Claude DUVAL
Avocat international et ancien fonctionnaire international à la Banque mondiale.
4eme trimestre 2011
- Pénétration chinoise en Afrique : un plus pour l’économie chinoise ou celle de l’Afrique ? Contribution au développement de cette dernière ou à ses problèmes ? Telles sont les problématiques qui ressortent d’une analyse de l’aide chinoise à l’Afrique et du commerce sino-africain.
- Chinese involvement in Africa: a boost to Africds economy or Chinas? AssistingAfricds development or contributing to its problems? Those are the questions raised by examining China’s development aid to Africa and the Sino-African commercial relationships.
DANS L’AFRIQUE SUBSAHARIENNE circulerait une boutade selon laquelle : « Notre problème en Afrique, ce sont les différentes ethnies qui ne parlent pas la même langue : nous avons la Banque mondiale, la coopération française, le Fonds monétaire international, l’USAID… »
Au nombre de ces ethnies ne parlant pas la même langue et qui contribuent aux problèmes de l’Afrique, la dernière en date pourrait bien être la Chine dont l’activisme fait le miel de nombreuse publications journalistiques qui s’alarment de son omniprésence : à les en croire, les Chinois seraient en passe de faire pièce aux politiques d’aide occidentales et d’évincer les anciennes puissances coloniales de leurs prés carrés respectifs. L’objectif serait de mettre en place, notamment par le biais de leur politique d’aide étrangère, un système néocolonial en vue de s’approvisionner en matières premières (énergie, minerais, etc.) dont leur économie est fort gourmande.
C’est ce système que désignerait le vocable journalistique de « Chinafrique ». Qu’en est-il dans la réalité ? Quelle en est la véritable portée ?
Perspective historique sur la présence de la Chine en Afrique
La Chine a entretenu des relations avec l’Afrique depuis de longue date : tout d’abord au temps de la dynastie Han (-206 av. J.-C./+220 apr. J.-C.) et ensuite, au xve siècle sous la dynastie Ming, par le biais des expéditions de l’amiral Zheng He. Il n’est pas inintéressant d’observer que, bien que ces relations ne se soient pas conclues par une colonisation de terres africaines, les cadeaux offerts par les chefs africains s’apparentaient, dans l’esprit des explorateurs chinois, à des tributs versés par des dignitaires étrangers à l’Empereur de Chine dont l’autorité sur les peuples africains se trouvait ainsi reconnue. Ainsi, même en l’absence de colonisation territoriale telle qu’elle fut pratiquée au xixe siècle par les puissances européennes, les expéditions de Zheng He ne plaçaient déjà pas les peuples africains sur un plan d’égalité avec le peuple chinois.
En tout état de cause, cette présence, somme toute quelque peu anecdotique de la Chine en Afrique, prit fin à la mort de Zheng He, peu ou prou lorsque la Chine décida de se fermer au reste du monde. C’est avec les jeux d’influence de la guerre froide que l’influence chinoise commença à se manifester à nouveau. Elle se fonda, dans un premier temps, sur le combat politique.
En effet, à l’époque de Mao, et après le divorce entre la Chine et l’URSS, la Chine se trouva dans une position délicate : d’une part, elle n’avait toujours pas obtenu de reconnaissance officielle aux Nations Unies, d’autre part, elle se trouvait en concurrence avec son ancien allié pour prendre la tête du communisme mondial.
Les relations de la Chine avec chaque pays africain furent ainsi marquées par deux objectifs, le premier étant de se faire des alliés parmi les nouveaux États africains dont le nombre ne cessait de croître à l’ONU afin de bénéficier de leur soutien pour y prendre la place de Taiwan, le second étant de faire valoir sa voie vers le communisme auprès des pays en développement afin de contrer le «révisionnisme» soviétique. Mais la diplomatie chinoise en Afrique ne rencontrera qu’un succès mitigé, car même les pays africains, dont la Chine est le plus proche, estiment que le marxisme est étranger à l’esprit de leurs peuples et refusent, le plus souvent, de s’aliéner le soutien soviétique à son profit. De surcroît, les ingérences chinoises dans les affaires intérieures de certains de ses alliés (soutien à des mouvements rebelles ou aide militaire accordée simultanément à des factions rivales, comme en Angola) achevèrent de décrédibiliser la Chine auprès de ses partenaires. En définitive, si les liens établis à cette période se révéleront ultérieurement utiles, leurs résultats très modestes témoignent du manque d’attrait de la Chine maoïste pour les gouvernements africains d’alors.
L’ère de Deng Xiaoping, qui commence en 1978, marque un changement radical d’époque et de paradigme. Certes, pendant une décennie, les Chinois vont préférer se concentrer sur les réformes internes de l’économie chinoise. Mais, dès les années 1990, la Chine fait un retour en force en Afrique. Toutefois, ce n’est plus la même Chine : aux relations fondées sur le combat politique succèdent celles fondées sur les liens économiques, car la Chine manque cruellement de matières premières pour poursuivre la modernisation de son économie et augmenter le niveau de vie de la population, condition sine qua non pour que l’élite du parti communiste chinois puisse se reconstruire une légitimité politique après les nombreux échecs économiques du maoïsme et conserver…ses privilèges et pouvoirs !
C’est, sans doute, le point de départ du phénomène dit de la « Chinafrique » qui se situerait au confluent des deux axes d’intervention de la Chine en Afrique : aide étrangère et commerce.
Aide étrangère et commerce
Dans un document daté du 21 avril 2011, le Conseil d’Etat (c’est-à-dire l’exécutif) chinois a explicité, sous forme de livre blanc, les finalités et les formes de l’aide étrangère de la Chine.
Tout d’abord, est rappelé que cette aide vise à consolider les relations d’amitié et d’échanges économiques et commerciaux avec d’autres pays en développement et à promouvoir la coopération Sud-Sud.
En second lieu, le document souligne que cette aide est guidée par les principes d’égalité et d’avantages mutuels entre la Chine et les pays aidés (affirmant, par là-même, un changement de mentalité avec ce qui avait cours dans les rapports traditionnels de la Chine avec les étrangers) ; il souligne aussi qu’aucune condition politique n’est imposée aux pays aidés. Est aussi mentionnée, dans ce document, la création en 2000 d’un « Forum on China-Africa Cooperation » (FOCAC) qui vise à promouvoir un dialogue fructueux entre la Chine et les pays africains et à institutionnaliser des mécanismes de coopération.
Enfin, il est relevé, incidemment, que la Chine est encore un pays en voie de développement dont le niveau de vie est modeste et où subsistent de nombreuses poches de pauvreté : en creux, cette observation vise à mettre l’accent sur le fait que l’aide que la Chine est en mesure d’apporter à d’autres pays s’en trouve nécessairement limitée et à. jeter une pierre dans le jardin des pays riches de l’OCDE dispensateurs d’aide, sur lesquels ne pèse pas une telle contrainte !
Des limites de cette aide, témoignent les chiffres cumulés à la fin de 2009 : le montant global de ce que la Chine qualifie d’aide étrangère (moins de 30 milliards d’euros), se décompose en 12,2 milliards d’euros pour les dons et 8,8 milliards pour les prêts à taux réduit qui sont abondés directement par le budget de l’État ; les 8,4 milliards d’euros restants consistent en des prêts accordés par la Export-Import Bank of China, à des taux concessionnaires subventionnés par l’État.
Des 123 pays en développement aidés par la Chine, 51 sont situés en Afrique : ils représentent, à la fin de 2009, 45,7 % du montant cumulé d’aide étrangère de la Chine (moins de 15 milliards d’euros).
Si l’on considère que les seuls dons (à hauteur de moins de 6 milliards d’euros cumulés pour l’Afrique) constituent réellement de l’aide publique au développement au sens des critères du Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE, la somme ainsi allouée par la Chine est presque négligeable ; elle n’est donc pas de nature, par elle-même ou même combinée avec les deux autres volets de l’aide étrangère chinoise, de porter ombrage, de façon significative, aux politiques d’aide au développement conduites par l’Occident en Afrique : ces politiques, qui se manifestent par le biais de multiples canaux bilatéraux ou multilatéraux, bénéficient, en effet, de positions bien ancrées et peuvent mobiliser des montants d’aide considérablement plus conséquents que celui contribué par la Chine.
Ce n’est donc pas de par son montant que l’aide chinoise risque d’être en porte-à-faux par rapport à celle des pays occidentaux, bien que l’aide chinoise soit en augmentation exponentielle depuis quelques années. C’est par sa combinaison avec les activités commerciales que la Chine conduit en Afrique que cette aide risque de poser problème tant aux prés carrés occidentaux en Afrique que. surtout aux pays récipiendaires, car elle est en contradiction flagrante avec ce qui est maintenant accepté et mis en œuvre par les pays de l’OCDE, comme suite aux travaux pionniers du PNUD portant sur le sujet.
En effet, le concept de développement ne se limite plus à apprécier la croissance économique sur une longue période : désormais, il désigne aussi les mutations positives – techniques, éducatives, sanitaires, démographiques, etc. – qui induisent, dans une société donnée, des transformations de structure et de « destruction créatrice » qui sont les marqueurs caractéristiques d’une société qui « bouge », qui se développe, bref d’un avancement sociétal. s’inscrivant en contrepoint d’une économie de rente, c’est-à-dire d’épuisement des ressources naturelles !
Autrement dit, la question qui se pose est de savoir si l’aide étrangère chinoise participe du même cadre conceptuel que ce que le CAD entend par aide au développement, telle que dégagée par le PNUD depuis une vingtaine d’années ?
C’est ici qu’un bref rappel de la façon dont cette aide est administrée prend tout son sens. Comme le précise le document précité émanant du Conseil d’État chinois, c’est le ministère du commerce (et une série d’organismes d’État qui lui sont affiliés) à qui a été confiée la haute main sur l’aide étrangère de la Chine, puisqu’il est responsable de la formulation des politiques d’aide et de l’approbation des projets et de leur exécution.
Le fait que l’administration de l’aide étrangère ait été attribuée au ministère chargé du commerce chinois, et que cette attribution n’est pas symbolique (selon tout ce qui est rapporté du caractère dynamique de cette administration), signifie qu’aide et commerce entretiennent une relation symbiotique : aussi, est-il pertinent de s’interroger sur les caractéristiques des activités commerciales (y compris les investissements) que la Chine mène en Afrique, afin de prendre la pleine mesure de sa contribution réelle au développement de ce continent.
A suivre ce qui est communément rapporté par les observateurs avertis de la scène africaine, les activités commerciales chinoises en Afrique s’exercent essentiellement dans les pays richement dotés en ressources naturelles. Ainsi, une demi-douzaine de pays représentent 60% des échanges sino-africains alors que vingt pays d’Afrique assurent moins de 2% du commerce bilatéral. Cette demi-douzaine de pays sont aussi ceux vers qui l’aide étrangère chinoise (tant dans son volet de prêts à taux zéro ou subventionnés que celui des dons) se dirige le plus volontiers.
En porte témoignage le vif intérêt que la Chine marque pour le pétrole du Golfe de Guinée (principalement celui du Nigeria), d’Angola ou du Soudan, le bois du Cameroun, les minerais rares du Congo (RDC), le chrome du Zimbabwe ou le fer d’Afrique du Sud. Le résultat en est un renforcement de la dépendance des pays africains envers leurs richesses minières et pétrolières : les hydrocarbures représentent, à eux seuls, plus de 70 % des importations de la Chine en provenance du continent noir et les minerais 15 %. Un exemple topique de cette malédiction de la rente que la Chine contribue à faire prospérer sur le continent africain est celui de l’Angola et du Soudan où le pétrole représente, respectivement, plus de 95 % et de 80 % des exportations de ces deux pays à destination de la Chine.
Cette course aux matières premières est soutenue par des investissements très conséquents (émanant singulièrement des compagnies pétrolières nationales chinoises) dans des pays où les Occidentaux ont longtemps hésité à s’aventurer, ou bien où ils ont perdu la main (Soudan, dans le premier cas de figure, et Angola, dans le second – c’est la conséquence la plus dommageable, et directe, de l’« Angolagate » !). Pour être complet, il convient de souligner que ces investissements demeurent encore faibles comparés à ceux des Européens ou des Américains : en 2008, la Chine n’arrivait qu’au dixième rang des investisseurs étrangers sur le continent noir mais elle est appelée à gagner des places en raison de son dynamisme sans complexe.
Un des aspects notables de ces investissements, et des implantations locales qu’ils induisent, est qu’ils sont accompagnés d’un afflux massif de main d’œuvre qui a tendance à s’enraciner : ainsi, si le nombre des expatriés français en Afrique n’excède pas 100 000 personnes après plus d’un siècle de présence de la France, celui des Chinois dépasserait déjà le million, et ce, en moins de dix ans. Un autre aspect notable de ces investissements est qu’ils font superbement l’impasse sur toute la problématique du développement sociétal des pays concernés ou sur la protection de l’environnement.
Par ailleurs, l’Afrique constitue un formidable débouché pour une part croissante de la production manufacturière chinoise (notamment, textile et petit électroménager) qui, mieux adaptée à des consommateurs au pouvoir d’achat limité que la production occidentale, concurrence frontalement les produits locaux, quand bien même la qualité de cette bimbeloterie chinoise laisse quelque peu à désirer. N’est-ce pas le cas de figure typique des échanges inégaux de l’époque coloniale ou des économies latino-américaines du xixe siècle ?
Esquisse d’un bilan
Le bilan, qui se dégage de la présence chinoise en Afrique, ressort donc en demi-teinte. Il est certes exact que l’intervention de la Chine, ne s’encombrant pas des pesanteurs bureaucratiques et des multiples contraintes qui caractérisent l’aide occidentale (exigences de démocratisation, d’État de droit, de rigueur financière, bref de bonne gouvernance), ne peut que séduire, en première instance : elle permet de faire exécuter avec célérité, et à moindre coût que ce que l’Occident propose, toute une série de projets d’infrastructure (ponts, routes, etc.) dont l’Afrique a cruellement besoin.
Accessoirement, les projets, ainsi financés et exécutés, ont un effet d’affichage très positif pour les élites qui « tiennent » tant le continent noir que l’Afrique blanche, car ils contribuent à asseoir leur légitimité à l’égard de leurs peuples ; de surcroît, en raison de l’opacité des contrats d’investissement, ces élites parviennent à en tirer également de… petits « bénéfices » personnels !
Toutefois, de plus en plus de voix en Afrique s’élèvent pour dénoncer les pratiques commerciales chinoises qui concurrencent le secteur informel local, ainsi que l’apparition, dans les grandes villes africaines, de ghettos sinisés qui refusent de s’intégrer culturellement dans le milieu africain, fidèles en cela au tropisme bien connu des diasporas chinoises à travers le monde.
Si ces voix pointent aussi du doigt les déficiences d’un certain nombre de projets mis en œuvre par les Chinois, elles n’ont pas, pour le moment, encore rejoint les critiques occidentales de la présence chinoise qui portent, notamment, sur le pillage des matières premières, la déforestation sans retenue, la contrefaçon des marques, la concurrence déloyale, la corruption des élites africaines (la « Françafrique » n’a pas le monopole des mallettes !), etc. En effet, ne s’est pas encore fait jour une prise de conscience de toute la pertinence de ces critiques adressées par l’Occident : cela ne manquera de se produire, à plus ou moins brève échéance.
Mais le véritable problème, qui se pose à la relation sino- africaine, est d’une toute autre dimension : il s’agit du conflit d’intérêt potentiel entre la Chine et l’Afrique qui découle de leurs excédents respectifs de main d’œuvre ; il s’agit là d’une tendance lourde qui, à moyen terme, ne peut que s’aggraver.
En effet, alors que la taille des diasporas chinoises progresse en Afrique de façon exponentielle car elles jouent un rôle de soupape de sûreté démographique – certes modeste – pour les masses du continent chinois, celles du continent africain, qui sont appelées à plus que doubler dans les trente ans à venir, vont devoir, quant à elles, trouver à s’employer dans des secteurs (commerce de proximité, petite industrie,.) où elles se trouveront immanquablement en compétition avec ces diasporas : des tensions sociales et politiques exacerbées en résulteront nécessairement !
Bibliographie
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