Pierre Portas, de nationalité franco-suisse, titulaire de diplômes académiques des Universités de San Diego en Californie et de Genève en Suisse, s’est engagé dans la protection de la Nature au WWF-International et UICN (Union Internationale de conservation de la Nature) de 1976 à 1988. Il rejoint ensuite le Programme des Nations Unies pour l’ Environnement en 1989 pour mettre en place le secrétariat intérimaire de la Convention de Bâle (sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux). Après 16 années il quittera le secrétariat en tant que Secrétaire exécutif adjoint. Pierre a enseigné à l’ Institut Universitaire des Etudes du Développement à Genève et donné des cours dans de nombreuse universités de par le monde. Il a contribué à la rédaction de nombreuses publications sur l’environnement. En 2007 il crée l’association WE 2C (Waste Environment Cooperation Centre) en France dont les activités sont centrées sur la gestion des déchets produits par les navires, l’environnement et la mode et les questions attenantes aux changements climatiques, à la biodiversité et les océans.
Résumé
La pandémie a instauré une incertitude radicale quant à l’avenir. Les équilibres géopolitiques sont bousculées et les relations internationales mises sous tension. Face à l’indigence de la réponse des Etats, la société civile s’impose comme facteur du changement. Le monde post CoVid-19 sera différent. La condition Nature, et en particulier la cause climatique, et la condition humaine apparaissent comme les piliers du nouveau monde dont l’enjeu démocratique est soulevé. La pandémie a révélé les limites de la mondialisation telle que pratiquée et la faiblesse des institutions. Nous n’avons pas encore forgé les outils pour analyser et construire le monde de demain. Cependant, ne pas vouloir changer c’est s’exposer à d’autres crise sanitaires et environnementales globales et laisser libre cours à la violence quelle soit institutionnelle ou civile.
Short abstract in English
In front of our eyes, a disrupted economic, social and political world. The pandemic has examplified the fragility and vulnerability of humankind confronted with a dramatic natural phenomenom. It shows how ill-prepared we were to prevent and manage the spread of a lethal virus. CoVid-19 is a magnifier of our weaknesses and illustrates that human beings within the web of Nature were not the central piece of our economic models. We need to rethink our ties with Nature and rebuild links with her. The Laws of Nature will not change; we have to change. This is the message that the global civil sociéty movements that have been put up-front by the pandemic tells us. There are radical uncertainties about tomorrow and no confident predictions could be proposed on how the world will look like. The turmoil created by the human response to the virus is affecting political equilibrium and international relations. The new equilibrium will need to take into account the challenge put forward by the civil sociéty to move towards a more sustainable and resilient human relation with Nature.
Avant-propos
Il n’y a pas de récit. Il faut le construire. Ce que nous constatons ne peut se fonder sur des références bibliographiques. Il n’y a pas le recul nécessaire. On ne peut pas décrypter le monde d’après uniquement avec les outils du mode d’avant. Il faut se réinventer. Ce qui est arrivé est inédit. Faudrait il remonter au 14ème siècle pour comparaison avec la peste noire? Cette peste qui a mis un terme au servage et accélérer les transformations sociales vers la Renaissance puis la Réforme. En quelques trois mois les réponses humaines face à la propagation fulgurante du virus ont ébranlé le monde et créé un désastre social et économique mondial.
Un réveil brutal
Le CoVid-19 est un révélateur et un amplificateur. La pandémie à mis à jour de manière cinglante les inégalités phénoménales qui traversent nos sociétés et la faiblesse des pouvoirs en place. Les équilibres et relations géopolitiques ou stratégiques ne sont pas des configurations abstraites. Tout est relié au tout. Ces équilibres sont en mouvements, souvent hors du champ de l’observation, traversés par les forces permanentes de l’humanité. C’est comme si il y a des plaques tectoniques souterraines qui se chevauchent et génèrent des fissures et des séismes. La pandémie accélère ce mouvement et le rend visible. La pandémie a aussi révélé notre perte de mémoire par rapport aux épidémies avec pour conséquences notre absence de résilience. Et surtout, cette crise met en lumière les limites de la mondialisation telle que pratiquée. Les deux piliers politiques qui structurent la mondialisation, l’ Etat et les institutions internationales, sont ébranlés. Les Etats ont perdu leur autonomie et les institutions internationales sont laminées et fragilisées. Même la crédibilité scientifique est atteinte. Des forces souterraines surgissent et confrontent la mondialisation. Une conscience transfrontière et intercontinentale se construit, grâce aux réseaux sociaux, dont les objectifs questionnent les systèmes politiques et économiques. Cette mouvance n’est pas structurée par la langue, la culture ou les idéologies. C est une pensé transversale qui rejette l’exclusion et les violences institutionnelle sur fond de racisme. Cette dynamique voit l’émergence politique des enfants et des adolescents sur la scène internationale et la convergences des luttes pour réduire notre impact sur le climat et le féminisme. En bref, la pandémie modifie tous les équilibres qu’ils soient de facture humaine ou naturelle. Les équilibres géopolitiques et les relations qui en dérivent vont être modifiés. On observe déjà quelques tendances. De nombreux Etats vont analyser leur dépendance économique par rapport à des ressources stratégiques et chercher les moyens de regagner leur autonomie. La mobilité très affectée par les confinements est repensée. On décèle une marginalisation des extrêmes en politique. De cela va découler une confrontation entre le monde d’avent et le monde d’après et entre les démocraties et les autocraties. Car la pandémie a mis mal la démocratie. Tout en donnant la parole à ceux et celles qui étaient, jusqu’à aujourd’hui, silencieux. Nous subissons un bouleversement majeur. Sous-jacente aux équilibres géopolitiques il y a la permanence de la condition humaine. Ces conditions vont déterminer la nature des équilibres politiques et économiques. La nouvelle donne est celle des réseaux sociaux qui mobilisent au plan planétaire sur des rhèmes qui placent l’être humain au centre des préoccupations. Qui imposent une vision plus humaine de la société comparée au pragmatisme, cynisme et objectivation de la personne. On entre dans un monde bipolaire non plus structuré par l’économie qui ne pourra jouer un rôle régulateur mais par le social. Il y aura collision entre ces forces contradictoires. Le futur est incertain et le monde instable. Le monde construit après la Deuxième Guerre Mondiale est obsolète.
Enjeu démocratique
La pandémie a eu pour effets de disloquer les équilibres géopolitiques. Les rivalités entre Etats peuvent s’aggraver. En l’absence d’institutions nationales et internationales solides et fortes, les tensions politiques et économiques vont affecter les bases démocratiques. Cette situation instable et imprévisible peut renforcer le pouvoir des autocrates et le nationalisme en tant que repli sur soi. La démocratie s’exerce dans une conjonction sociale fragile, volatile et anxieuse. La réponse de nombreux Etas face à la pandémie a été de restreindre les libertés individuelles. En réaction, des mouvements civiles demandent un renforcement de la démocratie dont ils perçoivent la fragilité. La colère engendrée par les inégalités et le racisme, amplifiés par la pandémie, qui n’est pas un feu de paille, est source de violence ce qui peut avoir comme effet de mettre en cause le fait démocratique. On se situe donc dans une configuration où plusieurs facteurs (la mondialisation et ses inégalités et ses guerres commerciales, la rivalité entre Etats) laminent la démocratie. Dans le monde post CoVid-19 il apparaît donc essentiel de reformuler le projet démocratique. Cela nécessite une ouverture sur la société civile et faire, réellement, que le citoyen soit le garant de cette démocratie. Cette démocratie ne pourra plus se limiter aux votations et élections. Elle sera participative et représentative. C’est un basculement au plan mondial,
2000-2020, deux décennies qui ont fragilisé le monde. L’individu est devenu un être-objet et être consommateur ayant égaré les valeurs essentielles de l’existence. La pandémie en s’incrustant dans nos chairs a réinventé un récit humain et mis les conscience en révolte en exacerbant les perversité des modèles économiques et financiers soutenus par les Etats. La pandémie dénude les idéologies et laisse un champ d’action à la démocratie. Le fait politique s’est figé confronté à l’impensable et ne trouve pas les réponses adéquates. La pandémie a mis en lumière de nouveaux rapports de force et le regard d’une société civile avide de démocratie, d’égalité et de paix. Cette crise dramatique a réintroduit l’être humain au centre du récit politique et de l’intérêt général.
La condition Nature
La pandémie est un phénomène biologique qui participe du vivant. La rencontre de ce virus avec l’être humain est accidentelle. Cet accident révèle la faiblesse de nos liens avec la Nature. Nos sociétés occultent le fait que nous, êtres humains, sommes partie intégrante du monde vivant dont dépend le monde humain. La pandémie nous ramène à l’essentiel: la santé et la nourriture. Deux composantes essentielles de l’existence qui ne devraient pas être objet des lois du marché. Le grand basculement post Covid-19 c’est de réaliser que l’économie ne peut être le régulateur de la condition humaine. Il y a des valeurs pérennes et immuables qui se situent au dessus et au-delà de l’économie. C’est la Nature qui régule les humains et ceux-ci doivent s’y plier. Cela ne sous-entend pas un déterminisme naturel figé car l’être humain en existant, en sortant, en s’extirpant de l’état naturel, acquiert son autonomie et sa liberté. Cependant les Lois de la Nature sont immuables. C’est l’être humain qui doit changer.
L’agenda international est bousculé par la pandémie et les relations entre Etats sont perturbées par la cause climat qui prend tout son sens. En effet, les changements climatiques opèrent un basculement de la pensée et de l’opinion publique. Tout dérèglement des systèmes écologiques au plan mondial est source de problèmes majeurs pour l’être humain. La jonction de la crise CoVid-19 et le combat pour réduire l’impact humain sur le climat se collisionnent. Le monde ne pourrait se permettre de subir les effets dévastateurs d’un réchauffement rapide de la planète. La reconstruction économique après la pandémie devrait intégrer la cause climat. Cette reconstruction va générer des tensions entre les pays et entre les pouvoirs et des mouvements civils qui demandent un monde d’après plus écologique. La structuration de l’économie et sa base énergétique sont remises en question. L’accès aux ressources naturelles devient un défi mondial majeur. La question d’un patrimoine naturel (eau, sols, forêts, paysages,…) qui appartient à l’humanité est posée. L’avenir des régions polaires sera au centre de la géopolitique. Avec le réchauffement climatique l’accès aux ressources naturelles de ces régions est facilitée. Mais leur exploration et exploitation posent d’immense problèmes écologiques qui peuvent affecter toute la planète. Cela se rajoutant à la dramatique fonte du permafrost. L’enjeu climatique devient cardinal.
Sans une volonté de changement nous nous exposons à la résurgence de crises sanitaires et environnementales globales. Nous devons repenser notre relation à la Nature dans la perspective de la durabilité et de la résilience. Cette nouvelle perspective va altérer la structure et la dynamique des relations internationales. Cette altération viendra bousculer les équilibres géopolitiques. Les grandes causes politiques évoluent. La pandémie accélère la dynamique de mouvements qui placent l’être humain au centre des préoccupations. La pandémie a affaiblit les puissances mondiales (USA, Chine, Russie, UE) sans pousser d’autres entités politiques à prendre le leadership. Pour l’instant c’est la rue qui a le le monopole du changement. La société civile mondiale devient un acteur politique majeur et prend de l’ampleur. C’est aussi la voix des silencieux qui s’exprime, des exclus, des minorités et peuples premiers. Cette société civile est engagée dans des combats que sont les inégalités sociales, le racisme, la protection de la Nature ou les changements climatiques. Elle cherche une mondialisation à visage humain inscrite dans le respect de la Nature. Cette manifestation civile peut s’engranger dans le temps et modifier les équilibres politiques.
Conclusion
La pandémie, crise inédite, a révélé les faiblesses de nos sociétés et accélérer la dynamique du changement. La réponse humaine à la pandémie a été désastreuse ce qui nous enseigne sur l’artificialité de nos modes de vie déconnectés du vivant. Les mouvements tectoniques sous-jacents amplifiés par la crise transforment les équilibres géopolitiques. Le monde ‘après est instable, angoissant et incertain. La radicalité de cette incertitude empêche toute réflexion définitive sur le futur. Les mouvements de la société civile, qui régulièrement surgissaient en réaction à des problématiques liées au respect de l’humain et de la Nature, semblent se structurer au travers des réseaux sociaux et représenter une nouvelle dimension politique de la mondialisation. L’enjeu post pandémie est de conjuguer la relance économique et une réorientation de celle-ci qui prenne en compte la condition Nature. La conjonction de la condition humaine et de la condition Nature constitue le nouveau paradigme. Les Etats ne sont pas prêts car construits sur des modèles d’après-guerre qui ont atteint leurs limites. Il faut se réinventer. La peste noire a porté aussi les germes de la Renaissance et de la Réforme. C’est à dire une nouvelle construction de l’Homme. Sans nul doute la reconstruction économique post CoVid est trop importante pour la laisser seule aux politiques, entrepreneurs, financiers ou économistes. Il s’agit d’un projet d’humanité.
Notes de lecture
- Articles parus sur la pandémie et les manifestations antiracistes dans le New Yorker, le New york Times et le monde
- Richard Nortaon (Editor-in-cjief of the medical journal the Lancet), COVID-19 catastrophe: What’s Gone Wrong and How to stop it from Happening Again, ED. Wiley, June 2020
- Institut Montaigne, Le Covid-19 est-il un game-changer géopolitique par Michèle Duclos, 19 mars 2020
- The Globalist – Rethinking globalization – Geopolitics After Covid-19: conflict or cooperation, by Andrès Ortega, June 21, 2020