissements, à une optique régionale
avec le prolongement des lignes de métro, la création d’un RER (réseau express régional), et
le développement de liaisons intergares comme EOLE et METEOR destinées à relier SaintLazare
à la gare de l’Est et à celle d’Austerlitz. En septembre 1999, cette volonté régionale est
symbolisée lorsque la Société nationale des chemins de fer S.N.C.F. décide de dénommer les
trains de banlieue sous le générique commercial de  » transilien  » (néologisme créé à partir de
transport et de francilien)
Simultanément, la diffusion de l’automobile, encouragée par l’amélioration des réseaux, va
dans le même sens en permettant un lieu de résidence plus éloigné des zones d’emplois, que
celles-ci soient en centre-ville ou dans les nouveaux espaces d’activité situés dans l’espace
périurbain.
La périurbanisation d’agglomération, pour laquelle le terme de  » paraurbanisation  » paraît un
néologisme approprié, qui se développe notamment grâce à l’automobile, élargit encore plus
l’échelle démographique des pays économiques. Au plan international, la révolution des
transports contribue à de nouvelles logiques migratoires et à une diversité croissante des types
migratoires, dont les migrations managériales et entrepreneuriales.
L’usage concomitant d’une pluralité d’espaces ou « la ville plurielle »
Au processus d’élargissement des espaces économiques, il faut ajouter celui de leur diversité
géographique. L’espace ne s’est pas seulement élargi, il s’est également davantage ouvert, en
raison des changements survenus dans l’économie et les transports. En particulier, la notion
d’espace-temps s’est, plus que jamais, substituée à celle de distance. Les hommes sont de
moins en moins enserrés dans un espace continu circonscrit se définissant par la distance
kilométrique qu’il est possible de parcourir en un certain temps, mais dans un espace
discontinu formé par tous les territoires accessibles par un quelconque moyen de
communication (autoroute, fer, air) en un temps limité . Les notions de distance se sont
profondément modifiées. Ce changement est bien symbolisé en France par l’intitulé de
l’association des « villes à une heure de Paris ».
De plus en plus d’individus ont une mobilité géographique hors de l’épure d’un espace
économique polarisé par une ville, et inscrivent leurs activités dans une pluralité d’espaces
économiques, et donc dans une pluralité de villes: « Une révolution urbaine silencieuse, la ville
plurielle » s’est accentuée depuis les années 1980. Alors que l’échelle spatiale dans la vie des
homme était, en général, limitée à une unité de lieu correspondant au territoire d’un espace
économique et notamment à son espace urbain, l’homme vit de plus en plus souvent plusieurs
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villes et non plus seulement la ville : ville de résidence, ville d’activité, ville de
consommation, ville de loisirs, ville de résidence secondaire… C’est d’ailleurs ce caractère
pluriel de la « consommation » des villes qui conduit chacune d’entre elles à chercher et à
développer sa singularité.
Les cinq éléments d’internationalisation précédemment cités ne signifient pas une unification
économique des espaces car on constate un processus de métropolisation et de nouvelles
hiérarchies spatiales se dessinent.
Le processus de métropolisation
En effet, d’une façon plus générale, se développe un processus de métropolisation, c’est-à-dire
« l’exercice de forces centripètes conduisant à la concentration des hommes et des activités
dans les espaces urbains. » Par exemple, l’installation du standard U.M.T.S. le sera d’abord
dans les grandes villes, premier de rentabilité possible, ce qui ne peut que concourir à la
poursuite de la croissance du taux d’urbanisation du fait de la métropolisation.
Ce processus est lié au besoin d’une main-d’œuvre large, qualifiée et flexible, à l’appel de
services variés, à la nécessité d’entretenir des échanges avec une multiplicité de partenaires
commerciaux, techniques, institutionnels. Paul Claval interprète la métropolisation comme le
produit de la « géographie de contacts » révélatrice des besoins nouveaux des entreprises en
liaison avec leurs partenaires. Il note la coïncidence totale entre carte des métropoles et carte
des aéroports.
De nouvelles hiérarchies spatiales
Les conséquences de l’élargissement de l’échelle des espaces économiques sont triples : d’une
part la diffusion spatiale des activités et plus encore des habitants dans un territoire plus vaste,
d’autre part la révolution de la mobilité conduisant à la ville plurielle, et enfin l’importance
grandissante de la notion de hiérarchie spatiale. En effet, l’interdépendance croissante entre les
espaces crée inévitablement des relations accrues de dépendance.
La caractère de plus en plus international du monde instaure de nouvelles différenciations
spatiales entre les territoires possédant les meilleurs moyens de communication avec
l’économie-monde et les autres, dont les capacités de communication sont moindres et dont
l’activité économique est par conséquent limitée.
Les moyens de communication, créent de nouvelles déformations des espaces, étalant
certains, rétractant d’autres. Dans les relations interurbaines, on constate une rétractation
longitudinale le long des axes de communication, dont la distance en temps diminue du fait
des autoroutes interurbaines, des liaisons aériennes ou des trains à grande vitesse.
Parallèlement, les territoires connaissent une rétractation transversale : la zone d’influence des
nouvelles infrastructures de transport et de communication est limitée dans l’espace. Les
utilisateurs d’un téléport doivent se regrouper sur les quelques hectares où l’on peut bénéficier
de cet équipement.
La mobilité du capital productif
Le développement des moyens de transport et de leur technologie minore largement
l’incidence du coût du transport dans les décisions économiques des entreprises. La facilité et
la durée du transport importent plus que son coût stricto sensu. Il devient plus important de
mesurer les distances en temps qu’en kilomètres. La révolution des transports permet une
mobilité considérable, c’est-à-dire internationale, du capital productif. Le transport n’est plus
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généralement un facteur déterminant de la localisation. Au contraire, il est désormais un
facteur ouvrant le champ du choix des localisations.
La territoire qui bénéficie sur son sol de l’implantation de telle ou telle entreprise n’est plus
protégé d’un transfert dans un autre territoire par le coût de la distance entre cet autre territoire
et le marché. Même si cela est moins vrai pour quelques industries qui ont besoin de
localisations très spécifiques (nucléaire, transformation de pondéreux) ou pour les services de
proximité.
L’internationalisation se traduisant par la contraction de l’espace et du temps, elles entraînent
des mutations dans les stratégies et l’organisation des entreprises contraintes également de
s’adapter aux décisions accentuant les différents niveaux de globalisation, régionaux ou
mondiaux.
3. Les mutations économiques : La mondialisation ou les stratégies mondialisées des
entreprises
Face à la globalisation et à l’internationalisation des facteurs de production et de distribution,
les entreprises se trouvent contraintes de mettre en œuvre de nouvelles stratégies, des
stratégies mondialisées, pour réagir aux risques supplémentaires en découlant. Il conviendrait
de réserver l’emploi du terme mondialisation pour définir les actions des firmes visant à
répondre en tout lieu et sans discrimination particulière de délai et de prix aux spécificités de
la demande, actions nécessitant la mise en œuvre des stratégies mondialisées répondant à la
globalisation et à l’internationalisation. Ces stratégies sont conformes au souci constant de
toute entreprise sur un marché, évoluer plus vite que ses concurrents.
Les risques supplémentaires
Face à la volonté politique de globalisation, les entreprises ont d’abord eu à faire face à des
risques supplémentaires. Le choc a même été terrible pour plusieurs d’entre elles, à
commencer par le numéro un du transport aérien Pan Am, qui a disparu, ce que personne
n’avait jamais imaginé. En 1989, IBM accumule les déficits et se trouve au bord du gouffre ;
General Motors perd l’équivalent de 9 400 Francs sur chaque voiture vendue aux Etats-Unis.
Face à l’instabilité croissante de l’environnement, de grandes entreprises dégonflent
considérablement leurs effectifs pour accroître leur productivité, et développer leur recours à
la sous-traitance. IBM, General Motors, British Airways, British Telecom, British Petroleum,
Renault, Peugeot,…suppriment massivement des emplois, dans le cadre d’une stratégie
contrainte par la globalisation.
On sait en effet que l’on peut classer les stratégies d’entreprise en trois catégories : les
stratégies volontaristes, lorsque les entreprises décident de faire évoluer leur environnement ;
les stratégies contraintes, lorsque les entreprises n’ont d’autres choix que de s’adapter à un
environnement qui change ; et enfin les stratégies interactives, consistant à tirer le meilleur
parti des mutations de l’environnement, à orienter à son profit les avantages procurés par la
globalisation en retournant contre ses concurrents ses inconvénients. Or l’attitude actuelle des
entreprises consistant à déployer des stratégies mondialisées (wordwilde strategy) ne
découlent pas d’abord de choix volontaires, mais davantage des contraintes nouvelles du
monde. Les entreprises ont dû et doivent s’adapter aux décisions politiques qui organisent la
globalisation et aux mutations géographiques nées avec les nouvelles technologies. Puis les
stratégies initiales de contraintes laissent la place à des stratégies interactives consistant à
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penser mondial, à se centrer sur ses compétences-clés, à privilégier les fonctionnements
réticulaires visant à passer d’un fonctionnement multidomestique à une entreprise réseau.
Penser mondial
La nécessité de penser mondial est impérative puisque les risques subis par l’entreprise ont
désormais des sources régionales ou mondiales. Par exemple, l’entreprise française des années
1970 se souciait principalement des distorsions de concurrence créées par les pouvoirs publics
français au profit des entreprises nationalisées, bataillaient avec l’administration française qui
contrôlait les prix de vente des produits, s’inquiétaient de programme électoraux prévoyant la
nationalisation d’entreprises ou de fournisseurs… Aujourd’hui, le climat économique dépend
également et parfois surtout de décisions prises à Bruxelles, à New York, à Genève (l’OMC),
à Tokyo, à Pékin,…
Le centrage sur les compétences-clés
Vouloir tout faire, c’est mal faire. La globalisation impose d’être terriblement compétent sur
son marché, et donc de ne pas disperser ses forces sur divers marchés, d’autant qu’il faut aussi
toujours conserver le maximum de forces disponibles pour les inévitables réorientations qui se
révéleront nécessaires. C’est pourquoi des firmes vendent des filiales rentables trop éloignées
de leur vocation principale. Elles se recentrent sur un ou plusieurs métiers sur lesquelles elles
disposent de leur meilleure position compétitive : par exemple des groupes chimicopharmaceutiques
se spécialisent dans une seule de ces deux activités.
L’externalisation
Ce recentrage a un corollaire : l’externalisation de toutes les productions qui ne sont pas
l’essence de la vocation de l’entreprise ; cela permet par exemple de réduire les coûts internes
qui étaient liés à l’organisation auparavant hiérarchisée de la firme. A la différence de la soustraitance
classique, l’externalisation consiste à confier à un prestataire externe la responsabilité
d’une fonction de l’entreprise (et non seulement la fabrication d’un sous-produit), quitte parfois
à transférer aussi les actifs et le personnel concernés. Les entreprises y voient le moyen de
mieux affronter la globalisation et les mutations économiques en devenant plus flexibles et
plus réactives. Hormis les services de base, tels la restauration ou le nettoyage, les
technologies de l’information (services informatiques) et les télécommunications sont
actuellement les fonctions les plus souvent externalisées à l’échelle mondiale. A l’avenir, on
pourrait ainsi imaginer que les grandes entreprises automobiles se contentent du coeur de leur
métier : concevoir des automobiles et les commercialiser.
Cette externalisation des activités des firmes consiste à répondre à un autre élément
stratégique : avoir une taille efficace.
La montée des entreprises-réseaux
Comme précisé ci-dessus, les stratégies mondialisées signifient que les firmes doivent
chercher à répondre en tout lieu et sans discrimination particulière de délai et de prix aux
spécificités de la demande ; les stratégies sont donc au-delà de la simple volonté d’exportation
des années 1960, qui était gérée par un centre unique, et au-delà du stade des entreprises
multinationales des années 1970, organisée selon un édifice hiérarchisé depuis la société-
mère. La firme mondialisée anime un réseau d’établissements bénéficiant d’une large
autonomie de production et de commercialisation.
Il s’agit de passer à l’entreprise internationale du troisième type. Le premier type se crée par
adjonction de filiales étrangères qui fonctionnent de façon relativement autonome dans le
cadre d’entreprises multidomestiques. Puis l’idée – deuxième type – consiste à mettre en oeuvre
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des firmes à intégration simple : le holding du groupe exerce un rôle majeur pour les décisions
stratégiques, les options de recherche, la conception des produits, mais les activités dans les
différents pays sont étroitement coordonnées de manière à tirer le meilleur parti des
compétences et des ressources locales. Dans l’entreprise internationale du troisième type, il n’y
a pas a priori de répartition fonctionnelle ; chaque filiale étrangère peut se voir confier un rôle
leader pour certaines activités et un rôle de support pour d’autres à l’intérieur de la firme. Cette
dernière fonctionne en réseau et le rôle de chaque noeud du réseau peut évoluer en fonction
des nécessités.
En outre, la poursuite de la compétitivité consiste à optimiser les recherches, les méthodes de
management, les sources de financement. Trois centres de recherche dispersés dans le monde
fonctionnant en réseau sont plus productifs qu’un unique centre de recherche nécessitant une
organisation plus lourde et moins à même d’extraire la richesse de localisations différentes.
Cherchant à s’adapter à un environnement globalisé, les entreprises s’appuient à la fois sur la
dimension mondiale de leur marché et sur les avantages à tirer des réseaux transnationaux
d’établissements. Ceci est particulièrement vrai en ce qui concerne les unités de production
d’une même entreprise qui sont désormais mises en concurrence. Par exemple, l’usine Peugeot
de Madrid s’est trouvée en concurrence directe avec le site de Ryton en Angleterre pour la
fabrication de nouveaux modèles 306. Dans cette compétition, les partenaires de PeugeotEspanola
– sous-traitants locaux, syndicats, salariés- se sont mobilisés pour atteindre
l’excellence, améliorant en quelques années la productivité des sites espagnols, autrefois
médiocres, jusqu’aux meilleurs standards européens.
Les entreprises considèrent ainsi que la concurrence géographique peut être bénéfique et
favorable à la productivité, compte tenu des moyens accrus de mobilité : possibilité de fermer
des sites peu compétitifs, choix d’implantation là où les gains synergiques semblent les plus
profitables, possibilité de transférer des technologies nouvellement élaborées vers des zones
considérées comme plus dynamiques ou offrant un meilleur rapport qualité-coût.
« La grande firme s’organise comme un archipel, en combinant d’une part l’ancrage de ses
établissements dans les bassins où ils sont implantés, leur socialisation locale, la mise à profit
des externalités disponibles, mais aussi la production et la reproduction des ressources rares
que sont la main-d’oeuvre et les savoir-faire ; d’autre part en faisant fonctionner ensemble,
quelquefois sur de très longues distances, ces établissements, selon un dosage variable de
décentralisation et de coordination. A cet archipel appartiennent aussi les fournisseurs, soustraitants,
clients fonctionnellement – sinon géographiquement – les plus proches. »
3 – Les changements économiques :
les stratégies  » mondialisées  » des entreprises
– Penser mondial
o la montée d’une conception mondiale de
l’économie ;
o la mondialisation des marchés pour les grandes entreprises comme pour les P.M.E. (marché
des fournisseurs, marché des clients) ;
– Le centrage sur les compétences-clés
o l’externalisation
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– La montée des entreprises-réseaux
o la mise en concurrence mondiale des sites de production.
– Agir selon une dimension efficiente
o de l’économie de production à l’économie de flexibilité ;
– Les nouveaux critères de localisation
o les réseaux transnationaux d’établissements considérés comme avantageux :
. émulation entre les établissements,
. mobilisation des sous-traitants ;
o possibilité de fermer les sites peu compétitifs ;
o choix de l’implantation en fonction des gains synergiques ;
o possibilité de transfert des technologies.
© Gérard-François Dumont
Agir selon une dimension efficiente
En dépit de leurs efforts pour fonctionner en réseau, les grandes firmes sont inévitablement
plus bureaucratiques et plus rigides que des organismes moyens ou petits dont la taille permet
une souplesse et une grande flexibilité.
La moyenne et petite dimension dispose également souvent d’un avantage compétitif par la
qualité des informations et des compétences qu’elle peut rassembler rapidement ou mettre
facilement en synergie. La globalisation n’impose donc pas une taille mondiale, mais la
nécessité d’adapter la dimension à l’efficience escomptée.
Les nouveaux critères de localisation
En outre, la stratégie mondialisée conduit à des choix de localisation qui s’inscrivent de plus
en plus dans une logique mondiale.
Les entrepreneurs implantent des unités de recherche et de production là où les conditions leur
apparaissent les plus avantageuses, même si le choix de l’implantation des unités de
distribution et de commercialisation est davantage imposé par la proximité des marchés, et
donc par la valeur économique du potentiel démographique.
Les entreprises ne choisissent pas nécessairement les sous-traitants et les prestataires externes en raison de leur proximité géographique, mais en fonction d’un rapport qualité-prix dans lequel le prix du transport a une importance de plus en plus limitée . Il est donc possible de
faire appel à des pays où le prix de revient est le moins élevé, en raison notamment de salaires ou de coûts fiscaux et parafiscaux plus faibles. Les entreprises qui collaborent au sein d’une filière peuvent avoir des implantations géographiquement très éloignées et échanger néanmoins en temps réel les informations nécessaires. Les flux du commerce international ne sont plus limités à l’énergie, aux matières premières et aux produits finis, mais peuvent,
comme les flux nationaux, comprendre de nombreux produits intermédiaires, comme par
exemple les pièces d’automobiles à monter dans le pays de destination.
Les entreprises formulent, dans le cadre de leur stratégie productive, des projets
d’implantation et ces projets ne s’accompagnent pas a priori d’un souhait de localisation précis.
Celui-ci résulte des besoins définis et des offres disponibles répondant le mieux aux besoins,
variables selon le type de secteur économique ou la nature de l’activité à implanter. Une
société d’électronique sera sensible au niveau de qualification de la main-d’oeuvre ; une
14 entreprise de produits agro-alimentaires frais alliera les infrastructures physiques (aéroports, autoroutes) et le caractère central du site par rapport au marché local.
Les critères des cahiers des charges définissant les besoins ont donc une hiérarchie différente, voire une nature différente, selon que l’entreprise cherche à implanter une activité de services, de distribution, de production, de haute technologie ou de direction. Une entreprise bancaire ressent la nécessité de se trouver près des bourses et des marchés. Une entreprise de grande distribution demande une localisation très fortement liée aux voies de communication. Une entreprise qui implante un établissement de production s’attache d’abord à résoudre ses
besoins de main-d’œuvre et de communication. L’expérience montre que les entreprises de
hautes technologies sont particulièrement grégaires. Elles demandent une localisation dans un site où elles pourront bénéficier de synergies et d’une ambiance générale propice au
développement technologique de leur secteur d’activité. Quant à l’activité de direction, elle
recherche un lieu où la dimension politique est présente : lieu associé à un certain prestige, ou création d’un siège social dont l’architecture va symboliser l’image qu’elles souhaitent
véhiculer.
Les besoins des entreprises peuvent donc être très variés, selon leurs fonctions, selon leurs
partenaires, selon les relations de la localisation avec les marchés. Mais dans tous les cas, les grandes entreprises réalisent leur arbitrage à l’échelle mondiale.
Pour de plus en plus de produits et de services, la concurrence est planétaire et les moyens à
mettre en œuvre pour faire face à cette concurrence doivent faire l’objet d’une réflexion à la
même échelle. Ceci est évidemment vrai pour les entreprises implantées sur les cinq
continents. Mais c’est aussi le cas de nombre de moyennes et petites entreprises dont les
clients existants ou potentiels sont partout dans le monde.
De même que les clients sont partout, la production ou la recherche n’ont plus de fortes
contraintes géographiques de localisation. Il y a une mise en concurrence mondiale des sites
de production, de distribution et de services, qui suscite en permanence des recherches de
productivité accrue, avec comme effet la disparition de certains types d’emplois et la création de nouveaux. Les territoires, directement concernés par l’évolution de l’emploi, ne peuvent rester indifférents à cette mondialisation qui exige davantage de compétitivité spatiale.
Conclusion Fruit de décisions politiques nationales, régionales et internationales, la globalisation s’est trouvée facilitée par l’essor de procédés facilitant les échanges entre les différents territoires
de la planète. Les firmes n’ont eu d’autres choix que de mondialiser leurs stratégies compte
tenu de l ‘évolution du contexte politique et géographique .
Ces évolutions considérables ne doivent pas masquer deux éléments fondamentaux
concernant le rôle des Etats sur les territoires dont ils ont la charge et le maintien – heureux –
de spécificités et d’identités nationales locales.
Certes, avec la montée de la société de l’information, et les besoins croissants de souplesse des activités économiques, le rôle des Etats nationaux évolue et doit évoluer, tandis que les
ensembles régionaux en constitution, regroupant plusieurs pays, doivent prendre en compte la situation nouvelle. Ces Etats ou les organisations régionales demeurent nécessaires car les
15 entreprises ont besoin de pouvoirs publics veillant au respect des règles, sans toutefois
instaurer des normes économiques rigides inadaptées à un monde en constante évolution.
D’ailleurs nombre d’entreprises évitent, à regret, les Etats se révélant incapables d’assurer un minimum de sécurité et de justice économique.
En outre, la globalisation et l’internationalisation des marchés n’effacent heureusement pas les différentes géographiques et culturelles qui imposent aux entreprises de penser local même si elles ne peuvent éviter de penser mondial. En définitive, la globalisation débouche sur des
comportements stratégiques devant satisfaire la  » glocalisation  » (glocalization), ce
néologisme permettant se synthétiser la nécessité d’être capable à la fois de penser
globalement et d’agir localement.
Gérard-François Dumont

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