L’OUZBÉKISTAN: UNE ZONE ET UN FACTEUR DE STABILITÉ EN ASIE CENTRALE

Jacques BARRAT
Professeur émérite des universités, ancien diplomate. Membre de l’Académie des Sciences d’Outre-mer.

Coline FERRO

Coline FERRO
Coline FERRO

Analyste géopolitique et sécurité, Docteur en sciences de l’information et de la communication de l’Université Panthéon-Assas Paris II.

1er trimestre 2013
Au lendemain de son 75e anniversaire, le président de la République d’Ouzbékistan, Islam Karimov, présente un bilan prometteur. L’ensemble des indicateurs statistiques sont au vert dans ce pays de 29 millions d’habitants. La grande prudence en matière économique et la politique du « gradualisme » mises en oeuvre depuis l’indépendance du pays se révèlent effi caces, à l’image de son PIB qui a progressé de 8,2% en 2012. Par ailleurs, l’Ouzbékistan, territoire ex-socialiste, a entamé une marche progressive vers une démocratisation à l’occidentale, tandis que, sur la scène internationale, il assume un rôle de stabilisateur dans la sous-région. Plus encore, il tend à temporiser le nouveau grand Jeu qui s’installe en Asie centrale entre la Russie, les États-Unis et la Chine.
Le préseident ouzbek, islam Karimov, vient de fêter ses 75 ans
Ce dernier en effet est né le 30 janvier 1938 à Samarcande. Diplômé de l’Institut polytechnique d’Asie centrale et de l’Institut national d’économie de Tachkent, il a reçu une formation d’ingénieur-mécanicien et d’économiste. Il est docteur ès Sciences économiques. Islam Karimov a commencé ses activités professionnelles en 1960 à l’usine Tachselmach. De 1961 à 1966, il a travaillé comme ingénieur, puis comme ingénieur en chef dans le Regroupement de production d’aviation de Tachkent. En 1966 il a été engagé à la « Planification d’État » de la République soviétique d’Ouzbékistan où a il a occupé successivement les fonctions de Spécialiste en chef et de Premier vice-président. En 1983, Islam Karimov a été nommé ministre des Finances de la République soviétique d’Ouzbékistan et en 1986 Vice-président du Conseil des ministres et Président de la « Planification d’État ».
De 1986 à 1989 il a été Premier secrétaire du Comité régional du Parti communiste de la région de Kachkadarya, puis en juin 1989 Premier secrétaire du Comité central du Parti communiste d’Ouzbékistan. Le 24 mars 1990, lors de la session du Conseil suprême de la République soviétique d’Ouzbékistan, Islam Karimov a été élu Président de cette République. En 1991, le 31 août, Il en a proclamé l’indépendance et le 29 décembre il a été élu Président de la République d’Ouzbékistan. Le 26 mars 1995, par un référendum, la durée de son mandat présidentiel a été prolongée de cinq ans.
En 2000, Islam Karimov a été élu au suffrage universel président de la République d’Ouzbékistan, pour une durée de 7 ans, puis réélu le 23 décembre 2007 pour une même durée.
La sagesse du « gradualisme »
Le Président Karimov a eu pour mérite de faire montre d’une grande prudence en matière économique et sa politique du « gradualisme » a permis à l’Ouzbékistan de sortir progressivement du socialisme et d’éviter, les heurts inhérents à une entrée trop rapide dans l’économie de marché. C’est ainsi que le pays a pu connaître depuis son indépendance une croissance économique pérenne qui a pu être utilisée pour moderniser les structures du pays et assurer une élévation constante du niveau de vie des Ouzbeks. Cette politique de prudence a également permis au secteur bancaire ouzbek de bien résister à la crise financière mondiale de fin 2008.
C’est ainsi que l’année 2012 aura été bonne puisqu’elle a confirmé selon les statistiques publiées en janvier 2013 des résultats sensiblement comparables à ceux des cinq dernières années. En effet, la croissance économique globale s’est élevée à 8,2 % par an, l’agriculture réalisant pour sa part un score de 7 %, rattrapée il est vrai par un véritable boom des services (13,9 % au minimum). Parallèlement, l’inflation est restée maîtrisée et les PME ont pu augmenter leur production d’au moins 54,6 %. Le commerce extérieur lui a fait un bon gigantesque, les exportations augmentant de 11,6 %. Plus globalement encore, ce sont près de 800 000 emplois qui ont été créés dans ce pays de près de 29 millions d’habitants, où la part des jeunes est encore relativement importante.
À l’échelle de l’Asie centrale, c’est aussi une nouvelle Route de la Soie qui est en train de se créer. C’est celle des infrastructures de transport transasiatiques, en particulier les oléoducs et les gazoducs si utiles aux grandes puissances consommatrices d’énergie. Elle incorpore aussi des flux plus modernes comme ceux du numérique. Cet environnement favorable a fait de l’Ouzbékistan un pays émergent indéniablement solide.
Une marche prudente vers une société à l’occidentale
Pour ce qui concerne sa politique intérieure, l’Ouzbékistan, ce territoire ex-socialiste, jadis satellite de Moscou, a entamé récemment une marche vers la démocratisation à l’occidentale de ses structures qui introduit dans le pays une attention particulière portée aux droits de l’homme, tout en prenant largement en compte les habitudes et les spécificités culturelles du pays. Pour ne citer que deux exemples, cette nation musulmane a réussi l’exploit d’abolir la peine de mort. De même, le rôle des partis politiques ne cesse de s’y renforcer, aidé en cela par le pouvoir exécutif qui a compris que le multipartisme et le fonctionnement démocratique étaient des garants de la stabilité politique et de la paix sociale.
Certes, d’aucuns rêveraient d’une évolution encore plus rapide et plus radicale vers un régime démocratique. Mais cela serait-il raisonnable quand on sait les périls
L’Ouzbékistan : une zone et un facteur de stabilité en Asie centrale que représentent l’intégrisme islamiste et une frontière commune avec l’Afghanistan ! Par ailleurs, l’Ouzbékistan tout en tenant compte des valeurs universelles de la démocratie reste soucieux de conserver ses valeurs culturelles propres et ses traditions. Il entend donc donner à la marche de son peuple vers la démocratie le rythme qui lui paraît possible, et ce, en prenant en compte l’expérience des pays développés en la matière. C’est là, simple sagesse.
Une diplomatie avisée et dynamique
En matière diplomatique, Islam Karimov a également fait preuve de réalisme et de pragmatisme, en particulier pour ce qui concerne ses propositions relatives au conflit afghan dont les accents gaulliens ont été particulièrement appréciés à Paris. Par ailleurs, il a su faire de Tachkent la capitale d’une diplomatie régionale et internationale dynamique et a, plus encore, su garder son sang froid à l’occasion des événements survenus en 2010 au Kirghizistan. Sans cette attitude pondérée, c’est toute l’Asie centrale qui aurait pu être mise à feu et à sang.
Sa ligne de conduite a été le strict respect en politique extérieure de la non-ingérence dans les affaires intérieures des autres États, le lancement d’une politique de coopération égalitaire avec les pays étrangers et le choix permanent de la voie diplomatique pour la solution des conflits comme des problèmes internationaux ou transnationaux. Il a procédé à l’augmentation de la puissance des forces militaires ouzbèkes en entamant un processus de modernisation de l’armée de son pays de sorte de renforcer efficacement sa capacité de défense et assurer l’inviolabilité de ses frontières. Son désir affiché est que l’Ouzbékistan puisse profiter pleinement de son indépendance nationale dans le nouveau contexte de mondialisation de ce début du XXIe siècle. L’Ouzbékistan, par exemple, a eu un rôle particulièrement efficace depuis son entrée dans l’Organisation de Coopération de Shanghaï (OCS).
Un nouveau grand Jeu
Les événements de l’été 2010, de l’autre côté de la frontière avec le Kirghizistan, avaient à l’évidence montré les dangers qui peuvent menacer aujourd’hui ce pays de sédentaires pacifiques qu’est l’Ouzbékistan. Mais c’est aussi un fait que le peuple ouzbek entretient désormais des liens d’amitié avec ses voisins et des rapports cordiaux avec les grandes puissances du monde. Ses relations avec la Russie, les ÉtatsUnis, la Chine, l’Inde, l’Iran, la Turquie, le Japon et la Corée du Sud sont aujourd’hui au beau fixe. Il est rassurant enfin que ses liens avec l’Union européenne,
et la France en particulier, se soient beaucoup développés ces derniers temps dans des domaines tout à fait prometteurs.
Ainsi, un nouveau « grand Jeu » semble se mettre en place aujourd’hui en Asie centrale. Au XIXe siècle, la création de l’Afghanistan, état tampon, avait permis d’éviter des heurts trop graves entre le panslavisme et l’impérialisme britannique. Aujourd’hui, au moment même où les alliés se préparent à quitter le territoire afghan, un nouveau « big game » se joue cette fois-ci à trois, monde multipolaire oblige.
La Russie, qui a perdu une bonne part de son potentiel hégémonique, est obligée, lorsqu’elle intervient, de se montrer plus prudente et de prendre aussi en compte l’opinion publique internationale. Les États-Unis, enfermés jadis dans leurs erreurs irakiennes et afghanes, aux prises avec l’orgueil iranien, ne peuvent se désintéresser du nouveau centre de gravité diplomatique et géostratégique qu’est devenue Tachkent. Quant à la Chine, non seulement elle tente d’installer une diaspora de plus en plus nombreuse en Asie centrale, mais encore on sait les arrière-pensées qu’elle a en matière énergétique et stratégique d’autant que l’Asie centrale fait office de nid d’aigle au nord du subcontinent indien.
Le départ des Alliés d’Afghanistan risque de rouvrir la voie de Kaboul aux Talibans. L’Ouzbékistan, qui a une frontière commune avec l’Afghanistan, devra dans les mois qui viennent prendre en compte les déséquilibres provoqués par le grand vide laissé par le départ des Occidentaux. Un Ouzbékistan solide et bon gardien de ses frontières est indispensable à la sous-région, comme plus globalement à la paix dans le monde.

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