Par Jean-Antoine Duprat, ancien élu local et officier d’état-major honoraire, successivement conseiller auprès d’institutions nationales, de collectivités locales, professeur associé puis directeur adjoint de l’institut d’urbanisme et d’aménagement de la Sorbonne, délégué général de la revue scientifique européenne de géopolitique Outre-Terre.
PREMIER PANEL
Modérateur : Dr Ali RASTBEEN
COLLOQUE : LA SOCIÉTÉ CIVILE MOYEN ORIENTALE : UN REGARD EUROPÉEN
Actes du colloque
Le vendredi 15 janvier 2016
Organisation Internationale de la Francophonie
Jean-Antoine Duprat est l’auteur de plusieurs ouvrages et articles sur l’organisation territoriale, les institutions, la Ve République, la géopolitique :
Parler de la société civile au Moyen orient et de sa place dans les processus de démocratisation nécessite une approche systémique comparative à travers trois domaines : historique, organisationnel et fonctionnel.
D’un point de vue historique, la notion de société civile est liée à l’émergence de la démocratie, même si cette notion de société civile a ensuite évolué. La société civile, politiquement organisée, est définie par certains en opposition à l’état de nature par d’autres comme l’ensemble des citoyens organisés par des règles, des lois et une gouvernance politique. Il est du devoir de l’État de garantir au citoyen l’égalité devant le droit, la liberté, l’intégrité et la propriété (comme le précise la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789) sous le contrôle la société civile. Si l’État manque à ses obligations les citoyens composant la société civile, ont alors le droit de se rebeller. Pour Montesquieu, il faut différencier la sphère du politique de celle de la société citoyenne. Hegel fait la distinction entre l’État et la société civile incluant notamment des mouvements de revendication présents dans les sociétés modernes. Au XXe siècle l’expression va ainsi désigner des mouvements de contestation dans les systèmes totalitaires. Dans les pays démocratiques, elle recouvre des groupes de citoyens s’opposant à la présence excessive de l’État, dans certains domaines notamment économiques. Les dernières décennies ont vu la montée en puissance de la « société civile », en taille, en moyens, en influence, notamment sous l’effet de la mondialisation, du développement de la gouvernance démocratique, de l’essor des techniques d’information, de l’intégration économique des personnes morales, en particulier des organisations non gouvernementales.
Si la société civile, selon les paradigmes occidentaux, a joué un rôle déterminant dans le processus de remplacement du système communiste, les pays devenus indépendants ayant redécouvert leur identité, à travers leur histoire, leur culture, la religion, qu’en est-il dans les États du Moyen orient sortis du jeu bipolaire de la guerre froide ? La plupart des pays du Moyen orient se caractérisent historiquement par une organisation fondée sur des traditions familiales, claniques, sur le communautarisme religieux qui ne saurait se limiter à l’islam dans ses différentes sensibilités.Parmi les éléments favorisant le développement fonctionnel de la société civile au Moyen orient, il faut mentionner, sans toutefois hiérarchiser ces phénomènes les uns par rapport aux autres : la généralisation de l’instruction, l’émancipation des femmes, la laïcisation, le développement des échanges et la libéralisation économique. Si les pouvoirs centraux tentent de canaliser ces évolutions ils n’ont pas les moyens de contrôler ces multiples organismes. L’émergence des sociétés civiles au Moyen orient, selon les paradigmes des démocraties occidentales, apparait d’abord comme le produit d’un activisme social intense favorisé par le fait que les pouvoirs centraux laissent de nombreux secteurs de la protection sociale ou de l’éducation à ces organisations de la société civile tolérées car elles servent d’amortisseur social dans un contexte économique souvent difficile. Les problèmes se posent avec les mouvements islamistes intégristes qui aspirent à prendre de contrôle des États en asservissant la société civile. Le positionnement des ONG occidentales par rapport et aux sociétés civiles locales peut aussi créer des difficultés. Au Moyen orient, le groupe, dominant est celui des pays où la société civile, même structurée, n’a que peu de libertés ; c’est le cas des monarchies sunnites : l’Arabie Saoudite, même si elle se positionne pour des raisons géostratégiques dans le camp occidental et, à un moindre degré, des émirats ; dans l’Iran chiite le rôle de la société civile s’accroit régulièrement. Dans les autres pays moyen-orientaux constitutionnellement plus proches des modèles occidentaux la société civile à une place importante ; c’est le cas en Israël, en Palestine, au Liban, en Turquie ou encore en Jordanie, même si des réserves peuvent être faite, notamment en raison de rivalités souvent fortes, inter ou intra-communautaires, et de situations conflictuelles latentes. Pour l’avenir, quatre facteurs majeurs vont certainement contribuer à renforcer le rôle de la société civile dans les processus de démocratisation au Moyen orient : le poids des acteurs économiques, les aspirations des jeunes, l’émancipation des femmes et de la circulation de l’information.