Ali RASTBEEN
Janvier 2008
DEUX DÉCENNIES SE SONT ÉCOULÉES depuis le bouleversement fondamental de la stratégie des relations internationales sans qu’elles soient stabilisées. Il existe un large écart entre ses objectifs et la réalité, intrinsèque à tout bouleversement qui se manifeste à travers toutes les difficultés de la « période intermédiaire ».
Jadis, les bases de la géostratégie dominant les relations internationales étaient définies selon le principe du « l’appartenance à un camp » qui avait une signification précise. Après la Seconde Guerre mondiale, la terre était partagée en deux sphères de puissance issues de la victoire sur les pays de l’« Axe » et la lutte entre les deux camps concernait les territoires dominés par l’un ou l’autre. Le camp occidental tentait d’étendre son influence sur l’ensemble des territoires qui, au lendemain de la fin de la Seconde Guerre mondiale, étaient en proie à des mouvements nationaux, principaux phénomènes conflictuels à travers le monde. Le camp de l’Est tentait d’une part, de se protéger contre les incursions occidentales sur ses propres terres tout en essayant d’autre part, de se renforcer en s’attirant la confiance et le soutien de ces mouvements nationaux. Ces derniers, un ensemble hétérogène et dispersé, composé des colonies occidentales acquises aux XIXe et XXe siècles, constituaient l’axe principal et l’objet stratégique dans trois domaines et devenaient chaque jour des enjeux importants dans la lutte de pouvoir entre les deux camps1.
Le camp de l’Est, incapable de surmonter la course aux armements imposée par la survie de son camp, tandis que la balance penchait au profit de l’Occident, finit par céder sans guerre. Son idéologie capitula face au capital. La stratégie de concurrence du marché libre, se substitua à « l’appartenance à un camp idéologique » avec les caractéristiques suivantes :
1) La dissolution du Pacte de Varsovie dont le mur de Berlin en était le symbole, sans que l’Otan ne connaisse aucune faille.
- La désintégration du camp de l’Est, sans que celui de l’Occidental ne connaisse de changement.
- La réunification de l’Allemagne, la destruction du mur de Berlin et la chute du régime communiste de l’Allemagne de l’Est, prémisses de la chute des régimes d’Europe de l’Est et des territoires asiatiques de l’Union soviétique. Partout, l’Occident se substitua à Moscou.
- L’installation exclusive de Washington à la tête d’un monde unipolaire.
- La nécessité des changements géopolitiques dans l’Europe de l’Est.
- La mise à nu des effets stratégiques des tactiques américaines consistant en l’utilisation dans l’avenir, pour plusieurs décennies notamment, du fondamentalisme religieux en vue de contrecarrer l’avancée du bloc de l’Est dans les régions sensibles du globe – du Moyen-Orient jusqu’à la corne de l’Afrique et à l’Asie centrale. Il en découle l’extension mondiale du terrorisme et les incursions du fondamentalisme religieux.
La participation à l’Organisation mondiale du commerce, résultat de plusieurs décennies d’expériences et d’études dans les relations commerciales dont le traité douanier du « GATT » en avait préparait le terrain, fut, dès le départ, soumise à la bénédiction américaine. Il existe encore aujourd’hui des pays qui n’ont pas l’autorisation américaine pour participer à cette organisation. L’un d’eux est la Russie. La Chine en tant que partenaire commercial crédible au niveau mondial, n’y fut admise que vers la fin du 20e siècle2. Sa présence active dans la concurrence internationale a poussé les Etats-Unis et l’Europe à réfléchir sur les modalités visant à restreindre son influence. L’efficacité de « la libre concurrence dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce » a dû s’affronter dès le départ au comportement envahissant des Etats-Unis, à la tête de la puissance occidentale. Ce comportement trouve ses origines dans les actions antérieures des Etats-Unis à travers leurs objectifs planifiés et est devenu une stratégie constante de Washington au sein de l’Organisation des nations unies et dans ses relations régionales3. C’est dans ce cadre qu’on peut analyser le comportement américain à travers le monde : la répression des soulèvements de l’est et du sud-est asiatique, comme le soutien plus que symbolique de Taiwan, face à la Chine et une présence militaire en Corée du Sud, ainsi que le soutien au régime d’apartheid de l’Afrique du Sud qui s’est poursuivi jusqu’aux dernières années du XXe siècle, sans oublier le soutien inconditionnel à l’égard du régime théocratique et ethnique d’Israël afin de créer un pôle ami militaire et économique dans les territoires arabes. Par ailleurs, cette stratégie est menée dans le cadre de la stratégie américaine de la création du Grand Moyen-Orient s’étendant de l’Atlantique à l’Asie centrale. Ce n’est certes pas Israël qui, depuis soixante ans, affronte les Nations unies pour empêcher la paix et la coexistence pacifique de la population autochtone de la Palestine. Ce sont les Etats-Unis qui, au nom d’Israël, empêchent l’instauration de la paix dans la région, prenant en otages les Palestiniens en vue de la réalisation de leurs enjeux stratégiques, en dévoilant depuis vingt ans le projet de la domination d’Israël sur le Moyen-Orient. Imaginer que les Etats-Unis lâcheront leurs otages et accepteront la paix au Moyen-Orient n’est qu’un leurre. Cette stratégie magnifique, est le seul moyen de brider le Moyen-Orient de l’intérieur, stratégie qui présente de nouveaux horizons. Durant les premières années après la Seconde Guerre mondiale, cette stratégie se présentait comme un obstacle face à l’agression à partir du Nord qui était synonyme de l’armée rouge. Actuellement, le danger chinois et même celui du fondamentalisme islamique s’y sont ajoutés. De même, jusqu’aujourd’hui le Moyen-Orient a été le principal facteur de l’équilibre permettant la concentration des revenus pétroliers de la région et le dynamisme de l’activité des industries d’armement et des arsenaux mondiaux, en particulier des Etats-Unis. Cependant, le résultat local de cette stratégie s’est résumé à transformer les peuples asservis de la région en fervent de colère et de haine contre les Occidentaux en particulier, contre les Américains. L’examen de la liste des terroristes fondamentalistes de ces dernières années montre que leurs dirigeants sont principalement issus d’Egypte, d’Arabie Saoudite, du Maroc et de l’Algérie. Ils ont recruté leurs adeptes parmi les peuples d’Asie centrale, du Pakistan, de l’Afghanistan et même des musulmans déshérités et opprimés de l’Asie du Sud-Est4.
Ainsi, la stratégie à long terme de Washington par le biais de l’incitation et de l’armement du fondamentalisme religieux a ouvert la route à la présence dangereuse des fondamentalistes de l’Asie jusqu’en Amérique et en Europe, dans les capitales de la libre concurrence réunies au sein des pays de l’OMC. Une présence qui ne prévient pas mais qui se dresse devant des faits accomplis. Et c’est le principal acquis des deux dernières décennies de la diplomatie américaine !
L’Iran dans le Moyen-Orient
Dès le lendemain de la victoire du communisme en Russie tsariste, l’Iran et la Turquie ont été des pays clés de la région dans les stratégies du XXe siècle.
L’Angleterre, principal vainqueur de la Première Guerre mondiale, a tenté d’utiliser ces deux pays pour entourer d’une muraille de fer l’Union soviétique. L’instauration du régime d’Atatùrk en Turquie et du fondateur de la dynastie Pahlavi en Iran faisait partie de ce plan5. La Turquie contrôlait le passage de la mer Noire vers l’Europe de l’Est, tandis que l’Iran longeait toutes les frontières sud du territoire asiatique de la Russie, ayant également à sa porté l’Irak, la Syrie, le golfe Persique ainsi que toute l’Arabie jusqu’au canal de Suez et la péninsule indienne. Lors de la Seconde Guerre mondiale, grâce à sa situation stratégique, l’Iran fut surnommé le « pont de la victoire ». Le pétrole de l’Iran aida davantage les alliés que lors de la Première Guerre mondiale.
Après la Seconde Guerre mondiale, l’Iran préserva le même rôle stratégique. L’Est et l’Ouest rivalisaient pour attirer l’Iran dans leurs camps respectifs. L’Iran était davantage attiré par l’Occident. Les Etats-Unis étaient en compétition avec la Grande-Bretagne pour avoir la primauté sur l’Iran. Cette rivalité a permis aux Iraniens de s’organiser en vue de consolider la démocratie et de freiner la présence coloniale de la Grande-Bretagne. La lutte des Iraniens se cristallisa dans le mouvement pour la nationalisation du pétrole et l’Iran réussit à empêcher la reconduction de la concession des ressources pétrolières et de mettre un terme à la mainmise de la compagnie British Petroleum sur ses réserves d’hydrocarbures. Il obtint, pour cela, la bénédiction des organisations internationales.
Le reflet mondial de cette lutte ainsi que la résistance farouche devant plusieurs années, comme la lutte contre les privations et les blocus des puissances mondiales jusqu’à la victoire, a érigé l’Iran comme symbole de la lutte pour les combattants anti-coloniaux et anti-dictatoriaux du Moyen-Orient. Cependant, les Etats-Unis et l’Angleterre, avec la complicité des éléments iraniens qui leur étaient inféodés ont réussi, à travers un coup d’État, à renverser le gouvernement national et à rendre le pouvoir aux anciens dirigeants, neutralisant de même le rôle anti-colonial du mouvement. Les Etats-Unis qui, depuis septembre 1941, avaient un pied à terre en Iran, ravit la première place qu’occupait auparavant la Grande-Bretagne dans ce pays. Le nouveau régime, effrayé par la vague révolutionnaire créée dans la région par les luttes anti-coloniales en Iran, adhéra rapidement au pacte militaire régional du CENTO mis en place en 1955 à l’initiative des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne, pacte qui englobait la Grande-Bretagne, l’Iran, le Pakistan et la Turquie sous l’égide des Etats-Unis6. Or, les révolutions anti-coloniales survenues en Egypte et en Irak, dans un laps de temps assez court, étaient les signes d’un séisme qui faisait trembler la région à la suite de la répression du mouvement national en Iran. Ce climat régional poussait de plus en plus le pouvoir iranien vers une plus grande dépendance politique et militaire à l’égard des Etats-Unis. En i960, à Ankara, un accord secret fut signé entre les Etats-Unis et l’Iran qui plaçait ce dernier sous la protection du parapluie défensif américain. Si, à cette époque, l’Iran n’envoya pas de troupes au Vietnam à l’instar de la Turquie, très rapidement il eut la responsabilité d’assurer la sécurité du secteur du golfe Persique et de sa navigation jusqu’au canal de Suez. L’aide aux pays riverains du golfe Persique ne se limitait pas au domaine médical. Les militaires anglais au sud d’Oman furent remplacés par des rangers iraniens afin de réprimer le mouvement insurrectionnel de cet émirat. Cette coopération fut telle, que la presse américaine qualifia l’Iran de « gendarme du golfe Persique »7.
Conformément à cette solidarité, le Pentagone avait une présence active au sein de l’armée iranienne par l’intermédiaire des « conseillers militaires » qui avaient pour mission d’assurer la formation et d’équiper cette armée. Parallèlement aux liens grandissants entre les deux pays, Israël initia également ses activités en Iran, d’abord secrètement puis quelques années plus tard, suite à sa reconnaissance « de facto » de manière beaucoup plus étendue. Ces activités se poursuivirent jusqu’à la révolution de 1978, et dans le cadre de la stratégie d’un monde bipolaire. Pendant la préparation de la révolution en Iran, les dirigeants occidentaux, à l’initiative des Etats-Unis, et suite à leur réunion de Guadeloupe, ont mis sérieusement en garde Moscou afin qu’il n’intervienne pas dans les événements qui allaient toucher l’Iran. Et ce fut pour soutenir la politique annoncée de Washington que, face au discrédit des régimes dictatoriaux soutenus par l’Occident, fut lancer le slogan du « soutien à la Charte des Droits de l’homme » on croyait écarter l’intervention du bloc de l’Est, et que la demande de l’application des droits de l’homme aboutirait simplement à des substitutions au niveau des États. En Iran, jusqu’au transfert du pouvoir, le concept traduit en politique, accompagnait pas à pas les deux parties sans pouvoir prévoir le bourbier qui se produira dans les conditions révolutionnaires entre la théorie et la pratique.8
La révolution eut lieu. Les intellectuels, en conformité avec les tendances religieuses et nationales se sont placés à sa tête et la mobilisation révolutionnaire a battu son plein. Mais, l’ombre du fondamentalisme s’étendit sur le mouvement. Car, ce que les Américains entendaient par mouvement religieux, était un mouvement qui, grâce à la foi, peut répondre à l’idéologie de la partie adverse, mais cela sans avoir une idée exacte de l’intégrisme. Avant leur guerre en Afghanistan, les Américains auraient dû se procurer cette connaissance en Iran. Or, tant qu’en Iran, la révolution décimait les combattants non-religieux, les Américains ne s’en souciaient guère. L’occupation de l’ambassade des Etats-Unis à Téhéran, imitation réussite de ce qu’avaient tenté les Guérilleros Fédayins pendant les premières semaines de la révolution, les a amené à réfléchir. Cependant, ils n’avaient pas compris la dangerosité de l’arme qu’ils avaient choisie pour combattre l’Armée Rouge en Afghanistan. Selon les dires de Monsieur Bazargan, (Premier ministre du gouvernement intérimaire en 1979) au lieu d’un tracteur, ils envoyaient un bulldozer sur le champ et ne pensaient qu’à la victoire militaire immédiate.
Après la révolution, l’Iran devint un phénomène nouveau marqué par le slogan « ni l’Est, ni l’Ouest – la République Islamique ». Les foudres de l’Iran visaient les Etats-Unis. Comme lors du mouvement pour la nationalisation du pétrole, la révolution iranienne fit trembler la région. Les États et les gouvernements régionaux, privés d’assises populaires, attendaient les Etats-Unis pour trouver une solution. Les Etats-Unis planifièrent l’agression de l’Irak contre l’Iran, et dont l’Irak bénéficiait du soutien financier et militaire de ses voisins arabes. La guerre dura pendant huit ans, détruisant les réserves financières et militaires de la région. En réaction, malgré la destruction des villes, les pertes humaines et les dommages subis par les deux pays, le régime religieux se renforça. Dans les conditions où le monde avait accepté le système d’un pôle unique, le régime iranien poursuivit une politique indépendante à l’égard des puissances et amorça le slogan « Mort à l’Amérique », brandissant dans la région l’étendard de la lutte contre l’Etat d’Israël. Le régime fit face aux blocus économiques et industriels des Etats-Unis, tandis que dans les nouvelles conditions mondiales et la levée du Rideau de fer sur l’Asie centrale, l’importance géopolitique de l’Iran connaissait un nouvel élan.
Les nouvelles conditions propulsaient le rôle unique de l’Iran en tant que lien entre ses pays frontaliers du nord et les marchés du Moyen-Orient, de l’Océan indien et des eaux libres tout en étant le chemin le plus court pour relier par pipe-lines les importants gisements de gaz et de pétrole de la mer Caspienne à l’Europe, aux régions de l’Océan Indien et de l’Océan Pacifique. Cependant, dans son opposition à l’Iran, les Etats-Unis imposèrent de forts investissements aux compagnies pétrolières afin de dévier les pipe-lines en provenance des gisements de gaz et du pétrole de la mer Caspienne.
La présence de l’Iran, en tant qu’associé commercial fiable parmi ses voisins asiatiques et servant de pont de liaison, rappelle la route de la soie. Après 28 ans de guerre froide contre l’Iran, les Etats-Unis font tout ce qui est en leur pouvoir afin d’empêcher l’épanouissement naturel de sa position géostratégique dans la région et tentent de l’isoler. Or, la position stratégique privilégiée de l’Iran entre la mer Caspienne et le golfe Persique ne pourrait qu’obliger les stratèges américains à réviser leur politique d’animosité à l’égard de l’Iran et à surmonter l’esprit de domination qui domine la diplomatie de Washington.
C’est pour faire face à cette politique que l’Iran tente, par le biais de la priorité accordée à sa politique asiatique, de surpasser les obstacles érigés par les Etats-Unis. C’est ainsi qu’il a réussi, avec lenteur et difficulté, grâce à ses avantages naturels, de faire approuver et mettre en œuvre le projet de construction d’un gazoduc entre l’Iran, le Pakistan et l’Inde.
La politique de « balkanisation » de l’Iran qui occupe depuis un certain temps l’esprit des stratèges occidentaux, n’a pas plus de chance de réussite, sans créer des situations dangereuses, compte tenu des voisins de l’Iran. Dans les conditions actuelles du monde, l’Iran est le symbole de la nécessité de la reconnaissance de l’indépendance, de la souveraineté nationale et des droits de l’homme dans des régions où les puissances militaires et économiques se considèrent vainement comme étant sous leur tutelle.9
En effet, une nouvelle fois au XXIe siècle, la question nationale est devenue, compte tenu de la politique du tutorat, la principale contradiction face à la stratégie de « la concurrence libre, au sein de l’OMC ».
L’Iran et les impasses du Grand Moyen-Orient
Une nouvelle fois, le Grand Moyen-Orient (selon l’interprétation des Etats-Unis) s’est trouvé au summum de la crise, avec l’Iran comme point culminant. Cette crise continue à puiser sa source dans la politique suivie par les néo-conservateurs de Washington. Naturellement, ils ont mis en œuvre un projet préalablement établi, mais l’imprudence de la nouvelle administration américaine a renforcé et aggravé la crise latente dans la région. Il faut signaler qu’après la monopolisation du pouvoir mondial par les Etats-Unis, ces derniers ont poursuivi la stratégie de confrontation de la religion et de l’idéologie. Cette stratégie a joué un rôle fondamental dans l’affrontement entre les deux blocs. Cependant, les Etats-Unis n’avaient pas mesuré l’impact de cette stratégie au niveau mondial. Il en est ainsi des coups portés par Al-Qaïda et les Talibans à la politique de défense des États-Unis, restée une des préoccupations majeure de la politique internationale de Washington.
Une autre préoccupation des Etats-Unis – intrinsèque à toute puissance sans rivale – est la méthode par laquelle Washington commande les relations internationales, une politique qui ressemble fort à celle d’un directeur sévère et volontariste dans la gestion d’un établissement scolaire. Un directeur qui déplace les enseignants, qui change sans cesse le mode de fonctionnement de l’établissement, qui provoque des désordres dans les différentes sections et donc conduit son établissement vers le désordre et l’anarchie !
Aujourd’hui, chaque partie du Grand Moyen-Orient, dans la lutte contre la volonté des Etats-Unis et des grandes puissances occidentales, est en proie aux flammes. Les volcans éteints risquent même de se réveiller : le Pakistan est en proie à l’embrasement ; en Afghanistan, l’armée américaine épaulée par les forces de l’OTAN semble impuissante à empêcher les Talibans de reconquérir le pouvoir. En Irak, outre les actions de guérilla quotidiennes, la mise en place du projet de « gouvernement fédéral », poursuivi par les Etats-Unis, a placé ce pays en proie à une guerre entre quatre pays voisins. Et cela malgré le fait que le destin du gouvernement irakien est lié à celui de l’Iran10.
Le peuple palestinien, victime et otage des Etats-Unis depuis un demi-siècle, est conduit vers une consultation nouvelle et sans espoir. Avec l’aide de quelques pays arabes, Washington lui inflige une nouvelle opération chirurgicale. La crise au Liban, suite aux pressions américaines, risque de repartir une nouvelle fois. Les événements au Liban auront des conséquences directes sur le destin de la Syrie qui subit également les attaques d’Israël sans oublier manifestement la question kurde. Et tout ceci vient s’ajouter aux problèmes sociaux des autres pays arabes qui seront à l’origine, tôt ou tard, d’insécurités dans la région et qui s’étendront jusqu’en Afrique.
Les séismes qui secouent l’Iran depuis la révolution de 1979, continuent à provoquer les inquiétudes internationales et, dans le contexte actuel, ont atteint un seuil d’explosion. La prise d’otages de l’ambassade des Etats-Unis à Téhéran, bien qu’elle ait provoqué la colère des Etats-Unis et de l’Occident contre l’Iran, a permis au régime islamique d’avoir les mains libres pour réprimer les opposants et consolider les fondements du régime issu de la révolution. Les représailles américaines, à travers le blocus économique, la mobilisation des pays voisins de l’Iran dans le golfe Persique et l’incitation de l’Irak à agresser l’Iran en lui imposant une guerre de huit ans, tout en provoquant des fanatismes ethniques et religieux, qui ont renforcé le régime islamique, au détriment du peuple iranien. Progressivement, le régime islamique d’Iran a étendu ses toiles dans l’ensemble des territoires où agissaient les Etats-Unis et l’Occident.
Actuellement, sans aucune exagération, l’Iran a une présence active en Irak, au Liban et en Afghanistan, ce qui a permis aux puissances occidentales d’invoquer le danger militaire et politique grandissant de l’Iran afin de poursuivre les ventes d’armes pour des milliards de dollars au bénéfice de l’Arabie Saoudite et des Emirats arabes dans le golfe Persique. Le principal point faible de l’Iran face à l’Occident qui tente de diaboliser le danger de l’Iran dans la région, est le caractère religieux de son gouvernement qui puise ses sources dans l’histoire ancienne de l’Islam et qui ne peut être masqué par les théocrates dominants, car il constitue leur principal instrument de pouvoir11. Néanmoins, la non reconnaissance de l’État d’ Israël par le régime islamique, depuis la création de ce dernier est un des facteurs de la détérioration des relations entre l’Iran et les États-Unis. Avant la révolution de 1979, Israël avait des relations étroites avec le régime du Chah et apportait son concours à « l’organisation de la sécurité ». Après la victoire de la révolution, la première décision du gouvernement fut le transfert de l’ambassade d’Israël aux Palestiniens. L’Iran devança même les Palestiniens dans leur animosité contre Israël. De son côté, l’Etat hébreu devint une base de propagande et d’actions politiques contre la République islamique et au moment même où les pays arabes, sous la pression des États-Unis, reconnaissaient l’un après l’autre l’État d’Israël. La présence d’Israël au voisinage de l’Iran devenait de plus en plus palpable et menaçante. Des relations militaires furent alors établies entre la Turquie et Israël. Tel Aviv joue le rôle principal dans la propagande politique contre le régime islamique d’Iran aux États-Unis et dans les médias occidentaux.
Dans le combat qu’ils mènent contre l’Iran, au cours des dernières années, les États-Unis ont concentré leur pression sur les efforts déployés par l’Iran afin d’accéder à la science et à la technologie nucléaires. Depuis quelques années, les États-Unis évoquent clairement la positivité d’une attaque militaire contre les centres d’études nucléaires de l’Iran, et ont présenté l’affaire devant le Conseil de sécurité. Ce dernier, à travers plusieurs résolutions, a décidé un blocus mondial contre l’Iran. Dans ce domaine, en qualité d’allié des États-Unis, Israël joue un rôle actif. Régulièrement, le Premier ministre, le ministre des Affaires étrangères et le ministre de la Défense de ce pays, parallèlement aux relations commerciales avec l’Europe, la Russie et la Chine, se rendent dans ces pays pour les convaincre du danger de « la menace nucléaire » de l’Iran. Ils ne cachent pas à travers leurs propagandes, que leur objectif est d’attaquer les installations nucléaires iraniennes : ils seront du côté des États-Unis.
Cependant, le gouvernement iranien, insistant sur la poursuite de ses activités nucléaires qu’il a toujours qualifiées de pacifiques et sans objectif militaire, profite de la propagande américaine et des menaces israéliennes dans le domaine de sa politique intérieure, comme il l’avait fait lors de la guerre de huit ans contre l’Irak. Qui a raison dans la question de « la bombe nucléaire iranienne » demande réflexion ? La non-prolifération des armes nucléaires et la création d’une agence internationale chargée de les contrôler remontent à l’époque de la guerre froide lorsque les chefs des deux pôles belligérants se sont accordés pour limiter le cercle des pays détenteurs de l’armement nucléaire. L’Onu créa l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), chargée de contrôle et de non-prolifération des armes nucléaires. La création de cette agence répondait aux exigences mondiales de l’époque. Or, quelques années plus tard, l’agence devint un instrument au service des pays développés qui tentaient de garder le monopole de la science et de la technologie nucléaires. Entre temps, la Chine et plus tard l’Inde devinrent membres du club des pays du Seuil (détenteurs des armes et de la technologie nucléaires). Au Moyen-Orient, le premier pays qui eut accès à l’arme nucléaire, fut Israël qui avait bénéficié des aides américaines. Le Pakistan, en conflit avec l’Inde depuis sa création, lança sses tentatives avec Zolfaghar Ali Bouto, malgré l’opposition américaine. Il avait franchi les premiers pas dans ce sens et perdit la vie suite au coup d’État du général Zia al-Hagh. Cependant, malgré l’opposition des Nations unies, le Pakistan eut accès à l’arme nucléaire et se fraya un chemin pour s’inscrire dans le « Club des nucléaires » sans pour autant s’attirer les foudres du monde. Les installations en voie de construction en Irak par les Français, ont été détruites par l’aviation israélienne au début de la guerre menée par Saddam Hussein contre l’Iran, sans que cela provoque aucune réaction mondiale.
Stratégie et diplomatie du nucléaire au Moyen-Orient
L’AIEA avait et a toujours le devoir d’aider et de coopérer avec les Etats-membres dans le cadre de leurs programmes nucléaires. L’Iran est un des membres de cette agence. Compte tenu de la sensibilité du Moyen-Orient, du conflit entre Israël et les arabes et le passage du pétrole par le golfe Persique, il était naturel que les pays de cette région tentent de surpasser les obstacles et de se doter du savoir-faire nucléaire. Comme il a été mentionné, Khan, père de la bombe atomique du Pakistan, a été le messie de l’Iran, de la Libye et de la Corée du Nord. Il est difficile de croire que le gouvernement pakistanais a ignoré ce commerce extrêmement lucratif12.
Il n’est pas admissible de croire que l’arme atomique en Israël est au service de la paix et en Iran au service de la guerre. Si l’arme nucléaire est prohibée, il faut qu’elle le soit aussi bien pour l’Iran que pour Israël. Le moyen rationnel pour contrer le danger de la bombe atomique de l’Iran consiste à interdire l’arme nucléaire dans toute la région du Moyen-Orient. Cependant, Israël utilise cette arme comme une épée de Damoclès contre ses voisins dont chacun ressent la menace de ce petit pays. Par ailleurs, depuis plusieurs années, la technologie nucléaire a atteint un stade qui doit se présenter sur les marchés internationaux et on ne peut plus la limiter.
Cependant, le régime islamique d’Iran, en tant qu’un régime théocratique, est en mauvaise position pour convaincre un autre en affirmant qu’il cherche la technologie nucléaire exclusivement pour des objectifs pacifiques. Ce régime tente de surmonter la discrimination établie par les puissances mondiales avec les autres pays en l’intitulant la non-prolifération nucléaire. Les politiques poursuivies par le régime à l’intérieur de l’Iran marquées par une plus grande pression sur les différentes couches de la société, les discriminations entre les hommes et les femmes, entre les religions et les ethnies, entre les amis et les autres quant aux droits sociaux, ne laissent plus place à la confiance internationale envers ce régime.
Il ne faut pas oublier que la position du gouvernement islamique dans le dossier nucléaire, quant à l’égalité de droit pour tous les membres de l’Onu, est parfaitement compréhensible pour la plupart des pays de la région et de la planète13. Ils sont conscients que dans un monde où le savoir et la technologie connaissent des évolutions quotidiennes, certaines puissances se sont consacrées des fiefs et considèrent les autres pays comme des satellites bons à consommer leurs techniques révolues. Autrement dit, elles veulent les contenir dans un retard d’au moins cinquante ans.
Cette discrimination est une forme de néo-colonialisme. Cet état de fait a trouvé une place prépondérante dans la propagande des responsables de la République islamique. Utilisant ce moyen, ils tentent des « bluffs » sur les capacités de la technologie nucléaire et les utilisent comme un instrument dans leur propagande aussi bien dans le cadre du pays qu’à l’échelle régionale. Selon les spécialistes des problèmes iraniens, la question de l’activité nucléaire iranienne a davantage une portée de propagande à l’intérieur du pays et à l’étranger qu’une avancée technologique réelle14. Les points de vue affichés durant les derniers mois par monsieur El-Baradaï, Directeur général de l’Agence internationale de l’Energie atomique, contrairement aux avis précédemment exprimés par l’Agence, confirme cette thèse.
Or, nous avons constaté que les propos tenus par monsieur El-Baradaï et le rapport des spécialistes ont suscité la colère des autorités américaines et du Premier ministre israélien. Le ministre américain des Affaires étrangères lui a conseillé, sur un ton insultant, de s’en tenir uniquement à sa responsabilité technique. Il s’est même rendu à Vienne pour l’informer des « limites de ses devoirs ». Malgré l’opposition de Moscou et de Pékin, les divergences entre les membres de la communauté européenne, Washington est en train, avec la coopération du nouveau président de la République française, de préparer une troisième série de sanctions contre l’Iran par le Conseil de sécurité. Aux Etats-Unis, on continue toujours de réfléchir sur l’option militaire contre l’Iran15.
Les effets des sanctions économiques, se font progressivement sentir en Iran. Le gouvernement qui, dans un certain sens est un « gouvernement militaire », tente de préparer prudemment la population à accepter leurs méfaits. Bien que les dirigeants fassent souvent état de l’inefficacité des sanctions internationales, le discours du ministre de l’Intérieur, prononcé le 4 novembre (jour anniversaire de l’occupation de l’ambassade des États-Unis par les « Étudiants partisans de la ligne de l’Imam ») contredit cette position officielle. Il a demandé à la population de baisser sa consommation et a proposé une baisse de 10 % de la consommation quotidienne. Ce chiffre traduit, dans un certain sens, les limites de l’efficacité des sanctions sur l’économie iranienne et prédit leurs conséquences sociales. Le gouvernement a également intensifié ses pressions sécuritaires et sociales. Il est parfaitement clair qu’il se prépare face au danger à venir. Cette préparation se traduit également dans le domaine militaire à l’intérieur du pays et à l’étranger. Aujourd’hui, les médias portent la plus grande part de cette charge.
Cependant, les effets des sanctions sont plus sensibles au niveau des réactions sociales et des prises de positions. Les manifestations estudiantines n’ont pas épargné le bureau de l’ayatollah Montazéri, chef religieux connu après la révolution, celui-ci a considéré que les décisions des tribunaux révolutionnaires contre les étudiants, les seules manifestations de la colère du régime à l’égard des étudiants qui avaient manifesté lors d’un discours prononcé par le président de la République à l’université, ne sont pas religieusement correctes et a demandé leur acquittement. Le Président du Conseil de discernement, affirmant que l’Iran se trouvait dans une situation délicate, a de nouveau critiqué ceux qui parlent sans réfléchir ; il était clair qu’il visait le Président de la république. Des groupes, qui, dans les premières années de la révolution, avaient joué des rôles clefs dans le pays, ont publié des lettres ouvertes contre les politiques macro et micro-économiques, culturelles et sociales et l’aggravation de la répression, ainsi que contre les paroles irresponsables du Président de la république. Un ancien parti, aujourd’hui marginalisé, a sévèrement critiqué, dans un communiqué, la politique du gouvernement quant aux droits de l’Iran sur la mer Caspienne, etc. Ces agissements surviennent au moment où l’Iran s’approche des élections de l’Assemblée islamique. La mobilisation électorale a, en effet, commencé depuis plusieurs mois par les partisans du gouvernement ainsi que par la tendance surnommée les « Ossooulis ». L’Ecole des Ousssouli (fondamentaliste) défend, contre les Akhbari, le droit des Oulémas et leur autorité légitime pour les affaires religieuses. Elle estime que le droit à l’interprétation du Coran revient au haut Clergé, aux grands oulémas. Cette victoire sur l’école Akhbari a eu pour conséquence le renforcement du pouvoir du clergé et de la haute hiérarchie chiite16. Dire la loi en milieu islamique c’est s’imposer au pouvoir politique. Par ailleurs, la pression exercée sur les médias s’inscrit dans ce sens. Cependant, les différentes tendances au sein du régime et celles qui en sont évincées se préparent au combat politique grâce au mouvement social qui a prit forme dans la société. Cet ensemble prédit un avenir avec des événements imprévisibles en Iran, pendant les derniers mois de l’année iranienne.
Dans le sud de l’Iran, les conditions de coexistence avec les voisins ne sont pas meilleures que lors de la guerre contre l’Irak. Le ministre des Affaires étrangères de l’Arabie Saoudite a même demandé à l’Iran de restituer aux Emirats les « trois îlots » qu’il estime émiratis et que l’Iran a « occupés ». L’armée américaine est installée en Irak. La sphère du blocus américain s’étend jusqu’au territoire des Emirats qui, depuis la révolution, est devenu une base commerciale importante entre l’Iran et l’étranger. Les États-Unis tentent d’évincer progressivement le régime islamique de la région. Ils essayent de reprendre au régime islamique la position qu’ils lui ont conférée en Iran, dont le préalable consiste à ne pas créer un régime à leur encontre après Saddam Hussein dans ce pays. Pour Washington, cela signifierait de mettre au placard la stratégie du Grand Moyen-Orient17. La politique américaine qui tente de manière opportuniste et selon le cas à résoudre les problèmes a également pensé à cette alternative. Mais, pour le moment, les États-Unis tentent de renverser le régime islamique en Iran, pour pouvoir sortir de l’impasse en Irak. Selon les observateurs, la transaction sur l’Irak et le Hezbollah au Liban est la clef de la conciliation sur laquelle jouerait le régime islamique18. Or, même en cas d’une telle entente, les États-Unis ne supporteront pas l’existence d’un régime qui, durant presque trente ans, a levé l’étendard de l’anti-américanisme dans la région et dans le monde, un régime qui, dans un pays qui détient la clef stratégique de la région, a remplacé celui qui était leur ami et collaborateur19.
La stratégie américaine, en tant que seul système dominant au niveau international, constitue un obstacle infranchissable face à la macro-stratégie de la République islamique. De toute part, l’Iran se heurte, dans ses plans stratégiques, à la présence et à l’adversité américaines. Ce n’est pas seulement au sud de l’Iran que l’ombre des États-Unis et d’Israël plane sur les pays arabes et arabophones où l’Iran tente, chèrement, de garder la Syrie dans son sillage. Aux frontières nord du pays également, dans le bassin sensible de la Mer Caspienne, sous la domination de l’Union soviétique, les droits de l’Iran se limitaient à la pêche et aux activités de la Société nationale de pêche et l’exploitation des autres réserves se trouvaient derrière la « ligne rouge ». Après la chute du régime soviétique, de nouvelles perspectives stratégiques s’ouvrirent pour l’Iran. Or, l’ombre des États-Unis et de leurs sociétés multinationales plana sur la région, de sorte que les nouveaux pays limitrophes de la mer Caspienne qui avaient un besoin naturel de lien avec l’Iran – aussi bien dans l’exploitation des réserves marines que dans le retour vers les voies historiques avec le monde – furent obligés, sous la pression des États-Unis de renoncer à s’approcher de l’Iran. Les droits historiques de l’Iran sur la mer Capsienne furent également mis en cause. Les efforts pour la création d’une union de coopération économique entre l’Iran et ses voisins du nord, prirent une forme inefficace et formelle répondant aux relations commerciales limitées entre ces pays et cela parce que les compagnies pétrolières multinationales avaient assuré leur mainmise sur la région et que les pressions américaines avaient fait dévier les chemins du transit du pétrole et du gaz, alors que le passage par l’Iran aurait été plus facile et plus économique20.
De même, il devint rapidement clair qu’un retour aux relations anciennes entre ces pays avec l’Iran – symboles de l’histoire, de la civilisation et de la culture iranienne ainsi que des relations économiques – ne serait pas aisé en raison de l’aspect religieux de l’Iran et de ses représentants. Face à la double politique de rivalité entre les États-Unis et la Russie, la stratégie indépendante visée par l’Iran ne put se réaliser. L’Iran réussit, en concédant des avantages, de s’approcher de l’Arménie, face à la République d’Azerbaïdjan. Or, les fondements de ce rapprochement ne sont pas solides. La signature du contrat de vente de gaz d’Arménie à l’Iran fut le seul acquis de l’Iran dans cette coopération (se substituant aux rêves de transformer l’Iran en tant que principale voie de liaison des pays d’au-delà de la Mer Caspienne). Quant au partage des réserves marines, l’Iran qui, en vertu de nombreux accords avec l’Union soviétique, était propriétaire de 50 % de la mer Caspienne, est resté seul après 17 ans qui nous sépare de l’indépendance des autres pays limitrophes. Ces pays ont signés, ensemble, un accord avec la Russie, sans respecter les droits de l’Iran. Ce dernier n’a pas accepté, à ce jour, l’accord global de la délimitation des zones territoriales de ces pays. Ceci constitue un obstacle face à l’activité des compagnies étrangères qui ont su obtenir des avantages compensateurs de la part des pays riverains.
La politique du « regard vers l’Est » du gouvernement islamique, pour contourner le blocus américain, a transformé l’image de l’action de l’Iran : aussi bien dans la modélisation des modes économiques de la région que dans la diversification des coopérations. Dans ce cadre, il convient de noter le commerce avec la Chine en tant que partenaire commercial important, avec laquelle l’Iran a signé un contrat portant sur trente milliards de dollars en vertu duquel la Chine comblerait dans l’exploitation des réserves gazières de l’Iran dans le Golfe persique la place vacante des compagnies américaines, les relations bilatérales avec l’Inde, les deux Corée, le Japon, l’Indonésie et la Malaisie. Cependant, dès la première pression américaine, le Japon a reculé et l’Inde, après avoir signé un accord de coopération nucléaire avec les États-Unis a pris une position prudente dans le cadre de l’important accord signé avec l’Iran sur le plan gazier. Les relations entre la Turquie et le Pakistan avec l’Iran ne peuvent être épargnées de l’influence de la politique américaine. La crise au Pakistan et les frontières perméables du Balouchistan du Pakistan, de Mokran et de Kerman permettent le passage des éléments mobilisés contre l’Iran. Les bases américaines en Turquie et la coopération militaire entre cette dernière et l’Israël suscitent également l’inquiétude. Face à cette situation géopolitique instable, l’Iran mise sur une unité créée par la Chine et la Russie pour l’Asie centrale et a participé, il a quelques mois, en tant qu’observateur, à une réunion conviée à ce sujet21. Depuis, est posée la question de la volonté de l’Iran à participer à cette unité en vue de sortir de son isolation.
Ainsi, se précise l’avènement d’une crise explosive dans l’ensemble du Grand Moyen-Orient du président Bush, que son administration a renommé en Nouveau Moyen-Orient. Les facteurs de cette explosion se trouvent aussi bien aux États-Unis que dans la région. Les États-Unis détenteurs des dépôts de capitaux internationaux, sont incapables de résoudre les grandes difficultés qui lui sont intrinsèques. Le seul issu est de mener des campagnes militaires. Le Grand Moyen-Orient est le lieu où tous les facteurs sont présents pour entamer une guerre. L’impasse des guerres en Irak et en Afghanistan ne peut être levée que grâce à une nouvelle guerre. L’issu de la guerre en Irak est lié au destin des régimes inféodés aux États-Unis. La résistance du régime islamique d’Iran, son opposition et son dédain à l’égard des États-Unis constituent un exemple pour leurs opposants traditionnels dans la région. Que le monde a besoin d’une vaste guerre afin de mettre en place le nouvel ordre du XXIe siècle, constitue un fait pour la puissance suprême. Force est de constater, qu’à l’issue de la publication du dernier rapport américain par les services de renseignement sur l’interruption par l’Iran de son programme d’armement nucléaire en 2003, a permis au Conseil de sécurité de l’Onu de vouloir continuer le dialogue avec Téhéran. Quelle légitimité ce rapport de services de renseignement pourrait contenir pour être posé à l’Onu ? Le Conseil de sécurité serait-il aujourd’hui la nouvelle instance des renseignements américains ? Et depuis quand l’Onu change les règles internationales en dépit des rapports de renseignements nationaux des Etats-membres ?
C’est ainsi que l’Iran, avec la vantardise de ses dirigeants militaires, constitue dans cette région instable, un attrait essentiel pour une vaste et nouvelle guerre.
* Président de l’Institut International d’Etudes Stratégiques de Paris, directeur éditorial de la revue Géostratégiques. Auteur de plusieurs articles et publications portant sur la géostratégie et la géopolitique internationale, spécialiste de l’Iran et des questions stratégiques et énergétiques au Moyen-Orient.
Notes :
- Jean-Baptiste DUROSELLE, Tout empire périra : théorie des relations internationales, Paris, Colin, 1992, p.44.
- La Chin est admise à l’OMC qu’en décembre 2001, Cf. Géostratégiques N°17, la Chine, IIES, septembre 2007.
- Vaïsse JUSTIN, Pierre HASSNER, Washington et le monde : Dilemmes d’une superpuissance, Ceri /Autrement 2003, p.79.
- Robert BAER, La Chute de la CIA : Les Mémoires d’un guerrier de l’ombre sur les fronts de l’islamisme, Gallimard, 2003.
- Notre article, « Les éléments étatiques en Iran », Géostratégiques N°10, Février 2006.
- De Elton L. Daniel, The History of Iran, Greenwood Press, 2001.
- Amir Nikpey, Politique et Religion en Iran contemporain, l’Harmattan, 2001.
- Notre article « les éléments étatiques en Iran », Géostratégiques, Op.cit. p.
- Noam CHOMSKY, la Guerre comme politique étrangère des Etats-Unis, Agone, 2002,
p.146. - Christophe REVEILLARD, « Irak : es Différentes échelles de l’analyse stratégique », Géostratégiques, N°7, 2005, p51-63.
- Fahrad KHOSROKHAVAR , l’Utopie sacrifiée, sociologie de la révolution iranienne, le rêve impossible, Paris : l’Harmattan, 1997, p.17.
- Pervaiz Iqbal CHEEMA, The ArmedForces of Pakistan, New York University Press, 2003.
- Tempêtes sur l’Iran, Manières de Voir, Le Monde diplomatique, juin / juillet 2007.
- notre article, « Droit et légitimité du nucléaire iranien », Géostratégiques, N°13, juillet 2006. voir également Considering the Options: US Policy toward Irans Nuclear Program, Washington Institute for Near East Policy, Washington, N°305, octobre,
2003.
- Voir le rapport du Directeur général M. El Baradai, Mise en œuvre de l’accord de garanties TNP en République islamique d’Iran, Conseil des gouverneurs GOV/2006/15, AIEA
- François THUAL, Géopolitique du chiisme, Paris, Arléa, 2002, p.35.
- Steven EKOVICH, Les Etats-Unis, l’Europe et les crises au Moyen-Orient », Géostratégiques, N°15, septembre 2
- Le Monde 25-01-2007.
- Steven EKOVICH, The American policy in the Persian Gulf, Conférence internationale IIES, Londres, 2005.
- Général Henri PARIS, « L’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan, facteur notable
d’instabilité », Géostratégiques N°9, 2005. - Denis BAUCHARD, L’Iran: une puissance énergétique (ré) émergente, Perspectives Moyen-
Orient Maghreb, IFRI, mai 2007.