La politique allemande dans le processus de reconstruction en Afghanistan

Oliver SCHULZ

Avril 2006

Lors de la conférence internationale sur l’Afghanistan le 31 janvier 2006 à Londres, l’ancien ministre afghan Ramasan Bachardost, qui avait démissionné en 2004 après une controverse sur le rôle des Organisations non gouvernementales en Afghanistan, a affirmé que l’aide financière internationale n’aurait aucun sens si on ne changeait pas de personnel dans le gouvernement afghan ainsi que dans les ONG actives dans le pays. Selon l’ancien ministre, les milliards dépensés pour l’Afghanistan n’avaient pas du tout amélioré la situation de la population afghane. Bachardost a motivé sa revendication d’un changement profond dans le gouvernement afghan en affirmant que « tous les ministres et les collaborateurs du gouvernement avaient perdu leur légitimité. »1

Comment faut-il interpréter cette opinion d’un ancien acteur politique sur les activités de la communauté internationale en Afghanistan dont les hommes politiques occidentaux continuent à faire l’éloge malgré toutes les difficultés évidentes dans ce processus de transformation difficile ? Même si on veut interpréter le commentaire de Bachardost élu député avec une majorité écrasante après sa démission, comme élément rhétorique d’une stratégie électorale, il fait quand même allusion à un problème fondamental dans les relations internationales contemporaines. Il s’agit de savoir à quel point des acteurs externes peuvent créer de la stabilité dans un contexte post­conflit, surtout quand il s’agit d’un « Etat décomposé » (failed state). Autrement dit : quelle est la stratégie qui doit suivre une intervention militaire afin de gagner la paix après avoir gagné une guerre ? Cette question concerne le passage d’une stratégie d’intervention par laquelle on impose un cessez-le-feu aux parties contendantes (peace-making) à une stratégie à long terme qui vise à la consolidation de la paix (peace-keeping) ainsi qu’à l’établissement de structures étatiques et d’institutions stables. Bref, il s’agit de définir la stratégie qui est fréquemment évoquée par les diplomates et les hommes politiques sous l’étiquette de nation-building.2

La recherche a souligné les différents types de difficultés et de problèmes qui se posent pour la stabilisation et la reconstruction de pays dans une situation post-conflit.3 Faut-il par exemple attacher plus d’importance à l’établissement et au respect d’un Etat de droit ou faut-il dès le début procéder à un processus de démocratisation dans des contextes géographiques, sociaux et culturels variés où la démocratie occidentale paraît comme un concept importé ?4 Et comment peut-on combiner la présence militaire, la prévention de conflit et la politique de développement dans une stratégie de stabilisation à long terme ?5

L’Afghanistan est un exemple particulièrement intéressant pour discuter les différentes stratégies de stabilisation et le rôle que les pays impliqués dans ce processus de reconstruction peuvent jouer. Les problèmes fondamentaux du processus de reconstruction sont encore renforcés par les spécificités afghanes. Une vingtaine d’années de guerre civile et le règne des Talibans (1996-2001) ont causé des dégâts considérables, ils ont détruit l’Etat afghan et entraîné la fragmentation totale de sa société multiethnique. Et cet ensemble de problèmes est rendu encore plus compliqué par la valeur géostratégique de l’Afghanistan entre les zones d’intérêt et d’influences de différentes puissances qui était la raison de multiples interventions extérieures dans l’histoire du pays.6 Le présent article a l’intention d’aborder ce processus de reconstruction difficile en Afghanistan en étudiant le rôle d’un pays impliqué dans ce processus. Il s’agit de l’Allemagne, que Kofi Annan a caractérisée comme « parrain du processus de reconstruction ».7 Outre les troupes envoyées dans le cadre des opérations de l’OTAN, quelle est la conception allemande pour l’avenir de l’Afghanistan et quelle est la contribution concrète à l’effort de la communauté internationale ? Pour conclure cette discussion, on peut également aborder la question si la contribution allemande reflète un renouveau de la tradition de la pensée géopolitique allemande sur l’Asie centrale, d’autant plus que cette dimension historique est souvent évoquée par des acteurs allemands et des Afghans.8

Les différents acteurs allemands impliqués dans le processus de reconstruction

Le nouveau Ministre fédéral des Affaires étrangères dans le gouvernement CDU-SPD (la grande coalition), Frank-Walter Steinmeier (SPD), a confirmé le 31 janvier 2006 lors de la conférence internationale sur l’Afghanistan à Londres que la politique du nouveau gouvernement allemand en Afghanistan ne changerait pas avec le nouveau gouvernement allemand. Par ailleurs, le gouvernement CDU-SPD à Berlin a l’intention de continuer la contribution allemande au processusde stabilisation et de reconstruction en Afghanistan entamé par le gouvernement précédent sous le chancelier Gerhard Schrôder (SPD) et son ministre des Affaires étrangères, Joschka Fischer (Verts).9

Pour arriver au but de la stabilisation, le gouvernement allemand a une vision très large des problèmes en Afghanistan, et sa stratégie combine le processus politique avec la présence militaire et l’aide au développement. En partant d’une notion de sécurité au sens large, « reconstruction » et « stabilisation » ne sont pas synonymes de présence militaire prolongée, mais visent différents segments de la société afghane. Puisque les élections afghanes de 2005 sont interprétées par la communauté internationale comme fin du « processusde Bonn », c’est-à-dire du processus défini lors de la conférence du Petersberg en 2001, l’engagement international en Afghanistan entre dans une nouvelle phase avec une plus grande responsabilité des Afghans, qui disposent maintenant d’une constitution, d’un Président ainsi que d’un parlement élu par le peuple afghan.10

L’approche « pluridisciplinaire » de la politique allemande en Afghanistan est reflétée par différents acteurs allemands actifs sur le terrain. Aussi la coordination de la contribution allemande n’est-elle pas limitée aux Affaires étrangères ou à la Défense, mais est garantie par une multitude d’acteurs, même si le Ministère fédéral des Affaires étrangères (Auswârtiges Amt, AA) reste bien sûr très important en tant qu’acteur qui définit la politique allemande. Quand on regarde les différents projets du Ministère des Affaires étrangères allemand on ne reconnaît pas seulement la multitude d’aspects en Afghanistan qu’une stratégie de stabilisation doit aborder, mais aussi la conception de sécurité large. Un domaine classique dans le processus de stabilisation surveillé par le ministère des Affaires étrangères est la création de la police afghane. L’Allemagne y joue un rôle prépondérant et contribue à la reconstruction de l’académie de police, qui a formé 3.300 policiers depuis 2002, ainsi qu’à la formation d’une police frontalière afghane comme élément dans une stratégie de sécurité régionale. Entre 2002 et 2005, le gouvernement allemand a ainsi contribué à peu près 70 millions d’Euros à la création de la police afghane.11

Un autre domaine que l’Allemagne soutient financièrement est la politique culturelle, et à peu près un tiers du budget du ministère des Affaires étrangères pour l’Afghanistan est dépensé pour l’éducation et la culture. Pour 2006, on prévoit 9 millions d’Euros seulement pour ces deux domaines. Le gouvernement allemand n’a pas seulement ouvert un Goethe-Institut à Kaboul le 22 septembre 2003 qui propose des cours d’allemand, mais poursuit également des programmes de coopération avec les universités afghanes. Dans ce domaine-là, on peut renouer avec les échanges entre des universités allemandes et l’Université de Kaboul avant l’intervention soviétique en Afghanistan.12 Dans le cadre des échanges universitaires organisés par le Service allemand d’échanges académiques (Deutscher Akademischer Austauschdienst, DAAD), 170 enseignants afghans ont déjà profité d’un séjour dans une université allemande, et le DAAD envoie des enseignants allemands à l’Université de Kaboul. Un autre élément important dans ce secteur est la création de médias afghans qui est assurée par un programme du ministère des Affaires étrangères en coopération avec des ONG et la station de radio et de télévision allemande Deutsche Welle. Elle est la seule station de radio et de télévision étrangère qui présente à la télévision afghane un bloc d’informations dans les deux langues officielles de l’Afghanistan, le dari et le pachtou. Un autre élément important dans la politique d’éducation est un programme qui soutient des femmes dans les zones tribales des Pachtouns. Ce programme a pour objet de rendre possible l’accès de femmes à l’éducation, l’emploi et au service de santé. Ce programme reflète une approche qui se rend compte de la diversité ethnique et culturelle en Afghanistan même. En appuyant particulièrement la position des femmes dans les zones tribales des Pachtouns, ce programme s’adresse à un groupe qui était particulièrement concerné par la politique discriminatoire des Taliban. Le gouvernement allemand s’investit notamment dans l’éducation universitaire de femmes à Kandahar et a construit un foyer d’étudiantes dans cette ville.13

Dans le domaine de la politique culturelle en Afghanistan, le ministère des Affaires étrangères soutient financièrement la préservation et la restauration des vestiges historiques et culturels en Afghanistan. Ce programme est organisé en coopération avec l’Institut archéologique allemand (Deutsches Archâologisches Institut, DAI), le Conseil international pour la préservation de monuments (ICOMOS), l’Aga Khan Trust for Culture (AKTC) et l’UNESCO. Dans le cadre de ce programme, on ne veut pas seulement restaurer les jardins de Babour à Kaboul du XVIe siècle, mais aussi conserver les restes des statues bouddhistes de Bamiyan que les Taliban avaient détruites en mars 2001.14 Le ministère des Affaires étrangères finance en outre des projets qui se trouvent près des Centres régionaux de reconstruction (Provincial Reconstruction Teams, PRT à Faizabad et Kunduz dirigés par l’Allemagne. Ainsi, le ministère a financé la construction de deux écoles à Faizabad et a également contribué au financement d’un nouvel hôpital à Kunduz.15 Et finalement, le ministère des Affaires étrangères est impliqué dans l’aide humanitaire classique. Après les inondations dans le Nord de l’Afghanistan en juin 2005, la population concernée était approvisionnée avec de l’eau potable ainsi que des vêtements et des vivres. Pour stabiliser le pays, il est jugé important de déminer systématiquement le sol qui est toujours largement contaminé de mines et de munitions. Cette mesure contribuera à l’augmentation de terres cultivables et ainsi au développement de l’agriculture afghane.16

Le développement de l’agriculture renvoie à une autre composante importante dans la politique de stabilisation et de reconstruction en Afghanistan. En effet, le développement économique de l’Afghanistan est une composante essentielle de ce processus. La domination de l’agriculture par des chefs de guerre locaux a entravé la mise en valeur de ce secteur de l’économie souhaité par la communauté internationale. La monoculture de coquelicots imposée aux paysans afghans par les chefs de guerre ne prive pas seulement l’agriculture afghane de ses perspectives mais atteint également l’influence du gouvernement afghan à Kaboul. En fait, les chefs de guerre se financent par la culture de coquelicots et la production de l’opium vendu sur le marché de drogues international et assurent ainsi leurs ressources et leur pouvoir local. Une politique qui brise cette structure économique dans les provinces afghanes peut donc contribuer à la consolidation d’Hamid Karzai, et la reconstruction économique devient ainsi une composante essentielle pour l’établissement de structures étatiques avec une autorité centrale à Kaboul qui est respectée dans toutes les régions du pays.17

Cette politique de mise en valeur du potentiel économique de l’Afghanistan que le gouvernement allemand poursuit, s’inscrit dans le programme sur lequel la conférence de Londres s’est mise d’accord dans le deuxième plan quinquennal. Ce plan « Bonn 2 » prévoit une aide financière de 60 milliards de dollars et se concentrera surtout sur une stratégie qui remplira le cadre établi par « Bonn 1 » par des institutions stables, créera une base solide pour l’économie afghane et fera respecter les droits de l’homme. Et l’aide économique ne doit pas seulement contribuer à faire respecter le nouveau régime politique afghan, mais bien sûr aussi améliorer le niveau de vie de la population dans les provinces afghanes.18

Dans le domaine de l’économie et de l’infrastructure, on perçoit des acteurs allemands autres que le ministère fédéral des Affaires étrangères. C’est surtout le ministère fédéral de Coopération économique et de Développement (BMZ) qui poursuit des projets avec la Société allemande de coopération technique (Deutsche Gesellschaft fur technische Zusammenarbeit, GTZ), avec le Service allemand de développement (Deutscher Entwicklungsdienst, DED), le Centre pour la migration et le développement internationaux (Centrum fur internationale Migration und Entwicklung, CIM) et la banque de développement allemande KfW. Pour gérer les différents projets, la GTZ dispose d’un bureau à Kaboul depuis 2002.19 Les priorités du ministère de Coopération économique et de Développement (BMZ) se concentrent autour de quatre axes qui visent à un développement durable de l’économie en passant par toute une série de mesures infrastructurelles. Le BMZ, qui contribue à peu près 50 millions d’Euros des 80 millions d’Euros que l’Allemagne dépensera chaque année en Afghanistan jusqu’en 2008, se concentre sur l’énergie, notamment les énergies renouvelables, l’approvisionnement des zones urbaines en eau potables, la création du cadre nécessaire pour une économie de marché et la formation scolaire de base. L’approche de ce ministère reflète encore fois la notion large de reconstruction et vise à l’établissement d’une société civile stable et une économie performante pour garantir la paix et la stabilité en Afghanistan.20

Le DED se concentre sur quatre secteurs de reconstruction. Outre la réforme économique et l’établissement d’une économie de marché, il s’agit de l’approvisionnement en eau potable et de l’assainissement des eaux usées, l’énergie ainsi que de la formation scolaire de base. Le DED, qui reprend les axes prioritaires du ministère fédéral de Coopération économique et de Développement, concentre ses activités sur le Nord-Est de l’Afghanistan où l’Allemagne gère les deux centres de reconstruction régionaux (PRT) à Kunduz et à Faizabad déjà mentionnés dans cet article.21

La banque de développement KfW, qui était active sur place après la chute des Talibans, a procuré plus de 100 millions d’Euros pour la reconstruction de l’Afghanistan entre 2002 et 2004. Ces sommes étaient prévues pour des projets qui étaient considérés comme la base de la démocratisation et de la paix stable. La KfW a entre autres reconstruit 42 écoles en Afghanistan ce qui signifie l’accès à l’éducation pour 60.000 enfants, ainsi que 14 hôpitaux, qui peuvent accueillir ensemble 6.000 patients par jour. Finalement, cette banque, qui travaille en étroite coopération avec les ministères à Berlin et les organismes sur place, s’est investie dans des mesures visant à améliorer l’infrastructure. Ainsi, la réparation de 140 km de routes et de rues à Kaboul ou l’installation de 500 lanternes à Kaboul, qui sont censées augmenter la sécurité à Kaboul pendant la nuit, ont été assurée par le soutien financier de KfW.22

La GTZ coopère également de manière étroite avec le ministère fédéral de Coopération économique et de Développement. Le directeur de la GTZ en Afghanistan, Hendrik Linneweber, a conclu un accord avec le ministre afghan de reconstruction et de développement, Mohammed Haneef Atmar, sur un projet dans le cadre du Programme de solidarité nationale (NSP) du gouvernement afghan. Dans le cadre de ce programme, qui sera poursuivi jusqu’au septembre 2006, la GTZ sera responsable de projets de développement et disposera de fonds en provenance de la Banque mondiale pour organiser le NSP. L’activité de la GTZ définie dans l’accord comprend la gestion de fonds versés par la Banque mondiale à des communes afghanes pour des projets à l’échelle locale.23

Un dernier acteur allemand qui veut contribuer au développement économique de l’Afghanistan est le ministère fédéral de l’Economie et du Travail. Le ministre dans le gouvernement Schrôder, Wolfgang Clement (SPD), a conclu un accord sur l’encouragement et la protection des investissements avec le ministre du Commerce afghan, Hedayat Amin Arsala, le 20 avril 2005. Cet accord était nécessaire pour protéger les investissements étrangers en Afghanistan et était donc une condition préalable pour que des entreprises allemandes puissent agir sur place. Il n’est pas étonnant de voir que le ministre afghan attache une grande importance à cet accord, qui est perçu comme continuation des échanges commerciaux entre les deux pays qui s’étaient déjà développés de manière positive les dernières années. Dans son commentaire, Wolfgang Clement a souligné encore une fois l’approche pluridisciplinaire de la politique allemande en Afghanistan en précisant qu’il espérait que cet accord inciterait les entreprises allemandes à investir davantage en Afghanistan et de contribuer ainsi à la stabilisation politique et économique du pays. L’économie est ainsi intégrée dans la stratégie globale après l’intervention militaire et devient intéressante pour l’intervenant lui-même, car la création de conditions favorables permettra aux entreprises allemandes d’ouvrir un nouveau marché.24

L’Afghanistan est-il un rêve eurasiatique allemand ?

Si on fait un résumé des activités allemandes dans le processus de stabilisation et de reconstruction en Afghanistan critiqué comme insuffisant par des acteurs afghans et des journalistes occidentaux on peut se demander encore une fois pourquoi un pays comme l’Allemagne assume un rôle si important dans cette stratégie. Cette politique relève-t-elle d’une nouvelle ambition de la politique étrangère allemande ou d’une approche « normalisée » dans un pays qui n’est plus ou qui est moins hanté par son passé ? L’Afghanistan est-il de nouveau le rêve eurasiatique des penseurs géopolitiques allemands ? Même si on évoque parfois les liens historiques entre l’Allemagne et l’Afghanistan, comme par exemple le séjour de la première délégation allemande à Kaboul en 1915 qui avait pour but d’étudier les possibilités de porter la révolution dans la colonie britannique de l’Inde, la politique de reconstruction entamée par le gouvernement de Gerhard Schrôder à partir de la chute des Talibans et continuée par le nouveau gouvernement n’a rien en commun avec ces intérêts géopolitiques du passé. La contribution actuelle de l’Allemagne correspond plutôt au rôle que la R.F.A. jouait dans le contexte de la Guerre Froide en Afghanistan quand la coopération germano-afghane complétait la politique américaine en Asie centrale. En plus, la communauté internationale peut profiter de cette expérience allemande de la Guerre Froide, car beaucoup d’Afghans dans le milieu politique avaient participé à ces programmes d’échange. En confiant la responsabilité de la mission en Afghanistan à la politique allemande, les autres pays impliqués dans la stabilisation et la reconstruction peuvent profiter de ces liens. Et il ne faut pas perdre de vue dans quel contexte international Schrôder avait décidé de s’engager à un tel degré en Asie centrale. La décision de s’opposer à la guerre d’Irak pour pouvoir gagner les élections en 2002 l’avait mis dans une position vis-à-vis de la politique américaine sans possibilité d’options. Pour renouer le dialogue avec Washington et pour faire oublier ses propos et ses discours lors de la campagne électorale, un engagement renforcé de l’Allemagne en Afghanistan était le prix que le chancelier a dû payer. Et en s’engageant en Afghanistan de manière considérable le gouvernement pouvait et peut éviter plus facilement les discussions sur l’envoi de troupes allemandes en Irak.25

 

Avant de conclure, il convient de revenir encore une fois à la tradition géopolitique allemande. Cela est important car le fait que cette tradition est bien vivante montre les limites de l’intervention en Afghanistan et de la politique de reconstruction. En effet, la pensée géopolitique allemande n’est pas vivante à Berlin, mais à Washington où elle a fortement influencé les conceptions réalistes de Kissinger ou néo-conservatrices de Wolfowitz et Perle. Et à ce point-là, on peut bien se demander si cette approche géostratégique, qui s’était avérée néfaste plusieurs fois au cours de l’histoire de l’Afghanistan et avait entraîné des interventions extérieures, pourra vraiment contribuer à la stabilisation et la reconstruction du pays qu’on souhaite officiellement. Autrement dit : comment peut-on vouloir stabiliser l’Afghanistan par l’exportation de la démocratie occidentale aujourd’hui, quand récemment encore, on n’avait pas seulement abandonné le pays, mais était même prêt à accepter le règne des Talibans pour atteindre cette même stabilité ?26

 

* Chercheur en Histoire contemporaine à l’Université de Heinrich Heine- Dusseldorf et Correspondant de Géostratégiques à Berlin- Allemagne.

Note

  1. « Ex-Minister hàlt Milliarden-Hilfe fur nutzlos», Spiegel Online, 31 janvier 2006,

http://www.spiegel.de/politik/ausland/0,1518,398358,00.html.

  1. Pour la stratégie de nation-building voir Mir A. Ferdowsi/Volker Matthies (éds.), Den Frieden gewinnen. Zur Konsolidierung von Friedensprozessen in Nachkriegsgesellschaften , Bonn, 2003. Voir aussi Richard N. Haass, The Use of American Military Force in the Post-Cold War

World, Washington DC, 1994, p. 61.

  1. Pour un bilan du débat voir Volker Perthes, « Wege zum zivilen Frieden. Nachkriegssituationen im Vergleich », in: Blàtter fur deutsche und internationale Politik, n° 4/2000, pp. 445-455.
  2. Joachim Fritz-Vannahme, « Die Lehren aus Bosnien. Wiederaufbau und Demokratisierung: Was der Westen auf dem Balkan und in Afghanistan falsch gemacht hat », Die Zeit, n° 17, 16 avril 2003, www.zeit.de/2003/17/Afghanistan?page=all.
  3. Pour des remarques générales voir Jochen Hippler, « Nationalstaaten aus der Retorte? Nation-Building zwischen militàrischer Intervention, Krisenpràvention und Entwicklungspolitik », in: Jochen Hippler (éd.), Nation-Building. Ein Schlusselkonzept fur friedliche Konfliktbearbeitung?

Bonn 2003, S. 245-270.

  1. Pour l’histoire récente de l’Afghanistan, l’avènement des Taliban et la politique américaine vis-à-vis de ce régime politique voir Ahmed Rashid, Militant Islam, oil & fundamentalism in Central Asia, New Haven/London 2000. Rashid montre très bien la valeur stratégique de l’Afghanistan dans les conceptions américaines ainsi que l’intérêt

 

économique du pays étant donné sa proximité géographique des réserves pétrolières de la Mer Caspienne. Cette composante stratégique s’était entre autres manifestée dans le projet américain de construire un oléoduc en Afghanistan avec l’assentiment du gouvernement des Taliban à l’époque.

  1. Pour l’implication militaire de l’Allemagne en Afghanistan, qui ne sera pas abordé dans cet article, voir Julien Thorel, « Les implications de l’Allemagne dans le processus de reconstruction en Afghanistan », Géostrategiques, n° 9/2005, pp. 59-76.
  2. Cette composante et la place de l’Afghanistan dans l’histoire de la pensée géopolitique allemande sont soulignées par Hans-Ulrich Seidt, « Eurasische Tràume? Afghanistan und die Kontinuitàtsfrage deutscher Geopolitik », Orient, n° 3/2004, pp. 423-442. Le rôle de l’Afghanistan dans la stratégie de l’Allemagne national-socialiste contre l’Empire britannique est étudié par Edgar Flacker, « Die deutsche Afghanistan-Politik im Zeichen des Hitler-Stalin-Paktes », Historische Mitteilungen,

n°1/1993, pp. 112-133.

  1. Namensartikel von BundesauBenminister Frank-Walter Steinmeier zu Afghanistan, Frankfurter Rundschau, http://www.auswaertiges-amt.de/www/de/ausgabe_archiv?archiv_id=8038. Voir aussi le résumé dans l’article « Geberkonferenz. Steinmeier sagt Afghanistan Hilfe zu », Frankfurter Rundschau, 31 janvier 2006, p. 7.
  2. « Rede von BundesauBenminister Steinmeier auf der internationalen Afghanistan-Konferenz in London, 31.01.2006 », http://www.auswaertiges-amt.de/www/de/ausgabe_ archiv?archiv_id=8041.
  3. « Deutsches Engagement beim Wiederaufbau der afghanischen Polizei. Januar 2006 »,

http://www.auswaertiges-amt.de/www/de/aussenpolitik/ friedenspolitik/afghanistan/polizeiaufbau_html.

  1. Voir Albrecht Metzger, « Lernen in Ruinen. Deutschland hilft beim

Aufbau der Universitàt Kabul », Die Zeit, n° 51/2002, http://www.zeit.de/2002/51/C-UniKabul?page=all.

 

  1. « Auswàrtige Kultur- und Bildungspolitik des Auswàrtigen Amtes in Afghanistan, Màrz 2004 »,

http://www.auswaertiges-amt.de/ www/de/ausenpolitik/ friedenspolitik/afghanistan/bildungspolitik_html.

  1. « Sicherung von Kulturdenkmàlern in Afghanistan, Mai 2005 », http://www.auswaertiges-amt.de/www/de/laenderinfos/laender/ laender_ausgabe_html?type_id=13&land_id=1.
  2. « Auswàrtiges Amt unterstutzt Bau von Schulgebàuden in Faisabad, Afghanistan »,

http://www.auswaertiges-amt.de/www/de/ausgabe_ archiv?archiv_id=6479;

« Auswàrtiges Amt unterstutzt Aufbau des neuen Provinzkrankenhauses in Kundus »,

http://www.auswaertiges-amt.de/www/de/ausgabe_archiv?archiv_id=6071.

  1. « Auswàrtiges Amt erhôht Nothilfe fur Afghanistan auf 3,15 Mio. Euro »,

http://www.auswaertiges-amt.de/www/ de/ausgabe_archiv?archiv_id=7338;

« Auswàrtiges Amt unterstutzt das humanitàre Minenràumen mit 2,76 Mio. Euro »,

http://www.auswaertiges-amt.de/www/de/ ausgabe_archiv?archiv_id=6894.

  1. Voir « Hilfe fur Kabul », Frankfurter Allgemeine Zeitung, n° 27, 1 février

2006.

  1. « Geberkonferenz. 20 Milliarden Dollar fur Afghanistan », Frankfurter Allgemeine Zeitung, n° 27, 1 février 2006.
  2. Pour les activités de la GTZ, qui reflètent les priorités du Ministère fédéral pour l’aide au développement et la coopération économique (BMZ), voir « Die GTZ in Afghanistan », http://www.gtz.de/de/weltweit/europa-kaukasus-zentralasien/670.htm.
  3. http://www.bmz.de/de/laender/partnerlaender/afghanistan/ zusammenarbeit.html.

 

  1. Pour les activités du DED voir « Afghanistan », http://www.ded.de/cipp/ded/custom/pub/content,lang,1/oid, 263/ ticket,g_u_e_s_t/~/Afghanistan.html.
  2. Pour les activités de la banque allemande KfW en Afghanistan voir http://www.kfw.de/DE_Home/Presse/press_result.jsp?pm_rubrik=all&pm _date=all&pm_free_text=afghanistan, 31 mars 2004.
  3. Voir « GroBauftrag fur die GTZ in Afghanistan », 15 décembre 2004, http//:gtz.de/presse/4420.htm.
  4. « Clement und afghanischer Handelsminister Arsala besiegeln Investitionsfôrderungs- und -schutzvertrag », 20 avril 2005, http://www.bmwi.de/Navigation/Presse/pressemitteilungen,did=62822.h

tml.

  1. Werner A. Perger, « Unsere Prioritàt ist Afghanistan. Die rot-grune Mehrheit fur den Einsatz der Bundeswehr in Zentralasien scheint sicher. In den Irak will noch keiner », Die Zeit, n° 34, 14 août 2003.
  2. Seidt souligne l’importance de penseurs géopolitiques telles que Fritz Kraemer, décédé le 8 décembre 2003 à Washington, en tant que conseillers de la politique étrangère américaine et continuateurs de la tradition géopolitique allemande aux Etats-Unis. Cf. Seidt, cit., pp. 436-437. Aux années 1990, un diplomate américain décrivait l’Afghanistan sous les Talibans et faisait une comparaison avec les relations entre les Etats-Unis et l’Arabie Saoudite des années 1920 : « The Taliban will probably develop like the Saudis did. There will be Aramco, pipelines, an emir, no parliament and lots of Sharia law.
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