Jean-Michel VERNOCHET
Politologue, écrivain et journaliste
L’EUROPE, GÉANT ÉCONOMIQUE ET NAIN POLITIQUE, ne parle pas d’une seule voix – et c’est le moins que l’on puisse dire – surtout lorsqu’il s’agit d’envisager selon quelles voies construire un partenariat, éventuellement stratégique, avec ce grand voisin qu’est la Russie.
Il n’est cependant pas ici envisageable de traiter de façon exhaustive la question des relations UE/Russie eu égards à sa complexité, à sa constante mobilité et en raison des multiples interactions qui entrent en jeu. Interactions en particulier avec ce qu’il convient de nommer la grande stratégie américaine en œuvre au sud de l’espace Russe dans de ce Rimland qui court des colonnes d’Hercule, de l’Atlantique donc, à l’Asie centrale via le Levant et incluant en outre les Balkans, l’Asie mineure et le Caucase…
Des interférences également liées à la gestion du dossier iranien, aux crises de Géorgie et d’Ukraine, au conflit afghan et à ses débordements sur le sol pakistanais, tout cela sur fond d’âpre concurrence pour le contrôle des sources d’énergies fossiles et pour les zones de passage ou d’accès autrement nommées couloirs de transit énergétique… .voies d’acheminement d’une valeur géostratégique équivalente à celle des gisements eux-mêmes. Tels sont d’ailleurs les véritables enjeux de l’actuelle guerre afghano-pakistanaise aux abords immédiats de la zone d’influence de la Fédération de Russie. Un conflit dans lequel l’Union européenne se trouve profondément engagée aux côtés de son allié d’Outre-Atlantique et qui depuis 2004 prend de plus en plus mauvaise tournure.
Les paramètres qui interviennent sont donc multiples, évolutifs, instables en dépit des repères (constantes et tendances lourdes) que fournissent la géographie politique et la durée historique… Parmi ceux-ci, une lente mais sûre dégradation des relations Est/Ouest au cours de la dernière décennie.
Des rapports aigre-doux avec l’UE qui, par exemple, ne bénéficient plus de l’ancrage d’intérêts économiques partagés dans le cadre d’échanges institutionnalisés : XAccord de partenariat et de coopération (APC) de 1997 qui devait préparer la création d’un espace de libre-échange russo-européen est ainsi venu à échéance en décembre 2007 sans avoir été prorogé. Notons à ce sujet que le « Partenariat oriental » annoncé un an plus tard, en décembre 2008 par la Commission de, Bruxelles entendait relancer les échanges économiques et commerciaux.
C’est là un projet dont la circonscription géographique dénote une évidente intention politique, pour ne pas dire géopolitique, d’expansion de l’Union. L’initiative qui en revient à la Suède et paradoxalement à la Pologne, vise en effet à associer les six pays déjà concernés par la politique voisinage de l’Union au sein d’une zone de libre-échange commune à l’UE et à ses six partenaires désignés. Dispositif que complète l’accord d’association Union-Ukraine, dont le principe a été arrêté en septembre 2008. Un projet devant déboucher là aussi sur des accords de libre-échange et prévoit la libre circulation des personnes ainsi qu’une coopération renforcée en matière de sécurité énergétique !
Les prémisses en quelque sorte d’une future intégration de l’Ukraine dans l’Union européenne surtout si son entrée dans l’Otan se réalise comme les É-U, l’ Allemagne et l’Europe de l’Est le souhaitent avec constance et fermeté. Chacun verra que ce dernier accord a évidemment tout pour déplaire à Moscou et qu’il ne serait peut-être pas vain d’établir une relation de cause à effet entre la négociation de septembre 2008 et la crise russo-ukrainienne de janvier 2009 ? Pourtant, mis à part certains aspects discutables de la politique européenne de voisinage, comment a contrario ne pas tenir compte des puissants liens d’interdépendance qui se sont tissés entre l’Europe et la Russie depuis 1991, notamment dans le domaine énergétique ? L’UE représente à ce jour plus de la moitié des échanges économiques et commerciaux de la Russie et la plupart des oléoducs et gazoducs russes convergent vers l’Europe.
Sans parler des questions de sécurité régionale. Le renouvellement des Traités Start [le Strategic Arms Reduction Treaty, Traité de réduction des armes stratégiques », Start I a été signé en juillet 1991 et arrive à échéance en décembre 2009 va nécessairement donner lieu à un grand marchandage géopolitique dont l’Europe sera à la fois la scène et d’une certaine façon, l’enjeu. À telle enseigne que certains commentateurs sont allés jusqu’à parler d’un futur nouveau Yalta.
Certes si à Moscou on se déclare convaincu que l’Administration américaine (afin de se dégager des bourbiers afghan et irakien dans lesquels elle s’est imprudemment fourvoyée), n’a pas d’autre échappatoire que de concrétiser la politique de la main tendue annoncée par le Président Obama, il n’en reste pas moins que la complexité des dossiers, l’intrication des intérêts sont telles que les négociations seront à n’en pas douter longues et ardues.
En décembre 2007, la Russie s’est retirée (temporairement) du Traité de 1992 portant sur le contrôle des armes conventionnelles en Europe. Malgré cet avertissement, le sommet de l’Alliance atlantique tenu à Bucarest en avril 2008 engage la procédure d’adhésion pour l’Ukraine et la Géorgie et en 2009, malgré la crise aiguë du 8 août précédent, 19 États membres de l’Otan, du 6 mai au 1er juin, manœuvreront au nez et à la barbe des forces russes. Comment appeler cela autrement qu’une politique du défi ?
Pourtant, le 5 juin 2008, à l’occasion lors d’un discours prononcé à Berlin, Dmitri Medvedev avait proposé une nouvelle architecture multilatérale pouvant se formaliser dans un « Pacte de sécurité » paneuropéen. Projet repris un mois plus tard, le 7 juillet en marge du sommet du G8 au Japon, qui permettrait de négocier à parité tout nouvel élargissement l’Otan, de débattre d’une éventuelle neutralité pour l’Ukraine, la Moldavie et la Géorgie, de l’installation sur ses marches occidentales d’un bouclier antimissile, ou encore du dossier nucléaire iranien. Mais apparemment, au début de l’été 2008, ces sujets ne participaient pas encore, dans le camp euratlantique, du domaine négociable. on a donc pu voir quelques semaines plus les conséquences d’une telle attitude de refus à l’occasion de la désastreuse offensive géorgienne sur l’Ossétie du Sud !
Or, Dimitri Medvedev par le traité qu’il persiste à proposer, souhaite l’intégration «des organisations existant actuellement dans l’espace euratlantique… [ Traité qui définirait] les conditions du recours à la force ». En un mot il s’agirait là d’associer, peu ou prou, la Russie aux décisions de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord en créant un espace commun de sécurité de Vancouver à Vladivostok via Londres, Paris et Berlin. Une architecture visionnaire inenvisageable à Washington. N’oublions pas que le Président George Walker Bush avait, dans un passé récent, montré de sérieuses réticences à engager les discussions relatives au renouvellement des accords sur le désarmement stratégique faisant ainsi craindre dans les états-majors moscovites que le Pentagone ne relançât une course meurtrière (financièrement parlant) aux armements.
Le président américain n’avait-il pas d’ailleurs proclamé à Bratislava en 2005, à la suite de la Révolution des roses en Géorgie et de la Révolution orange en Ukraine, qu’il apporterait le soutien des États-Unis à tous les changements de pouvoir démocratiques dans l’ex-empire soviétique ? Une déclaration qui avait évidemment été perçue à Moscou comme une déclaration de guerre politique. Avec pour conséquence, ces dernières années, les cours élevés des hydrocarbures aidant, la reconstitution des capacités militaires de la Fédération de Russie.
Réarmement assorti d’une indépendance accrue dans l’exercice de la souveraineté intérieure (mise au pas de l’oligarchie industrielle et financière et reprise en mains des médias qui leur étaient dévolus), tout comme dans la gestion des intérêts périphériques (refus du durcissement des sanctions contre la République islamique d’Iran et poursuite de la coopération nucléaire). En outre, sur ce point précis, on voit mal la Russie renoncer au vaste marché iranien abandonné, du fait de l’embargo américain, par nombre d’entreprises occidentales, sans contreparties substantielles, politiques et commerciales !
Aujourd’hui, avec la conjonction des crises financière, économique et sociale, avec l’effondrement du prix des hydrocarbures, l’enlisement dans ses guerres dites anti-terroristes (qui ont eu pour effet d’exacerber le radicalisme wahhabite), la donne a quelque peu changé. Tout devrait, en bonne logique, pousser l’Est et l’Ouest à un gel des contentieux et à suivre la voie des compromis voire de la coopération. Reste que des paramètres, parfois apparemment mineurs, agissent en surdéterminants jusqu’à invalider les calculs les plus rationnels. Dans un tel cas de figure, l’entêtement opiniâtre de Tel-Aviv, tant à poursuivre contre vents et marées l’extension de ses colonies en Cisjordanie qu’à vouloir en Iran la chute du régime, peut, le cas échéant, constituer l’un de ces facteurs erratiques.
Enfin, et plus particulièrement en ce qui concerne le conflit afghan, une guerre dans laquelle la Russie n’est pas partie prenante, on voit mal comment cette dernière pourrait être tenue indéfiniment à l’écart de son règlement sur le fond quand l’heure des pourparlers sera venue ? Sécurité régionale et collective obligent.
Pour nous résumer, nous avons assisté ces dernières années à une détérioration continue des relations entre la Fédération Russie et le « bloc » euratlantique avec en acmé les crises d’août 2008 et de janvier 2009 (Géorgie et bras de fer russo-ukrainien), épisodes révélant au grand jour une crise relationnelle en aggravation constante.
Année après année, la Commission européenne n’a pas ménagé ses critiques, souvent sévères, à l’égard des institutions et du régime de la Fédération de Russie (parfois virulentes quant à la conduite de la seconde campagne de Tchétchénie), laquelle n’entend plus toutefois accepter plus longtemps ce type d’ingérence dans le plein exercice de sa souveraineté. Reste à savoir si, dans le contexte de crise sys-témique (et pas seulement financière) générale qui est le nôtre, ces tensions sont appelées à perdurer ou à se résorber ?
Des relations UE/Russie instables à l’image des divergences profondes d’analyse et d’intérêts qui divisent l’UE et s’accroissent au rythme de son extension. L’Allemagne est, par exemple, engagée dans le projet germano-russe de gazoduc Nord Stream lequel entre en concurrence directe avec projet Nabucco de contour-nement de l’espace russe ! Autre facteur notable de dissonance, la perception du voisin russe qui diffère très largement entre l’Ouest et l’Est de l’Europe, en particulier dans sa partie anciennement soviétique, laquelle garde de cette période de son histoire un souvenir cuisant.
À cela s’ajoute le fait que l’Alliance atlantique en tant que telle bride ou oriente trop souvent les politiques et la diplomatie européennes… Autant dire que les États-Unis, en autres par le truchement de l’Otan, non seulement rognent la marge de manœuvre des Européens mais plus encore, s’efforcent de leur imposer certains choix étrangers à leurs intérêts à court ou long terme. Une triangulation, un détour par Washington, par conséquent loin d’être sans incidence sur l’évolution des rapports entre Bruxelles et Moscou.
Accessoirement les États-Unis, parce que les impératifs de sécurité de l’État hébreu sont pour eux prioritaires, accordent dans cette perspective une place démesurée au dossier iranien. Un dossier qui n’est pas facilement négociable pour la Russie (voir supra) et qui hypothèque lourdement le dialogue russo-européen. Une « menace » somme toute « relative » que s’est employée à dégonfler le National Intelligence Estimate de novembre 2007 [le NIE regroupe quelque seize agences de renseignement américaines], lequel avait conclu que le « possible programme nucléaire militaire de Téhéran avait été arrêté en 2005 » ;Parallèlement le conflit israélo-palestinien (lié indirectement au dossier iranien selon la lecture qu’en donnent les analystes de Tel-Aviv et de Washington), source première de tensions et facteur de déséquilibre du monde musulman, se surimpose, en bruit de fond, pour le plus grand préjudice de la clarification des relation Est/Ouest comme Nord/Sud.
D’autre part, comment espérer justement comprendre ces rapports Est/Ouest – quels que soient les changements circonstanciels intervenus au cours de ces dernières années – sans avoir en tête les idées directrices que Zbgniew Brzezinski exprimait en 1997 dans « Le grand échiquier » ? Enfin, moins pertinent de notre point de vue, serait d’interpréter mécaniquement les changements de cap de la Russie, ses réorientations, au sortir des années de transition des années 90, en fonction des seules « pesanteurs » héritées de l’ère soviétique.
Car si la Russie est de retour sur la scène internationale – ou tend à y revenir comme en témoignerait sa réplique en Ossétie du Sud – ce n’est pas a priori en cherchant à relancer une politique définitivement déconsidérée depuis 1989 et la chute du mur de Berlin, mais plutôt en s’efforçant de renouer avec une politique de souveraineté assumée, à l’instar celle qui avait cours avant novembre 1917. C’est donc à tort – et aux mépris des leçons de l’histoire – que les États d’Europe orientale continuent d’appliquer aux situations actuelles des schémas devenus aujourd’hui évidemment caducs. Qu’ils usent de grilles de lecture ne correspondant plus à l’état du monde : en 2009 on voit assez mal la Russie planifier l’annexion de la Pologne comme ce fut le cas en septembre 1939… Cela même si, en mesure de rétorsion à l’installation du bouclier anti-missiles américain sur son territoire et sur celui de la République tchèque [dix missiles d’interception en Pologne d’ici à 2012 et un radar d’acquisition en République tchèque], Moscou n’exclut pas de pointer des vecteurs de moyennes portées vers le cœur de l’Europe ainsi que des batteries de missiles d’interception Iskender à Kaliningrad. Or sincèrement, peut-on voir dans ces manifestations de mauvaise humeur autre chose que la réponse du berger à la bergère ?
Pour bien encore resituer la question initiale, comment parler des relations de l’UE et de la Russie sans faire intervenir les liens organiques existant entre l’Union européenne et l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord ? Des liens, comme on peut en faire le constat chaque jour, qui associent de plus en plus étroitement le destin de l’Europe à celui des É-U ? Ou bien, comment aborder ce dossier sans donner toute sa place ou pire, en ignorant le différend américano-iranien déjà mentionné avec en surimpression la question cruciale de la sécurité d’Israël, ce « 51e état de l’Union » ?
L’intrication même de situations potentiellement conflictuelles dont les plus visibles sont bien entendu, les conflits gelés [Transnistrie, Bosnie, Kossovo, Haut-karabakh toujours sujets à des poussées de fièvre comme en Abkhazie et en Ossétie du Sud], rendent difficile, voire impossible avons-nous dit, de fixer une image non brouillée des relations Est/Ouest, surtout dans le cadre forcément limité d’un article. Parce que tout commentaire en quête de pertinence se doit de tenir compte de l’instabilité géopolitique foncière régissant le un monde depuis 1989. Instabilité croissante d’un monde qui s’est cru un moment « unipolaire ». Une instabilité traduisant une intense activité architectonique suivant laquelle les frontières des « empires » et leurs zones d’influence respective se sont largement déplacées. Essayons malgré tout de poser les bonnes questions, celles qui charpentent l’ensemble de la problématique, les événements devant ultérieurement se charger d’y apporter quelques réponses
Si nous partons donc de la double équation UE = OTAN, OTAN = É-U (les deux prémisses d’un syllogisme inachevé, chacun étant libre de le conclure à sa guise), devenons-nous parler de l’Union Européenne en tant que telle, soit un interlocuteur unique mais composite ou bien faut-il élargir cette entité à l’espace eurat-lantique ? Cette dernière notion étant déjà rangée dans la boîte à outils de la plupart des analystes et géopoliticiens un peu conséquents.
Effectivement, tout semble indiquer que nous acheminons bien vers une telle configuration euratlantique comme l’indique assez clairement l’intégration de plus en plus poussée des éléments de défense européens au sein d’un vaste dispositif opérationnel sous commandement américain tel qu’actuellement à l’œuvre sur le théâtre d’opérations afghano-pakistanais. Tout cela est inscrit dans les faits quelle que soit la lecture optimiste qu’on puisse en faire!
Notons que si le projet d’une défense proprement européenne était jusqu’ici assez mal vu à Washington parce qu’apparaissant comme plus ou moins rivale de l’Otan, celle-ci est maintenant au contraire fortement encouragée dès lors que l’in-teropérationnalité devient la règle et la condition d’existence de la construction de la « défense » des Vingt Sept. Bref, compatibilité, interchangeabilité des matériels, des procédures et des hiérarchies d’autorité.
Dans ce cas, une armée européenne disposant d’une capacité de projection significative sur des fronts périphériques (encore que dans l’actuelle contexte de crise, la tendance générale devrait être à moins d’interventionnisme… ou le contraire !?), pourra tenir sa place dans le partage des tâches et, surtout, des débours ! Parce que : le « partage du fardeau » est à présent plus que jamais à l’ordre du jour, en clair il s’agit que les «Européens prennent en charge leur part dans les dépenses en hommes et en coûts financiers inhérents à la défense commune de l’espace euratlantique.
Ce burden-sharing n’a en soi rien de nouveau ; déjà à la fin des années 40 sous la présidence d’Harry Truman, George Kennan, promoteur de la politique contain-ment à l’égard de l’Union soviétique, en défendait l’idée avec la création d’un « pilier européen de défense ». Une répartition des missions inscrite de nos jours dans les faits : aux É-U reviennent les actions offensives, aux Européens les missions de stabilisation et de maintien de la paix (Bosnie/Kossovo/Liban/Tchad/Congo) !
Précisons ici que ce serait à tort si l’équation UE = OTAN = É-U était admise de façon rigide ou mécanique. Car il est établi que si les décisions des É-U sont unilatérales (quoique la nouvelle Administration déclarent volontiers vouloir davantage « consulter » leurs partenaires). Celles de l’Otan, en principe, multilatérales, ne font pas exception à la règle : lors des crises, les forces de l’Alliance passent automatiquement sous commandement américain, comme à l’ordinaire, en temps de « paix », les commandements réellement stratégiques leur sont également dévolus.
Et si nous finissons par admettre l’évidence que le vestibule d’entrée dans l’UE est l’Otan [un passage obligé qui a dans tous les cas a précédé l’adhésion pour la fournée d’entrants de 2004, ce qui sera aussi vrai pour les deux petits derniers, Croatie et Albanie, intégré en grande pompe le 3 avril 2008] et alors que la Géorgie et l’Ukraine piétinent encore pour quelques mois devant la porte de l’Alliance, se pose avec acuité, la question de savoir si ces deux États font oui ou non partie de l’Europe ? Et bien de facto la réponse est « oui » parce qu’en vertu de l’article V du Pacte atlantique l’UE serait mécaniquement tenue d’intervenir aux côtés des ses nouveaux alliés en cas de conflit ouvert avec la Russie !
Reste que l’Amérique est loin de l’Europe et qu’elle mène méthodiquement un jeu personnel, défendant d’abord sers intérêts vitaux avant ceux des Européens ; jeu pour lequel elle avance ses pions sur l’échiquier planétaire suivant des voies ouvertes par une diplomatie musclée… Des voies littéralement équipées de crémaillères grâce auxquelles elle parvient à grignoter peu à peu les positions de l’adversaires. Tandis que l’Organisation atlantique eut dû elle-même disparaître à la suite du Pacte de Varsovie officiellement dissout le 1er juillet 1991 à Prague, Washington n’a pas barguigné pour trahir les engagements pris, au moment de l’effondrement de l’Union soviétique, engagements à ne pas étendre l’Otan aux anciens satellites de l’empire communiste.
Une promesse apparemment faite au Président Gorbatchev de non extension de l’Otan aux anciens glacis soviétiques et sur laquelle les É-U reviennent en 1999 en ouvrant les portes de l’Alliance à la Hongrie, la Pologne et la Tchéquie. Cela juste avant [À la suite du « massacre » de Raçak dont on sait maintenant qu’il s’agissait d’une mise en scène] de lancer onze semaines durant, du 24 mars au 10 juin 1999, des frappes aériennes sur la Fédération yougoslave (Serbie et Monténégro). L’Opération « Allied Force » devait aboutir le 17 février 2008, au grand dam de Moscou, à l’indépendance d’un Kossovo non stabilisé, aux communautés linguistiques et confessionnelles non réconciliées, une province au final en grande partie ethniquement épurée de sa composante serbe ! Un nouvel État non reconnu ni par la Russie ni par l’Espagne mais glorifié par les médias.
Toutes ces tensions et ces escarmouches post Guerre froide ne s’expliquent-elles pas finalement par le fait que la Russie demeure encore aujourd’hui le seul véritable challenger des É-U ? En dépit de la faiblesse de son Pib (inférieur à celui du Brésil), mais seul État à disposer de forces stratégiques susceptibles de faire pièce à la puissance militaire américaine ?
En réalité, seule une évaluation erronée de la part du Pentagone de l’état des forces russes, de l’état d’avancement de leur réhabilitation et de leurs capacités opérationnelles, ou plus grave, une sous-estimation de la part du Département d’État de la détermination politique du duumvirat aux commandes à Moscou (Medvedev-Poutine), ont pu déterminer la Maison-Blanche à encourager le Président Saakashvili à se lancer dans l’aventure du 8 août 2008 contre la capitale de l’Ossétie du Sud, Tshinkvali.
En tout cas le « test » fut une « réussite » et l’UE, à commencer par l’Europe orientale, put mesurer l’hiver suivant le poids de sa dépendance énergétique à l’égard de Moscou. Et quoiqu’en disent ceux qui pratiquent la dyslexie géopolitique, dissocient les crises les unes des autres et nient les plus triviales relations de cause à effet !
Certes, la crise gazière n’est à l’origine qu’un différend commercial russo-ukrainien [la Russie n’avait d’autre exigence que d’aligner progressivement les prix de vente de son gaz à l’Ukraine sur les tarifs pratiqués avec l’UE], il n’en demeure pas moins que, sauf à conduire l’analyse dans le cadre une géométrie non-euclidienne, force est d’établir une relation de causalité directe entre les événements géorgiens de l’été précédent et le durcissement de ton à l’égard de l’Ukraine candidate à l’Otan.
Pour revenir à la question de savoir dans quelle mesure la Géorgie et l’Ukraine font réellement partie de l’Europe, nous avons vu que celle-ci ne se pose plus dès lors qu’est acquise l’appartenance à l’Otan. qu’elle en devient même oiseuse dès lors que l’Alliance lie indissolublement leur sort à celui de tous les États de l’Union. Quant à ceux qui sont restés hors de l’Otan, leur voix compte pour du beurre, voir l’exception Irlandaise.
Ajoutons que la procédure d’adhésion à l’UE n’est plus dans certains cas qu’une simple formalité d’ordre technique comme on a pu le voir en 2007 avec la Roumanie et de la Bulgarie qui avaient intégré l’Otan en 2004, deux pays pourtant très éloignés de satisfaire aux critères dits de convergence (ou critères de Copenhague).
N’oublions pas que, dans ce qu’on nomme actuellement et abusivement l’Europe, ce ne sont nullement des facteurs géographiques ou ethnohistoriques qui déterminent l’appartenance ou non à l’Europe réelle, mais uniquement des critères abstraits ou juridiques, formels en un mot, dont le plus important reste la participation à la grande zone de libre-échange euratlantique couvert par le « bloc » offensif que constitue l’Otan.
Or il conviendrait quand même, in fine, de savoir si l’UE doit être obligatoirement partie prenante (ou solidaire) de l’Ukraine et de la Géorgie dans leurs différends avec la Russie ? Et pour quelle raison majeure ou impérieuse ? Une question qui se pose déjà en ce qui regarde l’État hébreu, lui aussi double candidat à l’Otan et, plus discrètement, à l’UE. Devrons-nous alors nécessaires épouser les querelles de voisinage de ces nouveaux adhérents, au risque d’un nouvel embrasement régional, voir d’une guerre planétaire ? Une question qui se pose avec insistance même si cela se fait mezzo voce.
Aujourd’hui donc, comment comprendre la conduite des affaires extérieures européennes, en particulier sa politique de voisinage et ses rapports avec l’espace post-soviétique, sans faire intervenir la stratégie diplomatico-militaire des É-U sur l’axe des trois mers fermées : Méditerranée, Noire et Caspienne ? Et au-delà en Asie centrale ? Compte tenu également que les échecs irakien et afghan imposent une sévère révision des objectifs et des ambitions que l’Amérique-Monde s’était fixée quant à l’expansion indéfinie de ses zones d’influence ou d’ingérence.
La crise survenant et les coupes budgétaires aidant, les Européens seront désormais conviés, avons-nous vu, non à la table des négociations lorsqu’il s’agira de partager les dépouilles des États réputés voyous ou mis sous tutelle par ce que déclarés faillis (ce qui autorise à les ramener à la raison démocratique, de nos jours celle du plus fort), mais à assumer pleinement leur part des dépenses nécessaires à la poursuite d’une ruineuse politique d’hégémonie planétaire. Tels les échecs sanctionnant les tentatives hasardeuses de normalisation de peuples irrédentistes.tout comme la Crise (qui n’a vraisemblablement pas dit son dernier mot) qui aura certainement contribué à modifier sensiblement des habitudes unilatéralistes bien ancrées. Dans ce contexte, la défense européenne devient non seulement acceptable, mais plus encore nécessaire comme relais de la puissance de l’Amérique-monde et comme force d’appoint d’une politique occidentaliste au sens large (celui que donne à ce mot l’ancien ministre socialiste Hubert Védrine).
Le retour de la France dans le giron du commandement intégré, le 1er avril 2009 à l’occasion du sommet de l’Otan à Strasbourg-Kehl constitue de ce point de vue un signe fort qui doit être interprété au regard, à cette même occasion, de l’admission au sein de l’Alliance de l’Albanie et de la Croatie. deux nouvelles recrues qui complètent et contribuer à parachever l’unification de l’espace européen dans le corset de l’Alliance Atlantique.
Qui ne verrait à présent que l’Union européenne, au fur et à mesure que se resserre son intégration dans le nouveau bloc atlantique, subit une diminution tendancielle de sa marge de manœuvre extérieure ? Que cette tutelle rogne sa faculté à opérer des choix diplomatiques (voire stratégiques) autonomes, que ce soit vis- à-vis de la Russie ou dans l’approche et le traitement de la question iranienne ? Un dossier vicié à la base par des considérations extrinsèques à la sécurité collective ! Or, une chose est sûre, la question iranienne est destinée à occuper une place de plus en plus importante dans les préoccupations européennes avec la présidence suédoise et au lendemain de la tentative avortée de Révolution verte en Iran.
Une situation qui, à n’en pas douter, va jouer dans le sens non pas d’une restauration pleine et entière des relations russo-européennes, mais dans celui d’un regain de défiance de la part du Kremlin à l’égard de la capacité des États-Unis et du Royaume-Uni à fomenter des coups de force, scientifiquement agencés et cybe-rorganisés, sous couverts de mouvements populaires. Cela, bien entendu, en dépit des déclarations tonitruantes de M. Berlusconi sur le perron du Conseil Otan/ Russie qui s’est tenu à Corfou le 27 juin 2009, chacun au fond campant sur ses positions.
Pour mémoire, l’Iran candidat l’Organisation de Coopération de Shangaï, où il a pour l’heure, comme l’Inde, le statut observateur, peut prétendre s’adosser à un bloc eurasiatique de près de trois milliards d’hommes. Un contrepoids de taille aux ambitions tous azimuts de Washington de Londres et de Tel-Aviv ! Ajoutons enfin, que si l’UE prétend aujourd’hui s’ingérer dans les affaires intérieures iraniennes, les négociations Europe-Iran ne semblent plus à l’ordre du jour sauf à exhumer une troïka franco-germano-anglaise apparemment enterrée depuis un certain temps.
Pour ne pas conclure, comment ne pas évoquer le rôle éminemment négatif de la surenchère médiatique dans le dénigrement du régime et des hommes politiques de la Fédération de Russie. Des procédés de démonisation qui ont pesé sur la détérioration des relations russo-européennes. Des médias qui à cette occasion se révèlent être des chambres d’écho pour des idéologues, lesquels ne sont eux-mêmes que les relais de puissants intérêts intrinsèquement étrangers à paix des nations.
Ainsi, les « idéologues » du Choc de civilisation, et à travers eux les groupes de pression dont ils sont les porte-parole, sont-ils parvenus à convaincre une classe politique européiste (majoritairement perméable aux schémas explicatifs et aux grilles d’analyse qui ménagent sa paresse intellectuelle et confortent sa soumission aux conformismes ambiants), que la sécurité de l’UE se joue dans les Hautes Vallées de l’Hindou Koush dans une guerre du fort au faible conduite essentiellement contre l’irrédentisme pachtoune et très accessoirement contre le salafisme wahhabite…
De la même manière, la sempiternelle présentation dépréciative par les médias européens de la Russie actuelle, caractérise un procès d’intention permanent peu favorable au réchauffement durable des relations ni à un retour de la confiance, mais se révèle particulièrement propice au développement de l’instabilité chronique d’une Paix froide.
Illustrative de cette situation est la condamnation sans appel de la Russie après son intervention en Géorgie, une action jugée « surdimensionnée ». un argument qui au moins implicitement reconnaît la légitimité d’une telle action. Une opération surdimensionnée et un jugement qui aurait pu s’appliquer tout aussi bien aux vingt-trois jours d’offensive sur Gaza de l’armée israélienne, entre le 27 décembre 2008 et le 18 janvier 2009. Offensive meurtrière que les Vingt-Sept ont laissée délibérément se développer en s’abritant derrière un rideau d’atermoiements diplomatiques. Quant aux forces navales de l’Alliance, elle ne sont arrivées elles-mêmes aux abords du territoire assiégé, non pour arrêter les assaillants, mais pour couvrir leurs arrières…
Une politique des deux poids, deux mesures que dénoncent à juste titre les Russes, mais aussi de plus en plus de voix au sein des Pays émergents et autres membres du G20. En effet, cette guerre des mots se situe bien au-delà de la simple critique de dirigeants et de leurs politiques. Le traitement partial de l’information et son altération systématique témoignent d’une hostilité latente qui ne constitue pas un terrain idéal pour que s épanouisse une confiance réciproque. Toutes les occasions sont en effet bonnes aux médias de l’Ouest pour donner une présentation déprécia-tive des hommes, des faits et des événements intervenant dans l’espace post-soviétique. Attitude générale se traduisant, entre autres, par la culture d’une soi-disant inquiétude des Européens, laquelle n’est au fond – si elle existe ailleurs que dans des sondages manipulatoires – que le reflet d’un conditionnement médiatique…
Finalement, faut-il voir là cette démarche récurrente, une volonté de diabolisation de la Russie visant à acquérir les opinions publiques européennes au raidissement des relations Est-Ouest, voire à une éventuelle confrontation ?
Notons que dans l’affaire géorgienne la présentation de Moscou comme seul agresseur a permis d’esquiver la question la responsabilité et les lourdes erreurs stratégiques commises par le président géorgien Saakashvili. Des erreurs a posteriori habilement récupérées par les experts en communication du camp occidental, les mêmes qui avaient sans doute incité Tbilissi à défier Moscou, provocation destinée à tester ses capacités de réponse… En prolongement de la guerre gagnée sur le terrain par la Russie, la guerre des mots et des images a donc été largement remportée par les camp occidentaliste.
Pour nous résumer, entre une diplomatie européenne relativement inconséquente parce que tiraillée entre son allégeance atlantiste et le bon management de ses intérêts (que devrait lui dicter un élémentaire bon sens), elle se montre la plupart du temps encline au double langage, trahissant les intérêts vitaux de l’Europe au profit de ceux de cette Chimère politique que constitue une Union européenne incohérente et inaboutie. Union écartelée par la double que lui impose l’Alliance relais des intérêts et des choix d’Outre Atlantique, des paramètres qui ne sont jamais explicitement évoqués ni même avoués. En un mot les buts et finalités réels de l’UE appartiennent au domaine du non-dit, ce qui conduit généralement les hommes vers les abîmes de la guerre. Une éventualité, rappelons-le, qui n’a rien d’aberrant en ce qu’elle est dimension structurelle du discours politique et médiatique depuis le 11 septembre 2001.
Or que veut Moscou ? Ce qu’ont longtemps voulu les Européens et d’abord la France avec de Gaulle et ses successeurs François Mitterrand et Jacques Chirac sans jamais l’obtenir : un partenariat authentique et non un alignement inconditionnel sur le type de celui auquel Paris vient de souscrire et derrière elle l’UE, comme un seul homme.
Le refus américain d’un partage raisonnable des compétences au sein de l’Otan a été la raison de la rupture de 1966. La France gaullienne qui exprimait, pour elle et pour l’Europe, le désir d’une légitime association aux décisions engageant sa survie. Nous sommes alors en pleine Guerre Froide et le « Centre Europe » est désigné comme devant être le lieu d’affrontement entre les armées du Pacte de Varsovie et de l’Otan. Mais l’Europe, sous le parapluie nucléaire américain, ne représente en vérité que la profondeur de champ stratégique des États-Unis.
Faut-il encore rappeler à ce propos que soixante deux ans après la fin de la Seconde Guerre Mondiale et vingt ans après la Chute du mur de Berlin, l’Europe demeure formellement un territoire occupé : quelque 100 sites militaires, sous contrôle direct ou indirect des États-Unis, atteste cette vassalisation de l’Union européenne ; notamment dans sa partie orientale où se concentrent actuellement des forces américaines positionnées en vue d’assurer la logistique de théâtres d’opérations gros consommateurs tels que l’Irak (où le désengagement américain n’est qu’un trompe l’œil médiatique), l’Afghanistan et, le cas échéant, le Pakistan et l’Iran.
Le souhait récurrent de la France de participer à la prise de décision au sein de l’Alliance, n’apparaît pas de ce point de vue seulement comme une élémentaire revendication de souveraineté, mais comme une mesure de salubrité nationale permettant de réduire la subordination des forces françaises aux décisions sans appel des états-majors américains. Or, Moscou n’aspire pas à autre chose qu’à être admise au statut de partenaire et d’interlocuteur à part entière, que ce soit sur les questions européennes, la sécurité collective, la gestion du dossier iranien ou la sortie du conflit afghan. Bref, ne plus être marginalisée et participer de plein droit aux négociations engageant son présent comme son avenir.
Alors in fine, pour nous répéter, comment appréhender les relations contradictoires existant actuellement entre l’Union européenne et la Fédération de Russie sans avoir posé d’entrée de jeu la double équation UE = OTAN, OTAN = É-U (équations auxquelles vient se surajouter la relation privilégiée É-U/Israël, laquelle n’est pas évidemment sans incidence sur la gestion du dossier iranien, sur la position de l’UE vis-à-vis de Téhéran et partant, de Moscou) ?
Peut-on sérieusement arguer d’une adéquation entre les objectifs politiques et géopolitiques poursuivis par Washington, des Balkans à l’Indus, et les visées proprement européennes ? Certainement pas ! L’Europe n’ayant déjà pas d’existence politique (au sens littéral) en l’absence d’une architecture à vocation « constitutionnelle » lui permettant de parler d’une seule voix, mais plus encore en raison de multiples divergences d’intérêts existant entre ses membres, l’Union européenne ne peut en conséquence pas être véritablement considérée comme pas un acteur part entière de la scène internationale, ni a fortiori comme un partenaire autonome dans ses relation avec la Fédération de Russie eu égard à ses dépendances atlantistes.
C’est d’ailleurs là le moindre des paradoxes – mais éminemment significatif -que l’amorce (ou le simulacre ?) d’une reprise du dialogue Est/Ouest, Washington-Bruxelles et Moscou, se soit esquissée dans le cadre du Conseil Otan-Russie. Un cénacle créé en 2002 et unilatéralement désactivé en août 2008 en rétorsion à la reconnaissance par Moscou de l’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du sud. Pourtant, comme l’a justement réaffirmé le Président Medvedev ce même 27 juin 2009 sur l’île de Corfou, une « indépendance irréversible » n’en déplaise à l’Otan et à l’UE sa façade politique.
N’en déplaisent également aux pays d’Europe orientale (premiers clients et interlocuteurs privilégiés en Europe des É-U) qui renâclent et exigent le durcissement des relations avec Moscou. Comment dans ces conditions la Russie ne s’inquiéterait-elle pas de la politique du double langage des occidentaux et ne percevrait-elle pas l’extension continue de l’Organisation atlantique comme une forme dd encerclement par une Alliance dont la vocation était à l’origine défensive mais dont l’évolution récente montre une nette propension aux actions d’ingérence offensive sous couvert de droits de l’homme et de démocratie ?
À telle enseigne que la présentation du bouclier anti-missiles devant être installé en Pologne et en Tchéquie, en tant que système réputé contrer une menace balistique iranienne, a fait long feu. C’est donc à bon droit que le Kremlin l’a interprété comme un acte hostile au sens littéral du terme, cela au même titre que la multiplication de bases à ses frontières. la guerre de 1999 contre la Fédération yougoslave, l’indépendance du Kossovo, l’intégration dans l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord d’un nombre toujours plus grand de ses anciens satellites ou d’anciens membres de l’Union soviétique elle-même. Une litanie de faits qu’il convient de garder présente à l’esprit pour bien évaluer la art de responsabilité de chacun !
Les issues sont donc connues, les desiderata russes également si l’on veut éviter de s’enfoncer plus avant dans un processus d’escalade pouvant conduire à un nouvel état de « guerre froide », cela bien que l’entité euratlantique s’en défende en toutes circonstances. Situation hélas aujourd’hui envisageable et à laquelle, volens nolens, les Européens seraient associés et vraisemblablement, pour le pire.
Pour éviter une telle dérive, en premier lieu, il conviendra d’échapper à cette logique des blocs qui se dessine de plus en plus précisément, avec d’un côté l’Alliance euratlantique et de l’autre une Alliance eurasiatique telle qu’elle se construit à travers l’Organisation de Coopération de Shangaï. Dans cette perspective – comme il paraît essentiel aux yeux des Russes – que des règles communes contraignantes soient élaborées pour ou dans la gestion des conflits et des crises…
Que la sécurité régionale touchant les marches de l’Europe ou l’ex-glacis soviétique, ne voit pas la sécurité de l’un des acteurs en particulier assurée au détriment de la sécurité collective, et encore, que ne soit pas employé un territoire national ou celui d’une alliance en vue de menacer la sécurité d’États tiers.. Comme cela est aujourd’hui le cas pour ce qui est de la demande pressante de sécurité en Europe orientale restée profondément marquée par des décennies de gel derrière le Rideau de fer.
Des idées simples qui paraissent malgré tout condamnées à devoir rester lettres mortes, au moins pour un avenir proche la constante politique des É-U étant de ne rien concéder… D’autant que la compétition pour le contrôle des sources d’énergie fossiles à l’approche du fameux pic de production (dont la perspective hante les nuits de tous les planificateurs) s’exacerbe aujourd’hui. Pourquoi, au regard des pénuries mondiales qui s’annoncent (énergies fossiles mais aussi « eau ») l’Amérique-monde ne devrait pas se montrer très encline à renoncer aux bénéfices de la puissance. Reste que dans un monde en voie de multipolarisation, les É-U ont d’ailleurs tout intérêt à exploiter maintenant leur avantage au maximum afin d’engranger le plus grand nombre de gains économiques et diplomatiques, de parts de marchés, en contrôles des ressources naturelles et en zones d’influence… Tout ce que peut leur offrir l’avantage de capacités militaires surclassant toutes les autres. des forces à ce jour inégalée et appelées à dominer encore pour un temps l’ensemble la scène planétaire.
Au bout du compte, pour les occidentalistes, l’alternative est maintenant assez simple : ou la Russie est associée au devenir de l’espace euratlantique au sein de cette Maison commune qu’appelait de ses vœux Mikhaïl Gorbatchev au milieu des années 80, en contournant dans ce cas l’écueil d’un retour à la logique des blocs, ou bien l’Europe poursuit sa construction (et son extension ab libitum) sans tenir compte de la Russie, autrement dit contre elle. L’U participant alors à un vaste dispositif d’encerclement correspondant au Rimland déjà évoqué, des Balkans à la vallée de Swat via le Caucase, le bassin de la Caspienne, le Plateau iranien et les vallées afghanes. Avec, évidemment, les gisements pétroliers et gaziers que comportent ces régions, et surtout leurs couloirs stratégiques d’acheminement des dites énergies. Or, grosso modo, c’est apparemment la seconde option que nous voyons à l’œuvre depuis une décennie et le coup d’envoi de la guerre du Kossovo !
Mais n’est-ce pas aller à contresens des intérêts vitaux européens ? D’une UE qui se trouve en première ligne de zones de grande instabilité et qui, de fait, ne pourra se passer de la Russie pour un retour à l’équilibre au Proche-Orient ? À savoir la stabilisation de l’Irak et de l’Afghanistan, pour le règlement du contentieux iranien assorti d’un traitement préventif de la prolifération des armements nucléaires dans la région. Ce qui supposerait une solution régionale et un désarmement général impliquant que l’État hébreu se plie enfin aux règles d’une Communauté internationale pleinement garante de sa sécurité. toutes conditions utiles ou nécessaires à trouver une issue rationnelle au conflit israélo-palestinien et à la normalisation des rapports avec le monde islamique.
En contrepoint, et pour ne pas conclure, soulignons un fait majeur : quelles que soient les réticences marquées de Moscou à voir l’UE s’immiscer dans ses affaires intérieures, force est de constater que le retour fracassant de la Russie sur la scène régionale et internationale à l’occasion du conflit géorgien et de la crise gazière russo-ukrainienne, a fait intervenir, et pour la première fois, l’Union européenne dans un rôle nouveau, celui de médiateur. C’est-à-dire comme acteur à part entière de l’espace postsoviétique. Un fait positif qui devra servir de précédent pour engager, orienter et consolider ce partenariat stratégique dont l’Europe réelle et la Russie ont à présent un urgent besoin.
Le 5 novembre 2008, sans son discours sur l’état de la Fédération de Russie, le Président Dimitri Medvedev annonçait la rénovation accélérée de l’outil militaire et le renforcement des pactes régionaux face à la progression de l’Otan. Ci-dessous quelques extraits illustrant les positions de la Russie face à un espace euratlantique décidément envahissant et pratiquant le double langage selon ses besoins.
« Une Russie moderne dans un monde affranchi de la tutelle états-unienne »
… 2008 a « constitué pour la Russie une sérieuse mise à l’épreuve. Je parle de l’agression barbare perpétrée contre l’Ossétie du Sud. Et bien sûr de la crise financière mondiale qui s’étend de plus en plus. Deux problèmes bien différents, mais qui présentent des similitudes et ont une origine commune… [or] l’attaque des troupes russes de maintien de la paix par l’armée géorgienne a constitué une tragédie. Cette provocation a intensifié les tensions dans la région du Caucase »…
« Le conflit caucasien a servi de prétexte à l’arrivée de bâtiments de guerre de l’Otan
en mer Noire, visant à accélérer le stationnement de boucliers anti-missiles US en
Europe. Cela implique naturellement des mesures en retour de la part de la Russie.
L’aventure locale du gouvernement de Tbilissi a ainsi contribué à un accroissement des
tensions bien loin de la région, aussi bien en Europe que dans le reste du monde. Elle a
fait douter de la capacité des institutions internationales à garantir la sécurité. De fait,
les fondements de l’ordre mondial ont été ébranlés.
La tragédie de Tshkinvali (entre autres) a été la conséquence de la politique autocratique, rebelle à toute critique et guidée par des décisions unilatérales de l’administration états-unienne »…
« Les événements tragiques survenus en Ossétie du Sud. sont [ainsi] essentiellement dus à de graves violations du droit international. Refusant un règlement politique, pacifique et des méthodes légales, les dirigeants géorgiens ont choisi de se lancer dans le plus effroyable des scénarios… la décision de forcer l’agresseur à faire la paix et l’opération menée par notre armée n’étaient pas dirigées contre la Géorgie, contre le peuple géorgien ; il s’agissait de se porter au secours du peuple de la République et des soldats du maintien de la paix. Il fallait garantir la sécurité à long terme des habitants de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie, et avant tout, empêcher une éventuelle rechute du régime de Tbilissi dans l’aventurisme criminel »…
« Nous avons [par ailleurs] assisté à l’installation d’un système global de défense antimissile, de bases militaires tout autour de la Russie, à l’expansion débridée de l’Otan et à d’autres « cadeaux » [du même ordre] faits à la Russie. Par conséquent, nous avons tout lieu de penser qu’on cherche à tester notre force… [aussi avons-nous pris] quelques mesures destinées à lutter efficacement contre les tentatives persistantes de l’actuelle administration américaine d’installer de nouveaux éléments d’un bouclier global antimissile en Europe. Nous avions ainsi prévu de retirer trois régiments de missiles de la division des missiles stationnée à Kozelsk de leur affectation opérationnelle et de dissoudre cette division d’ici 2010. Or j’ai décidé d’y renoncer. Nous ne dissoudrons rien. De plus, nous allons déployer le système de missiles Iskander dans la région de Kaliningrad afin de pouvoir, si nécessaire, neutraliser le bouclier antimissile. Naturellement, nous envisageonspar ailleurs de recourir à cet effet aux ressources de la marine russe. Et finalement, la Russie va également déployer des installations dans cette région occidentale, c’est-à-dire à Kaliningrad, pour bloquer électroniquement le système de défense antimissile américain ».
« La réaction aux événements du 8 août et la reconnaissance par la Russie de l’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie ont montré une fois de plus que nous vivons dans un monde du « deux poids, deux mesures ». Nous avons agi de manière responsable et cela afin de rétablir le droit international et la justice… [quant à ] la position de nos partenaires qui se sont récemment évertués à contourner le droit international pour obtenir la séparation du Kossovo de la Serbie et reconnaître ce pays au-toproclamé comme un sujet du droit international, elle apparaît comme manifestement dépourvue d’objectivité car ils critiquent maintenant la Russie comme si ce précédent n’avait pas existé »….
« La question de la création d’un nouveau systéme de sécurité collective au niveau mondial se fait terriblement attendre. Il est particulièrement important que nous arrivions à des résultats sur l’aire de l’Atlantique-Nord, laquelle comprend la Russie, l’Union européenne et les Etats-Unis. J’ai pris l’initiative de rédiger un projet de Traité sur la sécurité européenne. Un tel document établirait des règles de conduite absolument claires et compréhensibles. Il officialiserait une approche unifiée de la résolution des conflits. Il permettrait d’avoir une position harmonisée sur la création d’instruments fiables de contrôle des armements… [Or] la résolution de la crise en Ossétie du Sud a montré qu’il était possible de trouver des solutions avec l’Europe et nous désirons approfondir nos relations avec elle dans le domaine de la sécurité »…
« Nous sommes [en outre] prêts à coopérer avec tous les pays et groupes de pays désireux de développer des relations constructives. Nous ne pensons pas que l’existence de divergences sur certaines questions devrait nous empêcher d’engager de franches discussions afin de résoudre les problèmes les plus complexes. Ajoutons que toutes les relations seront extrêmement pragmatiques et tiendront compte de leurs conséquences réelles pour notre pays, pour tous les citoyens russes. Et la géographie n’est pas importante dans cette coopération. Ce qui importe, c’est l’esprit positif et des intérêts communs »…
Russie versus Union Européenne Autopsie des crises
En Europe orientale et au-delà, les crises se succèdent, plus proches et plus fortes les unes après les autres. Crises structurelles d’un monde qui n’en finit pas de se recomposer après cinquante années d’enfouissement dans le pergélisol socialiste.
Remarquons que ces « crises », qui n’ont a priori rien à voir avec la sinistre affaire des crédits hypothécaires à risques, démarrent en 2004, année où intervient en Ukraine la « Révolution orange » financée en partie par l’Administration américaine sous couvert du financier George Soros1. Crises dont les conséquences continuent et continueront longtemps à se faire ressentir quels que soient les actuels rabibo-chages diplomatiques entre russes et occidentaux, lesquels ne changent en rien les données structurelles de la question de fond : rivalité pour le contrôle des sources énergétiques, politique de contention de la Russie par la puissance atlantique.
Ainsi les conflits gaziers de 2006 et 2008 comptent-ils au rang des séquelles à la fois mécaniques et politiques qui accompagnent la rupture d’alliance entre Kiev et Moscou (celle-ci n’étant en outre que l’une des manifestations, parmi d’autres, de la politique d’endiguement de la Russie menée par les États-Unis), laquelle s’est accentuée à partir de 2004, au moment où celle-ci commençait à amorcer une certaine « reprise », notamment en matière de restauration de ses capacités militaires. De nouvelles relations impliquant un changement de statut commercial difficile à admettre pour des gouvernants ukrainiens résolument atlantistes. Au demeurant rien d’extraordinaire à ce que Moscou souhaite l’alignement des prix du gaz vendu à Kiev sur ceux pratiqués avec les Vingt-Sept !
Corrélativement, il serait intellectuellement contreproductif de gommer le lien de causalité existant entre l’indépendance du Kossovo en février 2008 et le programme anti-missile américain en Pologne et en Tchéquie, d’une part, et les contentieux gaziers ou territoriaux opposant la Russie à l’Ukraine et à la Géorgie d’autre part. Épisodes qui sont l’expression d’un différend Russie/États-Unis plus profond et dont les péripéties prennent actuellement de l’ampleur au fil des ans… À ce propos, l’offensive géorgienne du 8 Août 2008 sur Tchinkvali, capitale de l’Ossé-tie du Sud, et la guerre de soixante-douze heures qui s’en suivit2 ou la crise commerciale bilatérale Russie versus Ukraine du 2 au 20 janvier 2009, sont des événements majeurs qui ont largement modifié la donne des relations Russie-Europe. Un seul exemple : après l’affaire d’Ossétie du Sud, l’Europe centrale et orientale – y compris Berlin, attentiste jusque-là – réclamait à cor et à cris l’adhésion de la Géorgie et de l’Ukraine à l’Otan ; après le dur avertissement gazier, la question a aussitôt été renvoyée aux calendes grecques.
Il est vrai que l’Union européenne, politiquement acéphale, n’a pris que tardivement conscience qu’il pouvait y avoir un prix à payer, et peut-être élevé, pour faire entrer l’Ukraine dans l’Otan, autrement dit pour battre en brèche la Russie sur ses propres frontières, dans le cadre d’une interprétation à courte vue de la partition écrite à Washington et par des hommes appartenant à une Administration désavouée par les événements et par l’histoire.
Revenons un instant sur la crise d’approvisionnement gazier en tant qu’elle est une conséquence indirecte, mais immédiate, de l’application de la vulgate libéraliste érigée en loi d’airain par Bruxelles : la soumission sans dérogation au dogme de la concurrence imposée aux opérateurs prohibant ainsi toute politique énergétique concertée entre les Vingt-sept. Un émiettement du marché acheteur qui a priori réduit a quia la capacité de négociation de chacun des membres de l’Union, in fine seul devant le titan Gazprom.
Un libre jeu de la concurrence qui, dans le cas présent, se révèle être une idée délétère, en dépit de sa congruence avec la dogmatique libérale. La crise leur ayant fait sentir le vent du boulet, nos eurocrates commencent donc à parler – mais un peu tard – de politique énergétique commune ! Sauront-ils cependant tirer les leçons de cet épisode et s’efforcer à l’avenir de raisonner sur des faits, à partir de réalités concrètes et non des présupposés idéologiques ? Rien n’est moins sûr ! Pour les idéologues de la Commission qui nous gouvernent – sans le moindre mandat – la sécurité énergétique n’est pas en effet à l’ordre du jour. Mais sachant qu’environ 30% des importations gazières de l’Union proviennent de Russie3 et, compte tenu de la non stabilisation des relations entre l’Union et la Russie, poursuivre selon un modus operandi inchangé, constitue évidemment une politique à haut risque.
Une crise enfin dont les effets, peu ressentis à l’Ouest, mettent à mal une autre idée tout aussi controversable ayant cours dans les contre-allées des instances supranationales à vocation mondialiste (OCDE, UNESCO, PNUE) : l’idée dd interdépendance (laquelle n’est que le cache-sexe d’une pure et simple dépendance) comme remède universel aux tendances belligènes des communautés nationales. Sophisme qui a d’ailleurs constitué l’un des arguments de vente dans un premier temps, de l’Europe, puis dans un deuxième temps, de la mondialisation.
L’interdépendance, la dépendance tout court, pour ce qui regarde les secteurs d’intérêts vitaux – énergie, alimentation, sécurité – peut être acceptable, mais jusqu’à un certain point, et à bon escient … En tout cas, la crise gazière aura montré à ceux des eurocrates qui étaient entièrement dépourvus d’imagination que l’interdépendance pouvait être la pire de choses… jusqu’à éventuellement mettre, et en quelques jours, un faisceau de pays à genoux.
Toujours au-delà de ses dimensions premières, bilatérale et commerciale, sans doute faut-il aussi remettre plus largement en perspective le dernier avatar du contentieux politique russo-ukrainien, car ce n’est peut-être pas tout à fait sans raison que l’expression de nouvelle guerre froide a fait son apparition depuis 2006, cela dans un contexte de dégradation tendancielle des relations entre la Russie et l’Occident, caractérisé par des divergences particulièrement marquées ou récurrentes sur le dossier du Kossovo, de l’Iran ou de la gestion du conflit afghan.
Une formule choc cependant vite écartée par les chancelleries et les commentateurs toujours soucieux de sauver les apparences et d’habiller les faits avec de mots qui les contredisent. Pour que les événements n’existent pas, ne suffit-il pas de les rebaptiser ? Or, comme le souligne l’ancien conseiller du Président Carter, Zbigniew Brzezinski, dans « Le Grand échiquier » : «… Dés 1994, Washington accorde la priorité aux relations américano-ukrainiennes. Sa détermination à soutenir l’indépendance du pays est généralement perçue à Moscou — y compris par les « modernisateurs » — comme une intrusion dirigée contre les intérêts vitaux de la Russie ». Quatorze an plus tard, le même démontrant une fois de plus la rigoureuse continuité de pensée géostratégique animant les cercles dirigeants américains, insiste sur la nécessité pour les États-Unis « de saisir l’occasion du « moment unipolaire » né de l’effondrement de l’Union soviétique » (Washington Post 30 mars 2008)… No comment !
Car même si la Secrétaire d’État américaine, Hillary Clinton, s’est entretenue à Genève le 6 mars 2009 avec son homologue russe Sergueï Lavrov, en prélude à la rencontre des présidents Barack Obama et Dmitri Medvedev le 2 avril 2009 à Londres, à l’occasion du sommet des pays du G20 sur la Crise économique et financière mondiale, cela afin de donner « un nouveau départ » aux relations entre Washington et Moscou, les invariants géopolitiques demeurent, et ce en dépit des arrangements et des péripéties circonstanciels. Nous ne considérons donc ici que les constantes structurelles indépendamment des compromis, fruits saisonniers de la conjoncture.
Prenons-en pour preuve l’attitude du vice-président américain Joseph Biden, un mois auparavant, le 9 février 2009, à de la Conférence sur la Sécurité de Munich, qui avait dénié avec une certaine arrogance le droit pour Moscou « de décider en lieu et place de ses voisins à quelles alliances ils doivent adhérer ». Dans le même temps, selon le sacro-saint principe du deux poids, deux mesures, Washington ne se gêne pas dans le cadre de l’Otan – qui demeure contre vents et marées « l’image inversée du pacte de Varsovie » comme le président William Clinton se plaisait à le rappeler en mars 1997 – pour s’arroger le droit de peser lourdement sur les choix géopolitiques de la Géorgie et de l’Ukraine. Un notable changement de ton, à un mois de distance, auquel la fermeture de la base de Manas en Kirghizie, indispensable pour assurer la continuité du lien logistique allié avec l’Afghanistan, n’est sans doute pas étrangère…
Par conséquent, si la nouvelle administration américaine entend « relancer » les relations avec Moscou (la rencontre du 27 juin à Corfou tendrait à le confirmer, au moins en apparences), sur le fond rien ne bouge : la question du bouclier antimissile sur laquelle Washington semblait vouloir reculer en termes de concessions réciproques, va certainement continuer à être la pierre d’achoppement des intentions de la Maison-Blanche dans la mesure où celle-ci reste décidée à interdire la création d’une zone d’influence russe en Europe orientale. Politique dont l’intégration de la Géorgie et de l’Ukraine à l’Otan constitue un élément clef, au même titre que l’ont été l’indépendance du Kossovo, le démantèlement de la Yougoslavie et la guerre d’août 2008.
Reste que la nouvelle Administration, plus encore que la précédente, ne peut se passer de la Russie sur les dossiers brûlants que sont le programme nucléaire iranien et nord-coréen, ce dernier, loin d’être clos, venant d’être réactivé en mars 2009 par des essais de vecteurs balistiques. Sans parler du renouvellement du Traité de réduction des armes stratégiques (START-1) signé en juillet 1991 et arrivant à expiration en 2009.
Au demeurant, il est certain que le contexte n’est plus le même qu’au temps où les deux Blocs se menaçaient mutuellement de vitrification. Aujourd’hui la Russie, dont le PIB est inférieur à celui du Brésil, ne menace plus le camp atlantique de représailles meurtrières4. Reste que le contrôle des ressources pétrolières du Bassin de la Mer Caspienne ainsi que les corridors de transit énergétiques que sont l’Ukraine et la Géorgie sont devenus l’objet d’une intense concurrence entre la Fédération de Russie et l’Alliance euratlantique, lesquelles s’affrontent plus ou moins ouvertement, certes selon des stratégies indirectes, suivant l’axe géostratégique des trois Mers : Mer Méditerranée, Mer Noire, Mer Caspienne5.
On complétera utilement la lecture des événements au regard des enjeux géoénergétiques et géostratégiques liés au Caucase et à l’Asie Centrale en se référant notamment au « Grand échiquier » de Zbigniew Brzezinski (1997 – voir supra) lequel développe dans cette monographie le principe d’une politique ddendiguement de l’espace continental russe6. Un encerclement destiné à couper la Russie des grands gisements d’énergie fossile du Caucase et d’Asie Centrale ou encore de l’Iran aux immenses ressources gazières (les troisièmes mondiales). Cette dernière – compte tenu des progrès de la liquéfaction – sera vraisemblablement appelée à assurer la transition entre le pétrole et les énergies à venir le jour où les approvisionnements pétroliers commenceront à décliner au regard d’une demande sans cesse croissante.
Bien entendu il n’existe pas a priori – aujourd’hui – de risque prévisible de confrontation directe en dehors de l’hypothèse d’une conflagration régionale dont l’épicentre se situerait en Iran. Il n’en demeure pas moins que le bras-de-fer se trouve engagé, indépendamment de la politique de compromis réciproques, en vue de résoudre urgemment l’épineux problème afghan, qui semble devoir être à l’ordre du jour.
En effet, sans revenir en détail sur le « contentieux » qui oppose les États-Unis à la Russie, relayé peu ou prou par l’Union européenne7, l’actualité semble indiquer (indépendamment des déclarations d’intention de Mme Clinton dont il a été fait mention plus haut) que la saison est au réchauffement des relations Est-Ouest. Un net changement de ton intervenu à Munich en février 2009 à l’occasion de la 43ième Conférence sur la sécurité, en comparaison de celui prévalant encore en février 2007, lorsque le président russe Vladimir Poutine exhortait les Européens à rompre le Pacte atlantique les liant « à une puissance belliqueuse dont ils n’ont rien à espérer », des propos certes tenus à une époque où une éventuelle intervention militaire des États-Unis contre l’Iran n’était pas à exclure. Ce pourquoi il semble nécessaire d’insister à la fois sur la nature des tensions opposant les deux blocs rivaux – euratlan-tique et eurasiatique – jusqu’à il y a peu, et sur leur transcription événementielle afin de mettre en exergue la logique et la cohérence à l’œuvre dans les divers accidents et épisodes auxquels nous assistons.
Ainsi, la décision en juillet 2007 du président russe Vladimir Poutine de suspendre la participation de son pays au régime de vérification du Traité sur les forces conventionnelles en Europe donnait la mesure d’une dégradation des relations sans précédent depuis la fin de l’ère soviétique. Une tendance qui a commencé à s’inverser lorsque la nouvelle Administration américaine a pris la mesure de la volonté de Moscou de ne plus se laisser impunément tailler des croupières. La Révolution orange en Ukraine 2004-2005, la décision prise en 2007 d’installer un bouclier anti-missile en Pologne et en Tchéquie, l’indépendance du Kossovo le 15 février 2008, les demandes très encouragées d’adhésion à l’Otan de la Géorgie et de l’Ukraine, l’offensive géorgienne sur Tchinkvali, capitale de l’Ossétie du Sud, le 8 août 2008, constituaient en effet pour Moscou autant d’empiétements qui appelaient des réponses graduées, mais de plus en plus fermes, marquant ainsi une escalade discrète mais bien réelle.
En réponse du berger à la bergère, la Russie, outre le prépositionnement de deux bombardiers stratégiques Tu-160 au Vénézuéla, signe en novembre 2008 un accord avec la Biélorussie portant sur le déploiement d’un système de défense antimissile. À la même date, le président Medvédev stigmatise les intrusions de bâtiments de l’Otan en Mer Noire à l’occasion de la crise du Caucase, annonçant l’installation de batteries de missiles d’interception Iskander dans l’enclave de Kaliningrad (Koenigsberg). Enfin, last but not least, le président Medvédev fait signer à son homologue kirghize un accord relatif à la base aérienne de Bichkek en Kirghizie pour en faire interdire l’usage à l’armée américaine. Une base indispensable au ravitaillement des 70 000 hommes des forces alliées et de l’Otan opérationnels en Afghanistan (avant le renfort attendu en 2009 de 17 000 Gi’s transférés du front irakien).
Ayant pris acte d’un retour de la Russie sur la scène internationale, Washington semble donc s’orienter vers la formulation de propositions inédites en matière de réduction des armements nucléaires, proposant à Moscou d’échanger un système antimissile – n’existant pas encore ! -contre une réduction du potentiel nucléaire, parfaitement réel celui-là, de la Russie, et au-delà, l’engagement de Moscou à jouer un rôle actif destiné à réorienter les choix nucléaires de l’Iran.
Dans les faits, les États-Unis ne semblent cependant pas devoir renoncer à l’élargissement de l’Otan, ni au redéploiement des leurs bases en Europe de l’Ouest vers l’Est de l’Europe, encore moins à la militarisation de l’espace et de l’Arctique, ainsi qu’aux opérations militaires hors de la zone de responsabilité de l’Alliance atlantique. Pour schématiser, le Département d’État piloté par Mme Clinton (voir sa déclaration du 10 février 2009) offrira au mieux un choix élémentaire à la Russie : ou des missiles à vos frontières ou une alliance de facto contre l’Iran… une alternative selon toute apparence non-négociable présentant toutes les apparences d’un chantage.
En ce qui concerne l’Union européenne, la dégradation tendancielle des relations Est-Ouest au cours des cinq dernières années s’est traduite au final par un clivage de plus en plus marqué entre les « deux » Europe, occidentale et orientale, cette dernière volontiers opposée à l’Union (comme la République tchèque ou la Pologne qui reconnaissent cependant les généreux bienfaits de la manne européenne), et résolument alignée sur les États-UNis (voir infra).
L’Europe orientale, entrée massivement dans l’Union en 2004, demeure en effet habitée par un fort ressentiment à l’égard de la Russie, ressentiment contracté durant les décennies de satellisation au sein de l’Union soviétique. Clients par vocation de l’Amérique, perçue par eux comme la Terre promise, havre d’abondance et de liberté, les pays d’Europe orientale ont vu dans le déclenchement des hostilités entre la Russie et la Géorgie une occasion propice de réactiver une opposition ou-trancière à la nouvelle Russie, cela jusqu’à adopter des postures passionnelles les conduisant à surenchérir sur celles de Washington.
Alors même que la présidence française cherchait judicieusement des apaisements et une sortie de crise honorable, les capitales de l’Est plaidaient a contrario pour la plus grande fermeté à l’égard de Moscou. Bien leur en a pris, puisque les approvisionnements de gaz russe cessèrent presque trois semaines durant cet hiver 2008 pour leur rappeler opportunément qu’il ne suffit pas d’aboyer, que l’Amérique est loin et que les conseilleurs ne sont pas les payeurs. Une crise sévère largement occultée à l’Ouest par les événements de la Bande de Gaza, mais qui mit tout autant l’accent sur l’absence cruelle de politique énergétique commune de l’UE que sur l’absence de solidarité réelle de part et d’autre le la ligne Oder-Neisse.
Pour nous résumer, la crise gazière russo-ukrainienne, alors qu’il s’agissait de prime abord d’aligner les prix des fournitures à l’Ukraine sur les tarifs pratiqués avec l’UE et donc de mettre fin à un système préférentiel qui n’avait plus lieu d’être, n’est pas un épiphénomène ou un simple accident. elle n’est pas davantage un simple épisode diplomatique sans conséquence géopolitique. Elle constitue en réalité un événement devant s’appréhender simultanément de façon diachronique et synchronique, un événement qui s’inscrit sur un arc de crise, lequel s’étend, tout bien considéré, des Balkans à la péninsule coréenne.
Notons que Berlin, d’abord réservée quant à l’adhésion de l’Ukraine à l’Otan (point de vue exprimé au sommet de l’Otan du 4 avril 2008 à Bucarest et partagé avec Paris), change son fusil d’épaule après la décision d’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie, et demande une accélération de la procédure d’intégration, manifestant pour le coup une divergence mal venue avec son allié d’outre-Rhin, paradoxalement le nouveau meilleur ami de l’Amérique ! Décidément, l’Union européenne a bien du mal à parler d’une seule voix. État de fait qui marque une disharmonie notable dans l’analyse des situations et dans la conception d’une défense bien comprise des intérêts collectifs européens lorsqu’ils divergent ou entrent en conflit avec des intérêts nationaux à courte vue. Encore une fois, la crise gazière a ramené à leurs justes proportions les prises de position toute politique et alignées sur les desiderata de Washington qui ont entouré d’un halo idéologique la guerre russo-géorgienne. Ce sont là les enseignements qu’il convient de tirer d’événements sans rapports immédiatement apparents.
De ce seul point de vue, M. Sarkozy qui assurait alors la présidence tournante de l’Union, ne fut nullement – comme l’on aurait pu s’y attendre en raison de ses adhérences néoconservatrices – celui qui se montra le plus intransigeant à l’occasion de la crise d’août 2008. Attitude et méthode qui furent l’objet de commentaires virulents à l’Est. Autant de critiques révélatrices de divergences de fond plus accentuées que prévisibles entre les deux Europe.
En résumé, si la France par le passé a pu avoir « un projet européen » autonome hérité du gaullisme – et dont la dernière manifestation fut sans doute en février 2003 le plaidoyer de M. Villepin en faveur du respect de la légalité internationale dans le dossier irakien l’Irak devant le Conseil de Sécurité – Zbigniew Brzezinski, à la fin de la décennie 90, postulait pour sa part, dans le Grand échiquier, que l’Allemagne devait constituer un contrepoids suffisant pour maintenir à elle seule l’Union sous influence nord-américaine. Douze ans après, force est de constater que cette opinion n’a rien perdu de sa pertinence… surtout après l’élargissement de 2004, qui a vu une fournée de dix nouveaux entrants d’Europe de l’Est, déjà membres de l’Otan et clients assidus des États-Unis, venir contrebalancer l’influence d’une France encore badigeonnée, bien qu’en demi-teintes, aux couleurs de l’indépendance et d’une certaine idée de l’État héritée du gaullisme. Avec la dernière extension de l’Union européenne à l’Est, survenue le 1er janvier 2007 (Roumanie et Bulgarie à l’issue d’un processus bâclé affecté d’un non respect caricatural des critères de Copenhague dits de convergence), l’arrivée de deux nouveaux États au sein de l’Union n’a fait qu’affaiblir par dilution le poids déjà relatif d’une France où l’arrivée au pouvoir d’une nouvelle majorité au printemps de la même année a achevé de faire basculer l’Europe dans le camp ultra-libéral, parti qui est aussi celui du Choc des civilisations.
Enfin, l’élection en 2007 d’un atlantiste convaincu, en la personne de M. Sarkozy, mettait fin à la parenthèse gaullienne de la Ve République ; fermeture scellée par le retour de la France dans le giron du commandement intégré de l’Otan pour le sommet de Baden-Baden d’avril 2009. L’une des missions de l’Union est, par le truchement de l’Otan, d’isoler la Russie dans ses frontières et de neutraliser son influence dans le Caucase et en Asie centrale. Une stratégie qui a atteint ses limites en Géorgie et en Ukraine et dont le dernier effet s’est manifesté en Asie Centrale avec la fermeture en Kirghizie de la base aérienne de Bichkek par laquelle transitait vers l’Afghanistan une part non négligeable des approvisionnements destinés aux quelque 20 000 hommes des forces américaines et aux 50 000 personnels de l’Otan, sous mandat des NU.
Au final, selon les projections de M. Brzezinski, dont les analyses à long terme s’imposent déjà à la nouvelle Administration américaine, « l’élargissement de l’Europe et de l’Otan devra servir les objectifs à court ou à plus long terme de la politique américaine. Une Europe plus vaste devant permettre d’accroître la portée de l’influence américaine — et, avec l’admission de nouveaux membres venus d’Europe centrale, se multiplierait le nombre d’Etats pro-américains au sein des conseils européens — sans pour autant créer une Europe assez intégrée politiquement pour pouvoir concurrencer les Etats-Unis dans les régions importantes pour eux, comme le Proche-Orient ». Il faudrait évidemment ajouter « dans le Caucase et ailleurs » !
Un diagnostic que vient confirmer l’éventualité d’une participation de l’État hébreu à tous les niveaux de décision de l’Union européenne – notamment en matière de Sécurité – après l’initiative, le 8 décembre 2008, de M. Sarkozy de « rehausser » les relations entre Tel-Aviv et Bruxelles9. Et ce, malgré un avis à surseoir donné quelques jours auparavant par le Parlement européen. La tragédie de Gaza aura, semble-t-il, donné un coup d’arrêt à une procédure pour le moins surprenante. Une intrication d’intérêts qui laisse par ailleurs songeur au regard de la capacité de l’État hébreu à ne pas se soumettre à la légalité internationale. Par exemple, quant à la non application d’un certain nombre de Résolutions du Conseil de Sécurité, sa politique systématique de la chaise vide et la non ratification des grands traités relatifs à la stabilité internationale ou aux droits de l’homme : Traité de non prolifération nucléaire, Cour pénale internationale, Interdictions de mines et autres armes anti-personnels… Littéralement, Israël est un état d’exception, ignorant les règles communes, autrement dit, de facto hors la loi commune des Nations.
Il est vrai qu’une lecture au premier degré des intentions déclarées de la nouvelle Administration américaine permet un certain apaisement quant à la persistance de défiances entre les deux rives de l’Atlantique Dans la mesure où elle semble se montrer « déterminée à privilégier l’approche multilatérale et à renforcer le dialogue avec les Européens, notamment dans le cadre de l’Otan »10. Tout comme avec la Russie et la reprise, en principe sur de nouvelles bases, des réunions du Conseil Otan-Russie suspendues depuis août 2008 à la suite de la crise géorgienne. tout en apportant un soutien paradoxal – en apparence seulement – à la constitution d’une véritable Europe de la défense11… Simultanément, la Russie procède au renforcement de sa présence militaire en Abkhazie et en Ossétie du Sud, développant par ailleurs en Asie centrale un activisme diplomatique visant à tenir la dragée haute à l’influence américaine et à son bras armé l’Otan comme en témoigne la fermeture de la base aérienne américaine de Manas en Kirghizie, nouvel épisode d’un bras de fer géopolitique en même temps que précieux atout dans les marchandages en cours. Moscou enfin s’attache assidûment à resserrer les liens qui unissent les pays émergents membres de l’Organisation de coopération de Shangaï, un contrepoids de taille aux ambitions de Washington…
Une diplomatie réorientée mais néanmoins musclée puisque les États-Unis entendent augmenter leurs effectifs en Afghanistan de quelque 30 000 hommes, dont 17 000 hommes au cours du seul premier semestre 2009. Troupes qui seraient principalement affectées à la FIAS, la Force internationale d’assistance à la sécurité, et non à l’opération américano-américaine Enduring freedom, portant ainsi la participation américaine dans cette projection de forces à tout juste la moitié des effectifs de l’Otan. Une modification de voilure qui semble d’autant plus problématique pour les européens que dans le même temps, les États-UNis entendent bien continuer à assurer seuls le commandement de l’ensemble du dispositf sous couvert d’un mandat des Nations Unies.
Notes
- Proche d’Henry Kissinger et de l’oligarque russe Khodorkovsky, il est un membre influent du Forum économique mondial et de l’ONG Human Rights Watch. Fondateur de lOpen Society Institute dont l’influence s’étend, à travers de multiples et insaisissables ramifications, en Europe orientale et dans les Républiques du Sud de l’ex-Union soviétique. Soros est par ailleurs l’un des animateurs de l’International Crisis Group dont le Conseil d’administration regroupe l’élite du monde atlantique ; en 2001, il crée le Democracy Coalition Project en marge des sommets de la Communauté des démocraties orchestrés par le Département d’État américain. Ses diverses fondations seront expulsées de Russie fin 2003, après qu’il eut, par exemple, injecté 100 millions de dollars dans la création d’une Fondation scientifique inter Les Services fédéraux russes de contre-espionnage (FSB) accuseront les fondations Soros d’« espionnage » eu égard aux liens existants ou supposés entre elles et la CIA. À partir de 1994, George Soros avait commencé à perfuser des millions de dollars dans le secteur de la communication et de l’information en Europe orientale (ainsi Radio Free Europe/Radio Liberty anciennement radio de la CIA pendant la Guerre froide), subventionnant nombre de médias indépendants, tel Radio B92 opérationnel pendant les guerres de l’ex-fédération yougoslave et le groupe serbe Otpor qui en 2000 présida à l’organisation des manifestations qui entraînèrent la chute du Président Milosevic. Optor intervient également en Ukraine dans la formation du réseau Pora lequel reçut quelque 7 millions de Dollars pour tenir son rôle dans la Révolution Orange. Même schéma en Géorgie où la Fondation Soros alloua 4,6 millions de dollars au groupe Kmara. Autant d’organisations associées à d’autres fonds (Ford, MacArthur, Carnegie, Rockefeller) qui ont joué et continuent à jouer un rôle déterminant dans les changements de gouvernements « spontanés » et d’initiative populaire à l’Est et dans le Caucase.
- Alexandre Medvedev le 11 sept 2008 : « Le 8 août est pour nous ce que le 11 septembre est à l’Amérique ». Ce qui, traduit en clair, revient à accuser l’Administration américaine de terrorisme pour avoir soutenu, voire encouragé, l’offensive déclenchée en Ossétie du Sud.
- Le reste du gaz consommé dans l’Union provenant d’Algérie, de Norvège, des Pays-Bas, du Nigeria. Quant au gaz russe, 80 % de la production exportée transitent par l’U
- Encore que ! L’ouverture des archives nous dira plus tard ce qui s’est effectivement passé au cours des heures qui ont suivi le naufrage du sous-marin nucléaire d’attaque Koursk en Mer de Barents, le 12 août 2002, alors que les officiers d’état-major de la marine russe se voulaient convaincus que des bâtiments, submersibles ou surfaciers, de l’Otan étaient à l’origine de la catastrophe ? Au cours de ces manœuvres, non seulement la démonstration devait être faite devant une délégation d’officiers supérieurs de la marine chinoise, de la maitrise par les russes de la technologie des torpilles à cavitation (VA-111 Shkval susceptible de se déplacer sous l’eau à 100 m/s, soit 360 km/h) dites tueuses de porte-avion, mais en outre, à l’issue des manœuvres, le Koursk devait passer en Méditerranée (où il effectua une première mission fin 1999), chasse ultra-gardée de la VIe Flotte, alors même qu’Arafat – en septembre 2002 donc – se préparait à déclarer unilatéralement la création d’un État palestinien lequel, en principe, devait être aussitôt reconnu par l’UE.
- La guerre entre la Russie et la Géorgie en Ossétie du Sud, a mis en évidence la nouvelle importance stratégique de la mer Noire et à ce titre, des six États riverains, Turquie, Bulgarie, Roumanie, Ukraine, Russie, Géorgie et Moldavie, situés sur une ligne de démarcation séparant l’Europe orientale, la Méditerranée et le Caucase. Plusieurs conflits gelés affectent la région : Transnistrie, Abkhazie, Ossétie du Sud et Haut-Kara Or, la Mer noire est devenue, à l’instar de la Méditerranée, une mer américaine reliant la Mer Caspienne et ses précieux gisements d’hydrocarbures à la Mare vestrum sous contrôle de la VIe Flotte. D’où la hâte de Washington à intégrer les corridors énergétiques que sont l’Ukraine et la Géorgie dans l’Otan et accessoirement dans l’UE dont 21 membres sont déjà parties prenantes de l’Alliance atlantique.
- Dans son « Grand échiquier », publié en 1997, Zbigniew Brzezinski avance que « la priorité géostratégique [des États-Unis] est de gérer l’émergence de nouvelles puissances mondiales de façon qu’elles ne mettent pas en péril la suprématie américaine ». Puissances émergentes concentrées sur le « continent eurasien » entre Lisbonne et Tokyo via Berlin, Moscou, Tachkent, Pékin, New Delhi. Là, au sein de quatre grandes aires géopolitiques, Europe de l’Ouest, Russie, Balkans asiatiques (Caucase et Ukraine), Asie (Chine, Japon, Inde), se joue la suprématie des États-Unis. Suivant ce schéma, « l’Europe deviendrait, à terme, l’un des piliers vitaux d’une grande structure de sécurité et de coopération, placée sous tutelle américaine et s’étendant à toute l’Eurasie… Si l’Europe s’élargissait, cela accroîtrait automatiquement l’influence directe des Etats-.. l’Europe de l’Ouest reste dans une large mesure un protectorat américain et ses Etats rappellent ce qu’étaient jadis les vassaux et les tributaires des anciens empires ».
- La Stratégie européenne de sécurité, la National Security Strategy des États-Unis et le Concept stratégique de l’Otan sont désormais quasiment des copies conformes.
- Le 11 juin 2008, le président du Groupe confédéral de la Gauche unitaire européenne, Francis Wurtz, demandait dans un courrier adressé au Président Sarkozy et à la présidence de la Commission, des éclaircissements au sujet des négociations (secrètes) que menait Bruxelles avec Tel-Aviv pour conférer à Israël des droits de quasi -État-membre de l’Union : participation à tous niveaux sur les questions de sécurité et de dialogue stratégique ; aux délibérations du Conseil sur le Maghreb et le Machrek et de la représentation de l’UE au sein de l’ONU ; aux Conseils traitant de l’économie, des finances, de l’énergie, de l’environnement, des transports, des medias, de la jeunesse, de l’enseignement supérieur, jusqu’à constituer une structure parlementaire conjointe Union européenne/Israël… Des réunions ont lieu dès juin 2007 puis en octobre 2008 dans le but de préparer une Déclaration du Conseil, « cela sans que la moindre information n’en ait été donnée à la représentation parlementaire de l’Union ! ». Plus précisément les desiderata israéliens portent sur un statut d’observateur aux Conseils des ministres et à l’intégration aux mécanismes communautaires dans les domaines politique, économique, de sécurité, de régulation et de gestion du marché intérieur ; association à l’ensemble des programmes communautaires, Israël entend devenir membre des agences spécialisées et participer aux travaux de normalisation, notamment en ce qui concerne les mesures internes relatives aux marchés des capitaux et aux services financiers ; outre les énergies renouvelables, les transports, les médias, la jeunesse, l’enseignement supérieur et la culture, se satisfaisant pour les politiques de l’emploi et les politiques industrielles d’une « concertation structurée »… statut spécial devant s’accompagner au final d’une structure parlementaire conjointe. Ce « statut spécial » pour Israël au sein de l’Union prolongerait ainsi l’accord de reconnaissance mutuelle signé en janvier 2008 avec le gouvernement français et aux termes duquel les sociétés israéliennes ont obtenu la faculté d’intégrer la Bourse française sans avoir été soumis aux vérifications de régulateurs, un « accord » boursier devant être étendu à toute l’UE.
- Le projet Euromed qui était une priorité pour la nouvelle présidence européenne et semblait s’articuler sur le projet américain Greater Middle-East Initiative. «Le temps est venu de bâtir au centre une Union méditerranéenne, qui sera un trait d’union entre l’Europe et l’Afrique. Ce qui a été fait pour l’Union de l’Europe il y a soixante ans, nous allons le faire aujourd’hui pour l’union de la Méditerranée» annonçait M. Sarkozy au lendemain de son élection. Un grand dessein qui semble à l’heure actuelle remisé dans ses cartons et selon lequel la carte de l’aire islamique, de la Mauritanie au Pakistan, devait faire l’objet d’un redécoupage général sur des bases ethniques ou confessionnelles selon un principe analogue à celui présidant à la création d’un Europe des régions. Divide et impera sous couvert de démocratisme. Ce programme ne manquera pas de resurgir au grand jour à la première occasion, comme celui de l’Eurafrique dont le coup d’envoi, le discours de Dakar (26 juillet 2007), avait un été un fiasco… avant d’être relancé en mars 2009 avec un projet de marché commun de la région des Grands Lacs promu par Paris.
- Commissions de l’Assemblée parlementaire de l’Otan, 18 février 2009.
- Europe de la défense qui n’est qu’une aimable plaisanterie (ce qu’Hubert Védrine ne se prive pas de dire publiquement comme il le fit par exemple le 3 mars 2009, en présence de Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État à la défense à la 14ième Conférence stratégique) ainsi que cela apparaît dans le fait que ses maigres contingents sont automatiquement placés, en cas de besoin, sous commandement américain, 21 États membres de l’Union appartenant à l’Otan (sur 26 au total). Une façon indirecte mais pas indolore financièrement – d’opérer un transfert de charge (burden sharing) sur les Européens. Notons dans ce cas emblématique, le développement autonome et richement ornementé du discours sur l’indépendance de l’UE et une réalité située aux antipodes.