Fereydoun A. KHAVAND,
Maître de Conférences à l’Université Paris V
Janvier 2001
Les Etats-Unis et l’Union européenne représentent, à eux seuls, environ 50% de l’économie mondiale et 40% des échanges internationaux. Quelque 20% des exportations de l’Union européenne se dirigent vers les Etats-unis et 19% de ses importations en proviennent. L’Europe des quinze, quant à elle, est la terre d’accueil la plus importante du monde pour les marchandises, les services et les capitaux américains. Les échanges transatlantiques constituent donc le principal moteur des relations commerciales internationales.
Cet immense partenariat transatlantique est cependant régulièrement secoué par des tensions commerciales. Tout semble indiquer que celles-ci exercent une influence grandissante sur l’évolution des relations internationales, en particulier depuis l’effondrement du système bipolaire et la disparition de la menace soviétique. Pour faire face à la multiplication des conflits commerciaux, les Etats-unis et l’Union européenne ont mis en place des dispositifs appropriés dans le cadre de leurs diplomaties économiques. Mais avant d’aborder ces dispositifs, il faut étudier, dans un premier temps, les caractéristiques des conflits commerciaux.
La typologie des conflits commerciaux
La prolifération spectaculaire des conflits dans les relations commerciales internationales est une des conséquences de la mondialisation économique. En effet l’explosion des échanges internationaux ne peut qu’accentuer les oppositions entre Etats soucieux de protéger leurs intérêts liés à la circulation internationale des biens matériels et immatériels. Les causes de ces conflits sont multiples et leur gestion constitue uns des défis majeurs de la diplomatie commerciale multilatérale durant les premières décennies du XXIème siècle.
La plupart des conflits commerciaux internationaux trouvent leurs origines dans les problèmes liés à l’accès au marché, à la défense commerciale et aux pratiques jugées anti-concurrentielles :
Les conflits liés à l’accès au marché : L’accès des produits étrangers aux marchés nationaux se heurte aux obstacles d’ordre tarifaire et non tarifaire. Les obstacles tarifaires, fondées sur le recours aux droits de douane, sont des instruments traditionnels de protection des industries nationales. Il s’agit d’un impôt prélevé sur une marchandise importée lors de son passage à la frontière. La réduction considérable des droits de douane depuis 1948 a cependant fortement réduit le poids des obstacles tarifaires dans les relations commerciales internationales. De ce fait, ces obstacles n’occupent plus, dans les échanges entre les pays industriels, qu’une place marginale au sein de l’arsenal protectionniste.
Les obstacles non tarifaires, quant à eux, sont des mesures d’ordre public, autres que les droits de douane, dont l’effet est de freiner l’accès des produits d’origine étrangère sur un marché national.
L’arsenal de mesures protectionnistes non-tarifaires est particulièrement riche et diversifié. Il suffit d’avoir un peu d’imagination pour trouver les moyens les plus appropriés destinées à restreindre les importations ou à créer d’autres distorsions dans les échanges internationaux. Certaines organisations internationales ont relevé plus de 20 000 ONT.
Parmi les ONT les plus représentatifs, on peut notamment citer : les restrictions quantitatives unilatérales, les restrictions volontaires d’exportation (RVE) le recours abusif aux normes techniques, le harcèlement administratif, etc.
Les conflits liés à la défense commerciale : Les mesures de défense commerciale permettent aux Etats (ou groupement d’Etats) de se protéger contre les pratiques commerciales déloyales en vigueur dans les pays tiers ou de faire face à des situations exceptionnelles dues à l’ouverture des frontières.
Parmi les mesures de défense commerciales qui déclenchent le plus grand nombre de conflits figurent les sauvegardes, les droits anti-subvention et les droits anti-dumping.
Le dispositif des sauvegardes constitue « une soupape de sécurité nécessaire à la viabilité du multilatéralisme » et, à ce titre, il se trouve au cœur même du Système commercial international. Ce dispositif rassure les Etats commerçants en leur permettant de prendre, sous certaines conditions, des mesures de protection urgentes contre les importations qui désorganise leur marché et qui portent ou risquent de porter un dommage grave à leur production nationale de biens similaires. Mais les mesures de sauvegardes déclenche en même temps des réactions hostiles de la part les Etats qui en subissent les conséquences.
Les droits anti-subvention (compensateurs) désignent les droits spéciaux que perçoit l’Etat importateur en vue de neutraliser les effets de subventions accordées, selon lui, à la fabrication et à l’exportation d’un produit. En principe, les droits compensateurs devraient rétablir des conditions plus proches d’une concurrence normale. Dans la pratique, ils sont parfois utilisés comme une arme protectionniste particulièrement redoutable. On constate en effet que les pays importateurs ont tendance à appliquer systématiquement cette mesure à l’encontre des produits les plus compétitifs en provenance des pays les plus dynamiques.
Le concept des «droits anti-subvention » est donc directement lié à celui des subventions. Quel rôle revient-il aux pouvoirs publics dans le soutien des investissements et de la production? Cette question ne relève pas directement des relations commerciales internationales. En revanche, les subventions que l’Etat accorde aux exportations -avantages fiscaux et tarifaires, crédits d’exportation préférentiels, aide à la commercialisation, réduction des charges sociales… – constituent une des principales sources de conflits entre les nations commerçantes.
Les droits anti-dumping : Il y a dumping lorsqu’un produit fabriqué dans un pays est introduit sur le marché d’un autre pays à un prix inférieur à sa « valeur normale ». L’indicateur de la « valeur normale » du produit peut être, entre autres, son prix sur le marché intérieur du pays exportateur.
Pour neutraliser les effets du dumping, le pays importateur peut recourir au « droit antidumping ». Le montant de ce droit ne doit cependant pas dépasser la « marge de dumping », c’est à dire la différence entre le prix à l’exportation du produit en question et son prix sur le marché intérieur du pays exportateur. La recrudescence des conflits liés à dumping et à l’antidumping constitue aujourd’hui une des caractéristiques des relations commerciales internationales.
Les conflits liés aux pratiques anti-concurrentielles : Le « dumping » monétaire, le « dumping » social, le « dumping » écologique, le piratage et contrefaçon, la corruption et les pratiques anti-concurrentielles des entreprises créent des tensions de plus en plus importantes dans les relations commerciales internationales.
Le « dumping » monétaire consiste à manipuler l’instrument monétaire au service des objectifs commerciaux. Il s’agit d’une pratique ancienne. L’inexistence d’un système monétaire international digne de ce nom favorise cette pratique. La philosophie du système commercial international, dès sa naissance, était étroitement liée à celle de Bretton Woods, selon laquelle seul un régime de parités fixes peut assurer le développement du système multilatéral des échanges. L’abandon, au début des années 1970, du système de changes fixes au profit de changes flexibles des monnaies fortes a eu un impact considérable sur le mode de régulation de l’économie mondiale. Depuis les Accords de la Jamaïque (1976), la gestion concertée des taux de change est assurée, avant tout, par les autorités monétaires des grands pays industriels. Les accords Plazza du 22 septembre 1985, signé par les ministres des finances du Groupe des Cinq (Etats-Unis, Grande-Bretagne, RFA, Japon, France), et les Accords du Louvre du 22 février 1987, adoptés par les ministres du Groupe des sept (les cinq, plus l’Italie et le Canada) ont organisé une véritable coopération entre les banques centrales et les directions du Trésor des grandes puissances industrielles. Mais cette coopération peut difficilement remplacer le système de Bretton Woods.
Le « Dumping » social : Ce concept met en cause la concurrence, jugée déloyale, des pays dont la participation aux échanges internationaux ne s’accompagne pas d’un développement comparable des conditions sociales. Dans cette optique, la compétitivité des produits en provenance de certains pays émergents ne serait fondée que sur le très faible niveau des coûts salariaux essentiellement dû au non-respect des « normes sociales » : liberté syndicale pour les employeurs et les salariés, droit à la négociation collective, interdiction du travail des enfants, interdiction du travail forcée, etc. Au cours des dernières négociations commerciales internationales, les Américains, soutenus par certains pays industriels dont la France, ont demandé l’introduction d’ « une clause sociale » dans le système commercial international. Cette proposition consisterait à adopter des mesures commerciales sanctionnant les violations des normes d’emploi.
Le « Dumping » écologique : Les entreprises qui n’intègrent pas les coûts environnementaux dans leurs activités productives peuvent offrir des biens plus compétitifs. En arrivant sur les marchés internationaux, ces biens entrent en concurrence avec ceux fabriqués par des entreprises qui, elles, ne peuvent pas ignorer les considérations environnementales et en subissent donc les contraintes financières. Dénonçant ce « dumping écologique », certains groupent d’influence préconisent l’introduction d’une « clause environnementale » dans le système commercial international. I s’agit d’appliquer des sanctions commerciales aux Etats dont les coûts environnementaux n’ont pas été intégrés dans les activités exportatrices. Dans cette optique, seuls les biens dont la production serait conforme à certains critères d’ordre écologique pourraient se voir attribuer des « écolabels » leur permettant de bénéficier des avantages du système commercial international.
Piratage et contrefaçon : I s’agit de la transgression des droits de la propriété intellectuelle(DPI). Les droits de la propriété intellectuelle sont des règles protégeant les idées nouvelles et les activités créatrices. Ils définissent les droits exclusifs relatifs à la diffusion et à la commercialisation des techniques et des produits nouveaux, et prévoient des sanctions à l’encontre de leur utilisation frauduleuse (contrefaçon ou piratage). Parallèlement, la transgression des DPI a pris des dimensions alarmantes. Les transactions portant sur des produits contrefaits sont estimées à environ 5% du commerce mondial. La contrefaçon des logiciels coûterait chaque année plusieurs dizaines de milliards de dollars à l’industrie informatique dans le monde.
La corruption : La corruption dans les transactions internationales constitue une entrave à la concurrence, provoque des distorsions dans les échanges et nuit aux consommateurs ainsi qu’aux contribuables.
Pratiques anti-concurrentielles des entreprises : Le champ d’intervention du système commercial internationale ne s’étend qu’aux relations inter-étatiques. Il ne couvre donc pas les pratiques des entreprises privées qui, elles, mettent de plus en plus en cause la libéralisation des échanges commerciaux en dressant des obstacles privés se substituant aux obstacles tarifaires et non tarifaires d’ordre public. Les vagues successives de fusion- acquisition et l’accélération du processus de concentration des entreprises à l’échelle universelle favorisent le recours aux pratiques anti-concurrentielles échappant aux disciplines nationales et régionales. Dans ces conditions la concurrence se trouve restreinte, les prix sont augmentés et les marchés sont répartis, sur la base des ententes illicites, au détriment des consommateurs. Parmi les pratiques anti-concurrentielles, les échanges intra-firmes occupent une place de choix. Malgré leur poids grandissant dans les échanges internationaux, les entreprises multinationales échappent pour l’essentiel aux règles du commerce international. En effet, une partie importante des échanges (plus de 30%)est composée de flux intra-firmes s’effectuant entre la maison mère d’une FTN et ses filiales, ou entre celles-ci. Soumis à des jeux de sous-facturation et de surfacturation, ces flux « intra-FTN », obéissent à des règles fort différentes des principes habituels de l’offre et de la demande.
Les conflits commerciaux d’origine géopolitique : Plusieurs conflits commerciaux dépassent la sphère commerciale proprement dite. La « guerre des oléoducs » dans la zone caspienne ou les tensions économiques liées à l’adoption des lois extraterritoriales américaines sont d’origine géopolitique.
Cette liste (non exhaustive) des sources de conflits commerciaux internationaux ne reflète pas fidèlement l’éventail des tensions qui secouent les relations transatlantiques. Dans certains domaines (Droits de la propriété intellectuelle, « dumping social »), l’Europe et les Etats-unis ont des positions identiques, en particulier face aux pays en développement. En revanche, la défense commerciale et les conflits d’origine géopolitique divisent sérieusement les deux puissances.
Union européenne et Etats-unis :
Les ressorts de la diplomatie commerciale
La diplomatie commerciale d’un Etat est un des volets les plus importants de sa diplomatie économique, celle-ci étant «la recherche d’objectifs économiques par des moyens diplomatiques, qu’ils s’appuient ou non sur des instruments économiques pour y parvenir ».
Les Etats-unis ont jeté, durant ces dernières décennies, les fondements d’une véritable diplomatie commerciale offensive. L’Union européenne, quant à elle, de mettre en place des dispositifs capable de défendre ses intérêts commerciaux.
Les Etats-unis : une diplomatie commerciale offensive : la diplomatie commerciale américaine se manifeste sous quatre aspects :
-Multilatéralisme : Les Américains demeurent très attachés au maintien du Système commercial international. Grande puissance commerçante, l’Amérique a certainement intérêt à dresser des barrières efficaces contre le renforcement du protectionnisme. Les Etats-Unis ont été les véritables instigateurs de l’Uruguay Round, bien qu’ils se soient opposés, jusqu’aux dernières semaines des négociations, à la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qu’ils considéraient comme un « fardeau inutile ». Et lorsque la mise en place de la nouvelle organisation est devenue inévitable, ils firent pression pour nommer celle-ci « Organisation mondiale du commerce » et non « Organisation multilatérale du commerce », « dénomination couramment utilisée à Genève, lors des travaux préparatoires, mais que les Américains rejetaient, car dirigée trop ostensiblement contre leurs tendances bilatérales voire unilatérales.(2)
-Bilatéralisme : Le succès de l’Uruguay Round et la naissance de l’OMC n’ont pas apaisé les tentations « bilatéralistes » des Etats-Unis. Ces derniers appliquent la politique qualifiée de « flux commerciaux gérés », fondée sur la conclusion des accords bilatéraux fixant des objectifs quantitatifs dans les échanges commerciaux entre deux pays ( par exemple les négociations bilatérales avec le Japon ou la Chine).
-Unilatéralisme : Il s’agit en particulier de recours excessif de l’Administration américaine aux procédures de la section 301 de la législation sur le commerce extérieur des Etats-Unis. Ce dispositif autorise la maison blanche à mettre en œuvre des mesures de rétorsion contre les pays dont les pratiques commerciales, jugées « déloyales », freineraient les exportations américaines. Cet « unilatéralisme agressif’ ont conduit certains pays -Corée du sud, Brésil…- à accroître l’importation des produits américains au détriment des autres fournisseurs. Cette procédure « est la traduction brutale, dans la sphère du commerce international, de la loi du plus fort. En excluant toute tentative de conciliation des intérêts en présence pour résoudre un conflit commercial, la section 301 a pour vocation d’imposer des rétorsions commerciales en dehors de tout contrôle multilatéral. Cette procédure contribue donc à déstabiliser le système commercial multilatéral en contournant la procédure de règlement des différends et la recherche de solutions négociées entre des partenaires commerciaux égaux en droit. » (3) -Régionalisme : L’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), entré en vigueur en janvier 1995, est considéré comme le riposte des Etats-Unis aux changements des rapports de force à l’échelle internationale, notamment ceux liés à progression de la construction européenne et à l’intégration des économies asiatiques.
La diplomatie commerciale européenne : La construction européenne constitue indubitablement une des tendances lourdes de l’économie mondiale. L’étendue et la puissance du marché européen, la qualité de sa population active, sa vitalité scientifique et technologique, le rayonnement de ses cultures, sa place prépondérante dans les échanges internationaux, l’attraction qu’elle exerce sur les zones avoisinantes…, autant d’éléments qui expliquent la place imposante de l’Union européenne(UE) dans le devenir économique de notre planète. Certains prospectivistes -notamment aux Etats-Unis et au Japon- considèrent même que l’U.E. sera la puissance économique dominante du XXIème siècle. Cet enthousiasme contraste étrangement avec les grandes incertitudes pesant sur la construction européenne dans la phase actuelle de son évolution. En effet l’U.E. semble s’adapter difficilement aux grandes turbulences de l’après-guerre froide. Ses équilibres internes, fondés dans une large mesure sur l’axe Bonn-Paris, commencent à subir les effets de la réunification allemande. Le conflit entre la logique fédérale et la logique confédérale tend à s’éterniser. Son élargissement inéluctable risque d’accentuer sa déstabilisation. Les nouvelles relations qu’elle veut établir avec le « Tiers monde » sont loin d’être fondées sur des orientations bien précises… Au cours des négociations d’Uruguay, la diplomatie commerciale européenne semblait souvent à la traîne. Première puissance exportatrice du monde, la Communauté européenne avait certes intérêt au bon déroulement du cycle dont l’objectif officiel était le renforcement des règles commerciales internationales. Cependant, les principaux thèmes de négociations – agriculture, services, propriété intellectuelle…- étaient définis, d’entrée de jeu, par les Américains. Le dossier agricole, en particulier, visait à mettre sur la sellette le problème des subventions communautaires. Dans ce domaine crucial, la croisade américaine contre la politique agricole commune (PAC) a progressivement poussé l’Europe dans une position défensive. La diplomatie communautaire donnait souvent une impression de faiblesse, et paraissait mener un combat d’arrière-garde pour refuser toute réforme de la PAC, vieille de trente ans. Cette réforme intervenue finalement le 21 mai 1992, fut interprétée, par une large partie de l’opinion publique internationale, comme «une reculade » face aux pressions internationales. Durant les grandes réunions commerciales internationales tenues ultérieurement (en particulier les différentes conférences ministérielles de l’OMC, dont notamment celle de Seattle en 1999), l’Europe n’a pas réussi à reprendre l’initiative.
A l’instar de la section 301 de la législation sur le commerce extérieur des Etats-unis, la Communauté européenne a mis en place, en 1984, le « nouvel instrument de politique commerciale » (MPC). Cet instrument devait permettre à la Communauté de lutter contre les pratiques commerciales illicites des Etats tiers. Il fut cependant peu utilisé, notamment en raison des désaccords au sein de la Communauté européenne. Le MPC fut remplacé, en 1994, par le ROC (Règlement sur les obstacles au commerce). Il donne à la Commission « des pouvoirs inquisitoriaux de contrôle et d’enquête sur les obstacles au commerce, y compris ceux trouvant leur source dans des pays tiers ». Il faut cependant préciser que le ROC « se démarque radicalement des instruments de politique commerciale permettant d’imposer unilatéralement des mesures de rétorsions commerciales en dehors des procédures multilatérales de l’OMC » ;(4)
Les principaux champs de conflits
L’échec de la troisième conférence ministérielle de l’OMC à Seattle (30 novembre à 3 décembre 1999) était essentiellement dû aux mésententes entre les Américains et les Européens, en particulier dans le domaine agricole. Les Européens veulent préserver la « spécificité » agricole, tandis que les américains, eux, considèrent l’agriculture comme « un secteur parmi d’autres ». Certes, l’Union européenne a accepté en 1992 la réforme de la PAC (politique agricole commune) et la réduction progressive des subventions à l’exportation. Mais elle refuse l’élimination totale de ces subventions. Les Européens ne sont pas hostiles à la libéralisation du commerce des produits agricoles, à condition cependant que cette libéralisation ne menace pas la « multifonctionnalité » de l’agriculture (ses fonctions de protection de l’environnement, préservation de l’emploi rural et de production des denrées alimentaires de qualité).
La « guerre de la banane », elle aussi, a envenimé sérieusement les relations commerciales euro-américaines. En 1997, l’Organe de règlement des différends de l’OMC a condamné l’Union européenne à modifier l’organisation de son marché de la banane, qui privilégiait les importations de banane en provenance de ses anciennes colonies, au détriment des firmes américaines implantées dans cinq pays de l’Amérique latine. Face aux tergiversations de Bruxelles, les Américains ont pris de sanctions sévères contre les importations en provenance de l’Europe.
L’ORD a également condamné les mesures prises par l’Union européenne interdisant l’importation de la viande du « bœuf aux hormones » en provenance des Etats-Unis. Pour « punir » l’attitude européenne concernant ce dossier (comme celui de la banane) les Américains ont mis en place un dispositif de sanctions commerciales « tournantes » qui consiste à renouveler tous les six mois la liste des produits sanctionnés. Ce système, baptisé le « carrousel », conduit à exercer une pression plus importante sur l’ensemble de l’économie européenne.
Quant à l’Union européenne, elle a menacé, en septembre 2000, de recourir à l’Organe de règlement des différends de l’OMC si les Etats-unis ne supprimaient pas les avantages fiscaux qu’ils consentent à leurs entreprises exportatrices. Il s’agit du régime des Foreign Sales Corporations (FSC) qui permet aux entreprises américaines d’alléger leur charge fiscale en mettant en place des filiales fantômes dans les paradis fiscaux (la Barbade, les Iles vierges…).Il s’agit, selon l’Union européenne, de subventions à l’exportation offerte aux sociétés américaines. L’Union européenne estime qu’en 1999, le montant de ces subventions déguisées s’est élevé à quatre milliards de dollars.
L’Union européenne condamne aussi vigoureusement les lois extraterritoriales américaines : il s’agit de la loi Helms-Burton du 12 mars 1996 (qui s’applique aux entreprises investissant à Cuba) et de la loi d’Amato-kennedy du 5 août 1996 (concernant les entreprises investissant dans le secteur gazier et pétrolier en Iran et en Libye. Ces lois «imposent aux Etats des législations qu’ils n’ont ni choisi ni accepté… » Elles méconnaissent les dispositions du droit international public, mais elles « contreviennent aussi aux règles multilatérales de l’OMC, lesquelles condamnent les restrictions de toutes sortes à la liberté des échanges. » Dans la plainte qu’elle a déposée devant l’OMC, l’Union européenne « estime notamment que l’ensemble de ces mesures est incompatible avec le GATT de 1994. (5).
Ces conflits, et bien d’autres, ont empoisonné les relations commerciales entre les Etats-unis et l’Union européenne. Ils ont également mis à rude épreuve le système de règlement des différends de l’OMC. Il faut cependant préciser que ce système n’a pas réussi à mettre fin aux pratiques Commerciales unilatérales des Etats. Le mécanisme de règlement des différends est un élément essentiel pour assurer la sécurité et la prévisibilité du système commercial multilatélatéral. Les membres de l’OMC s’engagent à ne pas agir de manière unilatérale lorsqu’ils considèrent que les règles commerciales avaient été enfreintes. Cet engagement visait à limiter l’usage de mesures unilatérales, notamment de la part des Etats-Unis à travers la Section 301 du Trade Act de 1974. Les Etats-Unis considèrent cependant que l’application de mesures unilatérales au titre de la Section 301 reste toujours possible dans nombre de secteurs qui ne sont pas ou peu affectés par les obligations découlant de l’OMC. Cette position ne peut qu’affaiblir le système. L’unilatéralisme américain on le sait, se manifeste également dans les lois à caractère extra-territorial des Etats-unis. Dans ces deux domaines, l’OMC n’a toujours pas pris des sanctions à l’encontre des Etats-unis et constate avec impuissance l’inefficacité de son dispositif.
Notes
CARRON DE LA CARRIERE (Guy), La diplomatie économique : le diplomate et le marché, Economica, 1998, P. 28.
PACE (Virgile), L’Organisation mondiale du commerce et le renforcement de la règlementation juridique des échanges commerciaux internationaux,
L’Harmattan, 2000, P. 131
PANTZ (Dominique), Institutions et politiques commerciales internationales : du GATT à l’OMC, Armand Colin, 1998, P. 59.
, P. 178
PACE (Virgile), Op. Cit., P. 142-143.