La société civile moyen orientale : un regard européen

Richard LABEVIERE

Journaliste et écrivain. Ancien rédacteur en chef à la Télévision suisse romande (TSR) et à Radio France internationale(RFI). Ancien rédacteur en chef de la revue de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN), consultant international et rédacteur en chef de l’Observatoire de la Défense et de la Sécurité «espritcorsaire». Depuis 2014, il est rédacteur en chef de l’Observatoire géostratégique prochetmoyen-orient.ch.

Avril 2015

Cette confrontation permanente société civile/appareil d’état ramène invaria­blement à un arc de crises où la pertinence la plus aigùe et la plus ténue de la société civile se trouve en Palestine avec une société civile récurrente qui, indépendamment des fatigues de l’autorité et de la mise à mal du mouvement national palestinien par la guerre entre le Fatah et le Hamas, survit. Cette politique de casse n’a cessé de se renforcer avec le départ de tous les Chrétiens palestiniens de Nazareth, la confron­tation directe avec les islamistes du Hamas, dans un jeu de surenchère islamiste avec le Djihad pour se tourner vers les Occidentaux dans un chantage à Al Qaida.

Tout cela est donc le fruit non pas d’accidents, mais de politiques extrêmement construites, permanentes, qui ramènent aux ingérences répétées des puissances occidentales. En Irak on assiste aux effets induits et secondaires de l’expédition américaine du printemps 2003, avec la suppression du parti Baas et de l’Armée, au profit d’une société maffieuse provoquant une polarisation communautariste. Le même processus se répète en Syrie qui bascule d’un mouvement social à l’été 2001 à la frontière jordanienne, snipers armés de M16 contre Armée syrienne, au conflit actuel.

Ces illusions sémantiques autour de l’idée de révolution ont débouché sur des propositions plus structurantes pour la région, là où société civile et appareil d’État se recomposent et redessinent un arc de crise, une ligne de fracture plus générale. Rappelons ce que le roi Abdallah de Jordanie avait évoqué : la crainte de l’émer­gence d’un croissant shiite, entraînant des conflits dans toute la région. Non pas une guerre de religions entre shiites et sunnites, de type de celle qui a opposé en France Catholiques Papistes et Parpaillots Réformes, mais entre un pôle sunnite autour de l’Arabie Saoudite et un pôle shiite organisé autour d’éléments alaouites et shiites voire le Hezbollah libanais.

Dans l’exacerbation des crises régionales moyen orientales, il est évident qu’on a vu émerger ou ré-émerger la monarchie wahhabite comme un des acteurs principaux de cette polarisation de crise et de l’amorce de leur transformation, côte sunnite. Le déclenchement de ce point de durcissement de l’Arabie a été l’accord sur le nucléaire iranien du 14 juillet à Vienne, signant le retour de l’Iran dans le concert des nations et la volonté de la communauté internationale de renouer avec l’Iran comme un acteur incontournable dans la résolution de crise que connait le Moyen Orient. Une étape absolument essentielle.

Arabie Saoudite, dictature protégée, a-t-on écrit ? Aujourd’hui, de fait, la gar­dienne du wahhabisme est moins protégée, on assiste à une fuite en avant d’un durcissement face à la confrontation avec l’Iran, sinon à des tentatives de gestion de crise. Le 25 janvier se tiendront les négociations de Genève, suivra la visite à Paris du Président Rouhani. Face à ces nouvelles évolutions du contexte géopolitique, l’Iran peut devenir un acteur de stabilité dans cette région. Acteur étrangement mis à mal cet été par l’accident de Mina à la Mecque. Parmi les milliers de victimes shiites piétinés se trouvait l’ancien ambassadeur d’Iran à Beyrouth, objet de trois de tentatives d’attentat par Al Qaida.

Tout cela nous ramène à ce piège tendu par l’Arabie Saoudite face au retour de l’Iran à travers des événements tragiques comme l’opération des décapitations dernières et l’exécution du cheikh entraînant le saccage de l’ambassade de l’Arabie Saoudite à Téhéran. Seul le saccage de l’ambassade a été immédiatement condamné par le conseil de sécurité et a déclenché une réunion extraordinaire de la ligue arabe. Evénement piège pour faire sur réagir Téhéran, pour que les puissances in­ternationales jugent les Iraniens infréquentables. L’Iran en évitant de rentrer dans cette escalade nous ramène à des perspectives géopolitiques plus larges. Quand les Américains ont poussé à la finalisation des accords de Vienne, ils défendaient les intérêts des États-Unis dans le Pacifique et en Asie centrale, l’obsession américaine étant, à vingt ans, de contenir la Chine voire le retour de la Russie. D’où la nécessité de cette normalisation de fait de l’Iran. Mais, dans le jeu les Américains il est néces­saire de contrebalancer ce retour iranien, sur le plan pétrolier et militaire, nécessité pour l’équilibre de la région, en favorisant à nouveau l’existence d’un pole sunnite, pour empêcher le cauchemar décrit par le roi de Jordanie de se réaliser.

Ce pôle ne peut que s’organiser autour de l’Égypte, mais elle est sans moyens et sans argent ; le maréchal Sissi a du mal à apurer le solde les factures d’un an de pou­voir des frères musulmans. Ce rééquilibrage nécessite donc la présence saoudienne, et c’est la raison pour laquelle les Américains vont aider les Saoudiens à sortir du guêpier yéménite. L’administration américaine devra convaincre Ryad indépen­damment des luttes de succession, il faudra bien revenir à un certain équilibre entre les deux mondes dans la mesure où les « tables de la loi » dans cette région demeure le pacte Quincy du 14 février 1945 « pétrole contre sécurité » pour 60 ans, renou­velé pour 60 ans en 2005 par l’administration Bush. Le pacte du Quincy demeure le point de repère dans cette crise pour un rééquilibrage momentané d’une situation régionale. Intéressant de voir que Les trois pays importants Israël, la Turquie et l’Iran, sont des pays non arabes.

L’Arabie Saoudite et la Turquie ont pris l’Iran en étau, de provocations en pro­vocations pour ralentir le retour de l’Iran. Vu l’affaiblissement de la Turquie en

lutte contre les Kurdes, vus les problèmes d’Israël, l’Iran va s’imposer de facto la grande puissance régionale structurante d’un axe qui fait toujours articulation géo­graphique entre la Chine, l’inde et l’ancienne ère turkmène de l’empire ottoman.

Certes, cette réalité paraît un peu éloignée d’un traitement des sociétés civiles mais où se réitère une dialectique toujours curieuse entre sociétés civiles multiples et appareils d’état complexes.

 

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