Perspectives pétrolières et l’Orient

Par André PERTUZlO

Force est de constater qu’en iy/3, iy/y et iyyu ce sont, comme aujourd’hui, des situations d’ordre politique et militaire au Proche et Moyen Orient qui furent à l’origine de cette flambée des prix et des inquiétudes sur l’avenir ainsi suscitées dans le monde. Et il est vrai qu’en Orient – vocable que nous utiliserons désormais pour dénommer cette région – aucun problème politique ne peut être dissocié du pétrole.arement, depuis le « choc pétrolier » de iy/3, les médias se seront autant répandus sur le pétrole et la hausse de son prix qui a fait la « une » des journaux en même temps que des études s’essayaient à définir la limite prévisible de la disponibilité de cette ressource énergétique.

Il convient donc, compte tenu de l’importance de cette région pour l’approvisionnement énergétique mondial, d’examiner la question dans son contexte international et dans une vue prospective.

L’énergie dans le monde

C’est un truisme que de dire que l’énergie est consubstantielle a la vie de l’homme et au monde que ce dernier a construit. En effet, depuis la simple énergie physique de l’homme et de l’animal – qui ont déjà permis de bâtir de grandes civilisations – jusqu’à l’énergie nucléaire, le monde s’est développé grâce à des sources d’énergie de plus en plus performantes, avant tout les énergies fossiles : le charbon qui a permis la première révolution industrielle et constitue encore les plus importantes réserves énergétiques de la planète, les hydrocarbures qui occupent aujourd’hui une place prépondérante, l’énergie nucléaire enfin qui, si elle est limitée quant à son utilisation, est devenue de plus en plus importante pour la production d’électricité, notamment en France.

Quelques chiffres sont nécessaires pour en juger : aujourd’hui, l’énergie consommée dans le monde représente annuellement 9 700 millions de tep* (tonne équivalent pétrole) et se répartit de la façon suivante : charbon 26%, pétrole 38%, gaz naturel 24%, électricité primaire (hydraulique et nucléaire) 12%. De cette énergie, les seuls Etats-Unis consomment 25% soit 2 40u millions de tep dont 10% d’origine nucléaire. Quant à la France, elle consomme annuellement 280 millions de tep dont 5% de charbon, 36% de pétrole, 15% de gaz naturel et 44% d’électricité primaire dont 87% d’origine nucléaire (Union européenne, 1 600 millions de tep dont 13% de nucléaire).

A partir de ce bilan énergétique on constate que l’augmentation de la production et de la consommation d’énergie dans le monde a été d’environ 60% dans les trente dernières années, soit une moyenne de 2% annuellement et qu’une progression annuelle de 1,7% est prévue par l’Agence internationale pour l’énergie jusqu’en 2030 où la consommation mondiale d’énergie primaire devrait atteindre environ 15 milliards de tep (1,5% pour le charbon, 1,6% pour le pétrole et 2,3% pour le gaz naturel).

Sur ces bases,l’Agence a chiffré les investissements nécessaires pour la période 2001 à 2030 à 16 milliards de dollars US soit 550 milliards par an dont 62% pour l’électricité afin de doubler la capacité existante et 38% pour les hydrocarbures dont 10% pour produire de l’électricité.

Le problème consistera à trouver les sources de financement de ces investissements qui représentent 1% du PIB mondial (0,5% pour les pays de l’OCDE mais 5% pour la Russie) en tenant compte des risques de tous ordres dans le monde actuel pour les investisseurs. En tout état de cause, la mobilisation de telles sommes, indispensable pour la croissance économique, constituera un appel considérable au marché des capitaux et un défi pour les pays émergents comme la Chine (14% des investissements totaux) ou l’Inde ainsi que pour les économies dites « en transition » comme la Russie.

Ces prévisions qui, comme toute prévision de cet ordre dans un univers incertain, sont évidemment sujettes à révision au cours des années à venir mais les scénarios envisagés ne devraient pas varier très sensiblement. En tout état de cause, les hydrocarbures continueront à jouer un rôle essentiel dans l’accroissement de la consommation puisque le seul pétrole devrait en 2030 représenter 6 000 millions de tonnes de consommation annuelle sur les 15 000 millions de tep d’énergie totale. Cette importance croissante du pétrole est logique si l’on tient compte de la facilité de transport de cette matière première à travers le monde, de son pouvoir calorifique, de sa polyvalence enfin qui va du bitume et des fuels pour le chauffage et l’industrie à la production thermique d’électricité, aux carburants pour les transports automobiles et enfin aux mille usages pour la pétrochimie.

Perspectives pétrolières

Si, sur l’importance globale de la demande de pétrole, les experts sont en général d’accord à l’horizon 2030, il reste à examiner qui seront les parties prenantes et l’évolution de leur consommation, les pays producteurs, l’évolution des productions et des réserves ainsi que les aléas inhérents à une industrie complexe et aux changements géopolitiques dans le monde.

  • En ce qui concerne la consommation il nous faut, là encore,donner quelques chiffres : dans les trente dernières années, soit dès après le seul véritable « choc pétrolier » de 1973, la consommation pétrolière mondiale est passée d’environ 2,8 à 4 milliards de tonnes aujourd’hui donc une augmentation de 42%, mais cette croissance n’a pas été linéaire car elle a été fonction du degré et du rythme de développement non pas des pays industrialisés dont la croissance a été à peu près constante (1,1% en Europe mais 1,4% aux USA) mais de celle des pays dits « en transition » ou « émergents » (Chine 10%) qui s’est manifestée après 1990 (sauf l’ex URSS). C’est ainsi qu’il est prévu pour 2030 une progression de 80 millions à 120 millions de barils/jour** (de 4 à 6 milliards de tonnes/an).

Il s’agit là bien entendu de moyennes globales et il est intéressant de noter les différences de croissance de la consommation entre les différents pays. C’est ainsi que pour la période considérée,en ce qui concerne les pays de l’OCDE l’augmentation sera annuellement de 0,5% dont 0,5% en Europe et 1,4% en Amérique du Nord. En revanche, la moyenne des pays dits « en transition » sera de 2,7% parmi lesquels la Russie restera dans la moyenne mondiale de 1,6% tandis que la Chine atteindra 3,4% avec une consommation annuelle de 13 millions de barils/jour contre 5 millions aujourd’hui. Ce même taux de croissance de la consommation pétrolière sera aussi celui de l’Afrique tandis que l’Inde et les autres pays asiatiques verront leur consommation augmenter de 2,9 à 3% annuellement.

La remarque importante que l’on peut faire à ce sujet c’est que les pays dits « en transition » vont passer de 30 à 60 millions de barils/jour alors que les pays industrialisés (OCDE) vont passer de 46 à 57 millions de barils/jour, ce qui ne sera évidemment pas sans conséquences non seulement économiques mais géopolitiques.

  • En ce qui concerne la production, l’on constate une fois de plus le déséquilibre entre les pays consommateurs pour la plupart non ou insuffisamment producteurs (ce qui est le cas des Etats-Unis,

troisième producteur mondial) et les pays producteurs, relativement faibles consommateurs à l’exception de la Russie, deuxième producteur mondial).

C’est ainsi que l’OPEP – Organisation des pays exportateurs de pétrole -fournit aujourd’hui environ 34% de la production mondiale et que les pays du Proche et du Moyen Orient assurent 30% de cette production.

De plus, dans une perspective qui est l’objet de cette étude, il apparaît qu’à l’horizon 2030 l’Orient produira plus de 50% des besoins pétroliers du monde. Il est donc évident que les changements qui nécessairement se produiront dans les structures des approvisionnements pétroliers assureront à cette région une position dominante comme producteur de pétrole. En effet, les autres sources d’approvisionnement, en dehors de l’Orient, sont d’ores et déjà en déclin si l’on excepte l’Asie Centrale et la mer Caspienne où des gisements importants ont été mis au jour sans que cependant les perspectives de développement et les réserves possibles de cette région soient d’une taille telle qu’elles puissent constituer un approvisionnement substitutif mais plutôt d’appoint.

♦ D’autre part, plus on avance dans le temps et plus le problème sera non pas celui de la production proprement dite mais bien celui des réserves qui est fondamental. Cette question a déjà généré des flots d’encre et de nombreuses discussions en raison de la difficulté d’arriver à une grande précision concernant les réserves prouvées. Régulièrement des conclusions pessimistes ont jeté l’alarme, telles par exemple, celles du Club de Rome qui, en 1972, évaluait à 20 ans les réserves pétrolières. Nous en sommes aujourd’hui à plus de 40 ans bien que la consommation pétrolière depuis 1972 soit passée de 2 400 millions de tonnes/an à 3 600 millions.

Des études sérieuses faites par les compagnies pétrolières et publiées en 1974 par l’OilandGasJournal montraient des réserves mondiales s’établissant à 98 milliards de tonnes pour une consommation pétrolières alors de 2 500 millions de tonnes annuellement, soit 35 ans. Depuis cette époque, alors que la consommation augmentait en moyenne de 1,6% les réserves augmentaient de 2,5% et, aujourd’hui, le ratio réserves/production s’établit à 47 ans.

C’est là où apparaît clairement la position éminente de l’Orient et notamment des 5 pays indiqués plus haut : Arabie Saoudite, Irak, Iran, Emirats, Koweït indiqués plus haut. En effet, leurs réserves s’établissent en moyenne à 90 ans ou plus. Il convient à ce sujet de distinguer la situation particulière de l’Irak dont la production actuelle est de beaucoup inférieure à ce qu’elle

– 70 ­-devrait être en raison de sa situation particulière entraînée d’abord par la guerre du Golfe en 1990 et par l’intervention militaire américaine en 2003. Le ratio actuel réserves/production y est donc de 230 ans !

Lorsque l’Irak aura pu reprendre, au prix d’un rétablissement de sa situation politique et d’investissements très importants, une production normale, il sera possible de calculer des réserves avec plus de précision surtout si l’on songe que, sans recherches nouvelles, sur 73 gisements découverts, seuls 15 ont été mis en exploitation et 58 sont en friche dont 10 gisements géants, et que, d’autre part, la productivité des puits irakiens est la plus importante du monde, il semble bien que la quantité de réserves de ce pays pourrait être plus élevée.

  • Il faut aussi mentionner les importantes réserves en place estimées à près de 1 000 milliards de tonnes de « bruts conventionnels », notamment les sables bitumineux de l’Athabasca au Canada, les schistes bitumineux au Colorado aux USA et les bruts très lourds de la ceinture pétrolifère de l’Orénoque au Venezuela. Toutefois, non seulement leurs traitements en vue de leur transformation en brut raffinable est très coûteux et que seules des quantités modestes sont actuellement produites, mais le ratio brut raffinable/réserves en place (8% au Venezuela-très variable suivant les cas) conduit à relativiser les quantités des réserves effectives.
  • Il convient enfin de tenir compte du rôle de plus en plus important du gaz naturel dans la demande énergétique où son pourcentage est appelé à dépasser celui du charbon. Le gaz naturel est un hydrocarbure qui présente à la fois de grands avantages et certains inconvénients liés à son transport : c’est une source d’énergie « propre » c’est-à-dire moins polluante que les autres énergies fossiles. Si son transport par canalisation ne pose pas de problèmes sauf conditions géographiques et politiques difficiles, en revanche, son transport par mer est onéreux. En effet, les lieux de consommation sont éloignés des lieux de production et il est nécessaire de le liquéfier pour le transporter par méthaniers et le regazéifier au lieu de destination : il est évident que seules d’importantes quantités peuvent permettre d’amortir les investissements engagés dans ce processus.

A l’heure actuelle, la production commercialisée est de 2 700 milliards de m3 soit environ 2 500 millions de tep et il est prévu pour 2030 une consommation de 5 000 millions de tep. Ajoutons que si, aujourd’hui, 97% du gaz naturel liquéfié (GNL) est acheminé vers l’Extrême Orient pour y substituer du pétrole, de nouvelles usines de liquéfaction sont prévues, notamment au Qatar, qui fourniront d’importantes quantités aux USA et en Europe. Dans l’avenir, c’est l’importance des réserves qui jouera le rôle le plus important. Dans ce domaine, l’Orient est encore, avec la Russie, de beaucoup la région la mieux placée (75 milliards de tep surtout l’Iran et le Qatar). Les exportations russes permettront d’augmenter les livraisons à l’Europe mais aussi vers la Chine qui prépare activement un réseau de gazoducs dans le cadre de sa politique tendant à diminuer sa dépendance par rapport aux importations de pétrole (40% actuellement mais qui augmenteront).

Considérations géopolitiques

Que le pétrole soit un enjeu géopolitique planétaire, nul ne le conteste. Il est la source essentielle de la croissance économique des pays industriels, du développement des pays dits « en transition » et dont les besoins augmentent spectaculairement, et enfin la ressource primordiale des pays exportateurs.

Le fait que cette ressource énergétique, si l’on excepte certains pays producteurs comme la Russie ou le Venezuela aux réserves moindres, soit concentrée pour l’essentiel dans une seule région, l’Orient, ajoute un facteur capital dans l’équation à résoudre.

La dépendance des pays de l’OCDE (Europe, Etats-Unis, Japon notamment) leur pose un problème aigu auquel seule l’hyperpuissance américaine permet, sinon de trouver une véritable réponse, du moins de contrôler les aires de production de la région et les moyens d’évacuation de sources relativement importantes d’hydrocarbures (Caspienne-Asie Centrale) au moyen de canalisations à travers l’Afghanistan et la Turquie, le tout ceinturé par des bases militaires depuis la Hongrie jusqu’à l’Ouzbekistan.

L’approvisionnement des Etats-Unis qui importent 55% de leur consommation – pourcentage destiné à croître – et, subsidiairement celui des pays de l’OCDE est évidemment en cause mais également, dans un cadre plus général, le poids géostratégique du pétrole. « L’union intime » avec l’Arabie Saoudite depuis 1945 fut la première manifestation de cette préoccupation et également la politique moyen-orientale des Etats-Unis, ainsi la guerre du Golfe dont Dick Cheney alors Secrétaire à la Défense disait « si nous attendons deux ou trois ans, Saddam Hussein dominera la zone du Golfe et donc l’approvisionnement mondial ». Dans la même veine, la composante pétrolière dans les raisons qui poussèrent les Etats-Unis à envahir l’Irak en 2003 est, bien entendu, non négligeable !

Il faut aussi avoir conscience que seul l’Irak était avec l’Iran le seul grand producteur d’où les sociétés pétrolières américaines étaient absentes et qui se trouvaient, d’une manière générale, en dehors de la mouvance américaine.

Or, si l’Orient est assuré de rester pour longtemps encore la région dominante en matière d’approvisionnement énergétique et celle où le pétrole est le plus accessible, il est également la région la plus instable politiquement, encore fragilisée par la récente intervention des Etats-Unis en Irak.

Le problème à résoudre est donc très délicat et fait l’objet de réflexions et de débats d’autant plus difficiles qu’à moyen terme on ne voit pas d’autres sources d’énergie se matérialiser dans des conditions économiques possibles si ce n’est l’énergie nucléaire que la France utilise grandement pour la production d’électricité mais dont l’emploi reste techniquement limité et qui soulève de grandes oppositions dans le monde.

Il est intéressant à ces égards de noter les efforts de la Chine pour assurer les nécessités de son développement économique en consommant déjà un milliards de tep par an dont 250 millions de pétrole. Le déficit énergétique de la Chine ne fera qu’augmenter et pour réduire sa dépendance pétrolière, la Chine fait de gros efforts d’une part pour développer ses ressources hydrauliques tel, entre autres, le gigantesque barrage des Trois Gorges, d’autre part la construction d’un réseau de gazoducs pour l’importation de gaz naturel de Russie et du Kazakhstan en même temps que développer ses propres réserves. Malgré tout, le recours aux importations de l’Orient pour une part importante restera indispensable.

Conclusion

Au terme de ce bref exposé nous voyons, avec la prudence inhérente à toute prospective, se dessiner dans un avenir relativement proche à la fois une diversification des acheteurs en ce qui concerne les volumes et un resserrement dans le même ordre des fournisseurs. La part de marché de l’OPEP, notamment des pays de l’Orient, se trouvera renforcée – sous réserve de l’évolution de la production irakienne – et ce jusqu’à ce que des combustibles de remplacement apparaissent sur le marché dans un avenir plus reculé. Les producteurs auront donc une influence plus grande sur le niveau des prix encore que les variations conjoncturelles de ces derniers soient déterminées aussi par plusieurs autres paramètres notamment la situation politique préoccupante de la principale zone productrice. Cela étant, ces prix semblent devoir se situer à la hausse ne serait-ce qu’en raison des investissements considérables nécessites par la croissance énergétique et prendre aussi en compte les investissements que devront faire les pays exportateurs pour leur indispensable diversification économique.

Comme nous l’avons vu, la dépendance du monde à l’égard de l’énergie fossile ainsi que la localisation de la plus grande partie des réserves dans une région du monde particulièrement instable constitue un problème dont il est difficile de prévoir l’évolution. La sagacité des gouvernants mondiaux et pétroliers sera mise à rude épreuve et ce n’est pas en vain que l’Agence Internationale pour l’énergie titre son dernier rapport annuel « La sécurité énergétique dans un monde dangereux »…

André PERTUZIO

(1) A poursuivi une carrière internationale de près de 30 ans dans l’industrie pétrolière dont 20 ans dans un grand groupe pétrolier français, puis ensuite à la Banque Mondiale en qualité de Conseiller Juridique pour l’Energie, enfin comme Consultant Pétrolier International.

NOTES

(*)   tep : quantité de matière énergétique produisant la même quantité d’énergie qu’une tonne de pétrole.

Baril/jour : un baril contient 158,/b litres. considérant qu’il y a approximativement 7 barils par tonne (le chiffre exact dépend de la densité du brut), il est couramment admis dans l’industrie qu’un baril/jour est égal environ à 50 tonnes/an.

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