ÉDITORIAL: Complexité Balkanaise

Jacques BARRAT

Universitaire, diplomate, membre de l’Académie des sciences d’outre-mer

2eme trimestre 2011

C’est seulement à partir du xve siècle que le mot Balkan (montagne boisée en langue tueque) e été utilisé pour désigner les montagnes qui traversent le Bulgarie d’est en ouest. On a le un arc de cercle de près de 500 kilomètres qui va de la mer Noire aux Portes de fer.

L’expression péninsule des Balkans a été utilisée, quant à elle, pour la première fois en 1808 par le géographe allemand Johann August Zeune qui pensait, à tort, que les monts Haemus s’étendaient sur toute l’Europe du Sud-Est. Malgré les cri­tiques formulées depuis cette époque par de nombreux géographes, on désigne tou­jours par Balkans une zone comprise entre la mer Noire à l’est et la Méditerranée au sud et à l’ouest. Les pays qui composent les Balkans sont alors l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, le Kosovo, laMacédoine, le Monténégro, la Serbie et la Slovénie dans leur partie ouest. Les Balkans orientaux consistent, eux, en le Bulgarie, la Roumanie et la Turquie. Enfin, la Grèce Sppartient à le zone b^ka-nique méridionale, m ême si, jusqu’ au xixe siècle, les îles proches de la côte viatique étaient considérées corn me turques.

En m°tiure géographique , les Balkans représentent une aire de e50 000 kilo-mréres carrés dont la limite au nord serait fixée per les fleuves Danube-Save-Kupa. La majeure partie de la péninsule est: très montagneuse, l’altit1^ nwyenne de 500 mètres n’empêchant, pas k sommet bulgare de Rila d’atteindre kr 2 9)25 mètrer et l° mo^t Olympe, grec, les 2 919 mètres.

Complexités balkaniques

Les Balkans n’ont pas vraiment d’unité climatique dans la mesure où les États qui les composent connaissent tantôt un climat méditerranéen, tantôt un climat continental. En matière linguistique, l’unité n’est pas meilleure, puisqu’on peut dis­tinguer trois sous-types : les Balkans slaves (Bosnie, Bulgarie, Croatie, Macédoine, Monténégro, Serbie et Slovénie), les Balkans aborigènes et les Balkans turcs. Les critères religieux exigent une fois encore la division des Balkans en trois catégo­ries : Balkans majoritairement chrétiens catholiques (Croatie, Slovénie) ; Balkans majoritairement chrétiens orthodoxes (Bulgarie, Grèce, Macédoine, Monténégro, Roumanie, Serbie) ; Balkans majoritairement musulmans (Albanie, Kosovo, Turquie).

Toute une série d’autres critères permettraient d’affiner encore ce tour d’horizon balkanique. Il est un fait que la Bulgarie, la Grèce, la Roumanie et la Slovénie sont membres de l’Union européenne alors que les autres pays sont restés en dehors de la construction de l’UE. De même, on peut distinguer les pays balkaniques soumis à la dictature marxiste jusqu’à l’écroulement de l’URSS de ceux qui ont toujours eu un passé capitaliste (Grèce, Turquie d’Europe).

Néanmoins, de la plus haute Antiquité jusqu’au xixe siècle, les Balkans ont peu à peu constitué une aire culturelle qui, malgré une hétérogénéité certaine, a présenté tout au long de l’histoire une série de traits communs hérités de plusieurs facteurs unificateurs.

Tout d’abord, un substrat traco-illyre et hellène, suivi d’une influence macédo­nienne et hellénistique du iiie siècle avant J.-C. jusqu’à la colonisation de la Grèce par Rome. Ensuite, la romanisation, et en particulier la prégnance de l’Empire romain d’Occident, l’Empire byzantin. Par la suite, ce furent les Slaves puis l’Em­pire ottoman qui allaient donner un semblant d’unité à ces territoires, même si une bonne partie d’entre eux n’allaient pas accepter les tentatives de mainmise de la Sublime Porte, depuis la prise de Constantinople (1453) jusqu’au traité de Lausanne (1923).

Certains historiens insistent également sur le fait que le socialisme imposé par Moscou, tout comme les dictatures militaires d’extrême droite (Grèce et Turquie) ont façonné les paysages politiques de la région de manière bien différente qu’en Europe de l’Ouest.

Force est de constater que, de nos jours, le terme de Balkans a conservé une consonance péjorative, tant il est vrai que l’expression de balkanisation désigne un phénomène de réduction, de division et d’atomisation des territoires, avec pour conséquence la création de situations complexes voire inextricables. Ce phéno­mène peut, pour une part, s’expliquer par la violence des combats pour la libération qu’ont dû mener certains peuples de la région pour s’extraire de la domination ottomane ou austro-hongroise.

De plus, le terme de Balkans continue indéniablement de véhiculer des images, des clichés négatifs : celui de l’attentat de Sarajevo qui fut à l’origine de la Première Guerre mondiale, ceux des Oustachis pendant la Seconde Guerre mondiale, ceux plus récents de la guerre du Kosovo, de l’épuration ethnique, du règne des snipers, etc.

Pour toutes ces raisons, les géographes, depuis la fin du xxe siècle, ont été conduits à utiliser un terme un peu plus neutre, celui d’Europe du Sud-Est. Toutefois, lors du Conseil européen de Vienne en 1998, le terme de Balkans occidentaux a été offi­ciellement introduit dans le vocabulaire de l’Union européenne. Les liens entre ces pays et Bruxelles permettent ainsi de définir une région dont l’espoir des habitants est de pouvoir intégrer un jour l’Union européenne, synonyme de stabilité poli­tique et de prébendes en tous genres. Mais l’entrée dans l’UE n’est pas la panacée universelle, comme l’a montré le cas grec.

Par ailleurs, d’une manière beaucoup plus générale, en matière stratégique, les Balkans, avec leurs nationalismes et le nouveau réveil de leurs nationalités, semblent avoir déjà bien mis à mal la défense européenne. Il est vrai que d’aucuns pensent, en ce début du xxie siècle, que les Balkans sont revenus aux problèmes qui étaient les leurs au lendemain de la Première Guerre mondiale, lorsque les alliés de la France ont eu l’inconscience de démanteler l’Empire austro-hongrois et ce qui restait de l’Empire turc, « homme malade » certes, mais pont peu ou prou indispensable entre le Proche-Orient et l’Occident.

Aujourd’hui, les Balkans sont redevenus une zone de tensions, de turbulences et d’enjeux stratégiques, en particulier entre Russes et Américains, orthodoxes et catholiques, chrétiens et musulmans. L’implosion économique de la Grèce, les dif­ficultés de la Bulgarie et de la Roumanie, le jeu parfois maladroit des États-Unis concernant le Kosovo et leur volonté de pousser l’intégration de la Turquie à l’UE ont encore rajouté à la déstabilisation économique et morale de cette partie du monde qu’on peut, hélas, continuer d’appeler avec raison la poudrière balkanique.

 

 

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