Pétrole et Politique Internationale

Par : André Pertuzio

André Pertuzio, après une carrière internationale dans un grand groupe pétrolier français, fut Conseiller Juridique pour l’Energie à la Banque Mondiale puis Consultant Pétrolier International. Il se consacre aujourd’hui à l’étude de l’histoire et de la pensée politiques ainsi que des questions économiques et politiques internationales.

Juin 2001

Le 6 Octobre 1973 était déclenché un nouveau conflit entre Israël et les Pays Arabes. Le 16 Octobre, l’OPAEP (Organisation des Pays Arabes Exportateurs de Pétrole) majorait unilatéralement les prix  » affichés  » du pétrole brut de 70 %, réduisait sa production de 5 % et décrétait un embargo sur les exportations de brut à destination des U.S.A. Le 23 Décembre, à Téhéran, l’OPEP (Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole) décidait une nouvelle hausse de 13 %. De la sorte, le prix du baril de pétrole brut passait, dans ce laps de temps très court, d’environ US $ 2.00 à US $ 10.00 par baril (environ 159 litres).

Ce fut le premier choc pétrolier qui ne manqua pas d’affecter l’économie des pays consommateurs, non seulement parce que l’augmentation des prix se traduisait en fait par une sortie supplémentaire de devises constituant une sorte d’impôt payé par les consommateurs aux producteurs, mais aussi par une réduction de l’offre donc une menace de pénurie.

Ainsi se rencontraient d’un part la volonté persévérante de l’OPEP d’augmenter le prix du pétrole brut et, par là, la part revenant aux pays producteurs, d’autre part des représailles de nature économique mais d’ordre politique contre les pays adversaires ou supposés adversaires des pays arabes (ce qui explique que la première mesure fut prise par l’OPAEP, organisation groupant les pays producteurs arabes membres également de l’OPEP).

Existe-t-il une meilleure illustration de la rencontre entre le pétrole et la politique internationale et de leur interaction ? au demeurant les exemples sont multiples et notre propos n’est pas de les analyser en détail mais plutôt d’exposer ce qui, dans l’industrie pétrolière, les intérêts financiers privés et les nécessités économiques, politiques et stratégiques des Etats, explique ces phénomènes d’interaction, d’opposition ou de convergence, en d’autres termes répondre aux deux questions que pose n’importe quel problème étudié : pourquoi et comment ?

L’Energie c’est la Vie

Aristote utilisa le premier le mot  » ENEPTEIA  » pour caractériser l’activité de l’homme et, en 1973, E.F. Schumacher écrivait que  » l’Energie est dans l’ordre mécanique ce que la conscience est à l’humain « . C’est dire qu’il y a consubstantialité entre la vie et l’énergie ou qu’en l’absence de cette dernière, la vie s’arrête. Cette énergie fut d’abord celle de l’homme et de ses muscles et il y aurait une étude intéressante à faire sur cette probable origine du phénomène de l’esclavage, répandu dans toutes les civilisations premières et antiques et, même à une époque récente, dans certains pays à  » évolution retardée « , il s’agissait en effet de pouvoir disposer du travail – en grec  » EPION  » (origine de ENEPTEIA) – des hommes et donc de leur énergie.

Cette parenthèse faite, nous remarquerons au fur et à mesure de l’évolution, l’usage du feu de bois et de l’énergie des animaux notamment du chreview. Sans nous y attarder, relevons en passant les réalisations extraordinaires que le génie et l’énergie des hommes sans machines ont su créer dans l’ordre architectural comme par exemple les pyramides en Egypte, les jardins suspendus de Babylone ou les temples d’Angkor, et dans le domaine pratique, comme les aqueducs romains ou les forteresses.

La force des vents et des eaux s’ajoutèrent aux sources d’énergie et, pendant des siècles, tout cela permit à de brillantes civilisations de se créer et de rayonner sur le monde, à des armées de se battre, à des Empires de se former et à de magnifiques et innombrables oeuvres d’art d’être créées.

Mais c’est l’invention de la machine à vapeur et l’usage du charbon qui permirent la première révolution industrielle et les progrès techniques et scientifiques décisifs du XIXe siècle, lesquels transformèrent le monde et donnèrent aux pays détenteurs de cette précieuse ressource un avantage très net dans la course au développement. Ce fut l’un des facteurs de la domination britannique en ce siècle. Et puis, un jour de Juillet 1859, d’un puits foré à Titusville en Pennsylvanie jaillit le pétrole, hydrocarbure liquide qui permit de façon décisive les avancées de la science, des techniques et des technologies, le développement industriel et scientifique du monde, assurant aux pays industrialisés une énergie abondante et bon marché. Bien que, par la suite, soit apparue, l’énergie nucléaire pour la production de l’électricité permettant de réduire la dépendance à l’égard du pétrole, son usage nécessairement limité ne s’est pas substitué à ce dernier sauf une part notable dans la dite production d’électricité. Mais, aujourd’hui et pour longtemps encore, les hydrocarbures et singulièrement le pétrole restent la source principale de l’énergie dans le monde et peu de secteurs de l’activité industrielle échappent à la nécessité chaque jour plus grande de son emploi, les plus importants étant nécessairement le transport automobile (fret et privé), la pétrochimie avec le développement considérable des matières plastiques et assimilés, la production d’électricité (malgré l’usage rémanent du charbon et l’énergie nucléaire)… sans oublier les nécessités de la défense nationale, c’est à dire des armées, marines et aviations de presque tous les pays de la planète.

Quelques chiffres de la production mondiale d’hydrocarbures illustrant leur importance croissante dans l’économie mondiale. 51 millions de tonnes en 1913 5 240 millions en 193 8, 523 millions en 1953, 1050 millions en 1960, 2 340 millions en 1970, 2 880 millions en 1980, puis ensuite une production en moindre augmentation due au deuxième choc pétrolier de 1979 avec la chute du Shah d’Iran, de sorte que la production mondiale s’établit à 3200 millions de tonnes en 1990 et 3 500 millions en 2000 pour une production totale d’énergie de 8 500 millions de te. (tonne équivalent pétrole) dont 2 100 millions de charbon, 2 000 de gaz naturel, 650 millions d’électricité nucléaire et 225 millions d’électricité hydraulique, soit environ 42 % de pétrole et 23 % de gaz naturel (65 % d’hydrocarbures), 24 % de combustibles solides et 8 % et 3 % respectivement d’électricité nucléaire et d’électricité hydraulique. À noter que 40 % de la production de pétrole brut provient des 11 pays membres de l’OPEP.

Cette importance et cette nécessité des hydrocarbures depuis plusieurs décennies et dans l’avenir ne pouvaient bien évidemment qu’amener les Etats à intervenir à de nombreux stades et dans de nombreux secteurs de l’industrie pétrolière à la fois pour des nécessités d’économie et de politique intérieures mais aussi pour des raisons d’économie et de stratégie internationales.

L’Industrie Pétrolière

Qu’est-ce donc que le pétrole généralement désigné  » pétrole brut  » ? C’est un liquide combustible sortant de gisements souterrains, en terre ou en mer, composé d’hydrocarbures soit de molécules ou atomes d’hydrogène et de carbone combinés de façon variable. Le gaz naturel, les bitumes et les asphaltes sont également des hydrocarbures.

Les véritables raisons de son origine n’ont pas été expliquées de façon tout à fait certaine. On admet en général qu’il provient de débris d’algues, résidus de faune marine etc… dans des conditions spécifiques de sédimentation. Les débris organiques sont au départ de la formation du pétrole que l’on trouve dans des roches sédimentaires. Le pétrole est d’ailleurs connu depuis le plus haute Antiquité où on le trouvait en affleurement sous forme bitumineuse et où on l’utilisait pour des feux grégeois, le calfatage de navires ou comme ciment notamment à Babylone.

Il se forme dans des roches (dites  » mères « ) et ne se présente évidemment pas sous forme de  » nappes  » chères aux journalistes mais contenu dans la roche à des degrés différents de porosité et de capillarité après migration vers des roches  » réservoirs  » dans lesquelles il s’est trouvé piégé. C’est donc l’objet de la recherche pétrolière de le débusquer.

Nous ne nous perdrons pas dans des considérations sur la géologie et sur la formation des gisements mais, comme il apparaîtra à tout un chacun, ce n’est pas une mince affaire ni l’objet d’une industrie légère que l’activité qui consiste à rechercher et produire les hydrocarbures.

Quelles sont donc les caractéristiques de l’industrie pétrolière en vue de les obtenir et de les exploiter ?

  • Première caractéristique : c’est une industrie aléatoire. C’est là sa différence essentielle avec toutes les autres formes d’activité industrielle. La recherche pétrolière est en fait une sorte de jeu où le risque d’échec est grand. Certes, les connaissances géologiques et les techniques de géophysique se sont considérablement améliorées, mais le risque reste grand et l’on estime en moyenne que 30 % des forages d’exploration se révèlent commercialement producteurs – (le calcul de  » commercialité  » implique le prix de l’extraction proprement dite du brut qui est très variable suivant la profondeur de la couche productrice, sa situation en mer ou à terre, les particularités techniques du gisement et le type du brut, le seuil de rentabilité des gisements étant aussi fonction du prix du marché et de la situation géographique des débouchés. Il faut ajouter à cela que les sociétés pétrolières travaillent nécessairement en univers incertain puisque l’exploitation commerciale du gisement commence rarement avant la dixième année de la signature d’un contrat et que l’on peut difficilement prévoir l’évolution des prix à une telle distance de temps).
  • Deuxième caractéristique : elle est un corollaire de la première, à savoir que c’est une industrie hautement technique, aux technologies d’année en année plus sophistiquées et qui exigent des investissements considérables, ceux de la recherche étant risqués provenant nécessairement de fonds propres et ceux de développement atteignant des sommes très élevées. Que l’on juge par ces quelques chiffres :

. Coût moyen d’un forage (qui dépend de plusieurs paramètres) : de 5 à 10 millions d’US dollars (terre et offshore peu profond) à 20 millions ou plus en offshore profond (on cite comme record un forage dans la mer de Beaufort en Alaska qui atteignit 114 millions de dollars et qui fut sec !).

. Coût d’une plate-forme en mer: de 200 millions d’US dollars à 2 milliards.

. Coût moyen d’un oléoduc ou gazoduc : de 1 à 1,5 millions d’US dollars au km

. Investissement annuel des grands groupes pétroliers : de 8 à 11 milliards de dollars par an

chacun.

. Investissement évalué de l’industrie pétrolière mondiale pour la décennie 1990-2000 : 1 700 milliards de dollars donc, outre des fonds propres très élevé, un appel considérable au marché des capitaux.

De tels investissements sont manifestement hors de portée de la plupart des pays du monde qui, de plus, peuvent difficilement s’engager directement dans des activités aléatoires. Ce sont les sociétés pétrolières qui disposent des capacités techniques et financières qui prendront le risque de l’exploration et conduiront les multiples et complexes opérations nécessaires pour amener le brut à la raffinerie. À ce moment, le pétrole devient une activité industrielle classique de transformation d’une matière première.

  • Troisième caractéristique : l’industrie du pétrole est une activité internationale d’abord parce que les pays où, géologiquement, des découvertes sont possibles sont répartis dans le monde entier et que, par un curieux hasard, ces pays ne sont pas, à de rares exceptions près, (USA, Russie) de grands pays consommateurs, ensuite parce que le risque de la recherche doit nécessairement être réparti, enfin parce qu’évidemment le commerce des hydrocarbures est essentiellement international. De là, un corollaire : l’importance des transports d’hydrocarbures par tankers et oléoducs pour le brut, par méthaniers pour le gaz (après liquéfaction en usine spécialisée pour pouvoir être transporté puis regazéifié) et gazoducs, le coût de ces transports étant loin d’être négligeable, comme l’indiquent les quelques chiffres suivants : environ 5 milliards d’US $ pour une chaîne de liquéfaction d’environ 10 milliards de m3/an dont 60% pour la seule usine.
  • Quatrième caractéristique : la nécessaire coopération entre les pays d’accueil où s’effectuent les activités de recherche et de production, et les sociétés pétrolières, ce qui implique un cadre juridique approprié propre à satisfaire des intérêts pas nécessairement convergents. Quels sont en effet les objectifs des uns et des autres ? Pour les sociétés pétrolières, outre cela va de soi une zone à la géologie attrayante et des perspectives économiques, y compris le risque, convenables, un cadre juridique et un système fiscal permettant la rentabilité économique et la stabilité des conditions contractuelles dont notamment la liberté d’exporter leur part de production et de rapatrier capital et bénéfices, pour les pays d’accueil, la recherche sérieuse et le développement de ses ressources pétrolières assurant, outre les besoins du pays, le revenu maximal de l’exploitation, le contrôle juridique des activités pétrolières et les transferts de technologie permettant le développement des capacités nationales.

Nous nous trouvons ainsi dans un entrelac d’intérêts privés et nationaux, de producteurs et de consommateurs, car de ces activités pétrolières dépendent les possibilités de développement des pays sous-développés où se trouvent situés la grande majorité des gisements producteurs, ainsi que les nécessités de plus en plus grandes des pays industriels donc leurs impératifs stratégiques.

On comprend donc aisément l’intervention des Etats dans tout ce qui concerne les activités pétrolières et les approvisionnements d’hydrocarbures.

Un peu d’histoire

Après la découverte du  » Colonel  » Drake en 1859, commença et se développa l’industrie pétrolière aux Etats-Unis. C’est dans ce pays qu’elle prit naissance et tant les pratiques de l’industrie, les concepts juridiques, les définitions techniques et même le langage utilisé, sont encore aujourd’hui, d’origine américaine.

Dès janvier 1870, John R. Rockefeller fonda la Standard Oil et s’assura 95 % du marché mondial du pétrole, puis la Standard Oil of California. La production alors concentrée aux Etats Unis essaima vers d’autres pays grâce à l’action des pétroliers américains, notamment au Mexique et à Bakou et la Russie en 1885 exportait déjà vers l’Europe occidentale. Dans le même temps, le hollandais Henry Deterding développa la Royal Dutch à partir de productions en Indonésie tandis qu’un autre pionnier William Knox d’Arcy obtint en Perse la concession exclusive du pétrole.

Passons sur les luttes commerciales entre Rockefeller et Deterding pour remarquer que dès l’avant-guerre de 1914, les Etats commencent à s’intéresser à la question, mais alors qu’aux USA il existe une contrainte pour Rockefeller en raison notamment du Sherman Act, Henry Deterding dont le pays est consommateur et non producteur y trouva au contraire un appui. En Perse, l’Anglo-Persian qui devait plus tard devenir la British Petroleum fut contrôlée par le Gouvernement britannique du fait de l’achat par Winston Churchill de 5 1 % de ses actions.

À l’orée de la Grande Guerre en 1914, l’industrie pétrolière était dominée par la Standard Oil et la Royal Dutch-Shell, l’Anglo-Persian et la Turkish Petroleum pour l’exploitation des champs irakiens – alors turcs – de Kirkuk partagés entre l’Anglo-Persian, la Royal Dutch-Shell et la Deutsche Bank, les américains étant exclus. Mais si déjà les Gouvernements s’étaient avisés de l’importance grandissante du pétrole, c’est tout de même le charbon qui restait par excellence le combustible industriel, les transports automobiles notamment n’étant pas développés.

Après la Première Guerre Mondiale, les cartes furent redistribuées au Moyen Orient où les puissances occidentales se partagèrent la Turkish Petroleum devenue Irak Petroleum. Company de la manière suivante :

– 23,75 % à Anglo-Persian (B.P.), 23,75% à Royal Dutch-Shell, 23,75 % aux sociétés

américaines (Standard de New Jersey, Standard d’Indiana, Sinclair et Texaco), 23,75 % à la France et 5 % à M. Gulbenkian pour ses bons offices.

Pour la première fois, la France accédait au pétrole après que Raymond Poincaré eut rejeté une association avec Deterding et décidé de créer une société entièrement française. Ce fut la Compagnie Française des Pétroles créée par Ernest Mercier en 1924 par 90 banques et sociétés commerciales et dans lesquelles le Gouvernement Français détenait 35 % des actions et 40 % des droits de vote. Cette société devait pendant de longues années jouer un rôle important dans le raffinage et le commerce du brut, plus tard dans le domaine de l’exploration.

Entre temps, la production pétrolière se développait aux Etats-Unis, au Mexique, déjà important producteur, au Vénézuela, en Irak et en Iran et, à partir de 1930, en Arabie Saoudite, Saint John Philby ayant convaincu Ibn Séoud que le seul moyen pour son pays de sortir de ses embarras financiers était d’accorder des concessions pétrolières.

C’est ainsi qu’en 1936, la Standard Oil of California (SOCAL plus tard Chevron) acquit la concession puis s’associa à 50 % avec Texaco pour constituer en 1944 la fameuse Aramco.

1928 fut une année cruciale car elle vit la conclusion des Accords dits d’Achnachary entre les Grands : c’était la constitution du fameux cartel des  » Seven Sisters  » (Standard Oil of New Jersey, Royal Dutch-Shell, AngloIranian, Standard de Californie, Gulf, Texco et Socony-Mobil) qui dominèrent le marché pétrolier pendant des décennies. On peut y ajouter la Compagnie Française des Pétroles qui finit par être considérée comme le huitième major (appellations désormais des grandes sociétés mondiales).

Il n’en reste pas moins que de nombreux éléments apportèrent de la perturbation dans l’industrie et dans certains pays, telle que, notamment, la rivalité anglo-américaine pour le Chaco, territoire contesté entre la Bolivie et le Paraguay où les conflits d’intérêts entre les pétroliers et entre les Etats apportèrent la guerre du Chaco après une découverte d’Esso (Standard Oil du New Jersey) qui ne prit fin qu’en 1935 au prix de 100 000 morts.

Il faut également noter les relations entre les pétroliers et les dictatures européennes d’Hitler et Mussolini. En 1927, Esso conclut des accords avec l’IG Farben, échangeant le procédé de cracking performant de cette dernière contre un brevet de tetra-éthylène de plomb pour la fabrication d’essence d’aviation, ce qui valut à Esso des ennuis avec le gouvernement et la justice américains.

Quant à l’Italie, les sanctions de la SDN à cause de l’invasion de l’Ethiopie en 1936 faillirent lui être fatales. Mussolini devait en tirer la leçon et constituer la société AGIP pour la recherche et l’exploitation pétrolière. C’est après la guerre que cette société prendra son essor.

Pour le Japon, tributaire des sociétés anglo-saxonnes, un fait décisif survint le 25 Juillet 1941 avec le gel par le Président Roosevelt des livraisons de pétrole et des avoirs japonais aux USA. Winston Churchill devait alors écrire :  » Le Japon, saisi à la gorge, se trouvait placé devant le dilemme : s’entendre avec les Etats-Unis ou leur faire la guerre « , on connaît la suite de l’histoire …

Enfin, survint un événement capital en 1938 avec le défi du Mexique aux producteurs américains, et donc au cartel, où après de nombreuses péripéties, le Président Lazaro Cardenas décréta le 18 Mars 1938 la nationalisation de 17 compagnies productrices américaines. Le pays certes devait en pâtir économiquement puisque le Mexique ne retrouva qu’en 1963 sa production de 1938 mais l’anniversaire de la nationalisation est fêté chaque année comme une fête nationale. En vue d’en continuer l’exploitation, une compagnie nationale fut créée, Petroleos Mexicanos – PEMEX – aujourd’hui un grand producteur mondial.

Nous arrivons maintenant à la Deuxième Guerre Mondiale où l’importance du pétrole apparut alors d’une manière éclatante avec l’emploi massif des chars et des avions. Citons, pour mémoire, les quelques évènements suivants :

  • De Septembre 1939 à Juin 1941, l’URSS fournit à l’Allemagne près de 900 000 tonnes de pétrole,
  • En 1942, les armées allemandes lancées en Union Soviétique ont, notamment, pour objectif le Caucase et ses richesses pétrolières : elles échouent, et la même année, l’offensive concomitante de Rommel en Egypte s’arrête faute de carburant,
  • En 1944, Patton arrête temporairement son offensive pour les mêmes raisons, à la fin de la même année, la contre-offensive de Von Rundstedt en Belgique échoue faute de carburants, avant d’avoir pu s’emparer des dépôts américains qu’elle visait pour continuer.

En fait, sur tous les fronts de la guerre mondiale, le pétrole devait être un élément essentiel de la guerre et de la victoire.

À la fin de la guerre, la prise de conscience de l’importance tous azimuts du pétrole devenait un facteur essentiel de la politique des Etats. Au niveau des sociétés pétrolières, on assistait d’abord à une redistribution des cartes, puis, progressivement à la  » décolonisation  » du pétrole.

Sans entrer dans trop de détails d’ordre technique, il faut cependant noter l’évolution des rapports entre sociétés pétrolières et Etats :

  • En Arabie Saoudite, depuis l’entrevue historique du Président Roosevelt et de Ibn Séoud sur le croiseur Quincy le 13 Février 1945, l’Arabie Saoudite dont les ressources pétrolières sont les plus élevées du monde est devenue sinon un protectorat, du moins un pays  » protégé  » des Etats Unis dont l’influence tend à remplacer dans le Moyen Orient celle du Royaume Uni qui s’y effaça totalement en 1971 sans que les Pays Arabes, le fait est à noter, le lui aient demandé comme l’exprimait clairement le Sultan de Bahrein  » Who asked them to leave ? »

L’Aramco désormais grandit en puissance tandis que son actionnariat incluait désormais

Mobil (10 %) et Exxon – ex-Esso (30 %).

Les Sept Sociétés dominaient souverainement le marché du pétrole, mais les pays producteurs ou pays d’accueil commencèrent à réagir : déjà en 1948, le Venezuela avait demandé et obtenu le principe du partage des profits 50150, l’Arabie Saoudite devait suivre la même voie en 1950 mais le défi le plus sérieux fut porté par l’Iran avec la venue au pouvoir du Dr Mossadegh le 29 Avril 1951 qui, dès le lendemain, fit voter la loi de nationalisation du pétrole iranien. Le boycott fut alors décidé par les compagnies pétrolières contre, il faut le souligner, le souhait du gouvernement du Président Truman, qui voyait dans l’Iran un rempart contre le communisme. Quoi qu’il en soit, alors que disparaissait l’Anglo-Iranien, la NIOC (National Iranian Oil Co) voyait le jour. Nous passerons sur les péripéties du conflit pour aboutir à son règlement : le pétrole iranien boycotté ne trouvant plus que peu d’acheteurs, Mossadegh fut destitué par le Shah en 1953 et, comme la nationalisation était un fait acquis, un consortium international fut constitué (Shell, Esso, Socal, Gulf, Texaco, Mobil, CFP) garantissant la distribution de 60 % de la production de la NIOC. Le cartel l’avait finalement emporté.

C’est alors qu’intervint Enrico Mattei patron de l’Ente Nazionale Idrocarburi (ENI), société nationale qui pousse en Italie la production de gaz naturel et s’attaque aux sociétés du cartel sur leur terrain en Iran en concluant en 1957 avec la NIOC une société commune la SIRIP dont le partage de bénéfices était de 75 % pour la NIOC et 25 % pour l’ENI. De nouveaux pays producteurs apparurent alors dans le Golfe Persique, Abu Dhabi, Qatar et surtout Koweit, création britannique, devenu indépendant en 1962 et dont les réserves pétrolières sont considérables tout comme celles de l’Irak déjà exploitées comme on le sait par l’Irak Petroleum Company. La crise allait survenir dans ce pays entre 1958 et 1963 amenant pendant 7 ans la suspension pratique de la production jusqu’en 1969 après que la compagnie nationale INOC ait conclu avec l’ERAP (Entreprise de Recherches et d’Activités Pétrolières de l’Etat Français) un contrat dit  » d’entreprise  » où, désormais, la société pétrolière étrangère intervenait comme entrepreneur pour le compte de la société nationale du pays producteur. Ce contrat souleva la fureur des  » majors  » mais il fut à l’origine des nouveaux types de contrats de services et de partage de production qui, dans la plupart des pays non-développés, allaient remplacer les classiques concessions. (Notons au passage qu’à part la nature juridique du contrat et donc la propriété de la production qui, dans une concession, appartient à la société pétrolière et, dans un contrat de partage de production, appartient à la société nationale qui en rétrocède un pourcentage en rémunération et en remboursement de ses coûts à la société pétrolière étrangère, le fond du problème est le même : il s’agit de savoir comment répartir  » le gâteau « . La plupart des clauses de ces contrats sont d’ailleurs identiques à part précisément celles qui prévoient la répartition de la production. En fait, le type de contrat par lui même n’est en rien responsable des traitements inégaux réservés jusque là aux pays d’accueil mais comme un simple problème de rapports de force comme nous allons le voir.

Il nous faut maintenant mentionner la Libye devenue un grand producteur à la suite, notamment, des découvertes d’Occidental, indépendant américain appartenant au milliardaire Armand Hammer, déjà célèbre pour ses relations privilégiées avec Lénine et l’Union Soviétique. D’autres indépendants américains étaient d’ailleurs intervenus tant au Moyen Orient qu’en Libye, comme Getty, Aminoil, Phillings, Marathon etc… et nous en verrons certaines conséquences.

Nous passerons sur les démêlés des sociétés pétrolières avec le Colonel Khadafi pour rappeler la création de l’OPEP (Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole) en Septembre 1960 par le Venezuela qui en fut le promoteur, l’Iran, l’Irak, le Koweit et l’Arabie Saoudite. En 1961 devait s’y joindre le Qatar, en 1962 la Libye et l’Indonésie, en 1967 Abu Dhabi (Emirats Arabes Unis), en 1969 l’Algérie, en 1971 le Nigéria puis l’Equateur et le Gabon qui devait plus tard s’en retirer.

La création de l’OPEP constitue dans l’histoire de l’industrie pétrolière et des relations de plus en plus intimes entre le pétrole et la politique internationale un pas nouveau et décisif Ses membres possèdent en effet le plus haut pourcentage de la production et les exportations les plus élevées.

Ses efforts allaient s’exercer dans deux directions principales : se rendre maître des prix et contrôler la production car, jusqu’alors, si les pays d’accueil étaient maîtres de l’impôt, ils ne l’étaient ni des prix  » affichés  » par les sociétés productrices ni des maxima de production déterminés par ces dernières. Nous ne nous étendrons pas sur les techniques employées à ces effets mais, comme nous l’avons vu, ces efforts et les circonstances amenèrent le premier choc pétrolier de 1973.

Les sociétés pétrolières assurèrent cependant l’approvisionnement jusqu’au second choc pétrolier survenu en 1979 après le détrônement du Shah d’Iran et l’arrivée au pouvoir de l’ayatollah Khomeini. Ce fut l’occasion d’une nouvelle restriction de l’offre pétrolière et de nouvelles augmentations des prix du brut qui monta jusqu’à US $ 40.00 le baril.

Toutefois, le marché qui était resté un marché de vendeurs se retourna vers 1982-1983 pour devenir un marché d’acheteurs en raison de l’exploitation de nouveaux champs pétroliers dans des zones non OPEP, comme la mer du Nord ou le Mexique, les économies d’énergie dans les pays consommateurs, la construction d’usines de production d’électricité à partir de l’énergie nucléaire etc…

Cette transformation du paysage pétrolier aboutit dans la décennie 1990 – 2000 à un affaiblissement du poids de pétroliers se regroupant pour ne former finalement, au lieu des Sept Sociétés auxquelles s’étaient progressivement joints des groupes comme Elf-Aquitaine et l’ENI, des groupes très puissants, par ordre d’importance Exxon-Mobil, Shell, BP Amoco, TotalFinaElf, Chevron-Texaco.

En définitive, le caractère oligopolistique de l’industrie s’est considérablement amoindri en raison de plusieurs facteurs parmi lesquels l’action des gouvernements non seulement des pays producteurs mais aussi des grands pays industriels dont la politique internationale en matière d’énergie est souvent déterminante.

L’intervention des Etats et les organisations internationales

En ce qui concerne les pays producteurs, nous venons de voir comment ils ont réagi face au cartel des sociétés pétrolières, d’abord par la constitution de l’OPEP ensuite par la modification en leur faveur des termes contractuels pour aller bien au-delà du 50/50 pour atteindre, dans certains cas comme certains contrats en Libye, un partage 90/10 en faveur du pays. Chacun de ces pays devait d’ailleurs nationaliser son industrie pétrolière sous une forme ou sous une autre et créer une société nationale qui, dans certains cas comme Pemex au Mexique serait chargée de l’intégralité des opérations pétrolières depuis la recherche jusqu’à la distribution ; tandis que d’autres soit négociaient des contrats pour la recherche et la production avec des sociétés étrangères ou s’associaient à ces dernières. Citons parmi les plus importantes, outre Pemex, Petrobras créée au Brésil dès 1953, Pertamina en Indonésie en 1960, Statoil en Norvège en 1972 active également dans d’autres pays, PDVSA au Venezuela en 1975 et Petromin en Arabie Saoudite qui prit le contrôle de l’Aramco en 1981, en rachetant 100 % des actions de cette dernière laquelle subsiste cependant comme entité légale américaine, reste l’opératrice des champs pétroliers et continue l’exploration mais sans aucun monopole.

Une vague nationaliste devait, jusqu’en 1980 environ, conduire de nombreux pays, notamment en Amérique du Sud, à créer des sociétés nationales, certaines existant depuis très longtemps comme YPF (Yacimientos Petroliferas Fiscales) d’Argentine créée dès 1907, d’autres plus récentes lorsque le pays devint producteur telles Sonatrach en Algérie en 1963 (après l’indépendance), Adroc à Abu Dhabi en 1971 et KOC à Koweit en 1973, Petronas en Malaisie en 1974, Sonangol en Angola en 1976 etc…

Le point commun de tous ces pays est que l’Etat entend désormais jouer un rôle directeur dans la supervision des opérations pétrolières même si celles-ci sont assurées par des sociétés pétrolières étrangères car le pétrole représente un pourcentage très important de leurs revenus indispensable pour son développement économique, le pays devenant alors un acteur plus actif en matière internationale.

Un certain reflux devait se produire dans la dernière décennie où plusieurs sociétés de pays, il est vrai non exportateurs, devaient être privatisées, suivant ainsi un courant international, telle qu’YPF d’Argentine passée sous le contrôle de l’espagnole Repsol, elle même récemment privatisée. Cette tendance amenait aussi certaines sociétés de pays producteurs, jusque-là réticentes, à s’ouvrir à l’exploration par des sociétés étrangères ou à prendre des participations avec elles.

En ce qui concerne les pays consommateurs, c’est-à-dire la quasi totalité des pays industrialisés, il y eut peu de création de sociétés nationales à l’exception notable de la participation du gouvernement dans BP au Royaume Uni, dans la CFP (Total) en France et de la création du groupe Elf Aquitaine en France. Il est pensons-nous utile de s’étendre sur la spécificité de la France en la matière :

À la différence des pays anglo-saxons et de leur culture libérale en matière économique qui devait donner naissance à des Rockefeller et à des Deterding, la France, on le sait, est une création des Rois et donc de son Etat qui a toujours joué un rôle sinon moteur au moins important dans l’économie nationale. Ajoutons à cela que les possibilités pétrolières qu’offre la géologie en France sont assez limitées et que l’Empire colonial à l’époque ne paraissait pas offrir non plus de grandes espérances. Quoi qu’il en soit, c’est le gouvernement français qui décida la création de la Compagnie Française des Pétroles en 1923 pour recueillir la part française de l’Irak Petroleum Co et, après la dernière guerre mondiale, l’industrie pétrolière française fut une création volontariste de l’Etat.

Entre les deux guerres, les gouvernements français s’appliquèrent ainsi à assurer l’approvisionnement du pays et à favoriser l’implantation en France, de raffineries et de distributeurs pétroliers internationaux, le tout réglementé par les lois de 1928 pour l’importation du pétrole et pour la protection douanière du raffinage. Ce fut le système des autorisations A3 et Al 0 (autorisations de 10 ans pour le pétrole brut et de trois ans pour les produits finis) qui marquèrent le paysage pétrolier français pendant six décennies.

Après la guerre, l’accent fut mis sur l’indépendance énergétique du pays et le démarrage de l’industrie de la recherche pétrolière, après la création en 1939 de la Régie Autonome des Pétroles (RAP) pour l’exploitation du gisement de gaz de Saint Marcet, la constitution en 1944 de la Société Nationale des Pétroles d’Aquitaine (SNPA) avec participation majoritaire de l’Etat (laquelle devait en 1951 découvrir le gisement de Lacq qui approvisionna la France en gaz naturel pendant 40 ans), ce fut en 1945 la création du Bureau de Recherches de Pétrole (BRP) qui prit la participation de l’Etat dans la SNPA et constitua plusieurs filiales pour la recherche principalement au Sahara, dont la SN Repal. De son côté la RAP s’associait majoritairement avec Shell pour constituer la CREPS. Ce fut également la création de l’Institut Français du Pétrole en 1944, instrument de recherche scientifique et d’enseignement.

Déjà avant la guerre, des géologues comme Conrad Kilian avaient prospecté le Sahara où ils pensèrent que d’importants gisements devaient s’y trouver, mais les majors, souverains à cette époque, ne donnèrent aucune suite et ce n’est qu’après la guerre que l’instrument d’exploration français put entreprendre des recherches qui firent du Sahara un grand producteur avec des gisements dont la découverte fut saluée par les pétroliers français comme autant de victoires : Hassi Messaoud, Hassi R’Mel., Edjeleh, Ohanet, Zarzaitine, Tiguentouxine etc… qui comblèrent les voeux du gouvernement. Dès le retour au pouvoir du Général de Gaulle en 1958 l’accent était mis sur le  » devoir national  » c’est-à-dire l’obligation pour les raffineurs, même étrangers, d’utiliser en priorité le pétrole  » national  » produit par les sociétés françaises. Au plan de la politique énergétique, il convient de noter que la CFP (Total) s’était rapprochée des majors anglo-saxons à la fois par l’origine de sa production comme de ses méthodes et alliances alors que le groupe des sociétés nationales qui devait devenir ERAP puis Elf-Aquitaine avait été constitué précisément pour limiter le poids des majors.

Il semble toutefois que des soucis d’un autre ordre conduisirent le Général de Gaulle à abandonner le concept d’indépendance énergétique lorsque l’indépendance fut accordée à l’Algérie avec en prime le Sahara et ses gisements pétroliers qui entrèrent immédiatement dans le giron de la Sonatrach et donc du gouvernement algérien qui devait procéder en 1970 à la nationalisation des dits.

Cependant, le rôle moteur dans l’industrie pétrolière française d’ElfAquitaine en symbiose avec l’Etat devait perdurer jusqu’à la privatisation progressive de la société avec celle de Total. Le nom de Pierre Guillaumat reste attaché à cette période qui se caractérise par :

  • l’expansion de la recherche et de la production à l’étranger, contribuant ainsi à la diversification des sources d’a
  • la création progressive du grand groupe pétrolier et industriel que fut ElfAquitaine contrôlé par l’Etat qui disposait, rappelons le, de 35% des actions et 40% des droits de vote chez Total.
  • une sorte de  » consanguinité  » souvent critiquée entre les pouvoirs publics et les compagnies pétrolières surtout chez Elf malgré de nombreuses frictions avec le gouvernement à partir de la présidence de M. Albin Chalandon de 1979 à 1983, date à laquelle il se retira précisément parce que le gouvernement socialiste d’alors entendait renforcer le rôle de l’Etat au détriment de la politique du premier groupe industriel français qu’était devenu Elf-Aquitaine.

Cette  » symbiose « , surtout en Afrique, avait d’ailleurs été réaffirmée par le dernier PDG d’Elf, M. Philippe Jaffré, chargé cependant, ce qu’il fit, de privatiser entièrement la société nationale comme devait également l’être Total.

Qu’en est-il aujourd’hui ? d’une part le rôle de l’Etat a été radicalement limité depuis la loi de 1993 qui laissent les compagnies françaises libres de leurs décisions notamment en vue de continuer à diversifier leurs sources d’approvisionnements de manière à équilibrer celles-ci et réduire la dépendance du pays à l’égard de telle ou telle. L’actionnariat des sociétés françaises a beaucoup changé et les fonds de pension américains s’y sont taillé une bonne part mais, si les liens avec l’Etat ne sont plus ce qu’ils furent, il est de fait que le personnel dirigeant des sociétés vient de la haute administration française et des grandes écoles’ qui la pourvoient et il est incontestable que ces sociétés restent de culture et de pratique françaises. Leur implantation, surtout celle d’Elf en Afrique et son action dans ce pays, ont été maintes fois commentées et critiquées voir même l’objet d’une mission et d’un rapport de la Commission des Affaires Etrangères de l’Assemblée Nationale , problèmes sur lesquels il n’est pas de notre sujet de nous étendre sinon pour mettre en évidence une fois de plus les liens entre les sociétés pétrolières et la politique internationale des Etats, en l’occurrence, l’Etat français.

Aujourd’hui, après les OPE de Total sur la société x Petrofina et sur Elf Aquitaine, la nouvelle société TotalFinaElf est devenue le quatrième groupe pétrolier mondial.

Pour en terminer avec la politique des états consommateurs de pétrole, il est important de rappeler qu’après le choc pétrolier de 1973-1974 où l’action de l’OPEP fit craindre une certaine pénurie ou de l’irrégularité dans les approvisionnements internationaux, fut créée l’Agence Internationale de l’Energie en 1974, sorte de contre OPEP, en vue de permettre aux gouvernements de rendre con jointement des mesures afin de faire face à des situations d’urgence concernant les approvisionnements pétroliers, partager leurs informations et coordonner leurs politiques énergétiques. L’AIE est un organisme autonome lié à l’Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE) dont le siège est à Paris. Elle groupe les principales puissances économiques y compris les Etats-Unis ainsi que les pays européens membres de l’OCDE et la Turquie, la Commission des Communautés Européennes participant également à ses travaux.

Le Prix du Pétrole

Comme celui de tous produits, le prix du pétrole est fonction de l’offre et de la demande, celle-ci étant supposée en augmentation constante (abstraction faite des économies d’énergie et des énergies de remplacement) compte tenu du développement des pays, c’est l’offre qui est le facteur essentiel. Cette offre et la fixation des prix du brut est en fonction de divers facteurs passés en revue lors de l’exposé historique ci-dessus et l’importance des découvertes, donc de la quantité de brut mise sur le marché, mais en tenant compte d’autres éléments dont, par exemple, la différence entre les sociétés intégrées qui disposent d’un écoulement en aval (raffinage, distribution) et celles qui n’en ont pas ou peu. Ce fut le cas lorsque la Libye accorda des permis à plusieurs sociétés indépendantes américaines (Occidental, Marathon, Oasis entre autres) qui firent d’importantes découvertes et se hâtèrent de vendre le brut sur le marché libre faisant ainsi chuter les cours et accélérant la création de l’OPEP dont l’objectif premier fut de freiner la baisse des cours. La baisse ou la hausse des stocks représente un autre facteur important pour que les prix du pétrole montent ou descendent, en plus des phénomènes d’ordre politique international déjà décrits.

Rappelons que le prix du brut est celui d’un  » marqueur  » autrefois l' » Arabian Light  » saoudien, aujourd’hui le  » Brent  » britannique de la mer du Nord choisis dans l’échelle des densités pour leur plus forte demande, le prix d’un baril de brut étant fonction du prix du produit fini que l’on peut obtenir du dit brut après raffinage (d’où moindre valeur des bruts lourds à partir desquels on obtient des produits noirs de faible valeur: bitume, fuel lourd, et la plus grande valeur des bruts légers qui permettent d’obtenir des produits blancs : essence, kérosène, de prix élevé).

Les prix du brut montrent depuis 1973 une évolution en dents de scie avec des pointes reflétant chacun des  » chocs  » pétroliers (1973-1974, 1979-1980, 1990-1991, 1999-2000). Relevons cependant que si ce dernier  » choc  » a provoqué le triplement du prix du pétrole, ce prix en monnaie constante reste inférieur à celui de 1974 puisque US $ 26.00 aujourd’hui correspond à US $ 6.00 d’alors.

Il faut aussi dire un mot de la spéculation, car si le marché mondial du pétrole représente US $ 6 000 milliards, le marché réel est de US $ 800 milliards, car, avant d’arriver à leur destination, les cargaisons peuvent changer plusieurs fois de propriétaire !

Enfin, alors qu’une augmentation du prix du pétrole est toujours ressentie avec une certaine inquiétude dans les pays importateurs, les sociétés pétrolières ne peuvent, elles, qu’en bénéficier puisqu’elles sont parties pour un certain pourcentage, à la hausse intervenue. Dans ce cas, les intérêts des Etats consommateurs et ceux des sociétés pétrolières sont divergents.

Politique, Ethique et Pétrole

Ces trois termes ne sont pas nécessairement en accord car les intérêts de tous ordres, financiers, de politique interne ou de politique internationale, non seulement sont fluctuants mais présentent toujours de profondes divergences d’une partie à l’autre. Dans l’ordre pétrolier, les pays non producteurs et non développés sont évidemment dans une situation délicate et ceux d’entre eux dont les possibilités géologiques de découverte ne sont pas inexistantes font des efforts pour attirer les sociétés pétrolières, les pays producteurs ont pour objectif d’obtenir les plus hauts revenus possibles compte tenu de leurs possibilités de production et donc de leurs réserves pétrolières (à noter que les réserves mondiales sont aujourd’hui de 140 milliards de tonnes dont 110 pour les pays de l’OPEP et 36 milliards pour la seule Arabie Saoudite, Irak et Koweit venant ensuite avec 15 milliards chacun), les pays consommateurs non producteurs ont pour préoccupation d’assurer la sécurité de leurs approvisionnements aux moindres coûts et quant aux pays producteurs et consommateurs, il y a ceux dont le ratio réserves/production est relativement élevé, c’est le cas de la Russie, troisième exportateur mondial qui ne consomme que la moitié de sa production, et ceux dont le ratio est bas, C’est notamment le cas des Etats Unis qui, pour une production de 360 millions de tonnes en consomment 880 millions et dépendent donc des importations pour plus de 40%, chiffre qui ne peut aller qu’en augmentant.

On s’explique ainsi la politique énergétique américaine qui commande en certaines parties du monde l’orientation de sa politique internationale d’autant que les Etats-Unis sont la seule puissance ayant la capacité de prendre des dispositions, militaires s’il le faut, pour conforter sa politique. Étant donné le développement et la puissance des sociétés pétrolières privées aux Etats Unis, on n’y retrouve pas la symbiose qui a caractérisé et subsiste, dans une mesure relative, en France entre action gouvernementale et sociétés, mais les compagnies américaines bénéficient toujours de l’appui diplomatique de leur gouvernement dont on sait qu’il peut être contraignant.

Deux exemples contemporains permettent d’illustrer cette politique américaine : si l’on songe que sur les dix-sept gisements géants découverts dans les dix dernières années, les deux plus importants se trouvent situés dans des pays ex-soviétiques, notamment celui de Kashagan au Kazakhstan, on comprendra que les pétroliers américains qui représentent 20 % du consortium exploitant sont très actifs dans la région tandis que la Russie qui ne peut intervenir seule n’est cependant pas absente des consortiums mais surtout, tient à contrôler l’évacuation du brut par oléoducs. C’est ce qu’on appelle la  » bataille des oléoducs « .

Les réserves pétrolières du Kazakhstan et de l’Azerbaïdjan principalement localisées en mer Caspienne sont déjà très supérieures à celles des Etats-Unis et pourraient atteindre le quart de celles du Moyen Orient, avec des exportations d’environ 1,3 millions de barils/jour. Il faut cependant désenclaver la région, c’est à dire construire des oléoducs vers soit la Mer Noire, soit la Méditerranée à travers la Turquie, soit le Golfe Persique. La nécessité de traverser l’Iran dans ce dernier cas a fait, pour l’instant, écarter le projet mais si la Russie favorise l’évacuation par son territoire vers la mer Noire, les Etats Unis poussent à la construction d’un tuyau de 1730 km reliant Bakou à Ceyhan sur la côte turque de la Méditerranée. La première manche vient d’être remportée par les Russes qui, ayant achevé le contournement de la Tchétchénie ont pu inaugurer un oléoduc de 1580 km et d’une capacité de 67 millions de tonnes. Cette ligne aboutit à Novossibirsk sur la côte russe de la mer Noire. Quant au projet Bakou-Ceyhan, bien que non économique, au moins à l’heure actuelle, son principal mérite était de bloquer les projets à travers la Russie ou à travers l’Iran.

Voilà donc un cas typique où les autorités gouvernementales américaines interviennent alors que les pétroliers pensent d’abord à la rentabilité la plus rapide de leurs investissements tout en désirant, ce qui est normal, contrôler aussi la voie d’évacuation de leur brut.

Les autres exemples récents de l’irruption brutale de la politique internationale des Etats-Unis dans les problèmes pétroliers sont bien connus, entre autres nombreux ouvrages, dont le livre remarquable du Général Gallois  » Le sang du pétrole  » dont le premier tome est consacré à l’Irak : certes, le problème était, est toujours, d’une ampleur comprenant d’autres facteurs que l’élément pétrolier proprement dit mais comme 1’écrivait en 1990 l’historien spécialiste des problèmes du Moyen Orient, John B. Kelly peu suspect de sympathie ouverte pour Saddam Hussein et son régime;  » Est-ce réellement le fond du problème (contraindre l’Irak à se retirer du Koweit) ? en fait la question centrale, qui éclipse toutes les autres, est la sécurité des réserves pétrolières du Golfe et leur disponibilité constante pour le reste du monde…    Le coeur de l’affaire est le pétrole « .

  1. Dick Cheney, aujourd’hui Vice-Président des Etats-Unis, exprimait également  » … si nous attendons 2 ou 3 ans, Saddam Hussein dominera la zone du Golfe, donc l’approvisionnement pétrolier du monde, le nôtre et celui des autres nations « .

Bien entendu, aucun lecteur n’aura aujourd’hui la naïveté de penser à une  » croisade contre le nouvel Hitler  » comme tous les médias du monde l’ont martelé pendant des années. Il est bien évident qu’un Irak en voie de modernisation et d’industrialisation, avec un gouvernement laïc, disposant de capacités militaires importantes fruit de la guerre contre l’Iran, détenant avec le Koweit 30 milliards de tonnes de réserves pétrolières, eut été un partenaire à la fois incontournable et dangereux pour l’équilibre du Moyen Orient, y compris pour Israël, susceptible de constituer, de plus, un danger pour les monarchies locales, clients et protégés des Etats Unis.

Ces considérations à la fois d’ordre politique, économique, stratégique et pétrolier expliquent, sans toutefois l’excuser, la volonté d’écrasement continu de l’Irak de la part des Etats Unis. On comprend que ces derniers soient enclins à préférer des Etats Arabes moins avancés et plus dépendants dans une relation presque de type néo-colonial.

Il est, à ce sujet, intéressant de noter l’origine pétrolière de la crise qui a amenée la guerre du Golfe : débiteur de 40 milliards de dollars prêtés par les pays arabes pour la guerre sanglante de huit ans contre l’Iran, l’Irak estimant que s’étant battu seul pour une cause commune, on devait lui remettre sa dette ce que refusa nettement le Koweït, qui augmenta, de plus, sa production et donc faisant baisser le prix du brut alors que l’Irak souhaitait vendre le sien aussi cher que possible pour reconstituer ses finances. (1 $ de moins au baril signifiait pour l’Irak une perte de 1 milliard de dollars par- an, le prix du brut étant alors descendu à 12 dollars, cela signifiait une perte de 6 à 7 milliards de dollars par an pour l’Irak). Est-il utile de préciser que ce n’est sans doute pas sans le conseil intéressé des Etats Unis que le Koweït prit cette position ?

Épargnons-nous d’autres exemples et venons-en à un autre problème où s’entremêlent les intérêts pétroliers, les considérations éthiques et la politique internationale. Il s’agit de l’intervention des compagnies pétrolières dans certains pays en proie à des luttes intestines ou affligés d’un gouvernement qualité de dictatorial et souvenir répréhensible (bien que l’on ait tendance de nos jours à considérer ces deux qualificatifs comme indissociables). C’est ainsi qu’estimant que les compagnies pétrolières fournissaient à l’Iran des ressources pour alimenter le terrorisme, le gouvernement américain a contraint la société CONOCO (Continental Oil Co.) de renoncer à l’exploitation au champs de Sirri et que, de plus, il eut la prétention, en vertu de la  » loi d’Amato « , d’interdire à Total la reprise de cette exploitation !

En Angola, il est bien certain, que l’afflux des revenus pétroliers dus aux découvertes, celles d’Elf-Aquitaine, a plus contribué au maintien au pouvoir de Dos Santos contre Jonas Savimbi que les armées cubaines. C’était l’intérêt des pétroliers, donc de la France, et probablement des Etats Unis qui, la guerre froide étant du passé, les cubains rentrés chez eux et l’Afrique du Sud politiquement correcte, ne s’intéressaient à la question, eux aussi, que sous l’angle uniquement pétrolier.

Plus discutée, à la fois aux Etats Unis et en France, fut l’intervention des compagnies pétrolières en Birmanie, encore que les medias qui applaudirent avec enthousiasme à l’écrasement sous les bombes de l’Irak et de la Serbie, se montrent plus discrets en l’occurrence. En Birmanie, où sévit une dictature militaire brutale, l’intervention des sociétés Total et Unocal fit l’objet d’une étude de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme et elle furent accusées d’être un soutien à cette dictature. Ce problème, notamment le travail forcé dans la construction du gazoduc de Yadana vers la Thaïlande fut également l’objet d’une enquête minutieuse de la Commission des Affaires Etrangères de l’Assemblée Nationale française.v La présence du groupe français, 4ème pétrolier mondial, en Birmanie a été jugée par certains comme dommageable pour l’image de la France.

Cette enquête devait aussi être menée concernant la position d’Elf lors de la guerre civile au Congo et, récemment, des articles de presse commentent l’intervention des sociétés pétrolières au Sud Soudan où les revenus pétroliers du gouvernement de. Khartoum l’aide dans sa répression du sud chrétien. TotalFinaElf détient une vaste concession au coeur du sud rebelle mais ne semble pas y déployer une grande activité pour l’instant. C’est la société canadienne Talisman qui exploite actuellement un champ et, de ce fait, est l’objet de critiques des ONG (Organisation non gouvernementale) sans que le problème des chrétiens du Soudan ait encore ému la conscience universelle !

Nous conclurons en remarquant : d’une part la puissance financière et industrielle de plus en plus grande des groupes pétroliers dominants dont les principaux présentent des chiffres d’affaire de l’ordre de 100 à 200 milliards de dollars ainsi que leur influence, bien que sociétés privées, dans l’économie et la politique des pays tant producteurs que consommateurs, d’autre part, le rôle de plus en plus décisif de ces derniers dans la détermination de leur politique énergétique concurremment avec les organismes internationaux spécialisés. Il en résulte un complexe et des interactions d’intérêts pas toujours convergents, d’ordre économique, politique et stratégique.

Les Etats, a-t-on dit, sont des monstres froids et l’actualité en donne malheureusement des preuves répétées. Les grands groupes pétroliers le sont aussi en quelque sorte. Aussi, les soucis humanitaires et écologiques souvent proclamés de toutes parts ne sont trop souvent qu’une excuse ou un masque. Faut-il s’en étonner ? l’étude de l’Histoire montre que les efforts des hommes à de tels niveaux n’ont généralement pour but que la satisfaction des intérêts de groupes nationaux ou internationaux dont la concurrence constitue la fondement même de la politique internationale.

En définitive, quelque brillante et pénétrante que soit la thèse de Samuel Huntington, il ne semble pas que les conflits à venir seront uniquement d’ordre civilisationnel !

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