Recteur Gérard-François DUMONT, Professeur à l’Université Paris-Sorbonne ; Président de la revue Population & Avenir ; Vice-président de l’Académie de géopolitique de Paris ; Administrateur de la société de géographie.
Deuxième table ronde – Second panel
Modérateur : Professeur Zalmai HAQUANI,
Ancien ambassadeur d’Afghanistan en France
Colloque; La géopolitique de l’islam
Académie de Géopolitique de Paris
Actes du colloque
Conference proceedings
Lundi 09 février 2015
Assemblée Nationale
Les méthodes géographiques nécessitent de recourir à la compréhension de la géographie contemporaine par son inscription dans les héritages historiques et d’analyser les phénomènes en variant les échelles. L’analyse spatiale de l’islam nécessite donc d’abord de l’étudier par le regard de la géographie historique.
Du 9e au 13e siècle, la géographie de l’Islam reste stable. C’est à partir du 13e Siècle que cette géographie va connaître une deuxième phase liée à des peuples qui ne sont pas forcément arabes qui sont islamisés et qui ont le souci d’étendre la géographie de l’islam (alors qu’avant c’était les peuplades arabes qui étendent la religion dans différentes directions), ce qui va se faire un peu plus en Inde, sans parvenir à y pénétrer totalement, ce qui va entraîner en revanche une plus forte progression en Asie du Sud-Est, comme en Indonésie.
Côté européen, l’évolution va être davantage lié à l’expansion de la religion musulmane, d’abord en Anatolie, puis ensuite dans l’ensemble de ce qui est aujourd’hui la Turquie, puis dans les Balkans jusqu’à ce que les conflits avec l’Europe entraînent la fin de cette expansion.
Du 16e Siècle au 20e Siècle, nous sommes dans une situation qui est relativement stabilisée, avec une géographie qui n’évolue pas de façon fondamentale.
La nouvelle expansion va se produire, à partir du milieu du 20e Siècle, c’est celle que nous connaissons aujourd’hui. Elle se fait dans un contexte fondamentalement différent, puisqu’elle est liée aux migrations internationales. Alors cette migration s’explique soit par des phénomènes d’attractivité, c’est-à-dire des pays qui souhaitent attirer de la population active parce qu’ils en ont besoin pour leur économie, comme la France des années 1920 ou des années 1950, ou l’Allemagne qui ouvre ses portes aux Turcs en 1961 parce qu’elle n’a plus la possibilité de voir venir des Allemands de l’Est pour satisfaire les besoins de son économie, ou par des phénomènes aussi d’attraction même s’ils sont d’importance mineure, le fait que même au Japon aujourd’hui il y a une communauté musulmane non négligeable autour de 300 mille à 350 mille personnes.
Mais, ces facteurs d’attraction sont liés aussi à des facteurs de repoussement, c’est-à-dire dans certains pays nous avons des insatisfactions des habitants par rapport aux gouvernances qui ne conduisent pas assez au développement des pays, ce qui pousse par exemple des maghrébins à partir pour la France, pour l’Italie, pour le Canada.., ou bien des conflits : guerre civile du Liban, changement/révolution : à la révolution iranienne….
Le résultat de ces trois périodes évoquées nous conduit à préciser dans un deuxième point la géographie de l’Islam selon les grandes régions du monde : donc on distingue cinq régions l’Asie pacifique, le Moyen Orient avec Afrique du Nord et Afrique subsaharienne, Amérique du Nord, Amérique latine et Europe.
Or on constate que la géographie de l’Islam dans ces cinq régions est différente, ceci étant le résultat de l’histoire. En effet, alors que nous avons une région comme la région Afrique du nord – Moyen-Orient presqu’uni confessionnelle musulmane, en revanche nous avons des situations différentes dans les autres continents : l’Afrique est un continent bi-confessionnel avec à peu près la même grandeur de musulmans que de chrétiens. Nous avons encore une présence musulmane qui est marginale en Amérique latine, et par contre une présence qui commence à devenir significative en Amérique du Nord, liée aux phénomènes de répulsion ou d’attraction évoqués tout à l’heure.
Alors il y a une catégorie pour laquelle j’ai proposé un illogisme qui est celui de la situation demi-confessionnelle, c’est-à-dire le fait que sur un territoire donné nous ayons une religion qui est dominante sans l’être dans une proportion qui empêche l’existence de minorités significatives dans d’autres religions. Dans une certaine mesure, on constate ces dernières années en ce qui concerne l’Europe, que nous sommes dans un héritage de domination confessionnelle qui se trouve contesté par ces phénomènes migratoires.
À l’échelle nationale nous pourrons de la même façon, proposer une typologie entre les pays uni confessionnels qui ont plus de 96% de la population de confession musulmane, le cas de la Turquie qui se place au niveau le plus élevé de l’ensemble des pays les plus peuplés.
D’autres pays où nous avons une situation demi confessionnelle au bénéfice de l’Islam mais où nous avons des minorités significatives, comme en Malaisie, en Indonésie, en Egypte voire au Bengladesh même si beaucoup d’hindouistes ont quitté le pays ces dernières années.
Ensuite, nous avons des pays avec une bi confessionnalité inégale où l’Islam est présent de façon significative tout en étant minoritaire, comme en Inde en Russie par exemple.
D’autre pays sont plus bi confessionnels c’est-à-dire où l’équilibre entre l’Islam et l’autre religion dominante est plus significatif comme au Nigéria, en Ethiopie et enfin à un certain nombre de pays européens comme la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni où la montée de l’Islam fait qu’ils ont une géographie religieuse bi confessionnelle contestée…
Il y a essentiellement deux points à noter : il y a une opposition totale entre des pays qui se caractérisent par un pourcentage croissant de la population musulmane et d’autres pays qui se caractérisent par une accentuation de la diversité religieuse.
En effet d’une part, dans les pays à majorité musulmane, beaucoup d’événements qui se sont déroulés depuis un siècle ont renforcé cette majorité dans la mesure où les événements géopolitiques qui se sont produits ont poussé à l’émigration les populations non musulmanes, comme en Turquie dans le génocide arménien, le phénomène de 1956 en Egypte avec les étudiants de Nasser qui ont chassé une partie de la population ou la façon dont s’est organisée l’indépendance en Algérie avec le départ des européens et des juifs dont certains étaient là depuis 20 siècles, ou encore le phénomène de l’Azerbaïdjan avec les pogroms qui ont conduit au départ des arméniens, au Maroc et en Tunisie, la guerre civile du Liban, la question de la Palestine ou surtout depuis 1967 dans la même situation d’évolution vers une homogénéité religieuse, le cas de l’Inde et du Pakistan de 1947 et dans le Moyen-Orient le cas de l’Irak où l’immigration non musulmane s’est accentuée depuis 2003 et nous avions un pays où la repartions religieuse était relativement stable la Syrie mais depuis 2011 les choses ont éclaté. Donc nous avons des pays où il y a un renforcement de l’homogénéité religieuse au regard du critère de l’Islam, et d’autres pays au contraires qui, compte tenu de ces phénomènes migratoires se trouvent de plus en plus diversifiés. Cette double évolution (homogénéisation et diversité) entraine une segmentation de l’espace planétaire dont les conséquences géopolitiques sont extrêmement importantes.
Pour conclure, demeure une réalité démographique incontestable : davantage que d’autres religions en raison de sa croissance démographique et de sa mondialisation géographique, l’Islam sera au cœur des équilibres géopolitique du monde du 21 siècle.
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