Jacques BARRAT
EDITORIAL
Octobre 2009
Cela fait indéniablement plusieurs siècles que l’Afrique est une terre de rivalités. Faut-il rappeler que les commerçants européens, depuis les grandes découvertes, avaient mis en place un système économique dans lequel l’Amérique fournissait les terres et l’Afrique les hommes suffisamment forts et résistants pour les cultiver. Faut-il rappeler aussi l’épopée des premiers comptoirs portugais, et l’histoire des impérialismes britanniques et français tout comme celles des tentatives de l’Allemagne pour s’y tailler, elle aussi, sa place.
Aujourd’hui, un nouveau pillage de l’Afrique est en marche. Déforestation, extraction minière, cultures de rente sont responsables, on le sait, d’une dégradation économique, sociale et écologique dont on n’a pas encore vraiment mesuré les effets. Pour ne citer qu’un exemple, le pétrole et le gaz naturel, tant au niveau des réserves que de leurs productions sur le sol africain, constituent une part croissante dans l’approvisionnement énergétique mondial et nul ne saurait s’en passer, comme le démontre d’ailleurs l’apparition du concept de « Chinafrique ».
Il faut rajouter que le Continent noir est un conglomérat d’États fragiles plus ou moins mis hors jeu dans le challenge que représente l’Union pour la Méditerranée, et c’est pourquoi il est indispensable que la France réexamine avec pragmatisme, réalité et surtout avec plus de générosité le rôle qu’elle veut jouer sur cette terre. Elle l’a connue, appréciée et dirigée pendant la période coloniale et lui a légué un héritage qui ne saurait disparaître du jour au lendemain.
Le moins qu’on puisse dire est que les fragilités de l’Afrique, dénoncées dès l’après-colonisation par des auteurs comme René Dumont lorsqu’il rédigeait son ouvrage sulfureux L’Afrique noire est mal partie, n’ont en réalité cessé de grandir. D’abord, parce qu’elle est depuis les années i960 la proie de conflits inter-étatiques et infra-étatiques dont l’origine est le plus souvent économique, mais également assez souvent d’ordre ethnique ou religieux. Ensuite, parce que les pactes régionaux tout comme les organisations inter-régionales ne sont pas mesure de lui garantir la stabilité qui lui serait bénéfique. Enfin, parce qu’en matière de fonctionnement politique, la démocratie ne s’y est pas vraiment implantée. Faut-il souligner que le multipartisme y a été pour le moins imposé par l’opinion publique internationale après la chute du mur de Berlin, car à l’époque le système de parti unique qu’elle avait choisi rimait trop avec marxisme-léninisme.
Des carences de toutes sortes s’y sont aussi développées, y perdurent, et, pire encore, s’aggravent. C’est le cas en particulier des systèmes d’enseignement hérités de la colonisation qui y sont en faillite. C’est pourquoi l’enseignement supérieur ne peut y être d’un bon niveau, en même temps que la recherche scientifique, faute de moyens suffisants, est condamnée à y être inexistante. De même, le niveau de vie des populations s’est fortement dégradé ces dernières années, et elles sont pour une bonne part situées en dessous du seuil de pauvreté. Or, comme le disait le Président Chirac, « le premier des droits de l’homme est de manger à sa faim. » Vivre décemment n’est pas encore l’apanage des populations du Continent noir, qui compte à l’échelle de la mondialisation le plus grand nombre de PMA. C’est ainsi que la Côte d’Ivoire, ancienne vitrine de la coopération française, est dans l’état de désagrégation qu’on sait. Le Kenya pour sa part, ancien bijou de la colonisation britannique, peut être comparé désormais à une locomotive régionale en panne. Quant au Maghreb, recomposé et laïcisé dans ses structures politiques à l’époque de la colonisation française, il est victime d’attaques de toutes sortes de la part des islamistes. Pour ne citer que le cas de l’Algérie, il semblerait qu’elle doive faire face à une véritable guerre civile.
On connaît l’action de l’Union européenne sur le terrain et sa mauvaise connaissance des réalités africaines, quelques-uns de ses membres exceptés. L’Amérique de Bush s’était beaucoup intéressée à son pétrole. La Russie est de retour, alors que l’effondrement de l’URSS avait pu faire penser que les tentatives d’ancrage slave dans la région avaient échoué. Quant à la Chine, elle s’implante. Son action, même si elle est dénoncée avec exagération par les Occidentaux, fait néanmoins peser les menaces d’un futur pillage dont on voit d’ailleurs apparaître les prémices, ce qui provoque, on le sait, des réactions de rejet tout aussi explicables que condamnables. Parallèlement, les relations avec Taïwan ne sont plus au beau fixe, même si elles sont maintenues tant bien que mal ici ou là.
Deux pays sont plus particulièrement intéressants, parce qu’ils font un peu figure d’exceptions sur ce continent malmené, appauvri et en mal d’espérance. Le
Géostratégiques n° 25 10/09
Géopolitique des Afriques subsahariennes
Burkina Faso, depuis environ une décennie, donne l’image d’un pays où les pratiques démocratiques s’installent peu à peu, même si elles ne sauraient être tout à fait exemplaires. À ce niveau, le paysage médiatique burkinabè peut aider les optimistes à reprendre espoir.
Le Sénégal, lui, peut également sembler exceptionnel de par ses réalités géopolitiques. Mais les nuages de l’orage pointent là aussi à l’horizon.
Force est donc de constater qu’aujourd’hui le continent africain est à la fois décourageant dans les résultats qui sont les siens, et objet et facteur de pessimisme dans ses réalisations. Néanmoins, ses richesses économiques et humaines peuvent, lorsqu’elles ne sont pas volontairement détruites, permettre d’envisager l’avenir avec une certaine sérénité. Toutefois, victime d’une décolonisation ratée, néo-colonisée, recolonisée comme l’affirment certains, cette partie du monde est redevenue l’objet de convoitises des plus grandes puissances, tout comme à l’époque de la conférence de Berlin, au XIXe siècle. Quelles sont alors les chances de l’Afrique dans les trente ans à venir ? En réalité, la réponse n’est ni à Washington, ni à Moscou, ni à Pékin, ni à Paris ou Londres. Elle est dans les mains de chacun des habitants de ce continent. Le récent discours du Président Obama sur la terre ghanéenne a beaucoup insisté sur cette évidence.
Jacques Barrat Professeur des Universités, Diplomate
■ L’Afrique, terre des rivalités, Ali RASTBEEN
L’Afrique, réservoir de richesses précieuses et indispensables, a été un foyer de rivalités et convoitises internationales. Aujourd’hui, l’Europe n’est plus la seule puissance qui domine ce continent du nord au sud et de l’est à l’ouest. Depuis plusieurs années, les Etats-Unis ont également assuré leur présence sur ce continent meurtri par l’indépendance du Congo, la résistance belge, la guerre intérieure et la tragédie de la résistance sans issue, et le début de mouvements d’indépendances. Aujourd’hui, la Chine et la Russie tentent également d’y assurer leur présence.
g Le pétrole et le gaz naturel en Afrique, Honoré LE LEUCH
La production de pétrole et de gaz naturel de l’Afrique a augmenté de manière significative depuis deux décennies avec des croissances respectives de +79% et +256%, alors que pendant la même période la production mondiale augmentait respectivement de 30% et 65% seulement. Une quinzaine de pays africains contribuent à l’essentiel de cette production en 2008, dont environ 80% à partir de quatre pays. Pour le pétrole, par ordre de décroissant, le Nigéria, l’Algérie, L’Angola et la Libye ; et pour le gaz naturel, l’Algérie, l’Egypte, le Nigéria, la Libye. Dans l’approvisionnement mondial, la part du pétrole africain, qui est en croissance, est aujourd’hui de 12,6% (9% en 1988), celle du gaz de 7% (3% en 1988). Les découvertes récentes majeures dans de nouvelles zones, telles que l’offshore profond (Angola, Nigéria, Guinée Equatoriale, Ghana) ou les bassins intérieurs (Soudan, Tchad, Uganda) ont relancé l’intérêt des compagnies pétrolières, tant celui des « majors » que celui de centaines de compagnies plus petites. Si historiquement les compagnies européennes ont été, et restent, les plus actives, au cours des deux dernières décennies, les compagnies américaines et asiatiques, notamment chinoises, y accroissent leurs investissements.
g États fragiles.. .ou etats autres ? Comment repenser l’aide à leur développement, notamment en Afrique ? Claude DUVAL et François ETTORI
La multiplication des Etats fragiles ou faillis, essentiellement au Sud, menace la stabilité géopolitique du monde. Rejetant l’aphorisme de Charles Tilly pour qui « les Etats font la guerre, et la guerre fait les Etats », caractérisant ainsi la naissance de l’Etat westphalien, l’article examine d’autres voies pour assurer le « mieux-être » des pays du Sud fragilisés, sans se focaliser, à la différence d’une majorité d’ouvrages traitant de la question, sur le problème sécuritaire. Après avoir analysé la notion d’Etat fragile, souvent ignorée dans sa perspective historique, et rappelé l’échec pa-