Les trente années perdues de la diplomatie iranoaméricaine

Kazem VADIEI

Iranologue et ancien ministre iranien de l’Éducation nationale.

Mai 2009

Les Américains n’ont jamais connu l’Iran que sous l’angle d’un marché et d’une tête de pont stratégique. Par contre, ils sont arrivés à séduire les Iraniens par leur culture et leur civilisation. À partir de là, est né un sentiment d’humiliation et d’ingérence d’un dominant international.

La Révolution islamique a bien exploité cette situation et a mis en œuvre une vraie politique d’indépendance idéale de l’Iran. D’où cet anti-américanisme actuel.

Les Américains n’ont pas su décoder les slogans révolutionnaires. Donc le pou­voir politique révolutionnaire s’est fait une place dans le camp des anti-américa-nistes traditionnels (Russie et Chine), tout en accompagnant les écoles fondamen­talistes proche-orientales.

Dans ce processus, l’Iran n’a jamais renoncé à s’industrialiser, au prix d’un iso­lement partiel. L’essence de la politique étrangère des Occidentaux est basée sur la conquête d’un marché et sur une stratégie militaire.

Dans ce face à face, l’Iran connaît très bien la menace de guerre, mais connaît mieux l’Occident que l’Occident ne le connaît. L’énigme vient de la confrontation de la menace d’une guerre conventionnelle et d’une conviction révolutionnaire ba­sée sur la religion.

Le slogan le plus frappant de la Révolution islamique iranienne s’inspirait d’un anti-américanisme sans précédent, d’origine proche-orientale.

La Constitution de la République islamique iranienne s’est engagée clairement par l’article 152 (Ch. 10 : Politique étrangère) sur la défense des droits de tous les peuples musulmans et contre toutes les forces belligérantes dans les territoires isla­miques. À partir de là, tous les efforts des Etats-Unis, et par conséquence de l’Union européenne – avant, pendant et après la Révolution iranienne – pour séduire le corps d’un système religieux basé sur un romantisme révolutionnaire, n’étaient que peines perdues.

Le signe matériel de cette affaire réside dans le rôle joué par la personne de Yasser Arafat, bien avant l’année 1969 évidemment. Celui-ci a pris en main la formation paramilitaire des combattants iraniens dépendants de l’opposition intégriste cléri­cale. Dans un deuxième temps, à l’approche de la Révolution, il a fait l’avance d’une somme importante pour financer la Révolution islamique.

La différence de vues entre M. Khomeini et Yasser Arafat marque le premier signe important de divergence entre la conception du Guide de la Révolution de l’intégrisme islamique d’avec celle des Proche-Orientaux. En effet, pour Khomeini, l’indépendance de l’Iran et de son régime passait avant tout, tandis que Yasser Arafat visait à installer une partie de ses forces combattantes au Khouzistan.

Pendant le gouvernement provisoire de M. Bazargan, les Américains ont essayé d’engager ce gouvernement à conclure un accord avec eux en Algérie pour jeter une base de compréhension mutuelle. Le discours directif de Khomeini à la veille de la ratification de la Constitution de la République islamique – à savoir, « Ni Est ni Ouest » – a marqué qu’une volonté différente était née dans ce pays soupçonné de préserver les intérêts vitaux des occidentaux en compensation de la faveur donnée par ceux-ci aux révolutionnaires.

La violence sans précédent de cette Révolution dans l’histoire du monde ne vi­sait pas seulement les opposants intérieurs et extérieurs, mais aussi les occidentaux, qui ont auréolé et spiritualisé l’idole de cet événement désiré par certains milieux politico-pétroliers qui, au bout du compte, ont été déçus par l’affaire des otages des diplomates américains. Il ne manquait que le coup militaire de la part du Président Carter – qui a entrepris d’envoyer des hélicoptères dans le désert de l’Est de l’Iran – pour que les calculs et les rêves des Occidentaux se brisent par rapport à la po­litique étrangère de l’Iran islamique. Vient s’ajouter un mauvais diagnostic quant à la densité de l’animosité révolutionnaire contre l’Amérique, ce qui a conduit les Occidentaux et surtout les Américains à ne pas avoir un bon choix quant à leur position vis-à-vis de l’Iran. À partir de ce fait, les Occidentaux ont reculé jusqu’à se donner mauvaise conscience par rapport à l’Iran.

C’est avec la guerre imposée à l’Iran par l’Irak que les Occidentaux sont arrivés à croire qu’ils avaient une chance de pousser l’Iran à un changement d’attitude….

Or la « drôle de guerre » – surnom donné par les Occidentaux à cette guerre -montre à quel point ils étaient loin d’évaluer le potentiel d’une résistance religieuse patriotique iranienne, oubliant, pourrait-on dire, qu’ils avaient en face d’eux un pays toujours en ébullition, qui a eu l’art de transformer une révolution islamique en une guerre patriotique nationaliste.

Il va de soi que cette guerre a créé une victoire non officielle inespérée et a donné un haut moral aux trois corps militaires de la République islamique, – à savoir les bassij, gardiens de la Révolution, armée traditionnelle -, qui, jusqu’à aujourd’hui, font la loi dans ce pays sans faire de bruit, surtout en accord avec les clauses 143, 144, 145, 146, 147, 148, 150 et 151 de la Constitution de la République islamique de l’Iran.

Les Américains n’ont rien gagné, sur le plan de la diplomatie, en fournissant des armes aux deux belligérants – Iran et Irak – pendant cette guerre, tandis que les Iraniens ont bien profité d’une situation difficile appelée « ni guerre ni paix ».

Il est vrai que, par deux fois dans le passé, les Américains ont cherché à tourner l’Iran monarchique contre l’Irak et poussé l’Irak de Saddam Hossein contre l’Iran, sans aboutir à aucun résultat concret.

L’Iran n’a pas mis longtemps avant d’entrer dans une nouvelle phase de renou­vellement militaire :

  • réorganisation de l’armée ;
  • réorganisation du système de renseignements ;
  • renouvellement des équipements militaires ;
  • entreprise de l’industrie nucléaire et ce qui s’en suit.

À partir de cela, la diplomatie américaine a tout fait durant les huit dernières années pour mobiliser toutes les instances internationales et chercher une aide plus efficace auprès de l’Union européenne pour donner un coup d’arrêt à ce processus. Ce qui a poussé l’Iran à choisir son camp une fois pour toutes en se rapprochant de l’organisation dite Coopération Shanghaï.

Peut-on dire que l’Iran vit désormais dans un autre hémisphère qui s’appelle tout sauf
Occident ?

La Russie, quant à elle, n’a fait qu’occuper le vide existant depuis le départ des Américains en acceptant l’Iran tel qu’il est et en freinant l’avancement du dévelop­pement de son industrie nucléaire. Or, l’histoire de la centrale nucléaire de Buscher nous en apprend beaucoup depuis trente ans.

Il faut constater que les méthodes américaines pour acquérir de bons renseigne­ments dans un pays comme l’Iran, après la révolution islamique, souffrent d’une non-fiabilité effrayante.

On prétend souvent que l’Iran possède plusieurs poches d’influence dans la région du Proche-Orient et qu’il a la main haute sur le Hamas, le Hezbollah et Damas. Ceci est outrancier. Il est temps de modifier ce regard, car le berceau de l’intégrisme islamique ne réside pas en Iran. Par contre, c’est l’Iran actuel qui est sous l’influence des différents foyers traditionnels islamiques.

L’Iran peut changer et l’Iran changera d’une façon ou l’autre par la force des choses internes. Mais c’est toujours en le traitant à l’envers que cette force réfor­matrice interne est obligée de soutenir la ligne dure de la politique étrangère du gouvernement en place et par conséquent de devenir inerte chaque fois qu’un ou différents pouvoirs étrangers menacent l’intégrité du pays. L’hypothèse d’un Califat chiite iranien qui comprendrait le Croissant vert n’est qu’imaginaire, de même qu’une ambition d’empire quelconque y compris perse. Il faut chercher en aval des événements pour arriver à la source. Je pense que certains médias sionistes en sont les instigateurs. Or l’Iran ne cherche qu’à savourer son indépendance, marque de son capital culturel. Là est l’essence de sa politique étrangère et ceci se dégage de toutes les négociations jamais achevées depuis trente ans.

Certaines super-puissances internationales changent de mots, changent de ma­nière dans leur politique vis-à-vis de l’Iran, mais elles ne changent jamais le fonde­ment du diagnostic de leur politique étrangère. Ceci s’interprète chez les Iraniens : « sortir par la porte et rentrer par la fenêtre ». C’est pourquoi je voudrais insister sur ce fait culturel et historique que, depuis le tout début de l’apparition du pouvoir politique en Iran jusqu’à aujourd’hui, tous les souverains ont leur regard tourné vers l’intérieur, tant ils sont soucieux d’assurer et sauver leur indépendance. Ce phé­nomène est l’essence de tout ce qui se dégage des œuvres culturelles et religieuses iraniennes.

Autre phénomène à prendre en compte : celui de l’expansionnisme iranien qui ne vise qu’à faire reculer l’ingérence et l’ennemi physique au-delà des frontières du pays.

Notes, observations et sources

  1. Extrait de l’article de M. Alstair Crooke.

« Ancien officier des services de renseignements israéliens, M. Shlomo Brom expliqua à Parsi, sur un ton ironique : « Souvenez-vous que les Iraniens sont toujours à cinq ou sept années de la bombe. Le temps passe, mais ils restent toujours à cinq ou sept années de la bombe ». En 2009, les Iraniens sont encore, selon les services de renseignements américains, « à cinq ou sept années de la bombe »… Le Monde diplomatique, Février 2009.

  1. Avi Shlaïm

« Israël, the greatpowers, and the Middle East crisis of1958 ». Journal ofImperial and Commonwealth History, Londres, mai 1999.

  1. Trita Parsi

« Treacherous Alliance. The Secret Dealings of Israël, Iran, and the US ». Yale University Press, New Haven, 2007.

 

 

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