ÉDITORIAL: Incertitudes syriennes

Jacques BARRAT

Professeur émérite des universités, ancien diplomate. Membre de l’Académie des Sciences d’Outre-mer.

3eme trimestre 2012

Avec plus de 185 mille km2 et près de 22 millions d’habitants, la Syrie compte parmi les États les plus importants du Proche-Orient. Son territoire est constitué d’une étroite plaine littorale, au climat méditerranéen, qui est séparée des plateaux désertiques de l’Est par les chaines de l’Anti-Liban et de l’Hermon. Sa capitale, Damas (2,5 millions d’habitants), située sur un parallèle légèrement au Sud de Beyrouth, la capitale du Liban, est très excentrée vers le Sud du pays. Elle est relayée plus au Nord par d’importantes métropoles régionales pratiquement placées sur le même méridien. Ce sont notamment Homs et Alep.

Chaque sait le rôle privilégié que le territoire de l’actuelle Syrie a eu dans l’his­toire de la géopolitique proche orientale. Au deuxième millénaire avant J.C., les Phéniciens, issus de la famille des Cananéens, se sont infiltrés par vagues succes­sives, suivis par les Amorrites, les Hourrites, les Araméens, tous peuples de la mer. La prise de Babylone par Cyrus II, en mettant fin à la domination assyro-babylo-nienne, transforma l’actuelle Syrie en satrapie de Perse. Conquise en 332 av. J.C. par Alexandre le Grand, elle fut intégrée au royaume Séleucide dont la capitale Antioche fut fondée en 301 av. J.C. Par la suite, la Syrie allait devenir une possession romaine (64-63 av. J.C.) puis un territoire appartenant à l’Empire romain d’Orient dès 395

  1. J.C. La Syrie devint musulmane lorsqu’en 636 ap. J.C., les Arabes, vainqueurs des Byzantins après une bataille sur le fleuve Yarmouk, eurent la possibilité de s’emparer de la presque totalité de son territoire. Les années 661-750 correspondent à l’âge d’or de ce pays lorsque la dynastie des Omeyyades fit de Damas le centre de l’empire musulman. Par la suite, sous les Abbassides, Damas eut à souffrir du déplacement de la capitale de l’empire à Bagdad. Mais les expéditions des Turcs seldjoukides contre Damas et Jérusalem redonnèrent à ces deux cités une grande importance stratégique, en particulier, pendant la période des Croisades.

À la fin du xme siècle, les Mamelouks stoppèrent l’avance mongole et purent récupérer les territoires pris par les Chrétiens. Ils conservèrent la maîtrise du pays jusqu’en 1516, date à laquelle il fut occupé par les Ottomans. Ces derniers eurent le temps d’imprégner le paysage et les hommes puisqu’ils restèrent jusqu’en 1918. Chacun sait également que les accords Sykes-Picot signés pendant la Première Guerre mondiale permirent à la France d’exercer de 1920 à 1943 un mandat confié par la SDN. Une république syrienne fut créée avec Damas et Alep, tout comme une république des Alaouites et un État druze.

Lorsque la Syrie devint indépendante avec la fin du mandat français en 1944 et après le départ des dernières troupes françaises et anglaises, l’indépendance sy­rienne fut troublée par toute une série de crises. De 1958 à 1971, l’Egyptien Gamal Abd el Nasser inclut le territoire syrien dans une organisation politique qualifiée de « R.A.U » (République Arabe Unie). Ce fut un échec cuisant. En 1967, Israël ayant gagné la guerre des Six-jours, le Golan dont l’importance stratégique est évidente, fut occupé par l’État juif. Après les années 1976, la Syrie n’eut de cesse d’interve­nir au Liban, en particulier en 1985 où son intervention fut brutale. En 1981, les Syriens qui n’avaient jamais reconnu le Liban ès qualités d’État (il n’y eut jamais d’ambassadeur de Syrie à Beyrouth), signèrent avec lui un traité de fraternité syro-libanais qui permit en réalité à plusieurs millions de citoyens syriens de venir s’éta­blir dans ce petit pays « où coulent le lait et le miel ». Faut-il rappeler que le régime syrien n’eut pas de grands scrupules à agir au Liban comme dans un pays conquis ? Faut-il rappeler que l’assassinat du Président libanais Hariri est attribué aux services secrets syriens ? Faut-il rappeler enfin que les Chrétiens, les Maronites en particu­lier, payèrent un tribut très lourd lors de la guerre civile libanaise dans laquelle les Palestiniens et les Syriens eurent une grande responsabilité ?

Pour des raisons tant externes qu’internes, les Syriens retirèrent leurs troupes du Liban en 2005. En 2008, les deux pays purent normaliser leurs relations, ce qui procurera à la Syrie de nouvelles latitudes diplomatiques tant au Proche-Orient qu’à l’échelle mondiale. Mais à partir de 2011, dans un contexte marqué par ce qu’il est convenu d’appeler le « Printemps arabe », la situation intérieure de l’État syrien allait se dégrader très vite.

Il est évident que dans ce pays, aux mains du parti Baas depuis 1963 les contra­dictions et les tensions n’avaient cessé de se développer. Le régime alaouite, laïc, voire athée aux yeux de certains Musulmans, ne put plus alors continuer de tenir par la force et la terreur des populations hétérogènes et des régions par trop dis­semblables. La disparition de l’URSS, alliée numéro un du régime (traité d’amitié syro-soviétique en 1957), la perte d’influence diplomatique de l’Iran des Ayatollahs, second allié important de Damas, les tensions avec la Turquie concernant les eaux de l’Euphrate, les affrontements avec Israël sur la question du Golan, les démêlés avec le Liban, portèrent un coup fatal à la stabilité du régime baasiste et à l’importance du rôle de la Syrie tant au Proche qu’au Moyen-Orient. Les deux guerres d’Irak, la crise mondiale tout comme la montée des intégrismes et des fondamentalismes musul­mans sunnites achevèrent de mettre le régime de Damas en difficulté. Parallèlement, à l’intérieur du pays, l’agriculture connaissait des problèmes inhérents au stress hy­drique alors que le Baas avait fait de la réussite de l’irrigation un porte-drapeau du gouvernement. La victoire des extrémistes musulmans en Tunisie, en Egypte, les défaites américaines en Irak et en Afghanistan, n’arrangèrent pas les choses.

En cet automne 2012, la Syrie continue d’être en proie à une guerre civile qui a déjà fait au moins 30 000 morts. L’économie nationale est désorganisée. La vie des habitants est totalement perturbée. Les destructions se massifient. Les réfugiés se multiplient en Turquie, en Irak, au Liban, en Jordanie et en Occident pour les plus privilégiés. L’armée du Président Al Assad a de plus en plus de mal à contenir les forces armées rebelles au régime, épaulées par des États comme l’Arabie saoudite, le Qatar tout comme Al-Qaeda. Des combattants volontaires et des mercenaires affluent de tout le monde musulman pour se joindre aux insurgés.

Certes, le régime syrien actuel est condamné par l’opinion publique interna­tionale, ne serait-ce que pour les atrocités commises dans la répression des forces rebelles au gouvernement. Cette dernière a en effet beaucoup touché les populations civiles. Par ailleurs, la dictature syrienne est indéfendable dans ses principes comme dans son fonctionnement. Mais il est vrai aussi que les grandes puissances occiden­tales, du fait du veto de Pékin et de Moscou à l’ONU, ne peuvent intervenir contre le régime actuel sous mandat onusien, comme certaines, mais très minoritaires, le souhaiteraient. Cela a permis au pouvoir alaouite de se maintenir coute que coute. Mais pour combien de temps ? Nul ne le sait.

Enfin, il faudrait ajouter que certaines capitales du monde occidental, sans vou­loir l’avouer clairement, craignent en réalité la disparition du régime actuel. En effet la fin du pouvoir alaouite pourrait signifier une victoire de l’intégrisme musulman plus ou moins manipulé par les Wahhabites ou les Salafistes. Dans ce cas, qu’advien­drait-il des Chrétiens et des autres minorités religieuses. L’hiver glacial qui souffle déjà sur plusieurs capitales du monde arabo-musulman n’est pas là pour les rassurer.

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