Jean-Michel VERNOCHET
Politologue, écrivain et journaliste, il a dirigé l’ouvrage collectif
Novembre 2008
« Manifeste pour une Europe des peuples » aux Editions du Rouvre.
l’analyse qui suit a été rédigée au cours du printemps. En dépit des graves événements survenus entre-temps, elle n’a rien perdu de sa pertinence, au contraire. Les crises survenues depuis ont en effet largement confirmé les points de vue développés ci-après relatifs à ces multiples lignes de fracture qui parcourent l’Europe et l’environnement. Fissures internes avec la montée des indépendantismes et du communautarisme, failles externes avec nombre de conflits actifs ou potentiels à son immédiate périphérie.
Autant de menaces pour l’équilibre du sous-continent, bien présentes mais peu visibles de l’opinion car il n’est pas de bon ton d’en évoquer l’existence. Pourtant les mois écoulés, riches en crises politiques, diplomatiques et militaires, viennent d’en révéler toute l’importance et à partir de là, l’urgence à les traiter. De ce point de vue, sans doute faudra-t-il perdre l’habitude détestable de fuir les réalités et d’imposer au discours, tant politique qu’universitaire, un conformisme désolant dont l’usage abusif détermine à tout coup à plus ou moins long terme des conséquences dévastatrices.
Un seul exemple. Tout un chacun pouvait voir monter sur l’horizon l’orage de la crise financière depuis 2006, bien peu cependant n’en ont tenu compte dans l’élaboration de leur politique, ni les acteurs privés, ni les États. À telle enseigne que voici quelques mois encore le Président Sarkozy et ses conseillers n’ayant apparemment pas encore pris la mesure du risque d’implosion d’un système en perte de vitesse accélérée – un constat prévisionnel associé à un coefficient de probabilité excessivement élevé – se déclaraient favorables à l’introduction en France de ces fameux crédits hypothécaires – subprimes – qui sont l’origine même, précise, de l’effondrement de l’édifice financier mondial.
En l’occurrence, le dédain affiché des classes dirigeantes pour la réalité des faits aurait pu n’être qu’un moindre mal s’il n’avait été question que d’une simple correction des marchés. Autrement dit, si cet épisode n’avait été qu’une crise de liquidités n’affectant que la sphère des établissements financiers… Or, l’actuelle crise de solvabilité – une crise de confiance systémique – va inéluctablement entraîner dans son sillage une crise économique, récession voire dépression, dont nul ne peut prévoir ni l’ampleur, ni les conséquences.
Enfermés dans une bulle matricielle de pensée unique, gouvernants et membres de l’hyperclasse mondiale, malgré leur profession de foi de réalisme politique et parfois leur cynisme, font trop souvent l’impasse sur les données significatives et les tendances qui orientent ou pèsent lourdement sur l’avenir du monde et le destin des hommes. Nous ne répondrons pas ici au pourquoi de la chose !
Les problèmes les plus lancinants sont ainsi régulièrement évacués au profit presque exclusif des préoccupations à court et moyen terme, du pilotage à vue. Parce que leur résolution semble pouvoir être repoussée dans la mesure où la bulle n’a pas encore atteint sa taille critique – par exemple, pensons en France à cette bombe à retardement que constitue la question des banlieues ! Il n’en reste pas moins que tout regard avisé peut voir la bulle grossir à vue d’œil et dans le domaine financier la prévision est de nos jours dotée d’instruments de calculs particulièrement efficaces. Ou bien parce que l’on pense avoir le temps de transmettre le dossier brûlant à ceux qui vous succéderont dans vos postes et fonctions en vertu des règles d’alternance démocratique. Ou encore parce que le sujet sera transféré et traité par d’autres centres de décision. Ainsi Paris s’en remettant à Bruxelles pour prendre les décisions difficiles, c’est-à-dire non-consensuelles et pour lesquelles le courage ou la volonté politique lui font défaut.
Or, tous les contentieux ainsi évacués finissent par revenir un beau jour abrup-tement sur le devant de la scène en créant chaque fois des situations inextricables. C’est une constante de la physique politique : le Caucase à la remorque du Kossovo en est un exemple, les crédits hypothécaires à risque, un autre. Situations de crise qui ne trouvent alors d’issues qu’à travers des drames, des conflits, des déchirures sociales plus ou moins graves, plus ou moins violentes, plus ou moins lourdes de conséquences.
Les cas de figure sont multiples et l’actualité en regorge. Parmi les conflits dit gelés, la crise géorgienne du 8 août 2008 n’a été une surprise que pour les personnes non averties ou qui se refusaient à l’être. Crise annoncée notamment depuis la déclaration d’indépendance du Kossovo, province serbe, en déni du principe d’in-tangibilité des frontières, ce qui constituait de facto pour la Fédération de Russie un quasi casus belli diplomatique. Réponse du berger à la bergère donc à l’encontre de la politique à courte vue, ou excessivement machiavélienne, conduite par le camp occidentaliste, à savoir Washington pilotant Bruxelles.
Retenons de la crise du Caucase – assagie certes maintenant, mais pour combien de temps ? – qu’au contraire de ce qui en a été dit à destination des opinions publiques européennes, sa stabilisation actuelle est très loin d’être le succès médiatique-ment claironné et dont se sont prévalus les hauts représentants de l’Union, MM. José Manuel Barroso et Javier Solana et plus particulièrement l’actuel président de l’Union, M. Nicolas Sarkozy.
Si on laisse de côté les suites envisageables d’une crise affectant pour longtemps une région d’importance majeure, stratégiquement et énergétiquement parlant, force est de constater qu’elle a accentué ou approfondi une fissure déjà existante à bas bruit entre l’Europe orientale et l’Europe occidentale. La politique conduite par la présidence française il est vrai a certes conduit à un certain retrait des forces russes ; en fait une réussite en demi-teinte généreusement exploitée par les professionnels de la communication politique.
Parce que la réalité est ailleurs. Cette sortie de crise ne peut en effet pas être mise au compte d’une Union européenne parlant d’une seule voix, soudée par une intention et un projet communs. Loin de l’unanimisme de façade, elle a au contraire braqué l’Europe orientale [cliente des É-U – pensons entre autres aux installations controversées de missiles d’interception américains en Pologne et de radars d’acquisition en Tchéquie ; la crise géorgienne a d’ailleurs permis de faire aboutir ces projets en levant les réticences qui leur faisaient encore obstacle] contre une politique d’apaisement à l’égard de Moscou, politique fallacieusement consensuelle et conduite presque unilatéralement par Paris.
Il en résulte pour l’observateur attentif que l’UE n’est non seulement pas sortie renforcée de cette épreuve, mais que ses divisions, contenues et sous-jacentes jusque-là, apparaissent désormais au grand jour. À tel point que la présidence tournante assurée par la Tchéquie à partir du 1er janvier 2009 laisse présager d’un côté une réorientation substantielle de la politique européenne envers de la Russie et de la Biélorussie, et d’autre part à l’égard des États pro-occidentaux que sont l’Ukraine et la Géorgie. Perspectives qui, de façon tout à fait inédite, conduisent aujourd’hui Paris à chercher les moyens de court-circuiter la présidence tchèque* et à garder la haute main, sous couvert de gestion de la crise financière et économique, sur la conduite des affaires extérieures de l’Union…
La crise du système financier mondial vient par ailleurs accroître cette contradiction interne à l’œuvre au sein du noyau dur de l’UE et vient de se concrétiser dans le refus public de la Chancelière Angela Merkel de souscrire au projet de M. Nicolas Sarkozy visant à la création d’un gouvernement économique dans la zone Euro. Un paradoxe intéressant pour qui a présent à l’esprit que l’Union s’est construite autour et par l’économie et a cru trouver le ciment de son « projet » dans la monnaie unique !
La prise en considération du discord existant entre une Europe orientée à l’Est
- l’Ost politik allemande comme invariant des choix stratégiques de Berlin – et celle qui voit son extension naturelle dans le monde méditerranéen et au-delà, c’est-à-dire au sud, acquiert donc, en ces temps de crise, toute sa pertinence.
Conflit entre le grand Est européen et la rive orientale de la Méditerranée qui en temps ordinaire constituait déjà la matière d’arbitrages et de choix souvent difficiles
- on l’a vu lorsqu’il s’est agi d’élaborer un projet euroméditerranéen – est devenu aujourd’hui un facteur de tensions qui pourrait se révéler insoutenables. L’édifice européen, jamais vraiment consolidé et dont les buts n’ont jamais été jusqu’à présent clairement définis pourrait évidemment en pâtir. La question se pose de savoir si l’Europe finalement survivra à ses contradictions.
Car l’Europe de Bruxelles n’est en vérité qu’un conglomérat de nations dépérissantes, une entité sans limites définies, mais dont clairement les frontières sont celles de la guerre intérieure ou extérieure, active ou potentielle. Une ligne de feu qui parcourt de toute évidence l’Europe et sa périphérie, des Balkans (avec la Bosnie) à Afghanistan via l’Algérie (de nouveau depuis l’été dernier théâtre d’attentats singulièrement meurtriers), en passant par le Liban, le Kurdistan, l’Irak, le Darfour et le cas échéant, l’Iran.
La France vient de découvrir médusée après la mort d’une dizaine de ses soldats professionnels à proximité de Kaboul, qu’elle était en guerre en Afghanistan. Qui faut-il accuser de ce réveil bien tardif de l’opinion ? Les médias relayant des choix politiques conduisant à faire intervenir à l’extérieur des forces européennes, à l’insu, ou presque, de la société civile ? Ou de l’inertie de citoyens plus préoccupés des soucis de leur vie quotidienne et somme toute partiellement anesthésiés voire intoxiqués par des journaux télévisés atteignant des sommets de niaiserie désinformante ? De la même manière, l’UE européenne découvrira peut-être au détour d’un incident de frontières que ses troupes présentes sur des fronts de guerre divers et variés, viennent d’entrer en guerre sans que rien ni personne n’ait vu venir la catastrophe ? N’est-ce pas ce qui est arrivé au Caucase, comme aujourd’hui l’écroulement du château de cartes financier semble n’être un accident imprévisible, une quasi-catastrophe naturelle – ne parle-t- on pas de tsunami ? – relevant de la pure fatalité et de rien d’autre ?
* Le président français Nicolas Sarkozy, à l’issue de son mandat, le 31 décembre 2008, à la tête de l’Union, entendrait devenir président de l’Eurogroupe [institué en 1997 par le Conseil européen, il réunit chaque mois les ministres des Finances de la zone euro] et de demeurer par ce truchement au cœur de la politique européenne, notamment extérieure.
L’union pour la Méditerranée et les nouvelles frontières de guerre de l’europe
Qu’est-ce que l’Union pour la Méditerranée ? Ce n’est en fait que la nouvelle mouture du projet d’Union euro-méditerranéenne propulsé sur le devant de la scène diplomatique par le Président Sarkozy aussitôt son arrivée à la tête de l’État français. Une initiative qui n’avait pas eu l’heur de plaire à la chancelière allemande, Mme Merkel, jusqu’à refroidir pendant plusieurs mois les relations entre les deux pays. Aujourd’hui, la copie revue et corrigée pour satisfaire aux exigences allemandes, a été recentrée sur les Vingt-Sept et non plus sur les seuls riverains membres de l’UE. La remonté vers le Nord – vers Bruxelles qui pourrait en accueillir la présidence – du centre de gravité de l’UPM consacre en fait un retour à la case départ, celle du Processus de Barcelone initié en 1995 en vue d’un partenariat centré sur les questions de sécurité entre l’Union européenne et les pays riverains du Sud et de l’Est méditerranéen (1) .
À l’origine, l’UPM, a été une initiative toute personnelle du Président français inscrite dès ses premiers jours à l’Élysée en tête des priorités de son mandat à l’instar de l’Eurafrique, celle-ci remisée pour l’instant dans la pile des dossiers en attente. Une précipitation assez déconcertante compte tenu de la multiplicité des problèmes épineux auxquels le pouvoir doit faire face en France dans les circonstances présentes en raison d’une instabilité économique et sociale croissante dans le contexte d’une conjoncture internationale passablement dégradée à tout point de vue. Sans parler des besoins pressants de consolidation européenne proprement dite (sécurité intérieure et extérieure, sécurité énergétique, sanitaire et alimentaire, etc.), domaine dans lequel tout reste encore à faire… Pour ne pas parler de l’impasse politique où s’enferrent des institutions communautaires dont la légitimité se trouve contestée par l’Europe réelle, à savoir les « citoyens » de l’Union comme le « Non » irlandais du 12 juin 2008 en apporte une fois de plus la démonstration !
Une fragilité de l’édifice européen que vient donc de souligner ce vote sanction, mais l’arbre ne devant pas cacher la forêt, nous devrions plutôt observer que l’Union se trouve pratiquement sans défense collective au moment même où, le Président Bush à l’occasion de sa tournée d’adieu en Europe rappelait à Paris dans sa déclaration finale du 14 juin 2008 – de même M. Gordon Brown le 16 à Londres – à propos de l’Iran que « toutes les options restaient sur la table », en clair, n’excluant pas l’éventualité d’un conflit ouvert ! Car les tensions entre le camp occidental et la République islamique d’Iran ne prennent apparemment pas le chemin de l’apaisement en raison d’abord de l’intransigeance de l’Administration Bush, mais aussi sous la pression de lobbies néoconservateurs qui ne désarment pas.
Or aujourd’hui, la défense européenne demeure particulièrement embryonnaire, voire inexistante ; les armées des États membres soumises à de sévères coupes budgétaires ont été dans tous les cas réduites à l’état de fantômes (2) ; cela signifie que la défense européenne repose à présent, sans équivoque aucune, presque exclusivement sur le bon vouloir de l’Organisation du Pacte atlantique, l’Otan, sous haut commandement américain. Est-ce à dire que l’Europe serait de facto vassalisée ?
Pour clore ici le débat quant à la précipitation ayant prévalu à la mise en chantier de l’Union pour la Méditerranée, remarquons que personne ne semble s’être interrogé a priori sur les tenants et les aboutissants d’un tel projet, sur son origine, sa genèse et sans poser la question de son opportunité immédiate. Certes il est urgent d’engager une véritable concertation sur la préservation et la dépollution de la Méditerranée sauf à porter la responsabilité d’en faire une mer morte dans les prochaines décennies (3), reste qu’il y a tout à parier que l’affichage des objectifs environnementaux de l’UPM ne soit destiné à masquer les aspects sécuritaires et accessoirement commerciaux qui présideront à la construction d’un partenariat renforcé autour de la Méditerranée. On ne peut en effet que rester perplexe devant tant de hâte. Pour nous répéter, n’y avait-il en effet rien de plus urgent à entreprendre, par exemple en faveur du redressement économique d’une France en proie à l’inflation, surendettée et au bord de la déconfiture ? Rien à en faveur d’une construction européenne dont l’avenir paraît illisible comme le démontre une fois encore, et de façon cinglante, le « non » irlandais ?
Un projet dont l’opportunité est a priori contestable compte tenu des considérations précédentes, mais surtout dont la faisabilité est loin d’être acquise au regard des héritages anciennement conflictuels de la région : entre États arabes dont les divisions, voire les antagonismes sont une constante géopolitique, et pas seulement en raison du contentieux existant entre les nations arabes et l’État d’Israël à propos du règlement de la question palestinienne, foyer permanent d’instabilité régionale et toujours possible détonateur d’un embrasement général. Cela malgré quelques signes encourageants telles les discussions récemment ouvertes avec la Syrie, par Israël et avec Paris. Ouverture précaire et déjà contestée comme le montrent les réactions hostiles, dans le camp arabe, à la participation, le 13 juillet 2008, du Président Bachar-el-Assad au défilé du Quatorze Juillet à Paris, sur les Champs-Élysées !
Concernant l’UPM proprement dite, M. Alain Le Roy, ambassadeur français en charge du dossier, expliquait il y a peu qu’il est question pour l’essentiel d’une « union de projets (sic)… entre des pays d’intérêts convergents » (4). Une vision idyllique et une assertion qui laisse songeur si l’on considère l’Est et le Sud méditerranéen pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire des foyers récurrents de crises témoignant d’irréconciliables divergences structurelles entre des intérêts souvent antagonistes. Faut-il à ce sujet conclure, que Paris entendrait, par le truchement de cette Union pour la Méditerranée, participer à la mise en œuvre d’une solution miracle permettant de trouver enfin une issue raisonnable au différend israélo-palestinien ? Et alors même que le gouvernement de M. Olmert annonçait le vendredi 13 juin 2008, une extension substantielle des colonies à Jérusalem-Est ? Compte-t-il apurer la question du Sahara occidental qui oppose l’Algérie et le Maroc depuis 1976, conflit larvé qui traduit la persistance d’antagonismes plus profonds qui pour être discrets n’en sont pas moins profonds ? Ou encore rendre enfin viable l’Union du Maghreb Arabe, mort-née le 17 février 1989 ?
Le propos n’est pas d’entrer ici dans l’évaluation détaillée des chances de succès du projet français, mais plutôt de mettre en évidence des aspects négligés, ignorés ou masqués. Et en premier lieu dans le domaine de la sécurité collective, dimension qui sous-tend de bout en bout l’UPM tout comme elle constituait l’armature du Processus de Barcelone (1995), lequel se proposait d’organiser la sécurité dans l’espace méditerranéen en matière de terrorisme, crime organisé (trafic de drogue et traite d’êtres humains), immigration clandestine. Un processus, on le sait, resté inabouti.
Quant à l’ambitieux projet de la Présidence française, il s’agissait de toute évidence, en associant l’UE à travers ses membres riverains (Espagne, France, Italie), de créer un cadre alternatif à l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne, d’étendre et de pérenniser – à ciel ouvert – des partenariats normatifs entre Israël et les pays arabes. Liens déjà existant à travers le Processus de Barcelone et via un certain nombre d’accords par le truchement de l’Otan (voir infra), et de parvenir à une coopération active de la rive sud de la Méditerranée dans la sécurisation du trafic maritime, de Gibraltar au détroit des Dardanelles via Suez, et pour la lutte contre l’immigration clandestine. Un projet cependant quelque peu révisé à la baisse sous la pression d’un bloc continental conduit par l’Allemagne. Celle-ci abonnée à l’Ostpolitik voit à ce titre l’avenir de l’UE en priorité à l’Est, avec l’adhésion de la Turquie, l’achèvement de l’intégration de l’Europe balkanique, en vue d’une extension ultérieure pouvant aller, le cas échéant jusqu’à la Géorgie et l’Ukraine déjà candidate à l’Otan (sans préjuger des réticences de l’UE, dépendante de la Russie pour ses approvisionnements en gaz, à ces deux candidatures ; des réticences dont l’Otan a décidé de ne pas tenir compte en engageant unilatéralement le 16 juin 2008 la procédure d’adhésion de l’Ukraine).
Or, quel que soit le sort réservé, dans les mois et les années qui viennent, au projet d’Union pour la Méditerranée, il est clair que nous assistons à une Grande Transformation, une mutation qui échappe aux peuples et sans doute également aux gouvernements européens eux-mêmes. Dans cet « amas nébuleux » (Védrine) qu’est l’Union européenne, les équipes dirigeantes obéissent pour l’essentiel à la seule logique systémique de la recomposition géopolitique en cours – une logique qui avance selon sa propre inertie – cela sans avoir le plus souvent le réalisme, les capacités de prévision et le volontarisme politique, la présence d’esprit que nécessiterait normalement la gestion d’une telle conjoncture historique et événementielle. Transformation qui destine par conséquent – tendanciellement et sauf accident de l’histoire – l’Europe, vaste carrefour de libre-échange, à fusionner à moyen terme avec l’Amérique du Nord. Idée et projet non-dit, sous-jacent à toute la politique des États dominants de l’Union (R-U, France, Allemagne) que développe librement, sans l’ombre d’un complexe, l’ancien Premier ministre, proche du nouveau
Président, M. Balladur (5).
Maintenant, nous pouvons affirmer ici, sans risque de nous tromper, que la création de cette Union euro-méditerranéenne première appellation, ou l’Union pour la Méditerranée, permettra subsidiairement l’arrimage du Maghreb arabe à l’espace européen avec au final leur intégration dans un ensemble unique. Un projet qui participe de la reconfiguration géopolitique en cours, certes voulue et planifiée, mais difficile à maîtriser et pouvant échapper à tout moment à ses promoteurs ou aux apprentis sorciers qui s’essayent à redessiner la carte du monde. On l’a vu depuis 2003 avec la tentative catastrophique de transfert du modèle démocratique en Irak, et en ce qui concerne précisément l’UPM, on peut voir dans les hésitations du Libyen Kadhafi et de l’Algérien Bouteflika à s’afficher à Paris le 13 juillet 2008 au côté de M. Olmert, Premier Ministre israélien, pour le lancement officiel de l’Union pour la Méditerranée, les prémices de vraies difficultés à venir.
Que penser cependant des scrupules des deux chefs d’État et de la virulente sortie de M. Kadhafi au fugace sommet arabe de Tripoli réunissant le 10 juin 2008 les dirigeants de l’Union du Maghreb arabe (UMA) et de la Syrie, lorsqu’on sait qu’Algérie et Libye ont, sous l’égide de l’Otan et sous la houlette de la VIe Flotte, participé début avril à l’opération Phoenix Express 2008 ? Manœuvres participant de l’intégration sécuritaire de l’espace maritime méditerranéen en marche depuis 1995 avec l’UE et du Processus de Barcelone ; intégration amorcée en 1995 à Barcelone et relancée avec l’Otan en octobre 2001 et de l’opération Active Endeavour (6) en réaction au drame du 11/9.
L’Otan qui étend toujours plus avant sa présence en Méditerranée au moyen d’un maillage serré d’accords croisés que complète l’ «Initiative 5+5 Défense» lancée le 12 septembre 2003 à Lisbonne par le ministre français de la Défense, Initiative qui associe l’Algérie, la Libye, la Mauritanie, la Tunisie, le Maroc, la France, l’Italie, Malte, le Portugal et l’Espagne dans le cadre de l’OSCE ; un dispositif complété en juin 2004 à Istanbul par le Dialogue méditerranéen toujours sous l’égide de l’Otan ; on appréciera ici la dénomination de « Dialogue » pour des partenariats renforcés en matière de sécurité. Lequel « Dialogue » s’est attaché à la redéfinition de missions de contrôle et de coercition maritimes et au partage des rôles entre l’Algérie, l’Égypte, Israël, la Jordanie, le Maroc, la Mauritanie et la Tunisie (7).
Comment ne pas voir au final la convergence existante entre l’intégration de l’espace géopolitique méditerranéen sous couvert de l’Otan, en vertu d’une politique de sécurité à la mesure de défis globaux, et l’actuelle Union pour la Méditerranée dont l’important volet commercial (voyages du Président français sanctionné par la passation de volumineux contrats industriels et d’armements) ne doit pas masquer l’importance majeure du volet sécuritaire ? Comment enfin ne pas mettre en parallèle l’intégration méditerranéenne et l’avancement de l’Initiative Greater Middle East (8), de l’Atlantique à l’Indus, dont les médias ne parlent plus guère mais qui continue de progresser à bas-bruit. À telle enseigne qu’une éventuelle intégration euro-méditerranéenne – entendons la fusion de l’espace méditerranéen et de l’Union – paraît déjà en marche par le biais de partenariats avancés tels celui déjà passé avec la Turquie ou celui que le Conseil des ministres européens examinait le 16 juin 2008, dans la plus complète discrétion et le silence médiatique, avec l’État israélien ? Ces deux piliers, fondations de la future Union euro-méditerranéenne, pourraient alors en constituer la pierre angulaire (9).
Comment de ce point de vue ne pas concevoir que l’Union pour la Méditerranée, sortie tout armée de l’imagination féconde du Chef de l’État français, ne serait finalement qu’un sous-ensemble d’un dessein beaucoup plus vaste et plus ambitieux portant sur la démocratisation et l’intégration de l’aire Islamique et à partir de là englobé dans la sphère d’influence occidentale ? Une ambition déjà à l’œuvre en Afghanistan et en Irak – hélas, avec le succès que l’on sait – et qui commencerait à se concrétiser par le truchement de la Présidence française de l’Europe ? En tout cas, un agenda coïncidant avec l’actuelle poussée diplomatique en direction de la Syrie (engagement d’un dialogue sur la question du Golan avec Israël, reprise des relations avec la France) et de l’Autorité palestinienne à placer en regard de l’activisme déployé auprès des États du Maghreb pour la préparation du sommet de Paris à la mi-juillet. Tout cela, cependant, dans un réel contexte de confusion et de fragilité qui ne peut qu’engager au scepticisme et à s’interroger sur les intentions véritables des uns et des autres.
Reste que, comme nous venons de le voir, l’intégration du Maghreb, et en grande partie celle du Machrek, est déjà bien engagée : a priori par le truchement de l’Otan et d’un maillage d’accords de sécurité de plus en plus étroit et contraignant. Or si l’on regarde bien, c’est la même procédure qui a présidé à la construction européenne ces dernières années, surtout depuis 1999, avec les adhésions massives – la quasi totalité – des pays d’Europe orientale. Des admissions dans l’Union qui avaient eu pour préambule ou pour vestibule le passage obligé et préalable par l’Alliance atlantique (10). Faut-il y voir plus qu’un simple hasard si un tel schéma semble – bis repetita placent – se répéter autour de la Méditerranée ?
Au demeurant cette construction d’une « Union pour la Méditerranée » pourrait constituer à première vue un indéniable facteur de stabilité et servir utilement à la création d’une aire de co-prospérité Nord-Sud. Elle serait aussi pour le moins, lourde de conséquences… Ce dont nul ne semble vraiment se préoccuper tant le goût des conceptions grandioses, élaborées dans les officines washingtoniennes, semble l’emporter sur tout autres considérations de bon sens. En effet, nul ne s’interroge publiquement sur la signification de l’élargissement – la dilation devrait-on dire – de l’Union sans limites apparentes ou prévisibles, à l’Est et maintenant au Sud. Sauf quelques exceptions notables, par exemple Mme Merkel qui, mezzo voce, le 7 décembre 2007 caractérisait l’Union euro-méditerranéenne comme potentiellement «très dangereuse» en raison du risque de « libération de forces explosives par définition non souhaitables ». Déclarations à placer au regard de l’intervention du Président Sarkozy en clôture du sommet de Rome (20 décembre 2007) où il avait fait endosser, volens nolens, son projet à MM. Prodi et Zapatero : « En Méditerranée se jouera la pire de guerres ou la meilleure des paix… En Méditerranée se joue une partie de l’avenir de l’Humanité ». Propos à connotation millénariste montrant que nos dirigeants n’ignorent pas, malgré tout, la réalité des enjeux liés, aujourd’hui plus que jamais, à ces grandes manœuvres militaires, économiques et diplomatiques euro-méditerranéennes qui ont pour théâtre d’opérations le sous-continent européen, la Péninsule arabique et l’Afrique du Nord (voir note 2 & 17).
Dans ce contexte « global » faisant intervenir divers projets d’unification géopolitique, l’intégration des espaces européens et méditerranéens au sein d’un vaste ensemble satellite de la Puissance atlantique où les États devenus virtuellement, ou en tout cas politiquement, inexistants au sein de méga-structures fédérales, se verront confier des fonctions essentiellement supplétives. Des fonctions notamment d’ordre militaire au sein de l’Otan en vue d’étendre l’espace euratlantique, euromé-diterranéen, eurafricain et au-delà, en terre d’Islam, jusqu’en Asie centrale.
Ceci n’est évidemment pas une vue de l’esprit, l’Europe étant aujourd’hui en guerre, aux côtés de son mentor nord-américain, en Afghanistan ! De ce point de vue, l’intégration euro-méditerranéenne avec les partenariats avancés de la Turquie, et de façon imminente, avec l’État hébreu, repousse les frontières de l’UE aux abords des champs de bataille proche-orientaux. En liant son destin, au-delà des accords déjà existants, à celui d’Israël l’UE prend le risque d’être partie prenante dans le conflit israélo-palestinien dont rien n’indique vraiment une issue prochaine, lequel constitue toujours l’amorce potentielle d’un embrasement plus large. Surtout si l’on tient davantage compte de la sociologie politique régionale que des positions prises par des gouvernements fort peu représentatifs.
Pour nous résumer, faut-il plus amples démonstrations pour établir les équations géostratégiques suivantes : l’Union européenne = l’Otan ; l’Union pour la Méditerranée = l’Otan ; l’Otan = guerres de normalisation pour l’expansion et le contrôle de la sphère d’influence occidentaliste (terme pris d’Hubert Védrine). L’Union européenne, ensemble mou, diffus et confus, en divorce avec l’Europe réelle qui la sanctionne à chaque consultation référendaire (France, Hollande, juin 2005, Irlande en juin 2008) est à la fois intrinsèquement dépendante de l’Alliance atlantique pour sa sécurité collective, et pire, s’attache à faire une constante de sa politique extérieure de se faire le relais de la politique des É-U dans ses aspects les plus contestables.
Ainsi, lorsque les eurocrates faisaient du slogan « l’Europe c’est la paix », leur argument clef pour faire adopter en 2005 le projet de Traité constitutionnel rebaptisé par la suite Traité de Lisbonne, ils nous invitaient à un déni de réalité : le démantèlement de la Fédération yougoslave aura coûté sept années de guerre et de malheur à l’UE entre 1992 et 1999 avec en bouquet final 78 jours de frappes sur la Serbie (58 700 missions de bombardements). Une première guerre intra-européenne depuis la Seconde Guerre mondiale, avec pour agresseur du fort au faible, l’Otan, alliance officiellement défensive ! Et en conclusion, l’indépendance de la province du Kossovo le 17 févier 2008 remettant en cause le principe irréfragable d’intangibi-lité des frontières, ouvrant par là même la boîte de Pandore de toutes revendications communautaristes présentes et à venir en Europe et ailleurs.
Une indépendance obtenue au prix fort (en vertu d’un calendrier international surchargé – l’accélération de l’Histoire ? – le 15 juin 2008 marquait l’entrée en vigueur de la constitution kossovare) qui n’est en rien un facteur de stabilité dans les Balkans, au contraire, comme on a pu le voir lors des élections législatives accompagnées de violences en République de Macédoine le 1er juin 2008. Ces élections rejouées partiellement le 15, montrent s’il en était besoin que la question des minorités albanophones est loin d’être encore réglée. Nous avons là, par conséquent dans l’Union européenne, ce qu’il convient d’appeler une frontière de guerre intérieure, où, malgré et à cause de l’indépendance du Kossovo, subsiste un foyer persistant de déstabilisation (11) faisant écho, en Moldavie, aux revendications sécessionnistes, la Transnistrie.
Ajoutons à ce sombre tableau balkanique tracé à grands traits, parmi les candidats à l’Otan et potentiellement aspirant à l’adhésion européenne, la Géorgie dont les territoires d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie réclament à cor et à cris leur indépendance. Sans oublier le Haut-karabakh en Azerbaïdjan, celui-ci membre du Conseil de l’Europe ! Des conflits gelés selon la terminologie consacrée, qui, apparus dans les années 90 avec l’implosion de l’Union soviétique, relèvent tous peu ou prou de la politique de voisinage de l’UE. Des conflits au demeurant pas si gelés que ça si l’on considère les actuels déploiements de troupes en Abkhazie, les drones d’observation abattus et les attentats d’Ossétie du Sud.
À l’Est de l’union, de la Mer noire à la Caspienne, s’égrène ainsi une chaîne de conflits latents non résolus. Plus grave, l’entrée dans l’Union de la Turquie, que des voix autorisées annoncent aujourd’hui devoir se faire suivant des délais raccourcis, apportera à l’Europe trois authentiques frontières de guerre : avec l’Iran d’abord que
l’Occident semble éprouver un malin plaisir à mettre le dos au mur… Mais l’analyse de la crise iranienne n’a pas sa place ici ! Une guerre que l’ancien ministre des Affaires étrangères d’Allemagne, M. Joschka Fischer, ne semble pas devoir exclure a fortiori lorsqu’il déclare fin mai 2008 «He [Bush] seemed to beplanning, together with Israel, to end the Iranian nuclearprogram — and to do so by military, rather than by diplomatic, means» (12), autrement dit l’hypothèse de frappes sur l’Iran demeure vraisemblable et celles-ci pourraient le cas échéant intervenir avant même la fin de la présidence américaine ; analyse reprise récemment à mots couverts dans les matinales de France Culture par l’ex-ministre français Hubert Védrine.
Qui peut en fin de compte vouloir ignorer que l’Otan, c’est-à-dire l’Union européenne sous commandement américain, livre depuis l’hiver 2001 une guerre sans fin en Afghanistan sous couvert d’une mission de stabilisation à laquelle participent des forces européennes et françaises dont il est prévu pour ces dernières qu’elles s’étofferont prochainement d’un contingent supplémentaire de 700 hommes appelés à monter en première ligne dans la province de Kandahar ? M. Gordon Brown, Premier britannique, vient aussi, pour sa part, de faire ce 16 juin encore, l’annonce d’un envoi similaire de troupes à l’occasion de la visite à Londres du Président américain (13). Notons au passage l’habituel habillage de mots et le travestissement orwellien des réalités : les guerres contemporaines sont rebaptisées mission de stabilisation, opération humanitaire pour la paix.
Les chiffres de l’engagement Union européenne/Otan en Afghanistan, dans les Balkans, au Liban (14) où il avait été prévu durant l’été 2006 qu’après l’arrêt de l’offensive israélienne des forces de l’Otan seraient déployées sous mandat de l’Onu ou simplement eurafricaine au Darfour (15), zone de combat (une offensive en cours ce 16 juin avec l’avancée de colonnes rebelles au Tchad) où l’Otan (16) est déjà discrètement à l’œuvre. Une Union européenne servant de paravent comme au Liban (voir note 14 & 16) et au Darfour où l’Otan assure la logistique des forces de l’Union africaine… Des chiffres et des faits suffisamment éloquents pour asseoir l’idée d’une Europe entièrement asservie – au sens d’au service – à la politique américaine sur toutes les zones de fracture ouvertes par le déclenchement de « la guerre sans limites » officiellement engagée par le Président des États-Unis au lendemain du 11 Septembre 2001. Hostilités tous azimuts à l’encontre des verrous de souveraineté pouvant contrarier la politique d’expansion et de contrôle des zones d’intérêt vital pour les É-U du point de vue géoénergétique, géoéconomique, géostratégique. Une situation qui a cependant le mérite de nous donner une image d’une grande netteté du monde à venir, un monde dominé tout à la fois par le commerce et la guerre.
On aura compris que les frontières réelles de l’Europe se trouvent être celles où l’Europe combat ou est appelée à combattre directement ou indirectement aux côtés des troupes américaines en tant que force supplétive intégrée sur les marches orientales de l’empire nord atlantique. Notons que les mots ne doivent pas faire peur, le mot d’empire pas plus qu’un autre ; nulle grandiloquence dans son usage car il est tout à fait approprié à la chose qu’il nomme. En se refusant à utiliser les mots exacts, on se refuse de voir les choses dans leur réalité, autrement dit dans leur vérité.
De ce point de vue, il est d’une grande urgence aujourd’hui que les yeux se dessillent, ceux des politiques comme ceux du citoyen lambda. L’Union européenne contrairement à l’idée que l’on s’en fait, à commencer par la majorité des européistes, n’a pas vocation dans le schéma global à un développement autonome, à l’exercice d’une quelconque souveraineté politique, au libre choix de son destin. Des faits de plus en plus contraignants sont là pour nous le rappeler sans cesse : l’horizon visible de l’Union est celui de la guerre, instrument de reconfiguration géopolitique dans un monde en cours de globalisation. La guerre qui est aussi depuis 1939 – depuis que le spectre de la Grande dépression est revenu hanter l’esprit des dirigeants américains – un outil permanent de régulation économique. Un fait que la Guerre froide et l’affrontement des Blocs Est et Ouest ont certainement occulté, mais qui est actuellement plus qu’un exutoire aux crises cycliques du système, une constante de régulation de l’hypercapitalisme moderne.
Les derniers conflits, la guerre du Golfe en 1991, la Serbie, en 1999, l’Afghanistan en 2001, l’Irak en 2003 ne peuvent donc se comprendre en dehors du schéma économique dominant. Or, il est un nouveau mur de Berlin qui menace de s’écrouler, le $… Quelles pourraient être les conséquences de sa chute ? Quelles décisions interviendront à très court terme pour tenter d’arrêter le cours inéluctable des logiques systémiques ? La guerre comme moyen de régulation est une réponse évidemment possible.
À ceux qui s’interrogent encore pour savoir où s’arrête l’Europe, nous ne pourront apporter aucune réponse qui n’appartient déjà à l’histoire et à la géographie. En revanche pouvons-nous maintenant dire où l’Europe s’achève. Les frontières de l’Union se trouvent quelque part au sud de Kaboul dans les steppes afghanes, sur la Terre des Fours, dans les Balkans, la Vallée de la Bekaa, au Sahel ou dans les banlieues d’Alger..(17).
Notes
- Hors le Processus de Barcelone, les relations Méditerranée-UE sont réglées à travers le partenariat Euromed et la politique européenne de voisinage. Le partenariat Euromed comportait des accords d’association ainsi que des actions régionales de coopération. La PEV quant à elle est une politique unilatérale de l’UE qui propose à un certain nombre de pays dits de voisinage, dont les riverains de la Méditerranée, un partenariat fondé sur des plans d’action négociés bilatéralement.
- Paris annonçait le 16 juin 2008 (Livre blanc de la Défense) une réduction de 54 000 personnels de ses effectifs militaires (terre-17%, air-25%, mer-11%) au cours des années à venir. Coupes qui s’inscrivent de façon complémentaire plutôt que contradictoire, dans la perspective affichée par M. Sarkozy d’œuvrer à la mise sur pied d’une amorce de Défense européenne pendant la présidence française de l’UE entre juillet et décembre 2008. Une défense collective destinée à compléter le dispositif Otan… Sans doute suffit-il pour en être convaincu de se référer aux propos de Mme Victoria Nuland, ambassadrice des É-U à l’Otan, et épouse du néoconservateur Robert Kagan, dans lesquels elle apporte tout son soutien au Président français en vue d’établir « a stronger, more seamless relationship between the EU and NATO ». En effet, l’accroissement des dépenses de défense en France (actuellement 2,3% du Pib) est directement lié à l’engagement de la France aux côtés des É-U, notamment au PO. Ainsi dans le Golfe où les forces françaises apparaissent aujourd’hui comme sous-traitantes : le 15 janvier 2008 était décidée l’installation d’une base navale à Abou-Dhabi venant s’ajouter à une présence militaire plus ancienne à Qatar. Une Défense européenne plus étoffée est de cette façon éminemment souhaitée à Washington en ce qu’elle permettra, par le truchement de l’Otan, d’accroître la présence européenne sur les divers théâtres d’opération suscités par la politique d’expansion des É-U (voir infra) à commencer par l’Afghanistan. Le 17 juin 2008 pour lever toute équivoque à ce sujet, le Président Sarkozy annonçait officiellement la rentrée de la France dans le commandement intégré de l’Otan, mettant ainsi de facto les forces françaises à disposition du Bloc
- Déjà en Méditerranée les thons rouges se raréfiant (un domaine où la France s’illustre par ses pratiques de sur-pêche et ses trafics de quotas revendus entre autres à des pêcheries turques), la Commission européenne vient le 13 juin 2008 de suspendre sine die la pêche industrielle de cette espèce jugeant les quotas de prélèvement atteints. Déjà menacée par la pollution, la Méditerranée est aujourd’hui mise en coupe réglée notamment les industries japonaises de pêcheries, lesquelles traquent les bancs par satellite et font un usage extensif de filets pélagiques dérivants souvent longs d’une centaine de kilomètres (100 Km) !
- Al-Ahram Hebdo 26 déc. 2007 – 1 janv. 2008. M. Alain Le Roy : entretien « L’Union pour
la Méditerranée est une union de projets ».
- Édouard Balladur, par ailleurs Président de la commission pour la réforme constitutionnelle, co-dirigée par M. Jack Lang qui fait subrepticement évoluer le régime de la Ve vers la VIe République, a publié en novembre 2007 (Fayard) un texte plaidant sans équivoque « Pour une Union Occidentale avec les É-U».
- En juin 2008, d’après les informations fournies par l’Otan, plus de 75.000 navires avaient été soumis à un contrôle de sécurité et une centaine de bâtiments suspects arraisonnés. Y participent : les Forces navales permanentes déployées par l’Otan en Méditerranée dans l’Atlantique ; la Grèce, l’Italie, l’Espagne et la Turquie, contribuent directement à l’opération, en mettant à sa disposition des moyens navals ; Allemagne, Danemark et Norvège y sont également impliqués… Mais la liste n’est pas limitative : depuis 2004 l’Alliance Atlantique s’est donné pour objectif d’associer ses partenaires de dialogue méditerranéen à ses missions en Méditerranée dans le cadre d’Active Endeavour : début juin 2008 on annonçait ainsi la participation du Maroc aux opérations en particulier pour le contrôle du détroit de Gibraltar où quelque 3000 navires de commerce transitent par jour.
- Le Dialogue pour la Méditerranée associe les 26 membres de l’Otan (dont la Turquie) à la Mauritanie, le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, l’Égypte, la Jordanie et Israël. À partir de 1994, l’Otan avec ses partenaires du Dialogue méditerranéen assure la surveillance de l’espace maritime méditerranéen de la Mer Noire à Gibraltar. Aujourd’hui les forces navales algériennes et marocaines sont ainsi progressivement intégrées au dispositif Otan, notamment dans le cadre d’accords passés avec Ankara dont l’alliance stratégique avec Tel-aviv remonte à avril 1996.
- Présentée pour la première fois lors du Forum de Davos en janvier 2004 cette Initiative est officialisée en juin de la même année pendant le Sommet du G8 à Sea Island (Georgie). Il s’agit d’un vaste programme transcontinental censé encourager l’extension du système démocratique à la quasi-totalité de l’aire islamique, du Maroc au Pakistan.
- Le 16 juin à Luxembourg, le conseil des ministres des affaires étrangères des Vingt-Sept devait entériner un partenariat avancé avec Israël. Ce qui signifie une intégration quasi complète au sein du marché unique, dans les institutions européennes avec la participation des ministres israéliens dans les conseils européens et des experts dans tous les programmes et groupes de travail ! « Ce qui équivaudrait à conférer à l’Etat juif un statut de quasi-membre de l’UE » comme le souligne le journal Le Monde dans son édition du 7 juin.
- La Pologne, la Hongrie et la Tchéquie intègrent l’Otan, en 1999, en mars 2004 ce sont les pays baltes, Estonie, Lettonie, Lituanie, et la Bulgarie, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie en 2004. La cartographie des adhésions à l’Otan donne une image parfaitement fidèle de l’extension progressive de l’UE à l’Est. L’Otan réunit 24 pays européens et 2 États Nord-américains, mais quasiment tous les pays de l’ancien bloc de l’Est, à l’exception de la Russie, y ont adhéré, ont coopéré avec elle, ont fait acte de candidature. Ainsi, le 6 mars 2008 les ministres des Affaires étrangères de l’Alliance atlantique ont avalisé les candidatures de l’Albanie et de la Croatie. Les candidatures de la Géorgie, de la Macédoine et de l’Ukraine sont pour l’heure en attente malgré la forte pression de Washington. Le secrétaire général de l’Otan, Jaap de Hoop Scheffer a déclaré : «L’OTANsalue les aspirations euro-atlantiques de l’Ukraine et de la Géorgie», candidatures qui seront réexaminées fin 2008.
- Le Kossovo est aujourd’hui reconnu comme État indépendant par 42 pays dont les Etats-Unis et une majorité d’États membres de l’Union européenne. Réunie à Bruxelles, l’OTAN a annoncé le 13 juin 2008 la création d’une nouvelle force de sécurité, baptisée KSF forte de 2 500 hommes et destinée à épauler la KFOR dans ses missions de protection civile (entendre par là éviter l’épuration ethnique des derniers Serbes du Kossovo). 600 militaires britanniques viennent de rejoindre les 16.000 hommes de la KFOR déjà en place. L’UE prévoit également une mission judiciaire et policière (EULEX) de 2.200 hommes pour aider les autorités du Kosovo à garantir l’Etat de droit et les droits de la minorité serbe. Toutes dispositions qui parlent d’elles-mêmes quant à la paix régnant 9 années après la fin des bombardements massifs de l’Otan.
L’UE entretient par ailleurs l’EUFOR-Althéa, Force multinationale de stabilisation en Bosnie-Herzégovine qui se compose actuellement de 2 455 militaires, dont 347 Allemands, 333 Italiens, 130 Français, 74 Néerlandais et 18 Britanniques, ainsi qu’une mission policière dans ce pays (167 agents de police et civils originaires de l’Union).
- Publié dans le « Daily Star», quotidien libanais de langue anglaise.
- Les chiffres ci-dessous donnent une idée de l’engagement de l’Europe en Afghanistan -membres de l’Union et non membres en gras – que l’on peut qualifier à ce titre de « guerre européenne » sous commandement amé 70 000 hommes sont présents sur le terrain au sein des deux forces multinationales, la Coalition-Opération Enduring Freedom et la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS) de l’Otan sous commandement américain qui comporte quelque 52 700 soldats (contre 36.000 il y a 16 mois) appartenant à 40 nationalités dont 23 500 Américains. L’ISAF souligne sur son site que les chiffres au 10 juin 2008 ne reflètent pas le nombre exact de militaires sur le terrain. Dispositif qu’un nouveau contingent de 3000 Américains devrait renforcer en 2009, sans compter les troupes supplémentaires promises le 16 juin par M. Gordon Brown.
Allemagne : 3.370 hommes – Belgique : 375 – Bulgarie : 420 – Canada : 2.500 -Danemark : 690 – Espagne : 800 – Estonie : 120 – Etats-Unis : 23.550 – France : 2.200 (dont un renfort de 700 soldats et un détachement de forces spéciales annoncé en avril)
- Royaume-Uni : 8.530 – Grèce : 150 – Hongrie : 205 – Islande : 10 Italie : 2.350 -Lettonie : 75 – Lituanie : 200 – Luxembourg : 9 – Norvège : 580 – Pays-Bas : 1.770
- Pologne : 1.140 – Portugal : 165 – Tchéquie : 370 – Roumanie : 570 – Slovaquie : 70
- Slovénie : 70 – Turquie : 760
Contingents des pays non-membres de l’Otan : Albanie : 140 – Australie : 1.100 -Autriche : 2 – Azerbaïdjan : 45 – Croatie : 210 – Finlande : 65 – Géorgie : 1 – Irlande :
7 – Jordanie : 90 – Macédoine : 140 – Nouvelle-Zélande : 160 – Singapour : 2 – Suède :
250 – Ukraine : 3.
Croissance des effectifs de l’ISAF depuis sa création : août 2003 : 5.581 hommes – août 2004 : 8.065 – juillet 2005 : 9.685 – septembre 2006 : 19.597 – novembre 2007 : 31.267
- mars 2008 : 47.332 – juin 2008 : 52.700.
- À l’issue du conflit israélo-libanais de juillet-août 2006, l’Otan n’a pas été conviée à participer aux opérations de maintien de paix. Avec l’arrivée du destroyer USS Cole au large des côtes du Liban le 28 février 2008 les choses changent, la marine de guerre affectée à la FINUL – composées d’une dizaine de bâtiments détachés des maries italienne, grecque, turque, allemande, espagnole – passe sous commandement mixte Onu/Otan. À partir du 29 février les navires italiens, français, espagnols, relèvent de la Force maritime européenne, l’Euromarfor, une entité encore semi-virtuelle tant que le Traité de Lisbonne ne sera pas entré en vigueur (le non irlandais bloquant aujourd’hui le processus de ratification). En l’état actuel, l’Euromarfor peut être activé soit au titre de l’article 5 du Traité de Bruxelles modifié (Union de l’Europe Occidentale – UEO), soit au titre de l’article 5 du Traité de Washington (Organisation de l’Atlantique Nord – Otan). Ici c’est l’Otan qui est intervenu. Déjà l’Euromarfor participait durant l’automne 2002 à l’opération Coherent Behavior en Méditerranée orientale dans le cadre ddEnduringFreedom ; en outre l’Euromarfor contribua à la surveillance du trafic maritime dans l’Océan indien entre février 2003 et décembre 2004, puis à partir d’août 2005.
- La résolution 1778, votée le 25 septembre 2007 par le Conseil de Sécurité de l’Organisation des Nations Unies, a autorisé l’Union européenne à déployer aux frontières tchadienne et centrafricaine du Darfour 3 000 hommes placés sous commandement irlandais. La Force européenne (Tchad-RCA) est actuellement positionnée dans l’est du Tchad alors que le détachement multinational de Birao (RCA) est d’ores et déjà sous commandement de l’EUFOR.
- Voir « Maghreb-Machrek » n°193. octobre 2007 « Le Darfour, de la crise politique au choc pétrolier » par Jean-Michel Vernochet. Depuis juillet 2005, l’OTAN a aidé à acheminer au Darfour et à rapatrier quelque 24 000 soldats « de la paix » et plus de 500 policiers civils originaires des pays africains fournisseurs de troupes pour l’Union africaine.
- On sait que le Darfour n’est au fond que l’un des aspects des guerres qui émaillent d’un arc de crise qui va grosso modo de Djibouti à Nouakchott ; une bande sahélienne comprenant en priorité le Tchad, le Niger, le Mali, l’Algérie et la Mauritanie, et qu’englobe la PSI américaine, la Pan Sahel Initiative, laquelle relève depuis 2007 d’un commandement spécifique pour l’Afrique. Initiative qui justifie la présence des forces spéciales américaines au Sahel où elles encadrent et forment des unités locales de lutte contre les éléments supposés des Groupes salafistes pour la prédication et le combat (GSPC puis Al Qaïda au Maghreb en janvier 2007).
Quelques rappels éclaireront l’état des lieux :
Le 4 janvier 2003, peu avant l’arrivée à Alger d’une délégation militaire américaine, un groupe du GSPC attaquait un convoi près de Batna, tuant quarante-trois soldats. Le coup d’envoi était donné à l’intensification de la coopération américano-algérienne pour la sécurité dans la bande sahélienne. Sur le même modèle, survient en juin 2005 une affaire spectaculaire qui sera présentée par les services algériens et l’Administration américaine comme la preuve tangible de l’implication d’Al Qaïda, via le GSPC, en Afrique du Nord.
Le 4 juin 2005, un groupe d’une centaine d’hommes fortement armés, disposant d’une douzaine de véhicules, attaque une caserne de l’armée mauritanienne à Lemgheity près de la frontière algéro-malienne. L’attaque fait dix-huit morts et vingt blessés parmi les soldats mauritaniens, cinq des assaillants sont tués. Dans un communiqué Al Qaïda revendique l’opération. Coïncidence remarquable, cette revendication intervient deux jours avant le début en juin 2005, au nord du Mali et du Niger, de manœuvres conjointes baptisées
Flintlock 2005 impliquant 3 000 soldats de 8 nationalités africaines et 700 hommes des forces spéciales américaines ; des manœuvres organisées par ailleurs dans le cadre de la Trans-Saharian Counter-Terrorism Initiative par le commandement des forces américaines basé en Europe.
Aujourd’hui les armées mauritanienne, malienne et nigérienne, algérienne et libyenne se voient engagées, à travers la lutte dite anti-terroriste, dans un processus de normalisation de leurs armes, de leurs moyens et procédures de défense sur le modèle américain. N’avons-nous pas vu que l’unification géographique et politique d’une région commence par l’intégration des armes et des armées selon les normes Otan, et que l’unification des structures de l’État du reformatage des forces armées prélude – toujours – à des reconfigurations ou fusions géopolitiques ?
Aujourd’hui, entre la vague d’attentats meurtriers qui touche l’Algérie et les violentes manifestations contre la malvie qui secouent le Maroc et la Tunisie, beaucoup se posent la question de savoir si le Maghreb n’est pas en passe de s’embraser ?
L’éventualité d’une irakisation de l’Algérie est à ce propos clairement évoquée : dimanche 8
juin 2008 un double attentat visant les employés d’une société française fait 13 morts ; le
11 juin l’agence Reuters annonce la mort de 20 personnes dans la ville de Bouira dans un
attentat ; le jeudi 5 à Cap Djinet, à l’est d’Alger, 6 militaires sont tués par une explosion
visant leur convoi, la veille deux attaques simultanées avaient ciblé une caserne de la garde
républicaine à Bordj el-Kiffan__
Alors, l’Union européenne devra-t-elle faire face le cas échéant à un chaos algérien faisant échos aux drames irakien et afghan comme l’énoncé de ces faits pourrait le laisser imaginer, supposer ou prévoir ?
En quoi le projet d’Union pour la Méditerranée peut-elle, dans un contexte d’instabilité régionale croissante, constituer l’amorce d’une solution à des problèmes structurels nationaux, inhérents à l’histoire du Maghreb et aux régimes qui le gèrent depuis les indépendances. Problèmes aggravés par une crise internationale qui se manifeste par l’inflation, les pénuries alimentaires, les effets désastreux de la survenue avec vingt ans d’avance du pic de production pétrolière ?