DE BARCELONE A L’UNION POUR LA MEDITERRANEE : QUELQUES ÉLÉMENTS D’ÉCONOMIE POLITIQUE

Moktar CHBOUKI

Chercheur au centre d’analyse économique de l’université Paul Cézanne-Aix En Provence.

Novembre 2008

La vitalité et la sensibilité de la Méditerranée résident dans sa qualité de carrefour où se croisent des projets des ambitions et des intérêts multi­ples : le gaz, le pétrole, les bases militaires, le déploiement des flottes de l’OTAN, la menace d’une remontée du terrorisme, les migrations.

La Méditerranée est un lieu synthétique des tensions que connaît le monde ac­tuel, c’est une arène de compétition, de confrontation entre les grands de ce monde qui se disputent des zones d’influence des parts de marché et le moment venu des alliés potentiels. Elle figure parmi les rares lieux, si ce n’est le premier par excellence, où se manifeste la formidable frontière entre deux hémisphères foncièrement di­vergents : face à la modernité, le développement et la richesse du Nord, se dressent tradition, archaïsme et pauvreté au Sud.

Depuis des décennies, elle a fait l’objet de plusieurs projets de rapprochement de coopération, d’association et aujourd’hui d’union, mais la question se pose d’el­le-même : comment expliquer cet échec presque énigmatique de toutes ces tentati­ves ces projets précocement avortés, qui ne souhaitent qu’une chose c’est d’unifier les destins des hommes ?

Et, comme c’est la perspective économique et fondamentalement commerciale qui animait le processus de Barcelone, et toute initiative européenne d’ailleurs, peut-on savoir dans quelle mesure l’Union pour la Méditerranée est porteuse d’es­poir pour la constitution d’un espace régional élargi capable de laminer les écarts et de donner accès au progrès ?

On va essayer de discuter le processus d’ouverture des pays tiers méditerranéens à la lumière des différentes étapes qui ont jalonné leurs parcours, avec les consé­quences économiques que cela implique, et ce dans une perspective d’économie po­litique internationale, ensuite nous allons énumérer quelques questions stratégiques qui sont restées en suspens, puis nous nous attarderons sur la fracture économique de la Méditerranée, avant de conclure sur l’espoir ressuscité par la dernière initiative de l’avocat naturel du régionalisme ouvert.

De la coopération au partenariat

En fait les initiatives européennes sont le résultat d’une prise de conscience des nouveaux changements géopolitiques et des contraintes qu’ils dictent aussi bien sur le plan interne qu’externe de l’union, et d’un déficit chronique et structurel de ses rapports avec les pays tiers méditerranéens PTM1. Pour corriger ce déséquilibre, l’UE a proposé, en 1995, à ces pays un partenariat qui dépasse le cadre traditionnel de concessions commerciales unilatérales qu’elle accordait à chacun d’entre eux, pour passer à une nouvelle génération d’accords dits d’association, dont ce partena­riat puise sa véritable dimension contractuelle.

Le partenariat euro-méditerranéen restera tributaire de la conclusion bilatérale de ces accords entre l’UE et chacun des PTM, ces accords bilatéraux fournissent un cadre pour le dialogue politique (conseil d’association); établissent les conditions d’une libéralisation graduelle du commerce des produits industriels (calendriers, contingents…); renforcent les relations économiques et sociales entre les parties; visent à améliorer les conditions de vie et d’emploi et à encourager la coopération régionale. L’objectif assigné à ces accords est double : il s’agit de mettre en place une grande zone de libre-échange euro-méditerranéenne des produits industriels à l’horizon 2010, tout en facilitant la transition économique et sociale de chacun des partenaires à cette échéance.

La conjoncture de Barcelone

La proposition communautaire s’inscrit dans le sillage d’apaisement politique du moyen orient né des accords de Madrid et d’Oslo, et c’est au lendemain de ces accords, et à travers le sommet de Barcelone, que les Européens ont tenté d’ac­complir l’effort américain en dictant le contenu de la paix, et ce en utilisant cette conjoncture d’apaisement pour imposer, aux Arabes essentiellement, l’intégration d’Israël dans la région2, ce qui atteste, si besoin est, la naïveté de l’UE qui pousse à la normalisation des relations entre Israël et le Monde arabe avant une solution finale.

C’est dans ce sens, que la conférence et la déclaration de Barcelone ont consa­cré l’introduction dudit partenariat, comme une innovation conceptuelle censée métamorphoser la perception traditionnelle des relations entre les deux rives de la Méditerranée.

Le processus d’ouverture des pays tiers méditerranéens

Il est tellement crucial de savoir, dans ce sens, le pourquoi des propositions communautaires bien qu’il s’avère, a priori, et comme l’a illustré d’ailleurs la chro­nologie des évènements qui n’est pas innocente, qu’elles relèvent d’une logique pu­rement capitaliste initiée depuis longtemps par le pendule libéral des organisations internationales.

En effet, l’ouverture économique des PTM résultait d’abord d’une contrainte : rembourser, même partiellement, la dette accumulée dans les années 1970. Il s’agis­sait à la fois de promouvoir les exportations pour obtenir des devises et de s’ouvrir aux investissements directs et aux investissements de portefeuille pour diversifier les sources de financement et financer le déficit courant.

Mais cette politique répondait aussi à l’évolution des doctrines sans doute plus confiantes dans les ajustements de marché. Les PTM sont donc entrés dans un pro­cessus d’ouverture, bien engagé, mais très inachevé. Les stratégies de promotion des exportations ont alors remplacé les stratégies de substitution aux importations, même si, loin d’être incompatibles, ces deux types de politiques ne peuvent coexister.

Au lendemain des deux chocs pétroliers des années 70 et de la sévère crise qui a secoué l’occident industrialisé, et qui a sonné le glas des trente glorieuses (1945­1974), le consensus de Washington3 vient inaugurer l’ère de l’apologie du marché et de l’ouverture commerciale par ses programmes d’ajustement structurel des an­nées 80.

Quinze ans plus tard, une instance internationale désormais acteur incontour­nable de cette mondialisation déferlante a vu le jour le premier janvier 1995, il s’agit en l’occurrence de l’organisation mondiale de commerce (OMC). Sa mission a été déjà prescrite dans la texture conceptuelle qui sous-tend la logique de fonctionne­ment et d’action des institutions de Bretton Woods (le Fonds monétaire internatio­nal et la Banque mondiale), qui consiste à mondialiser l’économie de marché.

Nous verrons que ce n’est pas un hasard non plus, si c’est à Barcelone que s’est tenue onze mois après, une conférence interministérielle qui vient révéler la persis­tance de ce tracé historique et déterministe qui nuance entre un Nord blanc, chré­tien et opulent, et un Sud pauvre et majoritairement musulman, en l’occurrence la Méditerranée méridionale et orientale.

Ce sont donc certaines des étapes révélatrices, entre autres, du caractère pro­grammable de l’ouverture de ces pays, une ouverture qui s’annonce, encore une fois, selon les termes d’un régionalisme à l’Américaine c’est à dire basé sur l’exportation du postulat libre-échangiste4 érigé comme dogme de cette nouvelle économie de marché.

Un postulat qui constitue, par ailleurs, le talon d’Achille des initiatives euro­péennes dans la mesure où, la compétition commerciale est d’emblée inégale vu l’écart de développement qui sépare les deux hémisphères.

Quelques problèmes macroéconomiques de l’ouverture

L’ouverture commerciale s’affirme davantage en prenant le devant de la scène. La question est de plus en plus cruciale pour les PTM dans la mesure où, loin d’être parfaitement une panacée, leur ouverture extérieure se traduira par une plus grande exposition aux risques externes résultant pour l’essentiel d’une volatilité extrême des cours mondiaux qui suscitera, par la suite, de sérieux problèmes en termes de cou­verture des dépenses que supposent la transition et l’ancrage à l’économie libre.

Leur vulnérabilité économique est, par voie de conséquence, accentuée, ce qui constituera un véritable calvaire devant la croissance et le développement de ces pays. Ils se trouvent coincés, comme l’exige l’échéancier 2010, entre l’irréversibilité du processus de l’ouverture et la tendance du zéro dédouanement.

De surcroît, ces économies, qui entament leur ouverture et s’apprêtent à la tran­sition, se caractérisent par un important secteur informel composé de travailleurs sans statuts et de personnes qui sont dans une situation de dénuement, souvent à la limite de la légalité, qui vendent dans les rues ou qui mendient, et par un secteur relativement protégé regroupant ceux qui sont dans le cœur de l’économie, qui ont du capital, les gros propriétaires fonciers, les salariés des grandes firmes, les fonc­tionnaires de l’Etat, qui sont souvent sécurisés par les contacts internationaux et les standards éducatifs auxquels ils correspondent.

Il s’avère donc que la transition à l’économie de marché est d’emblée douloureu­se vu notamment les incidences budgétaires qu’entraînerait l’effacement du secteur public avec ses masses de licenciés, (en termes de protection sociale et de réinsertion de ces derniers licenciés) et les nouveaux arrivants sur le marché d’emploi.

L’enjeu, qui semble, aujourd’hui, de portée budgétaire des PTM serait, d’une part, de pouvoir ventiler les dépenses publiques, ouverture oblige, entre celles qui doivent être consacrées aux réformes économiques et institutionnelles, et celles desti­nées à maintenir les filets de protection sociale.

Quoi qu’il en soit, la conjugaison de l’ouverture et de la transition implique pour ces pays une révision à la hausse, en volume et en qualité, de leurs dépenses publiques, d’où la question de savoir par quels moyens faut-il couvrir cette ten­dance en hausse ?

En effet, leur ouverture commerciale signifie une exposition plus ou moins grande aux risques externes dont la maîtrise passe inéluctablement par un volume colossal de dépenses à caractère social. Ces pays seront privés de ressources de finan­cement, auparavant assurées par des prélèvements sur le commerce extérieur, et ce suite au désarmement graduel des tarifs douaniers qu’exige la logique libre-échan­giste, d’où la nécessité impérieuse d’entamer la réforme qui permette à de nouveaux instruments fiscaux de se substituer aux anciennes taxes douanières -à l’importa­tion ou à l’exportation- et même, le cas échéant, financer de nouvelles réformes.

C’est ainsi, qu’il faut s’intéresser aux effets macroéconomiques d’une libérali­sation accrue. Pour beaucoup de PTM, les recettes fiscales liées au commerce ex­térieur représentent une part importante des revenus publics. Dès lors, introduire une correction sur la politique commerciale à travers une diminution des droits de douane conduit à trouver des mesures fiscales compensatoires afin que l’équilibre budgétaire ne soit pas perturbé.

Par ailleurs, le processus d’ouverture et de libéralisation commerciale ne va sans ébranler des situations, les situations de rente, à savoir les avantages que procurent, à certains groupes liés au pouvoir, les entraves à la liberté économique.

Les économies des PTM se caractérisent, comme d’ailleurs la plupart des éco­nomies en mal de développement, par la distorsion de la structure économique et l’hétérogénéité de la structure sociale, mais également par l’existence de secteurs entiers de rentes. Le caractère rentier de ces économies reste la marque de fabrique de régimes immobiles incapables d’intérioriser les surplus dégagés des positions de rente.

Ces positions s’entretiennent par une politique visant à accumuler des ressour­ces provenant, soit de l’étranger sous forme d’aide extérieure aux transferts d’immi­grés ou de recettes touristiques, soit du sous-sol sous forme de pétrole ou du gaz. Elle est une malédiction car elle procure des ressources sans déployer le moindre effort et sans pouvoir créer, à partir de ces ressources, de la valeur ajoutée locale ou nationale.

Sortir d’une économie de rente vers une économie de production et donc de profit, reste un défi majeur pour les pays arabes qui sont engagés dans un processus d’ouverture et de libéralisation commerciale. Elle représente une manne mais paraly­sante en termes d’investissement en recherche et développement et de prélèvement des impôts et de pouvoir, le cas échéant, instaurer des régimes démocratiques.

La fracture économique de la Méditerranée

S’il y a un domaine où les divergences entre les deux rives du pourtour médi­terranéen restent palpables, c’est l’économie, en particulier, et le développement humain d’une manière générale. Au Sud par exemple, le niveau de vie par habitant est douze fois plus faible qu’au nord ; d’après le rapport annuel du PNUD sur l’état du développement humain dans le monde et sur un échantillon de 153 pays, la Tunisie occupe le rang 91ème, l’Algérie le 104^ la Syrie le 108ème, l’Egypte le 112ème

et le Maroc le 126ème.

La fracture en matière d’échanges commerciaux est forte dans la zone euro-méditerranéenne. L’asymétrie des échanges commerciaux est résumée par quatre chiffres reflétant le caractère déficitaire de la balance commerciale des PTM :

  • Seuls 7,45 % des exportations de l’UE sont à destination des PTM.
  • Les PTM fournissent 7% des importations totales de l’UE.
  • L’UE polarise 51% des exportations totales des PTM.
  • 58,3% des importations des PTM proviennent de l’UE.

Si l’UE représente le premier partenaire commercial des pays du Sud de la Méditerranée, à l’inverse, les PTM n’occupent qu’une place mineure dans les échanges commerciaux mondiaux de l’UE.

Le PIB des pays arabes qui sont les plus pauvres, si on prend en compte deux entités non arabes à savoir la Turquie et Israël et qui à eux seul représentent plus de la moitié du PIB des PTM, est inférieur à celui de la seule Belgique.

Le déséquilibre entre l’Union européenne et la plupart des PTM est frappant en termes de poids économique et de niveau de développement. Cette différence pèse sur l’effectivité et les effets attendus de l’instauration d’une zone de libre-échange à l’horizon 2010. Ça serait une absurdité de penser, que dans un contexte pareil, les incidences puissent être positives pour les PTM.

 

Le déséquilibre démographique

On assiste aujourd’hui à un renversement des positions démographiques entre les deux rives, le rapport était 2 à 1 en 1950 en faveur de la rive Nord. Les prévisions estiment que l’an 2025 sera celui de la rive Sud avec un rapport de 2 à 1. Dans ces pays la croissance démographique a pris un rythme soutenu et rapide, face à eux les pays du Nord montrent une faible croissance voire même une décroissance.

Cette situation démographique résulte du déséquilibre des natalités entre le Nord et le Sud. L’examen des conditions démographiques des pays partenaires indi­que que tous les pays européens ont une un indice synthétique de fécondité insuf­fisamment élevé pour garantir le simple remplacement des générations (2 enfants par femme), les pays du Sud ayant tous un indice supérieur à 2.

 

Partenariat pour le Sud, intégration à l’Est

Telle est la logique de la nouvelle politique européenne. A dire vrai, la déter­mination de la « nouvelle » Europe de procéder à une ouverture vers le sud, dans la perspective de bâtir un espace régional élargi avec les PTM dont elle considère que seul le développement pourra apaiser l’état d’agitation politique de la région, occulte quelque part une obsession sécuritaire5.

Elle est manifestement présente au moins en Méditerranée occidentale, dans la mesure où c’est dans cette dernière que les rapports entre les deux rives sont les plus nombreux6, bien qu’ils souffrent d’une ambiguïté pesante et d’une certaine « agres­sivité» déguisée ; l’effacement catégorique de la Libye de l’échiquier géopolitique régional et son absence à Barcelone comme à Paris en juillet dernier, illustrent cette tension des rapports entre les deux rives de la Méditerranée occidentale.

En Méditerranée orientale, les avatars du dialogue arabo-israélien, la fragilité de l’Etat au Liban et l’agitation de la situation politique en Turquie, complètent le tableau d’une Méditerranée meurtrie et chronologiquement tendue.

En revanche, vers l’Est c’est tout à fait l’inverse de ce qui était conclu avec les partenaires tiers méditerranéens, puisque la dimension libre-échangiste est dé­sormais un acquis communautaire pour les pays de l’Europe centrale et orientale (PECO), avec naturellement leur statut de membres à part entière dans l’union depuis le premier mai 2004.

En effet, la proposition communautaire à ces pays se veut globale et définitive, et ce, pour combler dans l’immédiat le vide politique et associer de nouveaux alliés dont il est fort probable qu’ils se contenteraient de jouer uniquement la carte du li­bre-échange, et consacrer, par la suite, l’essentiel de leur poids politique au soutien d’un allié potentiel voire même naturel, à savoir, bien entendu, les Etats-Unis, ce qui prouve que l’Europe politique fait encore défaut.

Le basculement vers l’Est peut s’expliquer par un certain réveil chez les Européens de l’union, il est désormais temps de mettre fin à la tutelle militaire américaine à travers l’OTAN. Ils sont persuadés que la nouvelle recrue pourra consolider les acquis communautaires en termes de politique étrangère, de défense et de sécurité communes, et ce dans la perspective d’évincer le potentiel nucléaire et énergétique de la région devant les manœuvres audacieuses américaines.

Cette ouverture à l’Est est justifiée également par d’autres motifs bien incarnés dans l’histoire du vieux continent, et qui peuvent être résumés par un certain ma­laise ethno-religieux animé depuis 1492 par un vif souvenir qui n’a pas cessé, dès lors, de rappeler l’impératif d’une Europe blanche et exclusivement chrétienne.

L’évolution actuelle des choses va à l’encontre de ce qui a été présagé par les rois catholiques après la chute de Grenade ; Le statut de l’Islam en Europe comme se­conde religion la plus pratiquée après le catholicisme dans bon nombre de pays (en France, en Belgique, en Holland, en Italie, en Espagne, et en Allemagne)7, montre, dans une certaine mesure, que la cohabitation et le dialogue sont nécessaires.

L’Europe estime qu’elle a fait beaucoup d’efforts pour accueillir l’Islam comme sa deuxième religion, et elle ne voit pas, à terme, l’opportunité de renégocier le pro­blème avec les pays d’origine surtout ceux de la rive sud de la Méditerranée.

À partir du moment où la zone de libre échange est mise en place, la suite lo­gique du processus d’intégration, tend, tôt ou tard, à garantir la libre circulation des personnes, entre autres vertus libre-échangistes. En ce sens, il reste à savoir dans quelle mesure la montée de l’Islam, en termes de présence physique et de mouvance organisée en Europe, pourra constituer un facteur de blocage à l’union pour la Méditerranée ?

Par ailleurs, la mainmise américaine sur la Méditerranée orientale à travers notamment le déploiement de la plus grande flotte de la marine américaine qui sillonne le pourtour méditerranéen, le dialogue instauré depuis 1996 entre l’OTAN (dont l’action militaire, bien entendu, est désormais tous azimuts) et les six pays de la rive sud (Maroc, Algérie, Tunisie, Egypte, Jordanie et Israël), et la récente inno­vation conceptuelle du jargon stratégique américain du Grand Moyen-Orient, tous ces éléments et bien d’autres révèlent que la Méditerranée est un espace géopolitique en quête de sens.

L’UPM reflète la même prise de conscience qui prévalait à Barcelone chez les Latins du Nord, de l’ampleur du fossé qui les sépare des Arabes du Sud, et des éven­tuels risques, le moment venu, de menaces d’une région minée par la distorsion de sa structure économique et l’hétérogénéité de sa structure sociale ; pourtant elle est la voisine immédiate d’un vieux cercle de modernité depuis lors fermé.

 

L’avocat du régionalisme ouvert

La mondialisation s’accompagne de plus en plus de la construction de grands ensembles régionaux. Polycentrique, le monde se constitue en pôles géoéconomi­ques interdépendants : l’ALENA, le MERCOSUR, l’ASEAN ; désormais le dernier mot dans une économie de plus en plus globalisée appartient aux blocs régionaux dont le jeu forme une synthèse consolidée de l’économie mondiale.

Face à ces bouleversements et aux changements induits par cette tendance lour­de, le pourtour méditerranéen se voit dans la nécessité de coopérer efficacement entre ses deux rives, si ses riverains souhaitent vraiment prendre place dans ce déferlant et rapide processus qu’est la mondialisation.

 

Ce qu’on appelle le «régionalisme Nord/Sud » est l’organisation territo­riale gagnante de la mondialisation en cours ; le nord et le sud de la Méditerranée doivent d’autant moins manquer ce tournant. L’effectivité de ce régionalisme en Méditerranée, restera tributaire du caractère fructueux, mais néanmoins tendu, des rapports des deux rives. Fructueux certainement au moins du point de vue cultu­rel, il suffit ici de souligner le statut de la langue française comme première langue étrangère chez bon nombre des arabes du Sud.

La France, dans ce sens, apparaît comme le pays le plus intéressé et le plus en prise par cette réalité culturelle, certes maghrébine, mais en gros méditerranéenne, dans la mesure où elle a été la première à diffuser un tel patrimoine dont la franco­phonie fait partie.

En dépit de la blessure morale héritée de la décolonisation, la France demeure une terre accueillante d’un rapprochement resserré avec les sociétés maghrébines. Ni la majeure partie de la société civile, ni le legs colonial avec toutes ses formes de contacts, d’échanges et de cohabitation ne s’opposent à une convergence plus qu’éco­nomique avec ces sociétés.

C’est là, si lieu il y a, où réapparaît le rôle de la France comme un grand pays directement impliqué dans le processus de rapprochement entre les deux rives, en effet il a hérité de sa propre expérience coloniale, dont la plus marquante reste celle de l’occupation du Maghreb central.

Réunissant les États riverains de la Méditerranée, l’Union méditerranéenne était conçue comme une union politique fondée sur la parité entre les participants (dans le cadre d’un processus de codécision), sur la réunion régulière des chefs d’État, sur la création d’un secrétariat et sur l’adoption d’une présidence bicéphale partagée par les pays du Nord et du Sud écrit Jean-François Jamet de la fondation Robert Schuman.

Ce format devait permettre d’associer les pays méditerranéens dans le cadre de projets concrets autour de quelques thèmes consensuels :

– l’environnement et la gestion de l’eau : dépollution de la Méditerranée, dé­veloppement de l’accès à l’eau potable, rechargement des nappes phréatiques et amélioration des systèmes d’irrigation, protection des ressources halieutiques, pré­servation des littoraux et exploitation de l’énergie solaire ;

 

  • l’échange des savoirs : création d’un espace scientifique méditerranéen, renfor­cement des échanges universitaires, création d’un Institut universitaire euro-médi­terranéen et développement de la coopération audiovisuelle ;
  • le développement économique : projets agricoles, création d’un groupe réu­nissant les bailleurs de fonds institutionnels susceptibles de financer les projets de l’Union méditerranéenne, création d’une institution financière capable de mieux gérer l’épargne des migrants et de faciliter l’accès au financement des PME ;
  • la sécurité et la gestion des flux migratoires.

C’est une opportunité historique pour la France de susciter son statut de puis­sance mondiale au moins en Méditerranée occidentale qui reste, à travers le grand Maghreb, une ouverture vers son espace naturel d’influence.

 

Notes

  1. Ould Aoudia, L. Tubiana, « Euro-méditerranée: recentrer le partenariat », in « Questions européennes », rapport du conseil d’analyse économique, la documen­tation française, Paris, 2000.
  2. Amin, « Faillite du partenariat euro-méditerranéen », in « Le partenariat euro-mé­diterranéen vu du sud », (sous dire) de B. Khader, l’Harmattan, 2001.
  3. Williamson, 1990, «What Washington means bypolicy reform», in Latin American Adjustment: How Much Has Happened? Edited by j.Williamson (Washington: Institute for International Economics).
  4. A, « Les relations Euro-américaines et la Méditerranée », in Annuaire de la Méditerranée, Germ-Publisud, Rabat-Paris, 1998.
  5. Khader, « Le partenariat euro-méditerranéen : le processus de Barcelone, une synthèse de la problématique », in le partenariat euro-méditerranéen vu du Sud, (sous dir) de B. Khader, l’Harmattan, 2001.
  6. Lacoste, « Europe du sud, Afrique du nord », in Hérodote N°94, 3° Trimestre 1999.
  7. Ramonet, « Plus qu’une religion » in Manière de voir N°64 Juillet-Août 2002.
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