L’évolution de la crise politique et sociale en Palestine

Jebril RAJOUB, Président du Comité Olympique de Palestine, Secrétaire Général, Mouvement de Libération Nationale Palestinienne (P.N.L.M.)

Résumé

Tandis qu’Israël continue à ignorer le cadre du droit international, les Etats-Unis offrent à leur allié des outils supplémentaires légitimant ses politiques coloniales et d’apartheid. Les récentes élections israéliennes ont montré une radicalisation croissante du spectre politique national, donnant un nouvel élan aux ambitions locales et mettant en péril la perspective d’un accord juste pour les Palestiniens. Ces derniers sont les premières victimes de cette tendance grandissante. Toutefois, l’incapacité de la communauté internationale à contraindre Israël à coopérer produit des effets durables à échelle mondiale. Dans l’espoir d’une solution équitable, l’Europe et plus particulièrement la France peuvent jouer un rôle central.

Summary

As Israel keeps playing out international law, the United States provide their ally with additional legal tools to legitimize its colonizing and apartheid policies. The latest Israeli elections show a growing radicalization of the domestic political spectrum nurturing its active and aggressive projects and compromising the reach of a fair deal with Palestine. Palestinians are the first victims of this trend. However, the incapacity of the international community to compel Israeli cooperation has larger scale effects that could hold on the long-term. To that extent, Europe and especially France could play a key role.

C’est à Paris que la plupart des intellectuels arabes, notamment palestiniens, ont effectué leurs études. L’un des meilleurs défenseurs de la cause palestinienne, Henry Kattan, a siégé sur les bancs de l’Université de Paris. La Palestine tient une place privilégiée dans le coeur des Français. Et réciproquement, le français est la deuxième langue la plus parlée par des milliers de Palestiniens, car nombreux sont diplômés du Lycée de Jérusalem et de diverses écoles catholiques qui continuent à fournir une éducation de qualité pour les enfants palestiniens, chrétiens et musulmans. La France figure également parmi les Etats partisans de l’accord dit Statu Quo des Lieux Saints, et à qui appartient la mission particulière de protéger les droits des Chrétiens, partie intégrante du peuple palestinien, à Jérusalem. Nous appelons Paris la Ville Lumière et nous croyons qu’elle peut illuminer le chemin vers la paix au Moyen-Orient. En tant que pays européen majeur, la France peut contribuer d’une part à mettre fin à l’occupation israélienne, de l’autre à rétablir le tracé frontalier de 1967, avec Jérusalem Est pour capitale de l’Etat souverain palestinien, ainsi qu’à proposer une solution juste pour les réfugiés palestiniens basée sur la Résolution 194 de l’Assemblée générale de l’ONU. L’expérience de la France au Moyen-Orient fait de ce pays l’un des plus avertis en matière de conflits et de solutions régionaux. Elle a émis l’une des voix les plus fermes dès lors qu’il a fallu rappeler l’importance du droit international, notamment lors d’adoptions et d’applications de résolutions onusiennes. En ce sens, la France porte l’une des voix européennes les plus fortes pour s’opposer aux passages en force (ou du moins aux tentatives) de l’administration Trump. Mais encore faudrait-il pour cela parvenir à un consensus européen en matière de politique étrangère mettant ainsi fin à l’inaction de l’Union sur ce sujet. La France dispose en principe d’atouts considérables qui ne se traduisent pourtant pas en mesures concrètes.

Ce propos vise à développer plusieurs thématiques et pistes d’actions pour l’avenir. Certaines en appellent à l’intervention française, d’autres non. Mais toutes partent d’un principe simple qui fonde cette argumentation selon lequel : l’épanouissement des droits inaliénables du peuple palestinien, parmi lesquels le droit à l’autodétermination, est une exigence élémentaire pour la paix, la sécurité et la stabilité dans toute la région.

Elections israéliennes

La formation d’un nouveau gouvernement en Israël a été empêchée du fait d’obstacles internes dans l’aile droite israélienne. L’extrême droite nie tout droit palestinien, et encourage même l’annexion de la zone C qui correspond à 60% de la Rive Ouest occupée. De nouvelles élections se tiendront en septembre. Loin de dresser une analyse des dynamiques électorales israéliennes, nous devons néanmoins mettre en lumière un élément important qui ressort de la radicalisation de la société : le débat en Israël ne n’oppose plus les partisans d’une paix négociée et ceux qui désirent conserver les installations coloniales illégales ; il a lieu aujourd’hui entre les défenseurs d’une annexion plus large des territoires occupés, et les partisans d’un maintien du statu quo. Comment expliquer cette radicalisation ? Lorsqu’un criminel est récompensé pour avoir commis un crime, et que le crime devient profitable, rien ne motive l’arrêt de ce comportement illégal.

C’est précisément l’approche qu’a adoptée la communauté internationale à l’égard d’Israël, récompensant ainsi ses multiples transgressions. Benjamin Netanyahu l’affirmait : Israël a étendu ses colonies, et ses relations internationales sont florissantes. Le commerce entre Israël et le continent européen a généré plus de 10 milliards de dollars ces dix dernières années. Des échanges qui comprennent des produits et des services en provenance des colonies illégales. Le cas d’Israël n’est pas le premier fait colonisateur de notre civilisation. Pourtant, il demeure libre de toute accusation relative à ses transgressions du droit international et des résolutions de l’ONU, et n’en est guère tenu responsable. Ce pays est au-dessus des lois. Tandis que ses forces colonisatrices détruisent les demeures et structures palestiniennes, l’Europe contribue à accroître ses ressources financières. Le prétexte mis en avant par Israël justifiant l’occupation de la fameuse Zone C est l’absence de permis de la part des Palestiniens souhaitant s’y installer, des permis dont l’obtention est quasi impossible. Dans le même temps, les colons et forces occupantes déracinent les oliviers, empêchent les Palestiniens de récolter leurs cultures, attaquent sous protection des forces de l’occupation les civils palestiniens, tandis que la communauté internationale condamne timidement ces actes et ne prend nulle disposition concrète pour y faire barrage.

L’Accord du Siècle 

Contre toute attente, c’est bien l’administration Trump qui est perdante face à l’impossibilité pour Netanyahu de former un nouveau gouvernement. Son intention était de poursuivre la mise en oeuvre de « l’Affaire du Siècle » avec l’aide de Netanyahu. Précisément, il ne s’agit pas d’un « accord » mais de l’imposition par une superpuissance d’un état de fait, normalisant l’occupation israélienne, en échange de l’amélioration prétendue des conditions de vie du peuple palestinien.

La lutte diplomatique qui engage la Palestine avant et depuis “l’Accord du Siècle” risque de laisser des séquelles sur l’ensemble du système juridique international établi depuis la Seconde Guerre Mondiale. Si l’administration Trump réussit son passage en force, cela servirait de précédent juridique rendant légitime l’acquisition de territoires par la force. Les termes de référence pour les futurs processus de paix s’en trouveraient changés. Ainsi, le bras de fer diplomatique pour la protection des droits des Palestiniens est la pierre angulaire de la préservation du droit international et des résolutions de l’ONU. L’administration Trump a tout cédé par avance à Israël et cherche à exclure des débats les principaux points de dissension : Jérusalem, les réfugiés, les colons. Mais quel avantage les Etats-Unis trouvent-ils dans cet accord? Attendent-ils une contrepartie ? Le plan semble n’avoir eu pour d’autre objectif que la légitimation de l’occupation israélienne. L’équipe Moyen-Orient de l’administration américaine ainsi que des acteurs stratégiques et diplomatiques sont attentifs voire sont impliqués dans la colonisation illégale de la Palestine et le financement des activités des colons. L’ambassadeur américain en Israël est par exemple descendant de colons.

Les dernières mesures prises par l’administration Trump sont les suivantes :

● L’arrêt des condamnations des actes d’occupation.

● La suppression du mot « occupation » dans les documents officiels américains : les colonies israéliennes sont désormais désignées comme étant des « points de coexistence » légaux. Ce changement de vocabulaire est une approbation tacite de l’élargissement ou la multiplication des colonies.

● La diffusion d’une propagande de dénigrement à l’encontre du leadership palestinien (notamment sur Twitter, canal de communication privilégié de cette administration).

● Le renforcement de la pression financière exercée sur les organisations internationales telles que l’UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient) qui apporte une aide humanitaire majeure aux écoles et aux hôpitaux locaux.

● L’abandon par l’US-AID des projets de traitement d’eau et de déchets.

● L’arrêt de la Mission de Palestine et la réduction du nombre de représentants diplomatiques américains par l’intégration du Consulat Général à l’Ambassade américaine en Israël, nouvellement déplacée depuis Tel-Aviv à Jérusalem, mettant fin à 175 ans de missions diplomatiques auprès des Palestiniens.

Par ailleurs, l’administration Trump fait la promotion de ce qu’elle nomme le « Manama Workshop », qui porte sur la situation économique palestinienne. Outre l’absurdité de travaux sur l’amélioration de l’économie palestinienne en parallèle de sanctions économiques imposées par les Etats-Unis, les Palestiniens n’ont pas été consultés pour la tenue de ces réunions. La présence et le point de vue palestiniens n’ayant pas été convoqués, le Mouvement de Libération Nationale Palestinienne a décidé ne pas s’y présenter. Le Manama Workshop vise uniquement à légitimer l’activité colonisatrice israélienne en engageant des collaborations fictives et des « solutions économiques » qui profitent en premier chef à Israël.

L’Occupation israélienne et l’Europe

La perspective de déstabilisation de la région et d’affaiblissement du gouvernement palestinien semble de plus en plus probable du fait de la guerre financière imposée par les Etats-Unis. Nous comptons aujourd’hui plus de 650 000 colons illégaux installés sur le territoire palestinien, et ce malgré la Résolution de l’ONU. Israël continue à violer le droit inaliénable du peuple palestinien à l’autodétermination, tout en jouissant de relations privilégiées et préférentielles avec l’Union Européenne. Tant que l’occupation profite à un parti, elle ne cessera de se perpétuer ; dès lors que des sanctions commenceront à peser sur l’économie et la diplomatie israéliennes, la politique de l’Etat hébreu réduira ses visées expansionnistes. Rendre l’occupation israélienne encombrante, cela se traduit par les mesures suivantes :

● Déclarer un embargo sur les produits et services en provenance des territoires occupés.

● Interdire les déplacements aux colons israéliens non munis de visa.

● Imposer une réglementation touristique de sorte que les visiteurs et citoyens européens cessent de contribuer à l’occupation israélienne.

Enfin, l’Union Européenne pourrait suspendre voire rompre son Accord d’association avec Israël, au regard des violations régulières de l’article 2 portant sur le respect des droits de l’homme et du droit international. Il ne s’agit pas là de demandes palestiniennes unilatérales, mais du respect de principes édictés par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU. En ce sens, le Conseil s’apprête à rendre publique la liste des firmes internationales qui travaillent et négocient avec les colons installés dans la Rive Gauche Occupée, comprenant notamment Jérusalem Est.

En l’absence d’un processus de paix significatif, les regards sont également tournés vers la France en tant que pays leader européen, et force médiatrice pouvant la solution à deux États sur la table des négociations, reconnaissant par là-même l’Etat de Palestine selon les frontières de 1967, avec Jérusalem Est comme capitale.

Les dynamiques régionales

La Palestine demeure le cœur du monde arabe. Malgré les tentatives d’Israël ou des Etats-Unis, aucun pays arabe ne peut appuyer leurs plans. L’unique espoir pour Israël afin de devenir membre régulier de la région se trouve dans l’Initiative arabe de Paix. Par cette initiative, Israël obtiendrait une pleine normalisation de son statut auprès de tous les membres de la Ligue Arabe et de la Conférence de l’Organisation Islamique, en échange à la fois de son retrait des territoires arabes occupés depuis 1967, et d’une solution juste et consentie portant sur le droit de retour des réfugiés fondée sur la Résolution 194 de l’ONU.

Plusieurs pays continuent à être affectés par l’instabilité due aux tensions israélo-palestiniennes, parmi lesquels la Jordanie, l’un des acteurs régionaux les plus importants, ou encore la Syrie, dont la souveraineté nationale est compromise par le partage du Golan ; le Liban, voisin direct d’Israël et terre d’accueil des réfugiés palestiniens, est agité par des troubles internes dûs à ce conflit, ainsi que l’Egypte, en proie à des attentats terroristes quotidiens, et désireux de stabilité régionale. La sécurisation du monde arabe est donc étroitement liée à celle des territoires palestiniens sous occupation.

Conclusion

Ce n’est pas exagérer que d’affirmer que le futur du système international se joue en Palestine. L’échec actuel dans la résolution de ce conflit est un échec partagé, mondial. Déployer le droit international et la diplomatie pour sortir de cette crise permettrait d’asseoir leur utilité. Les Etats-Unis et Israël collaborent pour s’assurer que les Palestiniens ne trouvent aucun recours auprès des organisations internationales. Ni la Cour de justice internationale ni le Conseil des droits de l’homme de l’ONU n’a jusqu’à présent conforté l’existence de structures internationales chargées de protéger les droits et les conditions de vie du peuple palestinien. Aucun de ces organes ne parvient non plus à poursuivre Israël pour ses violations systématiques du droit international.

Les mesures prises par l’administration Trump ont réactivé les débats autour de la viabilité de la solution à “deux États” ou celle d’un gouvernement palestinien. Néanmoins, les vrais gagnants sont les défenseurs d’un Israël agrandi qui contrôle toute la Palestine historique, instaurant deux systèmes juridiques et politiques différents basés sur la religion : autrement dit, l’apartheid. La persistance d’un tel système au 21ème siècle est honteux pour l’ensemble de la communauté internationale.

Enfin, le gouvernement français, que nous remercions pour son rôle dans la valorisation de la Mission Palestinienne, est appelé à reconnaître l’Etat de Palestine avec pour capitale Jérusalem Est, tout comme le parlement et le sénat français l’avaient fait pour l’adoption d’une solution à “deux États”.

Ce n’est que lorsque règneront « Liberté » et « Egalité », qu’une paix durable sera possible au Moyen Orient. Ou comme il est coutume de le dire : « Si vous cherchez la paix, visez la justice ».

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