Quelle politique américaine au Moyen-Orient ?

Ali RASTBEEN

Octobre 2005

Les événements qui se déroulent au Moyen-Orient puisent leur source dans l’invasion du « nouvel ordre mondial », annoncée pour la première fois par le Président George Bush (père) suite à l’attaque de l’Irak par les Etats-Unis pour libérer le Koweït. Or, la tendance vers la mondialisation et l’unification de la civilisation a commencé, depuis le dix-neuvième siècle, suite à la genèse du nationalisme et l’apparition des Etats-nations en Europe. Parallèlement aux idéaux et revendications nationaux – qui, dans leurs essences étaient monopolistes et à l’origine des guerres et des animosités et entre autres les deux guerres mondiales – l’idée de la mondialisation prenait de plus en plus d’ampleur en vue d’empêcher les guerres, l’insécurité et l’injustice. La création de la « Société des Nations » après la première guerre mondiale et suite à l’expérience issue de sa défaite, celle de « l’Organisation des Nations unies » au lendemain de la Seconde Guerre, furent des points culminants des efforts dirigés pour atteindre cet idéal.

En effet, les fondements des Nations unies étaient au service d’une telle planification future. La création du « Fond monétaire international » et plus tard de la « Banque mondiale pour le développement », les accords du GATT en vue d’unifier les règlements douaniers du commerce international, dans un monde bipolaire Est-Ouest, avaient pour objectif de réguler les coopérations économiques en Occident. Après la désintégration du bloc de l’Est – adepte d’un marché et d’une économie planifiés et étatiques – le bloc de l’Ouest atteignit un espace libre et uniforme du « marche libre mondial » et substitua au GATT, « l’Organisation mondiale du commerce ». Sur la base de l’expérience menée en Europe, des axes régionaux furent esquissés en Amérique, en Asie et en Afrique.

Or, ces efforts ne coïncident pas encore avec les conditions objectives qui gèrent l’économie mondiale. Les grands capitaux concentrés dans les industries d’armement et de l’énergie, sortis vainqueurs de la lutte contre l’économie planifiée, ont une approche différente de la « mondialisation ». Compte tenue de leur concentration et de leur domination dans le métropole de « l’économie libre », ils projettent un vaste plan pour leur progression. Même si, dès le départ, ces projets, dans leur application pratique, avaient suscité une méfiance et une résistance acharnée : la réunification des capitaux, des industries et des grands établissements internationaux, malgré les larges dividendes pour leur propriétaire, ont aggravé la crise et provoqué une opposition mondiale. La conférence de « Davos » qui avait pour rôle d’harmoniser les actions des Etats, des organisation et des établissements financiers et économiques du monde, se trouva en confrontation avec des organisations, des associations et des fondations de défense des masses de population fragile à travers la planète qui s’activaient pour contenir la « mondialisation effrénée ».

Le nouvel Ordre mondial « Made in America »

Lors de la première guerre en Irak (1991), en tant que prémisse du « Nouvel ordre mondial », Washington présenta l’esquisse d’un projet dans le Moyen-Orient qui fut favorablement accueilli par les pays arabes. L’accord d’Oslo pour la paix entre la Palestine et Israël fut signé et trouva un crédit international. Israël entama, au Maroc, des négociations avec les pays arabes de la région – jusqu’au nord de l’Afrique – et étendit sa présence jusqu’aux émirats du Golfe persique. Dans ce projet, Israël constituait le fondement d’un axe qui, avec le soutien des Etats-Unis, couvrait le Moyen-Orient jusqu’à l’Afrique du Nord. Or, Israël commit par là, ce qui reste sa plus grande erreur depuis sa création, en transformant l’accord de paix d’Oslo en base de lancement de la répression des Palestiniens, avortant ainsi la paix et suscitant la reprise des violences dans la région.

La grave crise économique secouant le Japon, les pays de l’Asie orientale et de l’Amérique latine, qui eut des effets aux Etats-Unis, suscita les industries militaires et les établissements financiers américains à prendre en main la mise en œuvre du projet du « Nouvel ordre ». D’abord, lors des élections américaines, avec pour objectif de Georges Walter Bush, la victoire coûte que coûte, les technocrates des industries militaires et énergétiques remplacèrent les hommes politiques au sein de l’Administration. La seconde étape du « Nouvel ordre » fut alors déployée. Le scandale du grand établissement financier Enron – largement actif dans la victoire de Bush – peut expliquer l’accélération du gouvernement Bush pour annoncer « la guerre préventive ». En prenant le devant pour la mise en place de son «nouvel ordre mondial » particulier, les Etats-Unis ont dévoilé l’essence même de ses hommes politiques actuellement au pouvoir. Ce ne sont plus les hommes politiques qui préparent et mettent en œuvre la ligne politique de ce pays, mais un groupe de technocrates des industries énergétiques et d’armements qui, à leur manière, différente des politiciens, font avancer la politique de leurs industries.

Pour éviter de susciter la réaction négative de l’opinion publique américaine contre la guerre, ils tentent de démontrer que l’attaque contre l’Irak ne présente aucun danger, et provoquant peu de pertes humaines. Ils ont utilisé la masse des chômeurs volontaires des pays limitrophes avec comme prime la citoyenneté américaine après la fin de la guerre.

N’oublions pas que dans le Proche et Moyen Orient, en Afghanistan et au Pakistan, depuis les années 1950 du siècle dernier, les Etats-Unis ont été le principal soutien des régimes dictatoriaux et ont été à l’origine de leur arrivée au pouvoir, de même qu’à des moments cruciaux ils ont agi pour remplacer certains de ces régimes par d’autres du même acabit. La mobilisation des tribus afghanes, le transfert du réseau terroriste « Alqaida » et de la secte wahhabite des territoires arabes vers l’Afghanistan pour renverser le régime en place fidèle à Moscou et ses bases urbaines, l’encouragement des Emirats et du Pakistan à participer à la guerre de vingt années en Afghanistan, constituent les différentes étapes de l’action américaine dans ce pays. Aussi, au début du troisième millénaire, sous couvert de la répression d’Alqaida et des Talibans, l’Afghanistan se trouva sous la domination militaire et politique directe des Etats-Unis et a été transformé en base de présence militaire américaine en Asie centrale.

Dans le Golfe persique, les Emirs, les Sultans et les Cheikhs des centres pétroliers ont été soumis, devenant alliés et clients principaux des industries militaires américaines, constituant ainsi les principaux prétextes de la présence militaire des Etats-Unis. Lorsque, Washington annonce que l’attaque contre l’Irak constitue le début de la guerre contre leurs anciens alliés. Saddam Hussein, échaudé dans le jeu de rivalités entre les puissances, a joué ce rôle principalement avec le soutien des Etats-Unis, a fini par tomber dans le piège tendu par ces derniers, en déclarant la guerre à l’Organisation des Nations unies transformant son pays en champ de démonstration de puissance des Etats-Unis.

La machine de guerre américaine conduite par les technocrates militaires et pétroliers ne s’arrêtera pas en Irak et au Moyen-Orient. Compte tenu de l’objectif déclaré par le président américain : elle vise également l’Asie centrale et l’Extrême Orient et s’est donné comme objectif la réalisation du plan colonial du dix-neuvième siècle. Les maîtres de cette machine visent à instaurer leur domination absolue sur le monde. Jusqu’où, pendant combien de temps et avec quelle vitesse, cette machine peut-elle avancer sur le chemin établi ? Cela dépendra de la résistance, de l’action des forces en réaction, et des conditions de l’acceptation mondiale d’une telle invasion, et doit être examiné par ailleurs.

Le rôle de l’Angleterre, dans son alliance avec les Etats-Unis et dans le non respect de la charte des Nations unies suscite la réflexion : à la veille de la Seconde Guerre mondiale, Chamberlain, Premier ministre britannique de l’époque fut opposé à la diplomatie de la demande de « l’espace vitale » revendiquée par Hitler. Or dans la déclaration de guerre du « Bien contre le Mal », ressuscitant les Croisades, Tony Blair soutint les Bush jusqu’à envoyer des forces armées en Irak. A l’époque, ce fut la « Société des Nations » et aujourd’hui « l’Organisation des Nations Unies » qui est piétinée par les soldats anglo-américains. Washington fait explicitement part des « alliés des Etats-Unis » face aux « Nations unies » – devenues inutiles. La signification de cette prise de position est que les Etats-Unis ont préalablement décidées de supprimer les Nations unies en tant qu’obstacle (le comportement en maître des Etats-Unis et le non remboursement de leurs engagements à l’égard de cette Organisation depuis des années, démontrent cet objectif). Quelle sera la position de l’Angleterre face aux Nations unies, alors qu’elle prétend que son alliance avec les Etats-Unis vise à modérer la politique de ces derniers ?

Dans la région où les Etats-Unis ont commencé leur action militaire, la situation des pays est la suivante : certains entretiennent une relation ancienne avec l’Europe : la Syrie et le Liban font partie des pays francophones. Dans l’Afrique du Nord, l’Algérie, la Tunisie et le Maroc sont de même. Dans son lien avec l’Italie, la Libye est un autre allié des Etats-Unis. Dans le littoral de la mer d’Oman et du Golfe persique, les intérêts des Etats-Unis et de l’Angleterre, avec un avantage des parts pour les premiers, sont extrêmement noués. Ces pays ont largement subi les méfaits du colonialisme de longue durée de l’empire ottoman, en premier lieu, et ensuite des empires européens. Quatre-vingt huit ans après la chute de l’empire ottoman, les partages coloniaux ne leur ont pas permis de suivre une croissance naturelle. Le partage des territoires des empires coloniaux et l’émergence de nouveaux Etats dépendants a été assuré pendant un siècle par l’Angleterre. La prise de pouvoir de la tribu saoudite de tendance wahhabite a été assurée grâce à la bénédiction de la politique coloniale britannique, et est devenue une puissance régionale avec le soutien politique et militaire des Etats-Unis.

La situation du Koweït entre l’Irak et l’Arabie saoudite, la composition hétérogène de la population de pays comme l’Irak, la Syrie et le Liban et enfin la création d’un Etat fondé sur une idéologie religieuse extrémiste et raciale, Israël, en Palestine, constituent les difficultés communes des pays de cette région depuis l’Afrique du Nord jusqu’aux frontières de l’Iran. On peut en trouver la prolongation dans la division du continent indien, sur la base de la religion et de la négation des complexes tribaux qui trouvent leurs origines dans les tribus ayant vaincu ces régions ou établies sur place. Partout, les politiques coloniales ont permis la persistance des sociétés religieuses et tribales et empêché la croissance des sociétés urbaines en harmonie avec la civilisation moderne.

Le problème turc

La Turquie, vestige de l’empire ottoman, à la croisée de l’Europe, de l’Asie et d’Afrique, est le souvenir de la longue domination des tribus turques sur le berceau des civilisations de ces trois continents. Cet empire fondé sur la puissance militaire et le pouvoir religieux, fut désintégré à la suite de la défaite de l’Europe pendant la Première Guerre mondiale. Ses vestiges et sa puissance militaire à la croisée de l’Asie et de l’Europe, ont été utilisés comme accessoires pour encercler le régime bolchevique émergeant sur l’empire tsariste. La Turquie s’est efforcée de s’éloigner de sa structure religieuse centenaire, de détruire ses racines islamiques, de supprimer les autres tribus autochtones et de trouver une identité propre.

Les militaires turcs, nostalgiques de l’empire perdu, se sont donnés pour mission le nettoyage ethnique contre les Arméniens, les Assyriens et les Kurdes, provoquant le premier génocide du vingtième siècle. Ils en ont fait de même avec la religion qui avait un caractère arabe. Or, le « panturquisme » et le pouvoir politique constituent les deux difficultés fondamentales de la Turquie à travers son histoire. À l’époque de l’existence des blocs de l’Est et de l’Ouest, la position stratégique et le caractère militaire de ce pays lui conférèrent un poids exceptionnel permettant à son régime issu des forces militaires un champ de manœuvre dans le jeu politique. Après la Seconde Guerre mondiale, alors que les Etats-Unis prirent en charge l’établissement d’un cercle de sécurité autour de l’Union soviétique, ils ouvrirent le chemin à la présence politique de la religion dans ce pays, le parti démocrate fut créé mettant fin au pouvoir monopolistique du parti républicain, prenant en main les rênes du pouvoir. Jusqu’à ce qu’en 1961, appelé la révolution de mai, le coup d’Etat de l’armée permit à celle-ci d’arrêter, d’exécuter et d’exiler les dirigeants du parti démocrate. Or, aujourd’hui, le facteur de la religion et le mouvement des Kurdes – appelés par le régime les turcs montagnards -constituent les principales préoccupations de l’armée qui constitue un poids considérable pour la Turquie.

Malgré les aides financières américaines et les devises envoyées par les travailleurs turcs émigrés en Europe, les dettes extérieures de la Turquie atteignent des sommes faramineuses. Sauf un changement radical dans la structure étatique – action fort dangereuse – il ne semble exister aucune autre solution pour sortir de l’impasse actuelle. La Turquie doit également résoudre un certain nombre de difficultés à l’extérieur de ses frontières : bien que membre de l’OTAN, dans sa défense de la communauté turque du Chypre, elle est en confrontation avec la Grèce et à l’Europe. En Irak, depuis 1920, elle a des revendications territoriales sur Mossoul et Kirkuk (partie du Kurdistan irakien). Elle a également, sur la base de sa politique panturquiste, des visées sur les territoires des pays voisins, de l’Iran au Caucase, rêvant une « union de langue turque » qui s’étendrait jusqu’à l’Asie centrale. Parallèlement, elle s’efforce d’intégrer l’Union européenne car elle est attachée territorialement à celle-ci.

Compte tenu des modifications stratégiques dans la région, la Turquie en tant qu’allié difficile et onéreux n’attire plus les Etats-Unis. La violence, la corruption, l’intégrisme national et la répression qui sévissent dans le pays, y ont créé l’insécurité, tandis que ses prétentions sèment le doute dans les pays voisins concernant leur amitié avec la Turquie. Vu les évolutions géopolitiques de la région, l’armée turque ne peut plus résister face aux difficultés et le destin du pays est d’ores et déjà mis en question. Les activistes religieux et militaires doivent ensemble rechercher des solutions pour l’avenir.

Dans ces conditions nouvelles, les Kurdes constituent les principaux éléments dont l’action peut faire basculer la région. La chute stratégique de la Turquie constitue l’aube de leur résurgence. En Irak, ils dominent une vaste réserve de pétrole, dans l’alignement de la chaîne montagneuse de Zagros jusqu’à l’intérieur de la Turquie sur les principales sources du Tigre et de l’Euphrate qui joueront un rôle important dans l’avenir ainsi que sur différents gisements, atteignant la mer Noire par le port d’Eskandaroun, qui se trouve actuellement en Turquie et qui constitue l’objet de convoitises turques et syriennes, mais qui dépend du destin des Kurdes.

Le destin des Kurdes en Irak aura un effet conséquent sur celui des Kurdes de la Turquie et de la région. Compte tenu de leur position stratégique, ils ne peuvent pas éviter d’être dans les objectifs de Washington et de ses surenchères à l’égard des pays européens défenseurs des Kurdes.

Il est probable qu’interviennent des changements dans la structure géographique des pays arabes en vue d’assurer la sécurité désirée d’Israël, entre autres pousser la Syrie et le Liban à créer une fédération afin d’obtenir la bénédiction du nouveau gouvernement pour des négociations sur les territoires occupées avec Israël, la résurrection de nouvelle dictature à la tête de l’Arabie Saoudite et des pays du Golfe persique et de la mer d’Oman, la préparation de l’unification de la Jordanie avec la Palestine… Ainsi, la domination et l’invasion des Etats-Unis, au lieu de régler les problèmes se traduiraient par l’intensification des dictatures et une plus grande animosité à l’égard de l’Amérique et d’Israël et à l’aggravation de la violence et du sectarisme dans les territoires arabes. Les conditions sociales dans les pays arabes font que ceux-ci ne peuvent plus admettre les pressions américaines et les réactions suscitées peuvent être incalculables.

Le danger qui menace les pays très peuplés de la région, suite à l’invasion américaine, est l’expérience des Etats-Unis dans la désintégration de l’ex-Yougoslavie pour diminuer les possibilités de résistance ultérieure. La fausse idée que l’armée « businessman » des Etats-Unis apporterait avec elle le cadeau de la démocratie n’a pas trouvé autant de place dans les pays les plus dictatoriaux de la région que l’inquiétude de leur population face à la balkanisation de leur pays.

La Turquie, l’Egypte et l’Iran : les premiers concernés

Le désordre provoqué par les Etats-Unis dans le Moyen-Orient, n’était pas fondé sur une action visant à régler les problèmes, au contraire s’est limité à des objectifs de court terme en préparation d’une occupation américaine, plongerait la région dans l’insécurité et dans des catastrophes économiques et démographiques insurmontables. Ces changements dans la structure régionale ne pourront résoudre aucun problème, au contraire ils présagent un avenir encore plus sombre dans tous les domaines comme celui de la paix entre Israël et les pays arabes.

Il ne faut pas oublier que la guerre lancée par Washington ne pourra rester sans réponse. Les Etats-Unis n’ont pas affaire à une nature morte, en face d’eux se trouvent d’une part, des vagues humaines d’autre part des pays ayant leurs propres intérêts. À la veille de l’invasion de l’Irak, l’océan Indien a été le théâtre de manœuvres des marines indienne et russe. Ceci est le signe de nouvelles alliances qui se préparent. Si les efforts mondiaux pour arrêter la guerre d’invasion des Etats-Unis dans le Moyen-Orient ne peuvent aboutir, dans l’avenir, l’Amérique entamera probablement de nouvelles guerres sans déclaration préalable et sans mise en garde. Le mandat de cette action se trouve dans la « guerre préventive » telle que le président américain l’a annoncée à plusieurs reprises. Cependant, aujourd’hui, les principaux fauteurs de guerre restent les propriétaires des industries d’armement et d’énergie. les liens entre les néo-conservateurs au pouvoir à Washington et les entreprises d’exploitation pétrolières, notamment le Groupe Carlyle, Enron, Halliburton Energy Services (qu’a présidé Dick Cheney) et Unocal (dont Hamid Karzai fut l’un des conseillers) auront un rôle dans la déstructuration des sociétés, par la déculturation et le déracinement des identités locales. Cette guerre autorise aussi les Américains de fabriquer un satellite économique de plus en plus dépendant de leur économie et de leur aide, et qu’elle pourra piller à volonté tout en en empêchant l’épanouissement souverain ; l’Amérique pourra ainsi éradiquer un des obstacles majeurs à son impérialisme.

L’évolution vers le progrès et l’amélioration des conditions sociales compatibles aux aspirations des peuples sont les conditions que remplit un ennemi potentiel pour les Etats-Unis. Il devient ainsi un Etat voyou1 sans droit de souveraineté ni de soutien international, puisque même l’Onu conteste sa souveraineté étatique et légitime le recours à l’usage de l’intimidation et de la violence. Dans la conception américaine de cette typologie d’Etat voyou, le syndrome est rapidement diagnostiqué par Washington. Il s’agit, en effet, de deux catégories d’Etats, les voyous et les éclairés. L’éclairé est excusé et oublié par la puissance américaine ainsi que par ses fidèles clients et alliés.

Les conséquences d’un GMO chaotique

La démocratisation au sens américain de cet espace a démontré de nombreux obstacles et un paradoxe dans l’application même de cette démocratisation violente et « imposée ». On peut mesurer les conséquences du désordre provoqué au Moyen-Orient par le paradigme de la démocratie violente afghane et irakienne. La stratégie américaine en est multiple lorsque ses intérêts vitaux sont définis. La multiplication des conflits et de la violence politique stimule l’intégration de plusieurs acteurs dans le jeu de la politique globaliste. Ainsi, la zone de conflit devient un enjeu à maîtriser et une sorte de jeu où la partie finale doit se dérouler à l’avantage des Etats-Unis. Un processus dans lequel la prééminence du capital américain et du maintien de toutes les sphères vitales du monde dans le cadre du système capitaliste mondiale où l’application d’une seule politique autoritaire celle du puissant. Le projet de l’administration néoconservatrice de remodeler le grand Moyen-Orient repose sur cette stratégie de globaliser tout phénomène sociopolitique afin de le maîtriser et d’émettre son leadership accru, ce qui permet d’équilibrer son économie et son pouvoir. Les Etats-Unis n’encouragent pas l’indépendance et le progrès des Etats qui sont sous sa tutelle que dans la mesure où cela peut renforcer ses intérêts dans le monde. Dans la cohérence de sa vision impérialiste, et à travers les conséquences de son interventionnisme en Afghanistan et en Irak au nom de la démocratisation du Grand Moyen-Orient, on décèle une restructuration inappropriée aux peuples de la région. Le paradoxe est que la politique américaine entraîne un chaos en Irak et un retour des chefs mafieux au parlement afghan (loya jirka). Ainsi et même devant les chiffres désastreux des victimes civils irakiens, de militaires et de pertes économiques colossales, l’usage de la force comme instrument de la démocratie demeure constant dans la pensée stratégique américaine. La secrétaire d’Etat américaine Condoleeza Rice a défendu de nouveau l’usage de la force pour faire avancer la démocratie et la liberté ; « seules garanties d’une vraie stabilité et d’une sécurité durable »2. Une sécurité durable qui se traduit par les cent mille civils morts irakiens tués depuis le début de la guerre dont la moitié serait des femmes et des enfants, et cela sans occulter les 1910 soldats américains et une centaine de soldats britanniques tués depuis mars 20033. Cependant, le bilan officiel n’a jamais été communiqué et l’administration Bush ainsi que l’armée n’autorisent même pas la publication des estimations des victimes civiles. Par ailleurs, la sécurité que propose l’administration américaine reflète leur autisme stratégique dans lequel on suit sa propre tactique sans considérer celle des autres forces. Les Etats-Unis ont-ils réellement gagné la guerre qu’il fallait gagner ? Aujourd’hui, la présence anglo-américaine est confrontée à la résistance du peuple irakien. Certes, sa résistance apparaît diffuse mais elle est réelle et tend à se construire en force transnationale, se composant de plusieurs groupes et qui risquerait d’englober les terroristes, les bandits et les anciens des régimes les plus autoritaires. La sécurité durable, notion chère à l’administration américaine, consiste à remodeler le paysage politique, en modifiant les appellations tout en gardant les mêmes acteurs. En Afghanistan, 35 à 40% des sièges du futur parlement afghan seront occupés par les seigneurs de guerre, les bandits, les trafiquants de drogues et des criminels de guerre, menaçant ainsi la reconstruction des institutions afghanes4. Considérés comme élus, des sanguinaires et criminels émettent leur pressions et menaces sur les autres futurs membres du parlements et le président afghan, de bloquer les institutions et de rendre le pays une poudrière. Parmi eux, Le chef wahhabite Rassoul Sayyaf, qui a fait massacrer des milliers de familles hazâras (minorité chiite d’origine mongole) ou l’ex-chef de l’Etat Rabbani, un fondamentaliste dont la corruption est légendaire et qui pourrait devenir le prochain président de l’Assemblée. « Ce qu’il y a de terrible, c’est que tous ces chefs de guerre ne représentaient plus rien. Les Talibans les avaient pourchassés et leur avaient fait mordre la poussière. Après la victoire des Américains, ils s’attendaient à être jugés par leurs tribus et se demandaient comment ils allaient faire pour quitter le pays», renchérit Shahir Zahine, directeur de la radio Kilid. « Ils sont revenus sur le devant de la scène par la faute de Zalmay Khalilzad (l’ex-ambassadeur des Etats-Unis à Kaboul, actuel ambassadeur à Bagdad, ndlr), accuse Dod Nourani. Il a dit au président Karzaï : « S’ils ne participent pas au pouvoir, l’Afghanistan deviendra comme l’Irak. » »

** *

Le Grand Moyen-orient est sans doute dans l’étape la plus importante de sa reconstruction : il se construit en réseaux de mafioso et de terroristes dans un espace géographique défragmenté et non dans la vision américaine, d’un espace soumis à sa domination. La réalité géopolitique du Moyen-Orient est qu’il est aujourd’hui endigué par la présence militaire américaine, mais demeure en convulsion permanente. Le chaos irakien redimensionne les capacités américaines à remodeler un espace civilisationnel et géopolitique complexe, réfractaire à toutes les dominations coloniales. Cet échec aurait, sans doute un retentissement politique considérable, qui conclurait aux yeux des terroristes que les Etats-Unis sont incapables de les combattre. Le président américain continuera son combat contre le terrorisme dans son autisme stratégique le plus chaotique. Aujourd’hui, le combat en Irak est maintenu, le rêve de restaurer la paix et la démocratie par les moyens militaires domine encore la scène moyen-orientale et fait rêver encore les néo­conservateurs et les tenants du « Project for a New American Century ». Un projet dans le seul objectif à atteindre est de pérenniser la tutelle états-unienne sur les nations du Moyen-Orient, qui favoriserait la transmutation des forces locales au profit des chefs de guerres et des terroristes.

Le Moyen-Orient, que le président Dwight Eisenhower considérait comme « la plus importante zone stratégique du monde » reste, sans équivoque, la région où les Etats-Unis continuent à exhiber la vraie mesure de leur mesquinerie. La politique américaine au Moyen-Orient n’est qu’une imposition et une exploitation de confusion, par tous les moyens, donc dans l’irrespect total des règles internationales et des principes même de la démocratie et de la souveraineté des Etats. Il est vrai que, tout comme le déclarait le président Jefferson « la violence est l’arme inévitable du changement » dans la pensée stratégique américaine. Néanmoins, la lutte contre des manifestations de terrorisme et de banditisme ne saurait justifier des choix et des attitudes génératrices de racisme, d’asservissement inhumain et de violences démesurées qui culminent par l’anathème contre des peuples et des civilisations entiers.

* Ali Rastbeen

Président de l’Institut International d’Etudes Stratégiques – Paris

Note

  1. (Rogue States) Ce sont les actes et agissements de certaines nations qui « justifient » leurs statut d’Etat voyou, condamnable par la puissance américaine à être ciblées par la force comme sentence au « non respect de la puissance américaine ».
  2. Le Monde 30-09-2005, le chef de la diplomatie américaine dans un discours à l’université de Princeton (New Jersey) déclarait « Dans un monde où le Mal est encore très réel, les principes démocratiques doivent avoir le soutien du pouvoir sous toutes ses formes : politique, économique, culturel et moral et, oui, militaire parfois ».
  3. International Herald Tribune, 28-10-04
  4. Libération 01-10-2005
Article précédentL’Europe et le terrorisme islamiste globalisé
Article suivantLa politique américaine dans la guerre subversive au Moyen-Orient

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.