L’ACCORD DE COMMERCE ET DE COOPÉRATION IRAN – UE Intérêts et limites

Thierry COVILLE

L’idÉE CENTRALE de cette intervention est qu’il est important pour l’Union euro­péenne (UE) de définir un cadre pour établir des relations de long terme avec l’Iran et mener une politique moins « réactive » avec ce pays. Définir une véritable politi­que iranienne de l’UE implique également une réflexion approfondie sur ce qui se passe actuellement en Iran afin de définir la politique la plus efficace possible.

En décembre 2002, la Commission européenne a lancé les négociations pour un accord de commerce et de coopération avec l’Iran, en parallèle avec les négocia­tions sur le dialogue politique et la lutte contre le terrorisme. Elles devaient aboutir au premier accord contractuel UE-Iran et paver le chemin pour des relations éco­nomiques et politiques plus profondes. Ces accords devaient être conclu et entrer en vigueur en paquet, car ils sont interdépendants et indissociables.

Les objectifs de cet Accord de Commerce et de coopération (ACC) étaient :

  • l’établissement d’un régime contractuel pour gérer le commerce UE-Iran, suivant les règles de l’Organisation mondiale du commerce OMC tels que le traitement de la nation la plus favorisée, le traitement national, la non-discrimination et la définition d’un niveau de protection tarifaire ;
  • le soutien de l’Iran dans son adaptation aux règles de l’OMC ;
  • le développement d’une coopération plus étroite dans ses domaines com­me l’énergie, le transport, l’environnement, le contrôle des drogues, l’asile, la culture, la migration et les réfugiés ;
  • encourager et soutenir la réforme, renforcer l’état de droit et améliorer le respect des droits de l’homme.

Ces négociations se sont rrêtées en juin 2003 à cause de la crise du nucléaire. Ces négociations ont repris suite à l’initiative des Européens (Allemagne, France, Royaume-Uni) de proposer une aide économique si l’Iran arrêtait ses opérations d’enrichissement de l’uranium. Les négociations liées à l’ACC ont donc repris en 2005. Puis, suite à la reprise de l’enrichissement de l’uranium, elles ont été de nou­veau suspendues à l’automne 2005.

On rappellera tout d’abord que l’UE est le premier partenaire commercial de l’Iran avec une part de son marché de 40 %. Par ailleurs, il est inutile de rappeler l’importance de l’Iran pour l’UE en tant que pays possédant d’immenses réserves énergétiques.

Par ailleurs, afin de savoir quel peut être l’impact d’un tel accord sur les systèmes politique et économique iraniens, il est important de bien comprendre la complexi­té des liens entre ouverture politique et économique en Iran. L’Iran, contrairement à ce que clament certains en Iran, n’est pas la Chine. Il est sans doute impossible de découpler libéralisation politique et économique en Iran car une partie de la société demande aussi une ouverture politique. Il existe une autonomie de l’évolution de la société et de ses revendications politiques par rapport aux évolutions économiques. Par exemple, ce n’est pas parce que la situation économique va s’améliorer qu’un certain nombre de demandes d’ouverture politique vont disparaître. Par contre, il est aussi possible qu’une aggravation de la crise sociale actuelle contribue à fragiliser encore plus la classe moyenne et l’empêche de jouer un véritable rôle politique. En outre, il n’existe pas en Iran un parti unique capable de gérer politiquement cette transition. En fait, la situation iranienne se rapproche plus de la Russie dans le sens où une ouverture économique « tronquée » peut s’accompagner d’un statut quo politique. En fait, du fait des caractéristiques d’une économie pétrolière, il existe de nombreux groupes rentiers en Iran proches du pouvoir qui veulent maintenir la situation politique actuelle. Ces derniers se satisferont très certainement d’une libéralisation économique de façade qui n’affecte pas leurs rentes. Il est d’ailleurs fort probable que la situation financière actuelle de l’Iran, très favorable, encourage ce type de comportement. Mais il appartient aussi de prendre en compte le fait que, comme en Russie, une ouverture économique trop rapide pourrait contribuer à une destruction complète de l’économie iranienne et de ses institutions et pourrait conduire à un dangereux vide politique.

L’Accord de Commerce et de Coopération Iran — UE Intérêts et limites

Quelles implications pour l’ACC avec l’Iran ? Il ne faut pas surestimer l’efficaci­té d’instrument tel que cet ACC pour influencer la situation politique et sociale en Iran. On voit bien que, depuis la révolution, les grandes évolutions du régime ont été fondamentalement liées à des évolutions politiques internes et à une dynamique sociale et il semble que les actions européennes aient eu bien peu d’effet dans ce domaine. De même, un tel accord ne sera pas efficace si il n’y a pas de volonté po­litique en Iran pour ouvrir le système économique. Ceci impliquerait notamment de mettre fin au « populisme économique » en vigueur actuellement. Autrement, on aura une libéralisation économique de façade. Cela ne signifie pas que de tels ac­cords sont inutiles. Si il y a une véritable volonté politique de libéraliser l’économie iranienne, un ACC permettrait d’accompagner ce mouvement. La mise en place d’un ACC permettrait de donner un cadre à la libéralisation du commerce extérieur iranien. Or, l’ouverture du commerce extérieur est un élément indispensable de tout programme de libéralisation d’une économie pétrolière. Par ailleurs, la mise en place de groupes de travail Iran-UE permettrait des échanges fructueux quant aux différentes expériences européennes en matière de libéralisation économique. Par contre, les spécificités de la situation iranienne font que les accords de libre-échange tels qu’il ont été négociés entre l’Union européenne et les pays du Maghreb ne sont sans doute pas adaptés et pourraient conduire à des crises très déstabilisatrices.

Plus généralement, last but not least, tout ce qui peut renforcer l’évolution de la société iranienne et notamment le rôle économique des classes moyennes, devrait être un des objectifs de la politique de l’UE. L’évolution de la société iranienne est l’élément qui a conduit à l’ouverture économique et politique de la fin des années 2000. Toutes les politiques qui permettent de renforcer le rôle économique (et donc politique) des classes moyennes porteront leurs fruits à terme. Il existe par exemple en Iran une nouvelle génération d’entrepreneurs du secteur privé en Iran qui joue­ront un rôle croissant en cas d’ouverture progressive de l’économie iranienne. A ce propos, on peut sans doute penser qu’il est aussi dommage qu’il n’y ait pas plus de programmes de formation proposés par l’UE à l’Iran. Il existe actuellement une énorme demande de formations en Iran à la fois pour des doctorats mais surtout pour des formations professionnelles pour tous ceux qui ne peuvent pas rentrer à l’université. Et il faut savoir à ce sujet que de nombreuses universités américaines installées dans les pays limitrophes de l’Iran proposent actuellement des diplômes supérieures de management à des prix très élevés et sans que le niveau de ces diplô­mes soit certifié.

Il est évident que le problème du nucléaire iranien est le dossier qui pèse actuel­lement sur les relations irano-européennes. Mais on peut aussi penser que la politi­que iranienne de l’UE devrait plutôt aider à intégrer le plus possible l’Iran dans le système économique et politique international. D’ailleurs, on peut estimer qu’une politique visant à du tout (un accord économique) ou rien (pas d’accord) est à écarter dans le cas de l’Iran. On peut d’ailleurs se demander si il existe une véritable équité dans les choix européens de négocier des ACC avec les pays méditerranéens et du Moyen-Orient quand on constate que des accords de libre-échange ont été signés avec l’Algérie et la Tunisie, que l’accord de libre-échange avec le Conseil de coopération du Golfe est en bonne voie. Vis-à-vis de l’Iran, il semble plutôt préférable de mettre en place une politique plus graduelle basée sur une série de programmes de coopération en place. Puis, il sera toujours possible de les amplifier ou de les restreindre si nécessaire.

* Economiste, Professeur à Negocia.

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