Géopolitique de l’eau en Syrie

Patrick DOMBROWSKY

Directeur de l’Observatoire d’Analyses des Relations internationales Contemporaines. Membre du groupe de réflexion prospective Asie21-Futuribles.

3eme trimestre 2012

La question de l’eau n’est pas, dans les événements actuels qui déchirent la Syrie, un élément central des affrontements. Mais sa gestion insuffisamment efficace, depuis des décennies, a sans conteste contribué au retard de développement que connaît le pays. C’est entre autres la maîtrise de la ressource hydrique qui a permis au voisin israélien de devenir une réelle puissance agricole, malgré des handicaps géographiques et climatiques analogues à ceux de la Syrie. C’est l’absence de cette maîtrise, notamment en raison des rivalités géopolitiques qui ont privé la Syrie de rela­tions apaisées avec plusieurs de ses voisins, qui constitue aujourd’hui un facteur aggravant de la pauvreté de la population syrienne, et des inégalités qui la traversent. Lesquelles sont, elles, parmi les raisons prépondérantes de la crise actuelle que traverse le pays.

Water is not a central élément in the current conflict,at least for the time being.However its unsuffi-ciently efficient management for decades is undoubtedly responsible in part of the retarded development of the country.In fact, Israel’s good command of its water resources explains why this country has become a real farming power despite its geographic and climate handicaps similar to Syria’s own. This ina­dequate command of the water resources, due namely to geopolitical rivalries in the region making it impossible for Syria to entertain peaceful relations with several of its neighbours, constitutes nowadays an aggravating factor of the poverty of the population and of its accompanying inequalities. These are among the principal reasons of the on going crisis in Syria.

S’il est une dimension de la crise syrienne qui est globalement passée sous silence, c’est la question de l’eau. Or, ce pays fait partie de ceux qui, de par le monde, connaissent une situation particulièrement précaire en ce qui concerne l’accès de ses populations à l’alimentation en eau potable, et de façon plus générale les ressources hydriques et leur utilisation. Le régime politique syrien a longtemps eu, à ce sujet, une attitude ambivalente : d’un côté il a accompli d’importants efforts pour contenir les risques sanitaires liés d’une part à la carence en eau, et d’autre part à la mauvaise utilisation des réserves disponibles ; mais d’un autre côté, il est resté singulièrement attentiste dans la recherche de solutions internationales pour garantir à la Syrie le volume d’eau dont son économie, largement agricole, a impé­rativement besoin.

Dans le contexte actuel d’instabilité guerrière qui affecte l’essentiel du terri­toire syrien, il est à craindre que la majeure partie des infrastructures d’approvi­sionnement, de transport, d’irrigation ou de traitement de la ressource hydrique soient détruites ou en passe d’être perdues. Quelle que soit la solution politique qui émergera du chaos révolutionnaire syrien, la question de l’eau sera dès lors un des enjeux majeurs de la reconstruction, durant les prochaines années, voire les prochaines décennies. Ce sera à la fois un défi de politique économique interne, et une obligation diplomatique, dans une région dont les équilibres interétatiques ont été profondément bouleversés durant les années récentes.

L’eau est en Syrie un bien d’autant plus précieux que sa rareté géologique et cli­matique est aggravée par des considérations géopolitiques complexes et anciennes. Les conditions du développement et de l’organisation économique en Syrie ac­croissent encore la précarité de cette situation, et les espoirs de solutions semblent peu réalisables tant que la stabilisation politique du pays ne sera pas effective.

 

La Syrie : un pays en stress hydrique constant

La géographie syrienne est hélas particulièrement propice à développer les han­dicaps hydriques du pays. Situé à l’extrême nord de la plaque tectonique arabique, le territoire syrien est constitué d’une étroite frange orientée vers la mer Méditerranée, et d’un vaste espace intérieur désertique ou semi désertique, qui est le prolonge­ment naturel de la péninsule arabique. La géographie du pays est donc essentielle­ment de type continental, à l’exception de la bande côtière méditerranéenne[1]. Deux chaînes de montagne, culminant à 2814 mètres seulement, le Djebel Ansariya et l’Anti-Liban, séparent cette dernière du reste du pays, privant celui-ci de son in­fluence climatique, et notamment des entrées maritimes. La majeure partie du pays affronte donc un climat désertique, marqué par des écarts de température considé­rables (propices à l’évaporation des eaux de surface), et par une pluviométrie limitée ou inexistante, impropre en tous cas à reconstituer les nappes phréatiques : sur les trois-quarts du territoire syrien, les précipitations ne dépassent pas 100 mm par an, qui tombent pour l’essentiel durant l’hiver. Le résultat est une pénurie endémique en eau : les études les plus récentes estiment que la ressource par habitant avoisine 1000 m3 par an, ce qui la place précisément au niveau du seuil de pénurie[2].

Le territoire syrien est par ailleurs faiblement traversé par les espaces fluviaux. Seul l’Euphrate et quelques affluents, au Nord-Est, sont susceptibles de constituer un réseau hydrique significatif, mais ils traversent des régions semi désertiques, où la déperdition est forte, et leur cours est fortement affecté par les réseaux de bar­rages hydroélectriques, dont le principal donne naissance au lac al-Assad. À l’Ouest du pays, depuis la perte du plateau du Golan en 1967, qui garantissait le contrôle d’une partie du cours supérieur du Jourdain, seule la vallée de l’Oronte, coincée entre les deux chaînes montagneuses, constitue une source d’approvisionnement en eau de surface. Il reste que tous les fleuves dont une partie du cours se trouve en territoire syrien prennent leur source dans un pays voisin : l’Euphrate, ses princi­paux affluents et le Tigre (qui constitue sur une trentaine de kilomètres la frontière Nord-Est du pays) proviennent de Turquie, tandis que l’Oronte vient du Liban. La Syrie, dès lors, dépend fortement de réseaux fluviaux dont elle ne maîtrise pas les cours supérieurs, ce qui la place incontestablement dans une situation de faiblesse, soumise aux aléas géopolitiques.

Enfin, le stress hydrique syrien est encore accru par la vulnérabilité de ses nappes phréatiques. De la même manière que les fleuves qui passent par son territoire, les eaux souterraines dont dispose la Syrie sont largement dépendantes du voisi­nage. On estime ainsi que les trois quarts des nappes situées sous le sol syrien se rechargent hors des frontières du pays. L’essentiel de cet écoulement souterrain pro­vient de Turquie, le Liban apportant une contribution bien plus marginale. Quant au voisinage avec la Méditerranée, outre le problème de la salinité des eaux, il peut être considéré comme insignifiant quant à la fourniture en ressources hydriques, dans un pays dont la façade maritime est inférieure à 200 kilomètres, et dont l’ar­rière-pays côtier est sensiblement réduit par les chaînes de montagne.

À tous les points de vue, la Syrie apparaît donc comme un pays dont l’appro­visionnement en eau est faible, et soumis à des menaces récurrentes. Cela explique que ce sujet ait été, depuis plusieurs décennies, la cause de tensions régulières avec les pays voisins. À l’exception de l’Irak, qui est un pays d’aval par rapport à la Syrie, cette dernière n’est jamais totalement parvenue à normaliser ses relations hydriques avec le Liban, et surtout avec Israël et la Turquie. La question de l’approvision­nement et de l’accès en eau, ici probablement plus qu’ailleurs, est profondément dépendante des questions géopolitiques.

une géopolitique hydrique tendue

Longtemps, l’approvisionnement en eau de la Syrie a dépendu de deux origines distinctes ; or, la Syrie actuelle pâtit d’une diminution drastique, voire d’une perte, des eaux provenant de ces deux origines.

Au Sud-Ouest, le contrôle du mont Hermon, situé précisément aux confins de la frontière avec le Liban et avec Israël, permettait aux régions méridionales syriennes de bénéficier de la pluviométrie significative du massif, et de son enneigement fré­quent et durable. Plusieurs rivières y naissent, qui certes ne sont généralement pas orientées vers le territoire syrien, mais qui constituent une base intéressante pour la constitution d’un réseau d’irrigation capable de couvrir tout le sud du pays. Le principal de ces cours est bien sûr le Jourdain, dont la Syrie a longtemps contrôlé la rive orientale, et qui approvisionne l’important lac de Tibériade[3]. Or, depuis 1967, ce véritable château d’eau échappe au contrôle syrien. Lors de la guerre des Six Jours, en effet, Israël a conquis le plateau du Golan, qui était un objectif stra­tégique majeur en raison de la menace stratégique qu’il faisait peser sur les plaines septentrionales du pays. Avec le Golan, l’armée israélienne s’est assurée le contrôle territorial d’une zone incluant l’essentiel du massif de l’Hermon (dont le sommet), la totalité du cours du Jourdain depuis la frontière libanaise, et tout le pourtour du lac de Tibériade. La Syrie, dès lors, a totalement perdu le réservoir d’eau constitué par cette zone. Il est difficile de savoir si, lors de la guerre de 1967, c’est l’objec­tif militaire de protection des plaines israéliennes qui a prévalu sur la maîtrise de l’hydrographie locale. Mais il est désormais certain que la dimension hydrique est le principal point de crispation entre les deux États dans leur recherche (intermit­tente) d’une solution négociée pour la région du Golan. L’économie israélienne a considérablement profité de sa maîtrise exclusive sur les eaux du Jourdain, et l’État hébreu n’envisage nullement la restitution à son voisin syrien de cette ressource hydrique qui lui est devenue essentielle. Dès lors, c’est tout le Sud de la Syrie qui est fragilisé, et notamment la région de Damas, qui à elle seule concentre entre 10 et 15 % de la population totale du pays.

Au Nord-Est, l’autre région principale de l’approvisionnement syrien en eau est celle de l’Euphrate. 675 kilomètres[4] du cours du principal fleuve proche oriental traversent le territoire de la Syrie, constituant une coulée verte dans le paysage aride du désert. Le fleuve est par ailleurs au centre d’un bassin important, qui draine les eaux de nombreux affluents. En Syrie même, le Sajour, le Balikh et le Khabur, qui tous trois naissent en Turquie, viennent se jeter dans l’Euphrate. Le débit de celui-ci a longtemps été suffisant pour permettre aux trois États dont il traverse le territoire (Turquie, Syrie et Irak) de multiplier les retenues d’eau. En Syrie, trois barrages ont été édifiés sur le cours du fleuve. Le plus ancien est celui de Tabqa[5], construit à partir de la fin des années 1960, et mis en service en 1976. Il a donné naissance au lac al-Assad, qui est la plus vaste étendue d’eau de toute la Syrie. Sa vocation était avant tout l’irrigation. Toutefois, l’objectif affiché lors de sa conception, qui était de pouvoir irriguer environ 640 000 hectares grâce à ses eaux, n’a pas pu être atteint. Le domaine d’irrigation créé n’a jamais dépassé le quart de l’objectif fixé, en raison de multiples problèmes techniques : mauvaise appréciation de la nature du sol, surpompage provoquant la salinisation de l’eau, etc… Afin de réguler le débit des eaux lors des lâchers opérés à Tabqa, le barrage d’al-Baath a été édifié une ving­taine de kilomètres en aval. Son apport énergétique et en possibilités d’irrigation est faible. Enfin, ce complexe de retenues d’eau a été complété à partir de 1999 par un troisième barrage, en amont du lac Assad, qui est le barrage de Tichrin. Ce dernier est exclusivement voué à la production d’électricité.

Cet ensemble de trois réalisations reste toutefois considérablement plus mo­deste que le gigantesque système de retenues mis au point par la Turquie depuis une vingtaine d’années, sous le nom de Projet d’Anatolie du Sud-Est[6]. Visant à élever le niveau de développement agricole de régions majoritairement peuplées par la minorité kurde, ce projet a consisté en l’installation, sur les cours de l’Euphrate et de son voisin le Tigre, d’une quinzaine de retenues d’eau aux caractéristiques tech­niques et au volume variables, dont l’immense barrage Atatùrk, mis en service dès 1992. Certaines de ces infrastructures sont situées à l’extrême limite du territoire syrien, ce qui mécontente grandement les autorités de ce pays. En effet, les consé­quences du GAP sont sévèrement ressenties en aval sur la quantité d’eau disponible, non seulement pour couvrir les besoins agricoles locaux, mais aussi pour alimenter les retenues d’eau syriennes[7]. En effet, la part d’eau prélevée par l’ensemble du programme du GAP lorsqu’il sera totalement en service devrait atteindre 70 % du débit naturel de l’Euphrate ! C’est dire si, depuis le commencement de ce projet, les relations entre la Syrie et la Turquie sont tendues, qui voient s’affronter deux droits imprescriptibles d’États souverains : celui de travailler au développement de ses régions déshéritées pour la Turquie ; celui d’accéder librement aux ressources hydriques disponibles d’un fleuve international pour la Syrie. C’est seulement en 1998, par la signature du protocole d’Adana entre les deux pays, qu’un espoir de coopération s’est fait jour. Suite à plusieurs changements dans l’environnement géopolitique (mort du président Hafez al-Assad, règlement politique de la violence kurde en Turquie, renversement de Saddam Hussein en Irak…), la voie parut enfin tracée pour une coopération plus poussée entre les trois États du bassin. Mais même si des coopérations significatives et une meilleure entente ont semblé en effet se des­siner, la question de l’eau de l’Euphrate resta singulièrement peu abordée, hormis la création (en 2008) d’un Institut de l’Eau, composé d’experts des trois pays. Les évènements politiques syriens ont depuis mis fin à ce prudent rapprochement. La situation du bassin syrien de l’Euphrate reste donc pour le moment soumise aux aléas du voisinage avec la Turquie, que les développements militaires de la crise sont en train de radicaliser.

Le dernier bassin fluvial dont le territoire turc peut se prévaloir est celui de l’Oronte, au Nord-Ouest du pays, parallèlement à sa façade maritime. Comme dans le cas de l’Euphrate, la Syrie y joue un rôle d’intermédiaire. En effet, l’Oronte prend sa source en territoire libanais, et finit par se jeter dans la Méditerranée en territoire turc. Mais les motifs d’inquiétude syriens sur ce fleuve sont inverses à ceux rencontrés dans le cas de l’Euphrate. Pour ce dernier, la position d’aval de la géo­graphie syrienne était aggravée par la longue hostilité géopolitique avec la Turquie, État d’amont, tandis que les positions s’étaient tôt rapprochées sur ce sujet avec l’Irak, État d’embouchure. En amont des 250 kilomètres environ qu’il parcourt en Syrie, l’Oronte est libanais. Or, la Syrie a longtemps exercé un protectorat de fait sur ce pays, qui lui a notamment permis d’imposer à l’État libanais un partage par­ticulièrement inégalitaire des eaux du fleuve : 90 % de celles-ci reviennent à la Syrie, contre seulement un dixième au Liban. En revanche, la situation est plus incertaine quant au débouché de l’Oronte. Certes, les eaux d’aval n’ont pas de conséquence directe sur la part que la Syrie pourrait utiliser pour elle-même. Mais Samandag, lieu où l’Oronte se jette dans la mer, est située dans l’ancien Sandjak d’Alexandrette, désormais devenue la province turque d’Hatay, dont la possession est contestée par la Syrie. À nouveau, les rivalités géopolitiques empêchent une gestion commune par les États concernés de la totalité du bassin fluvial. Même si les conséquences en terme de disponibilité en eau sont moindres pour la Syrie, l’incertitude politique qui émane de cette contestation territoriale rejaillit sur une gestion saine des res­sources hydriques.

Les considérations géopolitiques sont donc, en ce qui concerne la question de l’eau en Syrie, un élément aggravant. Mais elles ne sont pas les seules à approfon­dir la fragilité originelle causée par des conditions géographiques et climatiques défavorables : les caractéristiques du modèle de développement syrien, et leurs conséquences dans le domaine de la gestion des ressources naturelles, y concourent également.

Le poids des contraintes socio-économiques

Vis-à-vis de l’ensemble de ses ressources, et donc notamment de l’eau, la Syrie pâtit en premier lieu d’une démographie préoccupante. Durant la deuxième moitié du vingtième siècle, la population syrienne a plus que sextuplé[8]. Ce considérable accroissement, certes, est en partie dû à l’arrivée sur le sol syrien de plusieurs vagues de populations réfugiées, fuyant les zones de conflits voisines. Si les populations palestiniennes, que le régime a réussi à cantonner au territoire libanais voisin, ne dépassent pas les 400 000 individus, les réfugiés en provenance d’Irak sont en revanche estimés à 1,5 millions. Cette importance des populations réfugiées, forcément en situation précaire, pèse sur la répartition démographique en Syrie[9]. En effet, c’est surtout autour des principaux noyaux urbains que se sont agglutinés ces nouveaux arrivants, dans un contexte dépourvu des infrastructures nécessaires pour les accueillir. C’est ainsi que désormais, les quatre principales villes du pays (Alep, Damas, Homs et Hama) rassemblent à elles seules presque 40 % de la population totale du pays. Cette surpopulation urbaine a multiplié les quartiers périphériques, mal équipés et aux infrastructures insuffisantes à assurer un approvisionnement en eau satisfaisant. Dans un rapport de 2009[10], l’Agence Française de Développement indique néanmoins que la couverture urbaine d’approvisionnement en eau reste satisfaisante. Mais c’est pour aussitôt signaler que la qualité du service est « dégradée ». Dans tous les milieux urbanisés de Syrie, en effet, on retrouve les mêmes dérives. La principale est le taux de déperdition constaté entre l’eau véhiculée dans les canalisations et celle qui arrive réellement chez les consommateurs. Dans certains quartiers de Damas, ce taux de déperdition est estimé à . 80 % ! Les causes en sont la nature du sol, qui s’affaisse fréquemment et entraîne des ruptures de canalisations, la qualité défectueuse de ces dernières, et le manque d’entretien des branchements, multipliant les causes de fuites. Par ailleurs, tous les observateurs dénoncent l’abondance (croissante) des branchements illégaux, qui contribuent à tarir encore la ressource disponible. Le résultat, dès avant le début des événements politiques actuels, était les fréquentes coupures de l’approvisionnement : les villes syriennes sont régulièrement affectées par l’interruption de l’alimentation en eau.

La situation n’est pas pour autant meilleure en milieu rural, même si les raisons en sont différentes. Le problème majeur est ici celui de la surexploitation des nappes phréatiques, et de leur détérioration par les infiltrations d’eaux polluées. La Syrie vivant depuis longtemps en situation de stress hydrique, les comportements agri­coles des populations se sont adaptés, notamment en pratiquant de façon intensive la réutilisation des eaux usées. Certes, cette pratique permet de diminuer partielle­ment la quantité de fertilisants nécessaires aux cultures. Mais par infiltration, elle finit par saturer les nappes souterraines en eaux détériorées, que viennent encore vicier les pesticides et engrais qu’il est néanmoins nécessaire d’employer. Or, la Syrie est un pays qui dispose de systèmes d’épuration en quantité et en performance insuffisantes. Moins des deux tiers des eaux usées collectées bénéficient d’un trai­tement en stations d’épuration, et encore ces derniers ne sont-ils présents que dans les grandes villes. De façon générale, les zones rurales (y compris les villes moyennes qui en font partie) ne sont pas équipées de systèmes d’épuration.

Pourtant, il serait abusif de dire que le gouvernement syrien n’a rien fait contre cette situation inégalitaire. Sous la responsabilité du Ministère de l’Habitat et de la Construction, à partir de 2003, une politique coordonnée s’amorce pour tenter de combler les inégalités régionales, et pour améliorer la qualité globale du réseau de distribution. Néanmoins, aucun calendrier précis n’a été mis en place, et les outils juridiques d’administration du secteur de l’eau (qui allient des établissements publics et des sociétés elles aussi en principe de statut public) ne garantissent pas la transparence et l’optimisation des résultats. De toutes façons, toutes ces structures sont désormais de fait mises entre parenthèses par la désintégration progressive de l’État syrien, en raison de la guerre civile. Il en est de même des maigres efforts accomplis pour développer les techniques de dessalement de l’eau de mer, à proxi­mité du rivage méditerranéen. Une seule usine, à ce jour, a été construite en Syrie pour développer cette technique, ce qui est très largement insuffisant par rapport aux besoins hydriques syriens.

[1]Qui ne représente pas plus de 5 % du territoire total de la Syrie.

[2]Un rapport de l’Agence Française de Développement est toutefois moins pessimiste, qui écrit : On estimait en 2008 les réserves disponibles en Syrie à 17 milliards de m3, dont 11 milliards en eaux de surface et 6 milliards en ressources souterraines renouvelables. Le niveau de ressources renouvelables par an et par habitant est estimé à 1300 m3. Toutefois, la sécheresse a durement affecté la Syrie, comme l’ensemble du Proche-Orient, depuis cette date et a considérablement diminué les réserves existantes.

[3]Également appelée « mer de Galilée », cette étendue est moins importante par sa superficie somme toute limitée (160 km2) que parce qu’elle est riche en ressources halieutiques et que son volume constitue une importante réserve d’eau douce en pleine zone désertique (le lac est situé aux portes du Néguev israélien).

[4]Soit le quart de la longueur totale du fleuve.

[5]La Revue de Géographie de Lyon avait publié sous la plume d’André Bourgey, en 1974 (numéro 49-4), une longue étude sur le barrage de Tabqa et l’aménagement du bassin de l’Euphrate en Syrie. Très optimiste comme l’essentiel de la littérature de l’époque sur de tels programmes de développement d’infrastructures dans les États du Tiers-Monde, l’article pointe néanmoins en filigrane les problèmes auxquels est toujours confrontée la Syrie en matière hydrique.

[6]Plus fréquemment cité par son acronyme turc : GAP.

[7]La situation est par ailleurs devenue clairement dramatique pour l’Irak, situé encore plus en aval.

[8]Le pays comptait 3,5 millions d’habitants en 1950, et approche aujourd’hui les 23 millions.

[9]Les données démographiques présentes dans ce passage sont bien évidemment antérieures aux mouvements d’exil qui se sont produits depuis deux ans, dans le cadre des événements politiques.

[10]Dont un résumé succinct est disponible sur le site Internet de l’Agence (http://www.afd.fr).

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