Géopolitique du Coronavirus : la fin du siècle américain ou pas ?

par Jean-Pierre Vettovaglia, ancien Ambassadeur de Suisse, ancien Représentant personnel du Président de la Confédération suisse pour la Francophonie, administrateur de banque et éditorialiste.



Résumé

Géopolitique du Coronavirus : la fin du siècle américain ou pas ?

Le Covid-19 n’a pas créé les nombreux problèmes de géopolitique posés à notre monde contemporain. Il a eu cependant pour effet de « démasquer la Chine ». Un deuxième effet assez direct a été le « déniaisement » de l’Europe. Troisièmement, la pandémie a avivé toutes les tensions politiques, économiques et commerciales, technologiques et scientifiques entre les Etats-Unis et la Chine.

 Le coronavirus accélère-t-il la fin du siècle américain ou pas ? Sans doute pas.

Même la puissance de l’hyperpuissance est relative. Elle est relative à cause d’éléments extérieurs qui peuvent l’affaiblir (émergence de nouvelles puissances) et à cause d’éléments de politique intérieure qui peuvent l’amoindrir (décomposition de la société américaine).

Il faut remarquer la récurrence des discours sur le déclin américain. Toujours annoncé mais jamais vérifié ! Or, malgré le déclin relatif, tous les marqueurs d’hégémonie restent largement en faveur des Etats-Unis.

L’on se dirige donc vers un ordre mondial fait de confrontations. La compétition stratégique va devenir ouvertement antagoniste. Il n’y aura peut-être pas de divorce consommé entre les États-Unis et la Chine mais le couple va sérieusement tanguer. Nous dansons sur un volcan, comme d’habitude sur cette planète.

Une chose est à peu près certaine : le monde d’après le Covid-19 sera le monde d’avant en pire !

Summing up

Geopolitics of the Coronavirus pandemic: the end of the American century or not?

The Covid-19 did not create the numerous geopolitical problems we face in our contemporary world. It has had nevertheless several consequences. It helped “unmask” China, made Europe less naïve and stirred up major tensions (political, economic, commercial, technological and scientific) between the United States and China.

Will the Coronavirus accelerate the end of the American century? Certainly not. Even the power of the Hyperpower is relative. Outside elements can weaken a Superpower (emergence of competitive new powers) and internal factors can negatively affect its own society (tearing apart the American civil society).

The American decline is a recurrent theme in recent history: always announced and never materialized. Despite a relative decline, all the markers of hegemonic power are still largely in favor of the United States.

We are headed towards a confrontational world order. Strategic competition will be openly antagonistic. There might be no divorce between the United States and China but their relationship will be pretty shaky. As usual, we all dance on the volcano on this planet. One thing is certain: the new post-pandemic world will be the world from before but worse.



Introduction : le Covid-19 comme facteur d’accélération

Le Covid-19 n’a pas créé les nombreux problèmes de géopolitique posés à notre monde contemporain.

Toutefois, l’on peut estimer que sa survenance a contribué à accélérer certains de ces problèmes voire à précipiter leur aggravation. Elle a en effet accentué, amplifié, exacerbé à la fois leur réalité et leur perception. Mais le Covid-19 n’est en aucun cas un « game changer ».

Il a eu cependant pour effet assez direct de « démasquer la Chine ».

Le monde a pu voir dans un premier temps une puissance totalitaire dissimuler la gravité d’une pandémie et maltraiter les premiers lanceurs d’alerte en Chine. L’on a pris conscience ensuite de la répression intérieure en cours vis-à-vis du Xinjiang et de Hongkong. Les firmes technologiques chinoises directement liées à l’État sont soupçonnées à nouveau de mener des activités d’espionnage dans le monde occidental. La Chine fait monter la tension en Mer de Chine méridionale. On s’est rappelé aussi que la Chine est dirigée par un parti unique, le parti communiste chinois. Ses expériences de société urbaine policée par un contrôle numérique omniscient nous rapprochent d’une atteinte inacceptable pour les libertés individuelles.

Xi Jinping mobilise des efforts financiers et diplomatiques sans précédent pour inscrire la République populaire dans un nouvel âge d’or de la route de la soie. Le projet est au cœur de son rêve chinois de renouveau et de revanche sur un Occident accusé d’avoir humilié la Chine pendant des siècles. L’alliance de 25 ans qu’il est en train de nouer avec l’Iran incarne cette nouvelle audace en politique extérieure.

Un consensus politique commence à se dessiner en Occident pour initier une résistance à cette nouvelle Chine conquérante et arrogante.

Le coronavirus a fonctionné en l’occurrence comme un véritable révélateur de ce que l’on ne voulait pas toujours prendre en considération pour de bas motifs d’intéressement économique et financier.

Un deuxième effet assez direct a été le « déniaisement » de l’Europe.

L’Europe a longtemps fait preuve d’une grande naïveté, elle a manqué de prévoyance et de précaution.  Elle défend mal ses intérêts, n’a pas évité sa dépendance technologique et sanitaire, a découvert le danger de certaines délocalisations

L’Union européenne se réveille doucement. Elle était restée très mesurée jusque-là dans ses réponses aux provocations chinoises, elle hausse désormais le ton et parle de réponse coordonnée. Elle est soudainement plus consciente de la menace chinoise. Il est vrai que la Chine moderne a su parfaitement jouer jusque-là de l’imaginaire que continuent de véhiculer chez nous les fabuleuses aventures de Marco Polo en Extrême Orient. De « partenaire », la Chine est devenue à Bruxelles un « rival systémique ».

Après de longues années de bienveillance (mal placée) et de confiance (régulièrement abusée), la diplomatie européenne a décidé de se montrer plus lucide et d’abandonner une part des niaiseries qui la marquaient particulièrement sous l’ère du médiocre Barroso.

Troisièmement, la pandémie de Covid-19 que Washington accuse Pékin d’avoir laissé se répandre plus ou moins sciemment à travers le monde a avivé toutes les tensions politiques, économiques et commerciales, technologiques et scientifiques entre les deux pays. Les négociations commerciales sont interrompues et de nouvelles sanctions réciproques sont en préparation. 

Des nouvelles mesures sont prises pour priver les firmes technologiques chinoises de leurs fournisseurs américains et pour ne pas ouvrir les marchés à l’État chinois. Il est même question de priver de visas les membres de l’élite communiste chinoise.

La campagne présidentielle américaine fortement impactée par le recul de l’économie du pays tournera autour de ceux qui démontreront la plus grande détestation de la Chine. Le fossé entre les deux pays va se creuser de semaine en semaine. Une rupture entre les deux superpuissances n’est plus totalement inenvisageable malgré leurs relations commerciales étroites et l’interconnexion du monde contemporain.

1.- Le coronavirus accélère-t-il la fin du siècle américain ou pas ?

Sans doute pas. Bien des observateurs n’avaient pas attendu le coronavirus pour pronostiquer la fin du siècle américain, le déclin inéluctable de l’Empire, la fin du modèle occidental, la domination révolue des États-Unis, leur perte irrémédiable de statut.

Raymond Aron est l’auteur d’une réflexion lapidaire mais tellement pertinente : « Seul le pouvoir est absolu, la puissance est toujours relative ».

Ainsi, même la puissance de l’hyperpuissance est relative. Elle est relative à cause d’éléments extérieurs qui peuvent l’affaiblir (émergence de nouvelles puissances) et à cause d’éléments de politique intérieure qui peuvent l’amoindrir (décomposition de la société américaine). Et si la puissance est relative, alors le déclin est relatif lui aussi. Cette affirmation va servir de référence permanente pour l’exposé qui suit.

C’est Antoine de Rivarol, écrivain de la deuxième moitié du XVIIIème siècle, qui écrivait dans son ouvrage « De la philosophie moderne » : « Les empires les plus civilisés sont toujours aussi près de la barbarie que le fer le plus poli l’est de la rouille ; les nations, comme les métaux, n’ont de brillant que les surfaces ». Voilà pour le jeu des apparences et de la réalité que nous allons tenter d’analyser. L’histoire de demain n’est pas encore écrite.

Dès leurs origines, les États-Unis ont voulu incarner un modèle à la fois unique et universel : un pays garantissant la liberté et la prospérité à ses citoyens et montrant le chemin au reste du genre humain. Du coup, ils n’ont voulu voir dans leur politique étrangère qu’un simple moyen au service de ce destin.

La montée en puissance de la Chine, aussi rapide et imposante qu’elle soit, menace-t-elle réellement le statut de première puissance mondiale dont bénéficient les États-Unis depuis le milieu de 20ème siècle, au-delà d’une politique étrangère depuis longtemps inqualifiable et d’une situation intérieure aujourd’hui pour le moins éclatée dans un contexte d’économie actuellement effondrée. 

Avant d’étudier un certain nombre de marqueurs d’hégémonie, il nous faut remarquer la récurrence des discours sur le déclin américain. Toujours annoncé mais jamais vérifié !

1.1.- Histoires de déclin

Outre la disparition de leur monopole nucléaire, la « perte » de la Chine en 1949, la guerre frustrante en Corée, la victoire de Castro à Cuba, les États-Unis sont confrontés en 1958 au premier déficit grave et inquiétant de leur balance des paiements. Source d’anxiété, la question du financement de la politique impériale est posée. Le déclin sonne une première fois très sérieusement à la porte.

Henry Kissinger écrit en 1961 : « Les États-Unis ne peuvent se permettre un autre déclin du type de celui qui a caractérisé la dernière décennie et demie ». Alors déclin ou rebondissement ?

Un an après, l’éclatant succès apparent de la gestion par Kennedy de la crise des missiles à Cuba fait paraître l’empire américain plus puissant que jamais. Déclin oublié.

Ce sentiment de surpuissance créé par la crise des missiles de Cuba provoque l’arrogance de l’Amérique. Il incite les Américains à porter un coup définitif à l’expansionnisme communiste en s’engageant au Vietnam, l’inextricable bourbier que l’on sait. Cette guerre a de terribles retombées sur l’Empire américain.

 Elle démontre les limites de la puissance militaire américaine et, surtout, altère l’image d’une Amérique championne des libertés qui devient progressivement celle d’une puissance impérialiste et militariste. Elle déchire la société américaine et la mène au bord d’une guerre civile.

Nixon déclare le 6 juillet 1971 que « les États-Unis ne sont plus en position de prééminence ou de prédominance complète ». Et il ajoute « dans cinq, dix ans mais en tout cas de notre temps, l’hégémonie américaine sera remplacée par le jeu des cinq puissances dominantes : États-Unis, Union soviétique, Japon, Chine et Europe occidentale ». Acceptation du déclin ?

Kissinger, lui encore, va le persuader du contraire ! Et Nixon de bousculer ses alliés en décrochant le dollar de l’or et en imposant un régime de change flottant. Ce qui permettra aux États-Unis d’abuser du pouvoir de s’endetter gratuitement à l’étranger. L’ère de l’empire libéral vient de s’achever et celle d’un empire plus autoritaire de commencer. A la chute de Saigon (1975), le « Spiegel » représente sur sa couverture la Statue de la Liberté avec un bras cassé. L’énorme crédibilité et le respect dont bénéficiaient les États-Unis commencent à s’éroder. Déclin ? Toujours pas.

Ronald Reagan s’engage en effet à rendre au pays sa grandeur passée (déjà le MAGA, « Make America great again » …) et réussit à rétablir la posture stratégique de l’Amérique en rendant l’initiative aux États-Unis au dépend de l’Union soviétique. Mais Reagan enclenche en réalité un envol du déficit de la balance commerciale et de celui du budget et de l’endettement du pays à l’étranger.

Il y a un véritable basculement.  L’empire de la production devient un empire de la consommation, important pétrole et produits manufacturés, jouant pour le monde le rôle de marché alors que le monde d’après 1945 avait été le marché des États-Unis. L’empire importe des capitaux du Moyen-Orient et d’Asie.

En 1987, les États-Unis perdent le statut de créancier net vis-à-vis de l’étranger qu’ils possédaient depuis 1917. L’idée que les États-Unis souffrent de « sur-extension impériale » est de plus en plus évoquée.  C’est le concept selon lequel les empires meurent d’avoir contracté plus d’engagements qu’ils ne peuvent en supporter. Déclin, cette fois, c’est sûr ?

Non, la chute du Mur de Berlin puis la disparition de l’Union soviétique provoquent un nouvel excès de confiance chez les Américains. La première guerre du Golfe (Koweït, février 1991) voit les États-Unis remporter une victoire éclatante.

La victoire de Clinton en 1992 lui permet d’affirmer que l’Amérique a tout pour dominer la nouvelle économie globalisée et l’optimisme retrouve son droit de cité.

 Dès l’été 1989, Francis Fukuyama considère que nous venons de vivre la fin de l’histoire, c’est-à-dire l’universalisation de la démocratie occidentale comme forme ultime de gouvernance de l’humanité.

Le journaliste Charles Krauthammer salue la naissance d’un « moment unipolaire ». En 1993, entrant dans une ère de croissance et de prospérité retrouvées, les États-Unis font figure « de première et seule vraie puissance globale » selon Zbigniew Brzezinski et « d’hyperpuissance » selon Hubert Védrine.

La suprématie militaire des États-Unis est plus écrasante que jamais.

L’effondrement de l’étatisme soviétique légitimise la vision pure et dure du marché qui sous le label « consensus de Washington »[1] est imposé au monde. 

A la fin du XXème siècle, l’humeur est davantage à l’autocélébration qu’à la peur du déclin. Clinton érige l’Amérique au rang de « nation indispensable ». Le néoconservateur Robert Kagan compare en 1998 les États-Unis à un empire si « bienveillant » qu’aucune nation, sauf la Chine, ne cherche à rivaliser.

 Ce triomphalisme est dangereux : comme le théologien Reinhold Niebuhr le redoutait, il augmente le risque de voir les États-Unis menacés autant par leurs propres prétentions à la vertu que par le désordre mondial naissant.

Arrive alors la dérive du « moment unipolaire » avec les attentats du 11 septembre 2001.

L’arrivée en 2001 d’une administration républicaine, composée du duo fatal composé de Bush junior et de Dick Cheney, va changer la donne en pratiquant un unilatéralisme musclé qui anéantit toute réticence du pays à se lancer dans des guerres à l’origine mensongère. 

Aveuglés par leur sentiment d’omnipuissance et déterminés à instrumentaliser la peur qui s’est emparée du pays, les dirigeants républicains se lancent dans une « guerre contre le terrorisme » aux conséquences particulièrement néfastes pour les États-Unis. Ils proclament leur droit à conduire des guerres préventives et embrassent un unilatéralisme qui passe outre à l’opposition du Conseil de sécurité.

La solidité du système financier américain et la crédibilité du dollar se retrouvent fragilisées. Les déficits du budget et des comptes se gonflent, l’endettement du pays s’envole et l’empire se fond dans une « Chinamérique » où seuls les prêts consentis par Pékin entretiennent un haut niveau d’activités aux États-Unis.

 Mais leur prospérité est illusoire : elle repose sur des dettes, étalées sur des dettes et glacées de dettes.

Bill Clinton peut ainsi dire en 2008 : « notre nation est en difficulté sur deux fronts : le rêve américain est assiégé chez nous et le leadership de l’Amérique sur le monde a été affaibli ».

L’énorme diffusion du crédit a masqué longtemps les retombées de la globalisation, soit le creusement des inégalités et la paupérisation des classes moyennes. L’ère du leadership américain global est achevée et en 2008, le « New York Times » qualifie les États-Unis de « lost leader ».

Il y a eu une Amérique généreuse, mais aussi une Amérique mesquine, arrogante, vicieuse, cynique et destructrice.

L’examen devant le tribunal de l’histoire démontre leur échec : ils se sont montrés incapables de définir un nouvel ordre mondial, incapables d’asseoir une véritable légitimité en tant que puissance « parentale », incapables de préserver leur crédibilité morale, probablement la plus basse aujourd’hui qu’à aucun moment des cent dernières années. Leurs adversaires de hier, alors vaincus, sont redevenus des adversaires (Russie) et leurs alliés de toujours ne le sont bientôt plus, ou pas vraiment des alliés.

Cette fois, le débat sur le déclin est maintenant véritablement lancé.

1.2.- Malgré le déclin, tous les marqueurs d’hégémonie restent largement en faveur des Etats-Unis

La puissance militaire ou le « hard power »

Malgré l’affirmation très volontaire de la Chine de devenir en 2049, la première puissance mondiale, Vladimir Poutine déclarait le 17 juin 2016 au séminaire économique de Saint-Pétersbourg : « L’Amérique est une grande puissance, aujourd’hui peut-être même la seule Superpuissance. Nous reconnaissons cela ». Obama, quant à lui, avait dit que « les États-Unis d’Amérique sont la nation la plus puissante du monde ».

La puissance militaire US reste en effet gigantesque et inégalée : quelque 800 bases militaires dans le monde (95% de toutes les bases militaires mondiales dont une cinquantaine en Afrique), avec 300.000 militaires et 100.000 civils, 140 milliards de budget annuel. S’ajoutent à cela les 80.000 forces spéciales (Special Operations Command). Et une formidable US NAVY avec un budget annuel de 150 milliards de dollars (sur un total de plus de 700 milliards l’an pour le Ministère de la Défense). Le budget de la première flotte du monde équivaut au total des 6 autres forces navales les plus puissantes. Il en est à peu près de même pour le budget annuel du Ministère de la Défense.

La puissance économique et monétaire

  1. Le Dieu Dollar

Deux guerres mondiales transforment l’Europe en champs de bataille et entraînent l’endettement massif des pays du continent pour laisser les États-Unis en position de réorganiser le commerce mondial grâce à « l’établissement d’une norme raisonnable et stable pour les échanges internationaux » pour citer Henry Morgenthau lors de la séance de clôture de la Conférence de Bretton Woods le 22 juillet 1944. C’est le projet de Harry Dexter White, assistant au Secrétaire du Trésor américain qui fut adopté : fonder le système sur le dollar dont le cours est indexé sur l’or.  Et qui de fait devient la nouvelle devise internationale.

Le 15 août 1971 cependant, l’administration Nixon met fin au système de Bretton Woods et à la parité or-dollar pour remédier aux difficultés rencontrées par l’économie américaine minée par le déficit abyssal créé par la course aux armements et la guerre du Vietnam. Le démantèlement du système de Bretton Woods garantit la suprématie dans les échanges internationaux d’un dollar au cours désormais fluctuant et transformé en « monnaie de crédit », soit un système financier fondé sur l’accumulation de la dette.

 La remise en question du dollar comme monnaie de référence sur le plan mondial paraît encore lointaine, même si les Russes ont désormais leur propre système SWIFT et qu’un système international de paiements chinois sera un jour mis sur pied. Le dollar restera majoritaire (aujourd’hui entre 60 et 80% des échanges mondiaux selon les secteurs) même s’il ne régnera plus sans partage.

  • Les instruments de domination économique sont nombreux 

Sur le plan de la création de richesse, signalons un PIB en dollar toujours au premier rang mondial même si en PPA (parité du pouvoir d’achat) la Chine aurait passé devant.

En nominal, les États-Unis restent la plus grande économie mondiale, soit quelque 22% du total mondial. Et un PIB par habitant 7 fois supérieur à celui des Chinois. De façon intéressante, la place de l’économie américaine dans le PIB mondial est remarquablement stable depuis les années 20 si l’on excepte la période exceptionnelle d’après 1945 où elle atteignit plus de 50%.

Parmi les instruments de domination économique, signalons brièvement les plus grandes firmes mondiales (53 parmi les 100 premières en capitalisation) et des établissements financiers considérables (banques, assurances, fonds d’investissements et fonds souverains).

Ensuite une troïka s’est mise en place afin d’affirmer une hégémonie et une prééminence sur un territoire étranger :

Grâce aux banques-conseils et aux cabinets d’audit (expertise comptable) avec les 4 « Grands » de la profession, soit Deloitte, Ernst and Young, KPMG, PricewaterhouseCoopers avec 850.000 collaborateurs dans 170 pays. Et bien sûr avec les cabinets juridiques où les 100 premiers cabinets juridiques dans le monde sont anglo-saxons dont les 5 premiers sont américains. Ajoutons-y les grandes agences de quotations, toutes américaines ou situées aux États-Unis.

  • L’ordre juridique ou la guerre du droit

Le droit américain est devenu la norme pour beaucoup de pays d’Europe, soumettant les entreprises et les personnes aux décisions politiques des États-Unis. Les grandes entreprises ont découvert à leurs dépens l’existence de la guerre économique et de la notion de guerre du droit à travers l’extraterritorialité du droit américain. Le sujet de l’extraterritorialité du droit américain a émergé en 1990 à la suite de la volonté américaine de sanctionner toute relation commerciale entre l’Europe et Cuba. Ce sujet a réémergé depuis les années 2000 à la suite de multiples condamnations d’entreprises européennes par les tribunaux américains dont les montants ont défrayé la chronique.

Donald Trump a résolument engagé une politique de militarisation de l’emploi du dollar et du système de paiements SWIFT à la poursuite de l’intérêt unilatéral américain. Poutine l’a affirmé le 6 juin 2019 en dénonçant : « la dégénérescence du modèle de mondialisation universaliste et sa transformation en une parodie dans laquelle les règles internationales sont remplacées par les lois administratives et judiciaires d’un seul pays ».

Le système de domination américain est ainsi fondé sur l’exclusivité de certains services de haute technologie, sur le contrôle de l’ensemble des capitaux à travers celui des systèmes de paiement, sur les réseaux mondiaux de prestataires de services immatériels (auditeurs, consultants, avocats, etc.) rapportant toute l’information disponible à Washington et sur la compétence quasi universelle du « Department of Justice »  en raison de l’utilisation du dollar pour les trois-quarts des transactions internationales.

L’extraterritorialité n’est plus une anomalie américaine mais une démarche raisonnée de puissance. La Chine essaie de l’utiliser en demandant que les conflits autour des participants à OBOR (« One Belt, One Road », routes de la soie chinoises) soient résolus par des cours de justice chinoises.

La loi mondiale tend à être la loi de la puissance dominant le monde qui tend à s’imposer partout. Les États-Unis s’érigent en organe de régulation des transactions internationales et s’arrogent le rôle de gendarme économique du monde. Ils sont là encore sans concurrence véritable.

  • Le soft power

La puissance va relever de plus en plus de la capacité à produire de la connaissance et à maîtriser l’information. Joseph Nye a forgé le terme de « soft power » au début des années 90 pour désigner cette capacité à influencer les décisions, à forger une pensée dominante, à imposer des normes, à séduire. Il va s’agir de persuader les autres pays d’adopter un modèle culturel, sociétal et politique sans avoir recours à des moyens coercitifs.

Napoléon disait « il n’y a que deux puissances au monde, le sabre et l’esprit. A la longue, le sabre est toujours battu par l’esprit ».

L’Internet est l’instrument de cette puissance insaisissable. La Russie et la Chine prennent des lois restrictives visant à contrôler une partie de la toile.

Ce pouvoir feutré est un véritable levier de puissance pour une multitude d’acteurs.[2]  Il n’est pas fondé comme le pouvoir brut sur la coercition mais bien sur l’attraction, le mimétisme. Ce pouvoir feutré est une facette essentielle du pouvoir américain et imprègne toute la planète par la culture comme par la production et la consommation de masse. Elle est véhiculée dans la langue impériale.

Retenons la fabuleuse influence de Hollywood avec ses superhéros de Marvel et DC Comics à la dimension universelle, les séries télévisées si addictives, les jeux vidéo, l’industrie de la musique, les romans à succès de Dan Brown et de douzaines d’auteurs de bestsellers mondiaux et les divertissements en tous genre, les vêtements de sport, bluejeans, baskets et encore Coca Cola, Starbucks, McDo, soit le trio :  entertainment, consommation et marketing.

Mentionnons aussi les meilleures universités du monde qui sont américaines (Harvard no 1, Stanford no 3, MIT, Berkeley, Princeton, Columbia, Yale, etc.), système d’excellence et véritables entreprises qui attirent des étudiants et les chercheurs de toute la planète. La plupart du top 20 du classement de Shangaï 2019 est fait d’universités américaines. Les États-Unis ont été les grands gagnants de la fuite des cerveaux. Le pays assure 40% de la R&D mondiale et 45% des Prix Nobel faisant des États-Unis le pays le plus couronné (376 depuis 1901).

Les Fondations américaines sont les plus grandes de la planète (Bill et Melinda Gates, quelque 50 milliards de dollars sur 6 continents dans plus de 100 pays, Ford Foundation, Rockefeller Foundation, WK Kelogg Foundation, etc.).

Les « think tanks » comme Brookings Institution, Center for Strategic and international studies, Heritage Foundation, Carnegie, Rand, Council on Foreign Relations disposent de centaines de millions de dollars mais également des milliers d’experts répartis dans le monde. Bref, leurs avantages sont sans pareil.

Le soft power fixe les règles, les normes et les usages pour le plus grand nombre. Dans ce domaine les États-Unis  sont passés maîtres.

C’est un lubrifiant qui permet à tout le système de fonctionner et dissimule les actions souterraines guidées par les intérêts américains. Le soft power est une arme formidable au service de leurs objectifs.

  • La puissance technologique

En considérant tant les moyens déployés ou investis que les résultats obtenus, on obtient une suprématie dans le volume des dépenses en RD, dans le parc des ordinateurs, le nombre d’universités réputées dans les disciplines scientifiques et techniques, le nombre de brevets déposés et articles scientifiques publiés (sauf exceptions sectorielles), la capacité à attirer et retenir les talents (indice IMEDE Lausanne), le degré de robotisation de l’industrie (nombre de robots pour 10.000 salariés), l’indice d’innovation (critères de l’INSEAD), firmes internet mondiales,  volume des exportations de biens de haute technologie et la capacité aérospatiale (nombre de lancements de satellites, masse lancée, nombre de satellites en service et budget).

Les grandes sociétés américaines contrôlent aujourd’hui le Big Data, soit l’ensemble des données numériques qu’elles stockent et utilisent à des fins publicitaires, surtout Google et Facebook. L’enjeu économique est énorme et ce contrôle pose des questions géopolitiques puisque ces données peuvent être utilisées et manipulées par toutes sortes d’agences.

Les GAFAM ont la capacité à étouffer complétement la concurrence en construisant des secteurs marchands très différents ou en imposant un monopole de fait, provoquant ce que l’on appelle en économie un phénomène de concentration verticale et horizontale. 

L’ascension des géants d’Internet ne semble pas connaître de limites. Apple, Google (Alphabet), Microsoft, Amazon, Facebook, les GAFAM, ont ensemble une capitalisation boursière (environ 3700 milliards de dollars) supérieure à la richesse de l’Allemagne, du Royaume-Uni ou de la France avec 3600, 2600, 2500 milliards de dollars de PIB.

De nouvelles vagues arrivent avec l’internet des objets, les ordinateurs quantiques, l’intelligence artificielle, la robotique généralisée, la convergence homme-machine. La très grande majorité de ces initiatives naissent sur le sol américain, avec des acteurs américains ou sous contrôle, technique ou juridique, d’organisations américaines.

 Ainsi les organes de régulation sont situés sur le sol américain, les principales organisations de serveurs racines également, tandis que la plupart de la planète utilise des sites américains, à l’exception partielle de zones couvrant la Chine et la Russie qui mettent en œuvre des stratégies complètes d’autonomie cyber.

 Mais 90% des communications internet mondiales passent par des câbles transatlantiques. Ainsi l’architecture technique du cyberespace, matérielle ou logicielle, donne aux États-Unis une position de quasi-monopole.

La fameuse NSA, révélée par Snowden, espionne tout sous prétexte de lutte antiterroriste. Elle sert aussi et peut-être principalement à l’espionnage économique afin de favoriser les entreprises américaines. Elle compte sur une force de 100.000 hommes (agents et sous-traitant, pour un budget annuel de quelque 30 milliards de dollars).

La doctrine des États-Unis est claire et constamment réaffirmée : ils veulent  jouer le premier rôle et n’hésiteront pas à se défendre et à riposter par des armes offensives cyber ou des moyens conventionnels. C’est la culture américaine, toujours gourmande de suprématie et d’écrasement de l’ennemi.

Malgré les apparences (échec en Afghanistan, au Moyen-Orient), les États-Unis sont déjà passés à autre chose : ils ont l’ambition de façonner le monde du XXIème siècle selon leurs règles.

1.3.-   Les marqueurs du déclin relatif.

 Le déclin n’est pas un écroulement ni davantage une chute, voire une disparition. Il s’agit plus simplement d’un moindre contrôle sur les affaires du monde. Une concession à l’apparition d’autres puissances. Le déclin n’est que relativisation de la puissance. Les États-Unis vont continuer à posséder une influence immense, plus sans doute que toute autre nation, même si leur trajectoire de divine est devenue démoniaque[3]. Mais ils ne définiront plus seuls le système international comme ils l’ont fait pendant presque trente ans.

 Répertoire des marqueurs ou des motifs du déclin :

  1. Apparition d’une concurrence extérieure perçue comme menace.

Pour la première fois depuis longtemps, l’Amérique voit se dresser devant elle une véritable puissance en devenir, la Chine, avec une armée, une économie et de la technologie. C’est une menace ou une alerte sérieuse pour son hégémonie sans partage. La performance chinoise est totalement inédite. En 1972, son PIB équivaut à celui du District of Columbia, Washington DC. Aujourd’hui, il dépasse celui des États-Unis en parité de pouvoir d’achat. Le revenu annuel moyen chinois à cette époque était de 832 dollars par tête. Il est aujourd’hui de 8000 dollars. Aucun pays au monde n’a jamais avancé autant et si vite.

  • Une situation politique interne fortement dégradée.

 Selon John Whitbeck, un avocat américain résidant à Paris, et auteur de l’un des meilleurs blogs sur l’internet, « Washington DC est devenu le plus grand hôpital psychiatrique à ciel ouvert de la planète ». D’autres voient dans les initiales DC, un raccourci pour « Dysfunctional Capital ».

  • Une disparition de la politique étrangère au profit des seuls militaires.

Les pires prévisions (1961) de Eisenhower se sont vérifiées : le complexe militaro-industriel a tout corrompu.

Le Président Eisenhower avait en effet prédit cette évolution funeste lors de son discours de départ le 17 janvier 1961 avant de passer le flambeau à John F. Kennedy.

Au travers de l’aventure d’un gouvernement dans la liberté pour l’Amérique, nos buts premiers ont été de préserver la paix, de stimuler les progrès de la réalisation humaine et d’en faire grandir la liberté, la dignité et l’intégrité parmi les peuples et les nations. Ne pas s’efforcer d’en faire autant serait indigne d’un peuple libre et religieux. Tout manquement dû à l’arrogance, au manque de compréhension ou de promptitude au sacrifice nous infligerait d’ailleurs un grave préjudice moral, ici comme à l’étranger. La progression vers ces nobles buts est constamment menacée par le conflit qui s’empare actuellement du monde. Il commande notre attention.

Cette conjonction d’une immense institution militaire et d’une grande industrie de l’armement est nouvelle dans l’expérience américaine. Son influence totale, économique, politique, spirituelle même, est ressentie dans chaque ville, dans chaque Parlement d’État, dans chaque bureau du Gouvernement fédéral. Nous reconnaissons le besoin impératif de ce développement. Mais nous ne devons pas manquer de comprendre ses graves implications. Notre labeur, nos ressources, nos gagne-pains… tous sont impliqués ; ainsi en va-t-il de la structure même de notre société. Dans les assemblées du gouvernement, nous devons donc nous garder de toute influence injustifiée, qu’elle ait ou non été sollicitée, exercée par le complexe militaro-industriel. Le risque potentiel d’une désastreuse ascension d’un pouvoir illégitime existe et persistera. Nous ne devons jamais laisser le poids de cette combinaison mettre en danger nos libertés et nos processus démocratiques. Nous ne devrions jamais rien prendre pour argent comptant. Seule une communauté de citoyens prompts à la réaction et bien informés pourra imposer un véritable entrelacement de l’énorme machinerie industrielle et militaire de la défense avec nos méthodes et nos buts pacifiques, de telle sorte que sécurité et liberté puissent prospérer ensemble.

 De la chute du Mur de Berlin en 1989 à 2001, une révolution silencieuse est intervenue entre les États-Unis et le reste du monde. A la fin de la guerre froide, la conduite des affaires en Amérique était encore très largement une affaire politique exercée par un gouvernement civil. En 2002, les États-Unis n’avaient plus de politique étrangère : au lieu de cela, ils avaient un Empire[4]. La République sous G.W. Bush et Dick Cheney s’est transformée en un empire militaire, une nouvelle Rome[5].

Les plus illustres professeurs anglo-saxons comme Andrew J. Bacevic, David Ray Griffin, Steven M. Walt, John J. Mearsheimer et des auteurs comme Stanley Hoffman, Noam Chomsky, Ronald Steel, Samuel Huntington, Richard Falk, Niall Ferguson soutiennent donc le point de vue que la trajectoire suivie par les États-Unis est plus maligne que bénigne, plus démoniaque que divine[6]. Ces auteurs exercent une critique radicale de leur propre pays.  Chalmers Johnson va jusqu’à parler de Washington comme du quartier général d’un dominion global à la fois militaire et économique. Ceci a échappé à l’attention de beaucoup, car jusqu’en 1989/19991, l’Amérique faisait un travail salutaire de contenir l’Union soviétique. Mais une fois l’empire dissous, les États-Unis refusèrent de réduire leurs dépenses militaires, de réduire le nombre de leurs bases à l’étranger, révélant ainsi que le système existait pour d’autres raisons également.

Bacevic n’hésite pas à parler des intérêts égoïstes persistants et des ambitions démesurées de la politique étrangère des États-Unis ainsi que de l’objectif des forces armées américaines de s’approcher de la toute-puissance : « Full Spectrum Dominance »[7]. Le résultat attendu de la guerre américaine contre le terrorisme n’est pas un monde de paix, de démocratie globale et de liberté mais une « Pax Americana » globale maintenue par les armements américains, le rejet des Nations Unies et celui des contraintes du droit international.

Richard Falk ajoute que la croissance de ce pouvoir d’État s’est faite au détriment des droits civils et politiques. Et au nom d’un dangereux mélange de zèle religieux et géopolitique[8]. Comme tout pouvoir impérial, les États-Unis n’ont pas hésité à utiliser leurs pouvoirs pour s’enrichir et conquérir, opprimer, renverser, sacrifier peuples et régimes.

Aujourd’hui, cette habitude américaine de se présenter comme une nation exceptionnellement bonne, voire divine, ne reçoit plus d’échos positifs. Rien n’est plus vexatoire pour les autres pays que cette croyance que « America is a shining city on the hill ».

La disparition de tout crédit moral de l’Amérique, l’Amérique enfin dévoilée, constitue la plus grosse atteinte à l’estime que l’on pouvait porter à ce pays et représente le signe le plus sûr de son déclin relatif.

  • Gaspillage des dépenses militaires et le concept de surextension

Les guerres ont eu des résultats désastreux et des milliers de milliards de dollars ont été gaspillés qui auraient mieux été utilisés ailleurs. Ce gaspillage des dépenses militaires a fini par grever les budgets ordinaires. La guerre d’Afghanistan dure depuis 18 ans et a coûté quelque 2000 milliards, sans compter les 100 milliards de la « reconstruction » du pays, celle d’Irak quelque 8000 milliards. A cela s’ajoute la « guerre au terrorisme » pour quelque 1600 millions supplémentaires. « L’Amérique est un géant ivre, titubant dans l’auberge mondiale, jetant son argent par les fenêtres et cassant la vaisselle au passage », comme le dit Xavier Raufer, criminologue français, qui ne doit pas beaucoup aimer les États-Unis.

Un conflit absorbe d’énormes ressources : la puissance militaire est alors tributaire du potentiel fiscal de l’État et de sa capacité à emprunter pour financer l’effort de guerre[9]

La surextension des empires est une des causes de leur déclin par l’impact que cela entraîne sur l’économie et les finances du pays en général. C’est la théorie du Britannique Paul Kennedy[10] dite du « overstretching » : « la somme globale des intérêts et des obligations de leur pays est aujourd’hui bien plus grande que sa capacité à les défendre simultanément ». Les États-Unis seraient ainsi condamnés à l’effritement du fait du coût exorbitant de leur entretien.

  •  Une absence complète de stratégie.

A Washington la pensée stratégique a disparu. Elle est marginalisée et fait même l’objet de moqueries. Depuis longtemps ! Le président Clinton a dit qu’en ce monde changeant si vite, la stratégie et la politique étrangère étaient devenues comme une version du jazz, c’est-à-dire l’art de l’improvisation.

L’absence de toute stratégie cohérente et durable est coupable car elle pave la route des échecs récurrents. Mais personne ne prend cela au sérieux à Washington. Les décideurs à Washington ne font même plus semblant de s’y intéresser sérieusement. Même les membres du « US national security team » ne lisent plus les documents officiels portant sur les stratégies de sécurité nationale selon Graham Allison, l’homme du piège de Thucydide, qui dit n’avoir jamais rencontré un membre qui l’aurait fait.

Sur la Chine, la politique américaine consiste essentiellement à s’accrocher au statu quo tel que la Pax Americana l’a établi après la Deuxième guerre mondiale. Mais ce statu quo n’est plus tenable quand le pouvoir économique et la force du nombre ont changé si dramatiquement en faveur de la Chine. Alors la seule stratégie américaine est l’espoir…que rien ne change vraiment. D’où une politique agressive à l’égard de la Chine qui ne garantit rien de bon. Mais il n’y a personne aujourd’hui aux États-Unis pour gérer un dossier aussi complexe, aucun grand esprit, aucun politicien.

  • La disparition des valeurs morales, du sens du devoir, du respect et leur remplacement par l’individualisme, le matérialisme, l’hypocrisie et les mensonges.

 Les progrès constants de l’universalité se sont accompagnés d’un affaiblissement de tous les mouvements et doctrines qui prônaient cette même universalité (démocratie, droits de l’homme)… Et les affirmations identitaires fortes et agressives constituent désormais un élément essentiel de la conception du monde d’aujourd’hui.

L’étendard de l’humanisme et de l’universalisme est remplacé par les combats des diverses minorités ethniques, communautaires ou catégorielles LGBTQ, BLM, etc, qui coalisent les ressentiments. Ces clivages conduisent au morcellement et à la désintégration.

En effet, le déclin américain, si souvent annoncé dans le passé, comme on vient de le voir, est un phénomène qui paraît inéluctable à certains, mais qui ne cesse d’être remis à plus tard. Il se trouve que le déclinisme est consubstantiel à l’exceptionnalisme. Il fait donc partie de la vie des Américains dès les premiers jours.

Le déclin est le pendant de la prospérité, c’est un aiguillon, une menace latente dont la perspective permet de mobiliser tout un chacun en vue de la réussite.

 Si l’Amérique d’aujourd’hui a oublié ses valeurs fondamentales au profit d’une quête du profit matériel à court terme, l’évocation d’un outsider menaçant, successeur potentiel, ne peut que mobiliser l’Amérique. La menace du déclin qui a le visage de la Chine ne peut que conduire les États-Unis à mobiliser leurs troupes pour l’éviter.

Leur exceptionnalisme interdit aux États-Unis de devenir un pays « normal ». Ils n’ont pas le choix : pour rester eux-mêmes, ils doivent rester les plus forts. Le deuil géopolitique n’est pas à l’ordre du jour. Il n’y aura pas de « graceful decline ». Les États-Unis savent que l’ordre mondial actuel va se dissoudre progressivement s’ils se mettent à ressembler à un protecteur fragile de cet ordre.

 L’on se dirige donc vers un ordre mondial fait de confrontations. La compétition stratégique va devenir ouvertement antagoniste. Il n’y aura peut-être pas de divorce consommé entre les États-Unis et la Chine mais le couple va sérieusement tanguer. Nous dansons sur un volcan, comme d’habitude sur cette planète.

Une chose est à peu près certaine : le monde d’après le Covid-19 sera le monde d’avant en pire !

Et puis comme le dit Hubert Védrine, l’ancien Ministre des affaires étrangères français, il ne faut pas oublier que si l’Europe est un « pays de Bisounours » (un monde presque idéal), le reste du monde ressemble davantage à « Jurassic Park ». Notre avenir post -Covid-19 n’est pas rassurant.

Comme n’est pas rassurant ce que personne n’ose affirmer : le monde doit à la Chine deux pandémies de peste, quatre pandémies de grippe et deux émergences de coronavirus (Sras et Covid-19). La vente d’animaux sauvages vivants sur les marchés chinois donne lieu à un brassage malsain entre animaux sauvages, animaux domestiques et humains.

 En pleine épidémie, en février 2020, la Chine s’est engagée à interdire la consommation et le commerce d’animaux sauvages. Cette mesure n’est pas encore appliquée dans les provinces chinoises. En 2003, la même interdiction avait déjà fait l’objet d’une loi qui avait été ignorée. Cette industrie génère près de 100 milliards d’euros par an et fait vivre des millions de Chinois…

Ce que révèle le coronavirus sur son origine est pour le moins perturbant.

Bibliographie

Graham Allison, « Destined for War. Can America and China escape Thucydides’ Trap”, HMH, New York, 364p., 2017

Pascal Boniface, « Les Relations Internationales de 1945 à nos jours », Eyrolles, 237p., 2017

Pascal Boniface, « Requiem pour le Monde Occidental », Éditions Eyrolles, 156p., 2019

Jared Diamond, “Upheaval, Turning Points for Nations in Peril”, Little Brown, New York, 502p., 2019

Ronan Farrow, “War on Peace, The End of Diplomacy and the Decline of American Influence”, W.W. Norton, New York, 392p., 2018

Peter Frankopan, « Les Routes de la Soie », Éditions Nevicata, 733p., 2018

Francis Fukuyama, « Identity. The Demand for Dignity and the Politics of Resentment », Farrar, Straus and Giroux, New York, 218p., 2018

David Ray Griffin, « The American Trajectory, Divine or Demonic », Clarity Press, Atlanta, 409p., 2018

Gueniffey et Thierry Lenz (sous la direction de), “La Fin des Empires”, Perrin, Paris, 474p., 2016

Joseph Josse, “The Myth of American Decline”, Liveright, 2013

Robert Kagan, “L’Ordre Mondial Américain. Les conséquences d’un Déclin », IDM, 2012

Robert D. Kaplan, “The Return of Marco Polo’s World, War, Strategy and American Interests in the Twenty-First Century”, Random house, New York, 280p., 2018

Kai-Fu Lee, “I.A. La Plus Grande Mutation de l’Histoire”, Les Arènes, Paris, 370p., 2019

Paul Kennedy, « Naissance et déclin des grandes puissances, transformations économiques et conflits militaires entre 1500 et 2000 », Paris, Payot, 2004 (paru en 1988 aux États-Unis)

Amin Maalouf, « Le naufrage des civilisations », Essai, Grasset, Paris, 335p., 2019

Michael Mandelbaum, « The Rise and Fall of Peace on Earth », Oxford University Press, New York, 218p., 2019

Gabriel Martinez-Gros, “Brève histoire des empires, comment ils surgissent, comment ils s’effondrent », Paris, Seuil, 2014.

John J. Mearsheimer, “The Great Delusion, Liberal Dreams and International Realities”, Yale University Press, New Haven, 313p., 2018.

Joseph Nye, « Is the American Century Over », Polity Press, 2015

William R. Polk, “Crusade and Jihad, The Thousand-Year War between the Muslim World and the Global North”, Yale University Press, New Haven, 632p., 2018

Ben Shapiro, “The Right Side of History, How Reason and moral made the West Great”, broadside Books, New York, 256p., 2019

Stephen M.  Walt, « The Hell of Good Intentions, America’s Foreign Policy Elite and the Decline of U.S. Primacy », Farrar, Straus and Giroux, New York, 385p., 2018

Odd Arne Westad, “Histoire mondiale de la Guerre Froide, 1890-1991 », Perrin, 712 p.

Fareed Zakaria, « The Post-American World », Norton, New York, 292p., 2008


[1] Le consensus de Washington est en fait un accord tacite visant à conditionner les aides financières aux pays en développement au respect par eux des pratiques de bonne gouvernance telles que définies par la Banque mondiale et le FMI. Ces bonnes pratiques sont fortement libérales et sont formalisées en 1989 par John Williamson. Elles visent à une dérégulation de l’économie. Ses conséquences seront catastrophiques et seront source des inégalités et de la pauvreté dans le tiers monde. Ce n’est que vers 2007/2008que le FMI et la BM prennent conscience de la nécessité de l’intervention de l’État dans l’économie.

[2] Voir Joseph Nye, “Soft Power: The means to success in World Politics”, New York, 2005

[3] David Ray Griffin, un immense auteur américain vient de publier « The American trajectory. Divine or Demonic ? .

[4] Godfrey Hodgson, “The Myth of American Exceptionalism”, Yale University Press, 2009

[5] Chalmers Johnson, Blowback: “The Costs and Consequences of American Empire”, New York, Henry Holt, 2000 et également The Sorrows of Empire: Militarism Secrecy and the End of the Republic, New York, Metropolitan Books, 2004

[6] Voir les deux formidables livres de David Ray Griffin, “Bush and Cheney: How they Ruined America and the World “ (2017) ainsi que  “The American Trajectory, Divine or Demonic”, Clarity Press, 2018, 409p.

[7] Andrew J. Bacevic, “American Empire: The realities and Consequences of US diplomacy”, Cambridge, Harvard University Press, 2002.

[8] Richard Falk, “Will the Empire be Fascist?”, Global Dialogues, 2003

[9] Raphaël Chauvancy, « La Puissance moderne », Apopsix, 2017

[10] Paul Kennedy, « Naissance et Déclin des Grandes Puissances », livre à succès de 1988 

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