Jean-Guy GREILSAMER, représentant pour l’Union Juive Française pour la Paix et porte-parole de l’UJFP
Résumé
Les violations par Israël du droit international et des droits de l’Homme sont connues tant par la communauté internationale, que par les décideurs politiques étrangers et la société civile. Par la publication de l’Accord du Siècle, les espoirs que cristallisaient les accords d’Oslo semblent bien loin à présent. Et la pression américaine pour l’acceptation mondiale et régionale de l’état de fait imposé par Israël paraît inébranlable. Il semblerait donc que la population palestinienne, abandonnée de ses alliés, n’ait plus de sein auquel se vouer. Pourtant, les réseaux de solidarité internationaux, palestiniens et juifs, se multiplient. Source d’aide horizontale, concrète et matérielle, ces réseaux sont également porteurs d’espoirs pour le soulèvement des consciences.
Summary
Israel’s violations of international laws and human rights are known by the international community as well as foreign political leaders and citizens. By fostering the Trump Deal, the last few hopes that were polarized by the Oslo agreements legacy seem to have vanished. And the American pressure put on regional and global players to force them into accepting the present situation imposed by Israel seems unbreakable. In order words, Palestinians, as they have been abandoned by their regional allies, have no shoulder left to cry on. However, global, Palestinian, and Jewish solidarity networks are rising. This new horizontal concrete and material help is also a driving force that could generate hope and raise awareness.
Quelles sont les perspectives d’avenir de la Palestine du point de vue du respect du droit international contemporain et des droits humains universels ?
Ces droits s’appuient sur des principes clairs desquels découlent les droits du peuple palestinien : la condamnation du colonialisme, de l’apartheid, de l’épuration ethnique des peuples autochtones, le droit au retour des réfugiés palestiniens, le respect des droits humains universels, le droit à la résistance y compris armée des peuples colonisés et à leur autodétermination.
De nombreuses résolutions internationales, souvent bafouées, ont affirmé les droits du peuple palestinien. Or la situation actuelle se caractérise par :
- un colonialisme de peuplement qui vise à rayer politiquement et socialement la Palestine de la carte pour la réduire à de petits bantoustans sous contrôle israélien ;
- la poursuite de la judaïsation du territoire israélien, notamment contre les Bédouins ;
- la persistance du mythe du retour de l’ainsi nommé « peuple juif » après 2000 ans d’exil ;
- le blocus de Gaza, qui est une prison invivable, même à court terme ;
- les accords sécuritaires avec l’Autorité Palestinienne ;
- la répression très sévère des résistants palestiniens, de toute la population civile y compris des enfants, des prisonniers politiques, des Marches du retour à Gaza ;
- la loi à valeur constitutionnelle votée le 19 juillet 2018 et officialisant l’apartheid israélien ;
- et enfin, le chantage permanent à l’antisémitisme pour tenter de museler les opposants à cette politique.
Les accords d’Oslo, qui ont véhiculé l’image fictive d’un peuple palestinien vivant en paix aux côtés d’Israël sur 22% de son territoire historique, n’ont été qu’un moyen de poursuivre la colonisation et d’effacer le droit au retour des réfugiés.
Cela étant dit, il est important de comprendre que cette situation et le poids de la politique sioniste ne résultent pas de la seule responsabilité israélienne mais aussi de l’alliance ou du silence complice de nombreuses puissances. L’Etat israélien participe à un axe mondial nationaliste, raciste, xénophobe, sécuritaire, dans lequel figurent Trump, Bolsonaro et divers gouvernements et courants politiques parfois antisémites, tels la Hongrie d’Orban, ainsi que des dictatures et féodalités arabes. L’Union européenne fait également preuve d’une grande hypocrisie, notamment la France, qui dispense de bonnes paroles, mais maintient à Israël son statut de partenaire privilégié, alors même que cet État détruit les installations qu’elle a elle-même financée en Cisjordanie ou à Gaza.
Le rôle d’Israël dans cet axe est de servir de laboratoire pour la répression des mouvements populaires : l’argument de vente étant que le matériel répressif et les techniques policières et militaires israéliens ont été testés contre les Palestiniens.
« L’accord du siècle » de Trump, qui a été précédé par son appui à l’annexion de Jérusalem et du Golan, sera certainement la proposition d’une liquidation de la cause palestinienne, liquidation saupoudrée de quelques miettes faisant fonction d’aide économique au peuple palestinien : l’objectif étant d’imposer le « Grand Israël ».
La réalité de la politique d’apartheid israélienne et les sanctions qu’elle requiert ont été largement documentés. Israël est coupable de crimes d’apartheid selon la définition de l’Assemblée générale de l’O.N.U. du 30 novembre 1973. L’apartheid et le blocus de Gaza sont des crimes contre l’Humanité qui exposent leurs responsables à des sanctions judiciaires graves et imprescriptibles.
Mais la sombre situation que je viens de rappeler ne doit pas détourner notre attention de facteurs d’espérance, qui sont réels eux aussi.[1]
La résistance du peuple palestinien, en dépit de sa situation tragique et des divisions politiques qu’il subit, persiste. Cette résistance se traduit non seulement par des manifestations, mais aussi par l’attachement à la terre, le souci de l’éducation des enfants, la valorisation de l’héritage et des pratiques culturels, l’entraide, les comportements face aux obstacles affrontés dans les démarches quotidiennes.
Par ailleurs, il serait erroné de considérer la population juive israélienne comme un bloc sans faille. Les différences d’origine et surtout sociales sont en effet porteuses de fractures potentielles. L’opposition anticoloniale juive israélienne, bien que très minoritaire est active. Des intellectuels et des journalistes tels que Nurit Peled, Michel Warschawski, Gidéon Levy, Amira Hass témoignent ainsi de ce positionnement moral. Des associations telles que B’tselem sont de réels soutiens pour aider les Palestiniens à communiquer au monde entier la situation qu’ils subissent. D’autres, telles que Zochrot et De-Colonizer aident à la reconnaissance de la Nakba.
Parallèlement, des associations qui n’ont pas rompu avec le sionisme, telles que « Breaking the Silence », association d’appelés ou anciens appelés dénonçant les crimes de Tsahal, l’armée israélienne, jouent un rôle non négligeable pour mettre en lumière les ressorts fascistes de cette armée. D’autres, tels que les refuzniks, refusent de participer à la répression coloniale.
Au niveau international, suite à la persistance de l’absence de sanctions pour mettre fin à l’impunité d’Israël, la société civile palestinienne a lancé en 2005 le mouvement BDS, signifiant Boycott, Désinvestissement, Sanctions. Ce mouvement s’inspire du boycott qui avait contribué à mettre fin à l’apartheid en Afrique du Sud. Il est devenu un engagement majeur pour la solidarité internationale à notre époque. Ses objectifs, très simples, sont ceux qui conditionnent un avenir conforme au droit international, à savoir :
- Mettre fin à l’occupation et à la colonisation, et aujourd’hui aussi au blocus de Gaza
- Gagner l’égalité complète des droits des Palestiniens qui vivent en Israël
- Garantir le droit au retour des réfugiés, conformément à la résolution 194 de l’O.N.U.
Le BDS remporte de nombreuses victoires, surtout concernant les désinvestissements et les boycotts culturel et universitaire. Ainsi des entreprises françaises se sont retirées des colonies (Orange, Véolia…) ou ont abandonné des appels d’offres (Alstom), et le BDS culturel a rallié de nombreux artistes.
Preuve de son poids croissant, le BDS inquiète Israël, qui a créé un département ministériel et dépense des sommes considérables afin de le combattre.
Jusqu’à présent, ce sont les boycotts culturel et universitaire qui inquiètent Israël, bien plus que le boycott économique. En effet, l’économie israélienne est résistante et demeure épargnée par les boycotts étrangers, tandis que les boycotts culturel et universitaire portent fortement atteinte à l’image d’Israël dans l’opinion publique internationale.
Parmi ses membres, le BDS compte un nombre important de Juifs dans le monde. Jewish Voice for Peace, l’équivalent étasunien de l’Union Juive Française pour la Paix, est l’un des pôles les plus importants du BDS et remporte un fort succès parmi les jeunes. Parallèlement à cet engagement juif américain et international, un désengagement civil américain se fait croissant. Les lobbies sionistes se fissurent, en particulier aux Etats-Unis. Environ la moitié des Juifs étasuniens est plus attachée à l’avenir des Etats-Unis qu’à l’avenir d’Israël.
Un autre point d’appui pour la libération du peuple palestinien, c’est le développement de solidarités concrètes qui l’aident à résister dignement.[2] Ces solidarités, accompagnées par des subventions à des projets, concernent tous les domaines de la vie quotidienne : la santé, l’aide à l’enfance, la culture, etc. En France, nous ne prendrons qu’un exemple : l’UJFP a permis le financement d’un château d’eau et l’irrigation de cultures vivrières à Gaza – les bénéficiaires ont d’ailleurs affiché sur le château d’eau le soutien de l’UJFP.
En Europe, nous sommes confrontés à un lobby sioniste agressif et la région est le premier partenaire commercial d’Israël. Il est donc important, mais aussi possible, de se mobiliser pour que les condamnations sans lendemain par l’Union européenne de la colonisation finissent par se traduire en actes, notamment par la suspension de l’accord d’association avec l’Etat israélien, qui conditionne les tarifs douaniers préférentiels au respect des droits humains, et par l’arrêt de toute coopération qui s’inscrit dans la politique coloniale.
Par ailleurs, il n’est pas utopique d’estimer que la jeunesse qui se soulève actuellement sur les questions du climat et de l’environnement soit également porteuse de solutions d’avenir pour les autres causes concernant la justice internationale.
Enfin, je souhaite répondre à une objection qui peut m’être faite, d’après laquelle je n’aurais que partiellement répondu à la question des perspectives d’avenir de la Palestine conformes au droit international. Je soulignerai donc les trois points suivants.
Il faut d’abord reconnaître qu’avec des personnages politiques tels que Trump et Netanyahou, si ces derniers restent au pouvoir, l’avenir est en partie imprévisible.
De plus, nous pouvons nous demander d’un point de vue géopolitique si les puissances occidentales et surtout les Etats-Unis auront toujours besoin de soutenir Israël. Du point de vue du contrôle capitaliste du Moyen-Orient pour l’approvisionnement en énergies fossiles, la question peut être posée. Mais du point de vue des rapports de force politiques et idéologiques dans le monde, les Etats-Unis et leurs alliés ne sont en aucun cas prêts à lâcher l’Etat d’Israël.
Enfin, concernant les contours d’un avenir étatique de la Palestine conforme au droit international, plusieurs formules compatibles avec le droit international peuvent exister : un Etat laïc et démocratique unique garantissant l’égalité des droits de tous les citoyens, un Etat binational, ou encore un État de type confédéral… Ce n’est pas à nous d’en décider et ce n’est pas d’actualité. Si un processus de décolonisation se réalise, des perspectives nouvelles que nous n’imaginons pas aujourd’hui se produiraient alors. Quoiqu’il en soit, aujourd’hui il n’y a qu’un seul Etat sur toute la Palestine historique, le compromis d’Oslo a été de diverses manières violé par les gouvernements israéliens successifs et le droit au retour ne peut s’entendre comme un retour sur les 22% d’un Etat croupion.
Pour conclure, il nous est impossible de prédire, et il ne nous appartient pas de décréter, quel sera l’avenir étatique de la Palestine, mais nous savons que la naissance d’un avenir conforme au droit international dépendra des diverses mobilisations pour y parvenir. De ce point de vue la question qui nous importe ici-même est la suivante : quelles contributions positives pouvons-nous développer ?
Nous avons exposé qu’il était possible de remporter des victoires contre l’impunité d’Israël et d’aider concrètement le peuple palestinien. C’est donc un devoir politique et moral de le faire.
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