Bruno DREWSKI, Maitre de conférence à l’INALCO, directeur de la revue « La Pensée Libre »
On peut regretter que la colonisation juive dans la foulée du sionisme ai abouti à créer, à l’image des réserves indiennes ou des bantustans, des enclaves palestiniennes isolées les unes des autres, et dans les faits invivables et non viables, mais cela rend désormais irréalisable la création de deux Etats côte à côte sur le territoire de la Palestine historique si l’on veut éviter de nouveaux déplacements massifs de populations. Sans même aborder le fait que ce projet ignore le droit de retour pour les Palestiniens expulsés de leur pays en 1948. Dans cette situation, si nous voulons éviter que se renouvelle en Terre sainte « l’alternative » qui s’est imposée en Algérie à la fin de la colonisation pour les colons français ou en Europe orientale en 1945 pour les colons et enclaves allemandes « la valise ou le cercueil ! », il n’y a à terme pas d’autre solution que de créer sur la terre de Palestine une entité étatique commune rendant leurs droits légitimes ou tout au moins les compensant pour ceux qui ont été spoliés de leurs biens. C’était d’ailleurs depuis les origines du conflit le projet stratégique de tous les groupes politiques authentiquement démocratiques qui ont tenté chez les Palestiniens arabes comme chez les juifs de lui trouver une issue pacifique.
Il est toutefois clair qu’une tel « rêve » d’Etat laïc, citoyen, unitaire et démocratique ne peut se réaliser du jour au lendemain vu l’accumulation de souffrances et de méfiances engendrées par un conflit qui dure depuis au moins 70 ans. Des étapes sont donc à prévoir mais des possibilités inexplorées existent. Si le principe de deux Etats viables côte à côte semble désormais irréalisable, rien n’empêche d’imaginer deux citoyennetés pour un même territoire dans un système confédéral ne prenant pas en compte le territoire effectivement contrôlé mais les populations. Il est tout à fait possible d’envisager deux structures étatiques parallèles gérant les fonctions non territoriales propres à chaque vie politique à côté de structures confédérales gérant les territoires. C’est d’ailleurs grosso modo ce que les communautés juives dans le monde musulman ont connu jusqu’à la naissance des Etats modernes, un statut d’autonomie juridique au sein d’une structure étatique garantie par un Sultan consensuellement reconnu. C’est aussi ce que réclamaient les partis juifs socialiste et libéraux, Bund et Folkiste, en Pologne et en Russie avant 1939 sous le concept « d’autonomie nationale culturelle » dans le cadre d’un Etat territorial et citoyen commun. Rien n’empêche d’imaginer une « autonomie nationale culturelle » juive et arabe dans le cadre d’une Palestine commune où il y aurait, au moins dans un premier temps, deux niveaux de pouvoir. Et sous garantie internationale consensuelle pour toutes les parties.
Resterait à trouver les arrangements nécessaires et indispensables liés aux exigences palestiniennes légitimes de droit de « retour ». Concernant tous les Palestiniens qui ont vu leurs terres illégitimement et donc illégalement confisquées après 1948 ou depuis 1967. Il faut à cet égard savoir que presque 80 % des terres palestiniennes confisquées après 1948 ne sont toujours pas habitées car, si l’on parle beaucoup et à juste titre de la colonisation sioniste en Cisjordanie, on néglige de constater le fait que les juifs dans l’Israël de 1948 sont concentrés pour une large part sur une mince bande de territoire d’une vingtaine de kilomètres de large au maximum, le long des rivages de la Méditerranée, soit à peine 15 % de tout le territoire palestinien d’origine. Il existe donc des possibilités pour assurer relativement facilement le droit de retour d’une grande partie des Palestiniens qui le souhaiteraient, et de compensations pour les autres, la chose devenant moins menaçante pour les juifs s’ils voyaient que dans le cadre d’une structure étatique de type confédéral assurant l’autonomie nationale culturelle des deux groupes, ils auraient toutes les garanties de sécurité nécessaires. Sécurité qu’ils n’ont visiblement pas aujourd’hui à cause de l’état de guerre permanent et qui se manifeste entre autre par le fait qu’une très grande partie des citoyens israéliens possède une valise mais aussi une seconde citoyenneté « de réserve » en quelque sorte, et qu’ils ont même souvent profité de l’effondrement du bloc de l’Est pour récupérer auprès des consulats concernés les citoyennetés des pays européens dont ils étaient issus avant l’aventure sioniste.