Nouvelle dénomination du XXIe siècle : le siècle de la Chine ?

Ali RASTBEEN

Fondateur et président de l’Académie de Géopolitique de Paris. Directeur éditorial de la revue Géostratégiques. Auteur de Géopolitique de l’Islam contemporain, Éditions IIES, 2009.

4eme trimestre 2011

  • Pour que la mondialisation économique favorise la prospérité commune, la Chine préconise le multilatéralisme et un nouveau concept économique de win-win « gagnant -gagnant ». Comment analyser l’émergence de la Chine, serait-elle le nouveau « paradigme » pour des pays pauvres ou émergents ? Quel « modèle » de progression propose-t-elle aux pays du Tiers Monde ? Les évolutions structurelles du régime chinois tant sur le plan interne qu’international ont permis à la Chine de s’imposer comme partenaire économique de plusieurs pays en Afrique, au Moyen-Orient, en Amérique latine en concurrence avec les partenaires historiques qui sont l’Europe et les Etats-Unis.
  • In order that economic globalization promote common prosperity, China advocates multilateralism and a new economic concept of « win-win ». How to analyze the emergence of China, would it be the new « paradigm » for poor or emerging countries? What « model » does China offer up to Ihird World countries? Structural changes of the Chinese regime both domestically and internationally have enabled China to to impose herself as economic partner of many countries in Africa, the Middle East, Latin America …in competition with traditional partners: Europe and the United States.
LES XVIIIe ET XIXe SIÈCLES ETAIENT CEUX DE l’ÉPOQUE COLONIALE et de la domination de l’Europe. Le xxe siècle a été marqué par la toute puissance des États-Unis d’Amérique et le monde a connu des changements effrénés. Tout au long de ce siècle et à la suite des deux guerres mondiales, les États-Unis se sont transformés en une puissance planétaire. Le XXIe siècle, cependant, devrait être probablement surnommé celui de la Chine. Cette appellation avait déjà trouvé sa place avant la fin du « siècle américain ».

Sur le plan international, l’émergence de Pékin a été préparée en toute tranquil­lité et dans un relatif climat de détente1. Dès la première décennie du XXIe siècle, il ne subsiste plus aucun doute sur la marque qu’imprimera Pékin à ce siècle. Il ne faut guère négliger les atouts de la Chine pour occuper ce rang : une longue civilisation, une population représentant un cinquième des habitants de la terre, la survie à l’époque coloniale et au néo-colonialisme, la lutte anti-coloniale après la seconde guerre mondiale en collaboration avec le Tiers-monde, la poursuite de la lutte contre les vestiges de l’influence de l’Occident en Asie de l’est, tout en agissant sous le signe d’une large entente avec l’Occident. A son apogée, le système commu­niste chinois se distingua des systèmes communistes européens. Cette démarcation a permis au communisme chinois de tendre vers un système capitaliste dirigé, de sorte que tout en étant présent sur la scène mondiale du capital, la Chine, détenant 1 200 milliards de dollars de bons du trésor américain, est devenue aux côtés du Japon, le plus grand créancier des États-Unis2.

Il y a deux ans, Washington a renforcé ses moyens d’observation du budget militaire de la Chine et réclamé la baisse de ce budget qui s’élevait à 90 milliards de dollars. Des rencontres ont eu lieu à ce sujet entre les ministres des deux pays. Aujourd’hui, en tant qu’un des plus importants créanciers des États-Unis, et face à la nouvelle crise financière américaine, la Chine critique l’impasse dans laquelle se trouve le dollar et exige de Washington des garanties face au 1 200 milliards de bons du trésor qu’elle détient3.

A cela s’ajoutent les propositions politiques et économiques de la Chine sur le plan international, notamment en Asie, en Afrique et en Europe. Depuis long­temps, la Chine a des visées sur l’Afrique qui reste toujours sous la domination du système néocolonial issu de la seconde guerre mondiale4. Les nouveaux États indépendants de ce continent n’ont pas encore trouvé la voie pour sortir des cli­vages et querelles internes et tribaux, ainsi que de luttes pour l’affirmation de leur souveraineté nationale. Ces pays continuent de souffrir des conditions difficiles de leur arriération économique et sociale, comme du lourd héritage de la domination coloniale occidentale5.

L’arrivée pacifique de Pékin – qui bénéficie d’une large expérience ancienne en géopolitique mondiale – dans les grandes réserves naturelles convoitées depuis trois siècles par les maîtres du monde, constitue l’occasion des rivalités du XXIe siècle. A ce jour, la Chine s’est placée au sein même des stratégies des puissances rivales. La longue distance qui sépare Pékin des capitales des pays objets de rivalités et souffrant autant de la pauvreté et de l’arriération que de blessures causées par les politiques à long terme des maîtres voisins, n’a pas empêché le rapprochement entre la RPC et ces pays. Les réserves énergétiques souterraines aussi bien que d’autres ressources minières constituent autant de domaines de rivalité entre l’Occident et la Chine6. Dans cette lutte, la Chine bénéficie d’une importante capacité humaine et financière. L’invasion économique et politique mondiale, entreprise par la Chine ravive les souvenirs d’un Japon du début du XXe siècle, avec cette différence près que les événements surviennent aujourd’hui à des vitesses cent fois plus rapides.

Le début du « siècle de la Chine » est accompagné de bouleversements impor­tants en Afrique, au Brésil, en Amérique du sud, en République d’Afrique du Sud, en Inde,… qui sont devenus des poids lourds du système politique international, tandis que les possibilités traditionnelles occidentales sur le plan mondial ont été largement fragilisées. Les conséquences des invasions militaires de l’Afghanistan et de l’Irak ont profondément mis en question les capacités de direction du monde par l’Occident. La nécessité de la remise en question des structures issues de la seconde guerre mondiale est donc à l’ordre du jour. Compte tenu des difficultés économiques et sociales en Europe et aux États-Unis, des leviers tels que l’OTAN et le Pentagone ne peuvent plus assurer la sécurité internationale. Il s’agit, au cours de ce siècle, de créer un parapluie large et mondial, aux côtés de l’Organisation des Nations Unies, englobant la présence sur un pied d’égalité des peuples des cinq continents, axé sur « l’être humain », à l’époque où, grâce à la technologie et aux sciences, le monde est devenu un petit village.

Le poids de la Chine dans les évaluations internationales se révèle être une pré­occupation quotidienne non seulement pour Washington mais également pour ses alliés. Même la Corée du Nord et le Vietnam qui ont bénéficié du soutien de la Chine dans leur rapports avec les États-Unis, sont prudents à l’égard de celle-ci.

Les différends frontaliers récurrents de la Chine avec l’Inde, la question de Taïwan (ligne rouge entre Pékin et Washington) et les prétentions antagonistes à la délimitation de frontières territoriales maritimes avec les pays voisins restent tou­jours à l’ordre du jour des relations extérieures de la Chine. Cependant, la politique suivie par Pékin face aux États-Unis, concernant la question de Taïwan, est marquée par un double souci : affirmer son droit sans recourir à une confrontation. Cette politique peut également être suivie par la Chine à l’égard d’autres pays en atten­dant le moment propice. Les perspectives à long terme qui orientent sa diplomatie confèrent une importance considérable à sa présence régionale et internationale.

« L’amitié doublée de rivalité » pourrait être la meilleure définition qui qua­lifie la participation de la Chine au Traité des pays asiatiques issus de l’ex-Union soviétique, traité mis en place à l’initiative de Moscou. Sans doute, en attirant la Chine dans son ancien fief d’influence, Moscou tente de créer une ligne de défense face aux transgressions de l’Occident visant ses zones d’influence vieilles de deux siècles. Cette tentative avait été élaborée plusieurs années avant la désintégration de l’Union soviétique. L’invasion occidentale pour « partager le butin » fit revivre les souvenirs du lendemain de la seconde guerre mondiale et a conduit Moscou à chercher des solutions de parade. Vu les capacités de la Chine, en tant que puissance solide, sa présence ne doit pas être négligée dans l’avenir de la région. Un examen de la composition ethnique et du processus historique de ces pays ex soviétiques faciliterait les évolutions futures de ces territoires.

A la fin de la seconde guerre mondiale, le plan Marshall s’est porté au secours des États fortement affaiblis par la guerre et en proie à des révolutions violentes. Ce plan constitua la base des relations futures de l’Occident dans les rapports interna­tionaux. Or, il est difficile d’imaginer que dans les évolutions à venir, Washington puisse avoir les capacités de jouer un rôle clef dans la direction des événements.

La stratégie de la diplomatie chinoise dans les conditions du monde mo­derne ;notamment dans la seconde moitié du XXe siècle, a été de choisir les pays non alignés dans un monde bipolaire7. Aujourd’hui, il n’existe plus de pôle dans son sens ancien. La diplomatie mondiale a besoin d’une évolution fondamentale permettant une avancée collective et harmonieuse vers la tranquillité et la sécurité. Ce mouvement, tout en écartant les rivalités et les dominations entre les peuples, doit contribuer à la mobilisation collective de la société humaine afin de dompter la nature et résoudre les difficultés de la subsistance de tous sur notre planète.

Un avenir relativement proche permettra de constater quel sera l’impact du « siècle de la Chine » dans la satisfaction des besoins de notre monde et dans la réponse à ses inquiétudes.

Notes

  1. notre article « L’Évolution stratégique du XXIe siècle : la Chine et l’Iran », Géostratégiques, N° 17, septembre 2007, IIES.
  2. Ignacio Ramonet, « Chine-mégapuissance », Manière de voir, le Monde Diplomatique, n° 85 Février-Mars 2006.
  3. Visite d’État du Président chinois Hu Jintao aux États-Unis du 18 au 21 janvier 2011.
  4. François Lafargue, « La Chine, une puissance Africaine », Perspectives chinoises, n° 90, juillet-août 2005.
  5. Valérie Paone, « L’Influence de la Chine en Afrique, une alternative au post-colonialisme ? », AFRI 2007, volume VIII, 20 mars 2008.
  1. Serge Sur, « La Chine dans la mondialisation », Questions internationales, n° 32, 1er juillet 2008.
  1. Steta Annick, « La Chine peut-elle sortir du piège du dollar ? », problèmes économiques, n° 2997, 2010, pp. 17-20.
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