La Croatie dans l’espace Schengen : les nouveaux défis géopolitiques et sécuritaires

Par Jure Georges Vujic, géopoliticien franco-croate, directeur de l’Institut de géopolitique et de recherches stratégiques de Zagreb, auteur de plusieurs livres et d’articles en philosophie, politologie et géopolitique publiés en France et en Croatie, chercheur associé de l’Académie de Géopolitique de Paris, membre du Conseil scientifique de la revue Géostratégiques de l’AGP.


Avec l’entrée de la Croatie dans l’espace Schengen au 1 janvier 2023, se dessine la nouvelle frontière extérieure de l’UE, sur un territoire chargé d’une histoire toujours prégnante, lequel avait jadis borné l’empire Romain et l’empire Ottoman, le monde chrétien et le monde musulman, l’Occident et le monde communiste, et qui devient aujourd’hui la limite de l’ espace de circulation et monétaire européen. Le tracé de cette nouvelle frontière qui sépare la Croatie de la la Bosnie-Herzégovine et la Serbie, qui passait jusque-là au nord du pays entre la Croatie, la Slovénie et la Hongrie désormais est déplacée au sud. En effet, cette nouvelle frontière extérieure de l’UE aura un impact certain dans le Nord et sur la Hongrie, qui déjà intégré la zone Schengen en 2008, n’a eu de cesse de renforcer ce qui est la frontière sud-est de cet espace européen. Ainsi, avec l’entrée de la Croatie dans l’espace Schengen, la Hongrie pourra alléger ses contrôles sur son flanc sud-ouest, alors que la Croatie s’assurera de la tâche de renforcer les frontières dans le Sud-est.

Au delà des bénéfices économiques et sécuritaires certains que retireront les 3,9 millions de citoyens croates de l’entrée dans la zone euro et dans l’espace Schengen (surtout dans le secteur touristique, la suppression des contrôles aux frontières devraient attirer davantage les touristes de l’UE), la Croatie se voit confier le rôle de gardien des „frontières extérieures européennes“, tâche difficile et complexe, sachant que la dite la frontière, longue de plus de 1 350 kilomètres avec la Bosnie-Herzégovine, le Monténégro et la Serbie, se trouve sur la route migratoire dite des Balkans occidentaux empruntée par les migrants, mais aussi par des trafiquants d’armes, de drogue et d’êtres humains. La Croatie a enregistré 30 000 migrants illégaux au cours des dix premiers mois de 2022, soit une augmentation de 150% par rapport à la même période de l’année précédente. En effet, alors que l’itinéraire de cette route suivi par 5 millions de réfugiés en 2015 devait tomber dans un relatif sommeil depuis 2016, depuis un an cette route s’est de nouveau réactivée avec 140 000 franchissements illégaux des frontières de janvier à novembre 2022, soit une augmentation de 152% par rapport à l’année précédente selon l’agence européenne Frontex. Ainsi la «route des Balkans» s’impose de nouveau comme la principale voie d’accès à l’Union européenne, loin devant les dangereuses traversées de la Méditerranée centrale.

Avec son adhésion à la zone euro et son intégration à l’espace Schengen, la Croatie a en quelque sorte achevé son processus d’intégration euro-atlantique depuis les années 1990, et depuis le 1er janvier elle pourra profiter pleinement des fruits de ce long chemin de transition et de « retour en Europe ». Mais mais ce parachèvement, loin d’inaugurer une „pause stratégique“, constitue au contraire l’occasion d’affirmer et de réadapter ses orientations géopolitiques et stratégiques traditionnelles aux nouveaux défis géopolitiques et sécuritaires au niveau régional et global.

Ainsi, l’entrée de la Croatie dans l’espace Schengen permet aussi dans un sens plus large, de valoriser et de mettre en exergue ses nombreuses potentialités géopolitiques polycentriques et surtout dans le contexte de la guerre en Ukraine, eu égard aux nombreux enjeux géopolitiques et sécuritaires dans le bassin du sud-est méditerranéen et la zone des Balkans occidentaux. D’autre part, l’entrée de la Croatie dans Schengen coïncide avec un tournant fondamental de la „bascule géopolitique“ européenne depuis le début de la guerre en Ukraine, qui correspond à une profonde redéfinition de l’Europe face aux menaces néo-impériales de la Russe, la vigueur de la résistance ukrainienne et la dynamique majeure de l’appui que lui a apporté l’Europe centrale et balto-scandinave.

La Croatie, un arc inhibiteur à la jonction d’arcs de tensions ?

La fin de la guerre froide et la chute du mur de Berlin, semblaient augurer non pas la fin de l’histoire (Francis Fukuyama) mais la fin de la guerre, les États tirants « les dividendes de la paix » dans un monde devenu unipolaire. Certes, depuis les années 1990 les conflits inter-étatiques de type westphalien ont reculé mais ils ont laissé la place à une multitude de conflits intra-étatiques embrasant des régions entières. Avec l’Europe balkanique, un arc de crise s’est dessiné à l’est de la ligne Baltique-Balkans, puis, hors d’Europe, une zone de déstabilisation s’est constituée au sud et à l’est de la Méditerranée jusqu’au Proche et au Moyen-Orient voire jusqu’au golfe Persique.

Avec l’essor des conflits asymétriques et l’hybridation accrue des conflits tels que la lutte contre les groupes armés et d’organisations terroristes, qui mêlent djihadisme et trafics criminels en tous genres, recouvrant les espaces transfrontaliers souvent mouvants et fluides, on constate une croissance de l’interdépendance des „zones de friction“ entre les diverses macro-régions instables situes dans l’espace des „Balkans eurasiens“ . Ainsi, tout le monde s’accorde à dire que le conflit Russo-Ukrainien depuis l’invasion russe dépasse de loin le seul territoire ukrainien et a déjà d’importantes répercussions géopolitiques, alimentaires, énergétiques et sécuritaires au niveau global, de sorte que l’on parle de „première guerre mondialisée“ . En effet, la plupart des phénomènes polémogènes émergents, de part leur nature, leur soudaineté, et leur caractère irréversible impose des changement de caps radicaux pour les pays ou régions qui y sont confrontés directement ou indirectement.

C’est à ce titre qu’il faut avoir à l’esprit, que la Croatie, appartenant à l »espace à la fois méditerranéen, centre-européen et du Sud est européen, dont la forme géographique est paradoxalement semblable à un arc, se situe de part son positionnement géopolitique dans la zone du Rimland, à la jonction de divers arcs de crises et de tensions interdépendants : frontalière de l’Europe du sud est balkanique, elle jouxte un arc de crise qui s’est progressivement dessiné à l’est de la ligne Baltique-Balkans, puis, hors d’Europe, vers une zone de déstabilisation s’est constituée au Sud et à l’Est de la Méditerranée jusqu’au Proche et au Moyen-Orient voire jusqu’au golfe Persique. Le territoire croate serait donc située à la périphérie d’un système mondial « d’arcs de crises » simultanées, qui des Balkans s’étend le long de la frontière russe, dans le Moyen-Orient et à travers la longue bande Saharo-Sahélienne. A la jonction de vastes zones de crises, orientées nord-sud ou est-ouest, et à l’intersection de longues lignes courbes que constituent les arcs méditerranéens, alpin, latin, mais aussi les « arcs de crises », la Croatie serait en mesure d’ atténuer ce déterminisme géographique conflictuel que lui dicte son environnement, en jouant la carte d’„arc inhibiteur“.

En effet, même si les pays des Balkans occidentaux bénéficient d’un indéniable ancrage européen et que les réformes initiées par l’Union Européenne pour la transformation de leur cadre légal-institutionnel ces vingt dernières années ont progressées, ils restent néanmoins fragilisés par le manque de fonctionnalité institutionnelle, la corruption, le déficit de culture politique démocratique et les influences parfois déstabilisatrices des puissances étrangères, qui tentent de s’implanter dans ce « ventre mou » de l’Europe et d’en tirer des opportunités géopolitiques ou économiques. En effet, l’invasion russe en Ukraine a suscité un regain d’intérêt » pour la région des „Balkans occidentaux“ où l’influence russe s’est avérée préoccupante. En effet, l’Occident redoute le scénario d’une „Transnistriesation“ ou d’une „Ossétisation„ de cet espace, ce qui attiserait les revendications nationalistes en chaine, sapant gravement l’équilibre d’après-guerre de la Bosnie-Herzégovine. L’influence de la Russie dans la région se fait sentir à travers des investissements financiers conséquents dans les secteurs-clés en Serbie, au Monténégro, en Bosnie-Herzégovine, mais aussi dans le secteur de médias, de sorte que la Russie pourrait chercher à exacerber les sentiments d’hostilité à l’égard de l’Occident, en particulier parmi les populations serbes et notamment au Kosovo, tout en renforçant les régimes partageants ses conceptions afin compromettre davantage toute perspective d’intégration euro-atlantique.

La Russie pourrait appuyer la transformation de la République serbe – l’entité à prédominance serbe de la Bosnie-Herzégovine constituant 49 % du territoire de la Bosnie-Herzégovine, en une « Transnistrie » dans les Balkans. Milorad Dodik, l’actuel membre serbe de la présidence de la Bosnie-Herzégovine, avait menacé de séparer la République serbe de la Bosnie-Herzégovine conformément à ses opinions sur le « monde serbe ». Une République serbe devenant une république séparatiste pro-russe de facto dans les Balkans occidentaux placerait ce pays « indépendant » aux frontières de deux membres de l’OTAN : la Croatie et le Monténégro.

Si dans le cadre des différentes approches géoculturelles, certains auteurs situent la position géographique de la Croatie dans une perspective géographique culturelle „duale“ et en terme de „seuil“ à cheval entre une Europe centrale et une Europe de l’Ouest, avec une extension méditerranéenne-adriatique, il n’en demeure pas moins que la Croatie contemporaine, en tant que membre de l’Union européenne et de l’OTAN dispose de sérieux avantages géopolitiques afin de jouer un rôle géopolitique bi-fonctionnel: à la fois, Etat gateway (porte d’entrée) et arc inhibiteur jouant le rôle d’ amortisseur et de stabilisation, en relation avec les „zones de frottements“ que constituent les territoires de ses voisins du Sud-Est. En effet, la Croatie étant depuis son adhésion à l’UE et à l’OTAN perçue comme „ la locomotive „de l’élargissement de l’UE aux autres pays non membres des Balkans Occidentaux, sa stabilité politique et macro-économique attractive pourrait jouer le rôle d’“amortisseur“ des facteurs potentiellement déstabilisateurs de son voisinage immédiat, en Bosnie Herzégovine, en Serbie, au Monténegro et au Kosovo. En effet, cette fonction stabilisatrice d’amortissement et d’inhibition-intégration s ‘illustre à travers la participation et le rôle actif de la Croatie à l’intérieur de structures et d’initiatives régionales dans le Sud-est européen tels que le processus Brdo-Brijuni, le Conseil de coopération régionale, le Processus de coopération dans l’Europe du Sud Est (SEECP) . Après avoir participé activement à tous les processus euroméditerrannéens (Processus de Barcelone (Partenariat Euromed), Union pour la Méditerrannée), La Croatie est devenue membre du EU-MED en septembre 2021, « Club méditerranéen » ou elle pourra influer sur les processus de la région et renforcer les relations bilatérales avec les autres pays autour de la région.

En tant que membre de l’UE et participant à deux stratégies macrorégionales, la République de Croatie représente un pont géopolitique naturel entre la stratégie de l’UE pour la région du Danube et la stratégie de l’UE pour la région adriatique et ionienne, dans le Sud est européen. Les principaux domaines de coopération pour la République de Croatie sont la sécurisation de l’approvisionnement énergétique, la résolution des problèmes de connectivité incomplète au sein des voies de transport (corridor Adriatique-Ionien) et le développement des ports et de l’arrière-pays rural, ce qui positionnera plus fortement la Croatie au sein de l’UE en tant que pôle énergétique et plaque tournante des transports. En outre, la Croatie soutient fermement l’EUSAIR en tant que catalyseur de la poursuite et de la revitalisation du processus d’élargissement et soutient la participation de tous les pays de la région à la stratégie macrorégionale.

Le renforcement de la coopération de la Croatie avec les pays de l’axe Baltique-Adriatique-Mer Noire est une condition préalable à l’augmentation de la croissance économique en Europe et au développement économique de la Croatie elle-même, qui devrait utiliser et évaluer de manière stratégique et inclusive sa position géopolitique de transit et intermédiaire et maximiser les échanges, les investissements, les infrastructures et les potentiels commerciaux. La Croatie s’est engagée à figurer parmi les pays „Gateway“ de la Méditerranée et d’Europe centrale les plus dynamiques, tendant à assurer une croissance et un développement économiques durables, à réduire le chômage et à fournir plus d’emplois, des normes sociales de plus en plus élevées à tous ses citoyens. La sortie du modèle de transition signifie pour la Croatie, en tant que membre de l’Union européenne, de s’affirmer comme un facteur de stabilité régionale et en tant que « décideur politique » qui influence activement l’élaboration des politiques européennes et son environnement immédiat. Par le biais de l’initiative Baltique-Adriatique-Mer Noire connue sous le vocable d’„initiative des trois mers“, la Croatie devrait assurer un positionnement géostratégique et économique plus efficace au sein de l’UE et faire face de nombreux défis et menaces mondiaux.

Levier d’intégration régionale

La dimension géopolitique méditerranéenne et surtout Adriatique de la Croatie, fait de cet espace une sorte d’“Arc intégrateur, “ par la dynamique de macro-régionalisation qui s’inscrit dans une dynamique plus générale d’européanisation spatiale, dans laquelle les dispositifs de coopération territoriale de l’UE et le rôle économique croissant des macro régions participent à la redéfinition transnationale des représentations, avec un rôle accru d’organisations régionales ‘macro’ interétatique. L’appartenance croate au littoral de la mer Adriatique qui sépare la péninsule italienne de la péninsule balkanique, constitue un puissant levier d’intégration régionale et de synergie inter-régionale entre l’ Arc méditerranéen et l’ Arc baltique. En effet, même si l’arc méditerranéen concerne la partie nord de la Méditerranée occidentale, l’Adriatique constitue son prolongement sud-Méditerranéen en s’étendant du canal d’Otrante (où elle rejoint la mer Ionienne) jusqu’aux villes de Venise et de Trieste et à l’embouchure du Pô (composantes fondamental de l’Arc méditerranéen), et englobant les pays côtiers sont l’Italie, la Slovénie, la Croatie, la Bosnie-Herzégovine, le Monténégro et l’Albanie, ainsi que la Grèce par l’île de Corfou. D’autre part, le développement de la coopération politique, économique, énergétique dans le cadre des nombreuses Euro-régions, et l’intégration régionale des pays d’Europe centrale avec l’initiative Baltique-Adriatique-Mer noire dans laquelle la Croatie joue un rôle important, permettrait à long long terme de faire la jonction via le littoral croate adriatique, entre la région danubo-pannonienne et l’arc baltique, (en tant espace de l’Union européenne qui s’étend de Hambourg à Helsinki dans l’espace occupé par ce qui fut la Hanse) et celle de l’arc Alpin.

Un nouveau rôle géoénergétique régional
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Les Balkans occidentaux, longtemps perçus comme un espace à forte potentialité conflictualité inter-ethnique et religieuse surtout depuis la guerre en ex-Yougoslavie, sont un espace géostratégique au cœur d’intérêts multiples divergents d’un point de vue politique, stratégique et militaire et d’un point de vue des infrastructures de communication et des ressources énergétiques entre les pays constituant les Balkans occidentaux et l’Union européenne et les puissances régionales comme la Russie, la Turquie, mais aussi la Chine et les États-Unis.

On se souvient combien l’“arme énergétique“ devait peser dans les rivalités géopolitiques entre la Russie et l’Occident et le tracé des gazoducs et oléoducs concurrents en Europe. La régulation sur la sécurité des approvisionnements gaziers fut une des conséquences de l’expérience d’une crise majeure dans plusieurs pays européens, suite à l’interruption de janvier 2009, pendant un hiver très froid. Ainsi, la période 1990-2014 se caractérise par une prolifération de projets concurrents et partiellement réalisés : gazoduc Jamal, passant par la Biélorussie et la Pologne (1997) ; Nord Stream, reliant la Russie directement à l’Allemagne (2012) ; Blue Stream, reliant la Russie à la Turquie (2003) ; le Bakou-Tbilissi-Erzurum, reliant l’Azerbaïdjan à la Turquie, en passant par la Géorgie et en contournant l’Arménie (2007); Nabucco (plus ITGI ou TAP) et South Stream, projets concurrents avec ou sans la Russie, et qui avaient comme objectif de transporter le gaz de l’Asie centrale vers l’Europe . La multitude de ces projets concurrents et leurs réalisations partielles démontrent le volonté de contourner l’Ukraine pour nombre d’entre eux, de faire face à une demande gazière européenne perçue comme croissante, de réduire la dépendance de Moscou.

Ainsi la question de l’approvisionnement et de l’indépendance énergétique de l’Europe est une des grandes préoccupations majeures des pays européens depuis le début des années 2000, et surtout depuis l’arrivée de V. Poutine au pouvoir. D’autre part, pour les Etats Unis, cela consistait dans la mesure du possible se soustraire de la dépendance de la Russie et donc éviter aux réseaux des hydrocarbures de traverser son territoire : ce fut la raison de l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan en Turquie ; pour d’autres – dont la Russie –, il fallait éviter de dépendre du territoire ukrainien pour exporter les hydrocarbures russes et d’Asie centrale : c’est la raison de la construction du North Stream par la Baltique pour approvisionner l’Allemagne directement. Enfin, cette question énergétique concerne aussi fortement la zone des Balkans occidentaux, les États de l’ex-Yougoslavie et l’Albanie se situant dans cette zone géoénergétique de transit, sur la route du corridor sud destiné à approvisionner l’Europe.

Avec la décision d’importer du gaz de l’Azerbaïdjan, et la réalisation du gazoduc IAP Ionien-Adriatique, la Croatie pourrait dans les années à venir approvisionner la Bosnie-Herzégovine en gaz et autres produits énergétiques. En effet, au de là de la dimension économique de ce projet, il convient de rappeler que la Croatie ayant toujours soutenu l’adhésion de la Bosnie Herzégovine à l’UE (mais aussi l’adhésion de La République de Macédoine du Nord), compte aussi sur la dimension stabilisatrice et intégrationnelle de cette interconnexion énergétique pou les „balkans occidentaux“. Le tracé prévu de l’IAP est long d’environ 520 km et traverse trois pays, la Croatie, l’Albanie et le Monténégro, et est relié à la Bosnie-Herzégovine . Le tracé du gazoduc comporte un grand nombre de tronçons sous-marins et de détours de zones protégées, et la complexité du tracé lui-même, ainsi que la coordination de quatre pays différents et de quatre opérateurs du système de transport de gaz, affectent la vitesse des activités et la réalisation du projet lui-même.

Le point de départ de l’IAP se situe dans la ville de Fieri en Albanie, et le tracé du gazoduc s’étendrait le long des côtes albanaises et monténégrines et se connecterait au système de transport de gaz existant en Croatie en Dugopolje. La connexion avec la Bosnie-Herzégovine est prévue via l’interconnexion sud de la Croatie et de la Bosnie-Herzégovine sur la route Zagvozd – Imotski – Posušje – Novi Travnik avec une branche à Mostar. La capacité prévue du gazoduc est de cinq milliards de mètres cubes de gaz naturel, dont un milliard de mètres cubes est prévu pour l’approvisionnement de la Bosnie-Herzégovine et de l’Albanie, un demi-milliard pour le Monténégro et deux milliards et demi de mètres cubes de gaz naturel pour Croatie et marchés environnants. Le projet, connu sous le nom de gazoduc Adriatique-Ionien, est à l’étude depuis 2012, mais à cette époque, la mise en œuvre n’avait pas commencé car le gaz russe était moins cher et la quantité de gaz azerbaïdjanais était limitée. Tout a changé cinq mois après l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

L’UE, qui importait jusqu’alors 40 % de son gaz de Russie, s’est tournée vers le gaz liquéfié des États-Unis, de Norvège, d’Algérie et d’Azerbaïdjan. Le gazoduc Adriatique-Ionien reliant la ville albanaise de Fieri à Split aurait une longueur de 511 kilomètres. La Croatie exporterait le gaz importé, ainsi qu’une partie de celui du terminal GNL de Krk, vers les pays de l’UE car ces quantités dépasseraient les besoins intérieurs des ménages et de l’industrie croates. La Croatie consoliderait alors sa position charnière géopolitique en constituant un maillon important de la sécurité et l’indépendance énergétique de l’UE, reliant l’Europe centrale et le Sud-est européen dans le cadre de l’Union énergétique.

Avec la guerre en Ukraine et l’effondrement des exportations de gaz de Russie, la Croatie s’est lancée dans une politique de développement et de diversification énergétique.

Alors que l’ensemble des pays européens ont été bouleversés par la crise énergétique la Croatie comme les autres Etats disposant d’une façade maritime, a su se transformer en un hub d’importation de (gaz naturel liquéfié GNL, passant du statut d’importateur a celui d’exportateur nette de gaz. Le terminal GNL de l’ile de Krk (terminal terminal flottant de regazéification de gaz naturel liquéfié) a été récemment reconfiguré afin de devenir un terminal d’importation de gaz naturel liquéfié (GNL) jouant un rôle stratégique dans la sécurité énergétique de la Croatie et de l’Europe centrale. Alors que les demandes se multiplient de Hongrie, Slovénie et d’autres pays européens, le réseau de gazoducs terrestres sera renforcé pour acheminer des quantités plus importantes de gaz. Ainsi alors que, les capacités du GNL de Krk sont réservées jusqu’en 2030, l’installation d’un un deuxième module de regazéification devrait permettre de doubler ses capacités d’importation à partir de 2024. La Croatie est ainsi partie prenante du changement de paradigme énergétique provoqué par la guerre en Ukraine et la nécessité de réduire la dépendance énergétique par rapport à la Russie, car les GNL projets (gaz naturel liquéfié)sont actuellement les plus convoités d’Europe, et l’Allemagne prépare dans cette direction des projets de terminaux méthaniers. Ainsi, la Croatie pourrait à long terme, en sa qualité de hub énergétique en gaz liquéfié constituer une pivot énergétique incontournable dans les réseaux géoénergétiques et d’infrastructures reliant l’espace entre les Trois mers reliant l’espace Adriatique à la Baltique.

Le port croate de Rijeka est situé sur une route de trafic stratégique de l’UE (corridor méditerranéen du RTE-T-réseau transeuropéen de transport) et se connecte à la route « Baltique-Adriatique ». En raison de son emplacement favorable, le port de Rijeka offre la liaison maritime la plus courte entre les pays d’Europe centrale et orientale et les pays d’outre-mer En tant que partie intégrante du réseau et du corridor de transport RTE-T, le port de Rijeka revêt une importance particulière pour les pays enclavés (landlocked countries- Hongrie, Autriche, Slovaquie, République tchèque, Serbie et Bosnie-Herzégovine) et se trouve dans une excellente position pour profiter de son emplacement. L’UE et la Croatie soutiennent stratégiquement et opérationnellement les investissements dans les infrastructures portuaires et ferroviaires qui augmentent la capacité de trafic de cette route et éliminent les goulets d’étranglement sur celle-ci. Ainsi, le port de Rijeka fait partie intégrante du cluster portuaire du nord de l’Adriatique avec les ports de Koper, Trieste, Venezia, Ravenna, Monfalcone et Chioggia.

Ce système portuaire répond aux besoins d’importation et d’exportation de la zone de gravitation, qui comprend l’Italie, la Suisse, l’Allemagne, l’Autriche, la Croatie, la Slovénie, la Bosnie-Herzégovine, la Serbie, la Hongrie, la Slovaquie, la République tchèque et la Pologne. Il convient d’autre part de rappeler que les ports du nord de l’Adriatique sont en concurrence avec de grands groupes de ports de la mer du Nord (Rotterdam, Amsterdam, Anvers, Gand, Hambourg et Brême), des ports de la Baltique (Rostock, Gdansk, Gdynia, Swinoujscie et Szczecin), des ports de la mer Noire (Constanta, Varna et Burgas), les ports du sud de l’Adriatique (Ploče, Bar et Durres) et ports de la mer Égée (Thessalonique et Le Pirée). De plus, la plus grande voie navigable européenne – le canal Rhin-Main-Danube – traverse cette zone de jonction stratégique. Pendant de nombreuses années, le port de Rijeka a été un port de transit important pour les pays de l’hinterland, principalement les pays d’Europe centrale, centrale et orientale.

Dans cette vaste zone, il cible stratégiquement deux groupes de pays dans le groupe des marchés prioritaires et secondaires, puis les marchés tiers et l’arrière-pays attractif plus large.

Par rapport à la mer du Nord, la route maritime nord-adriatique représente un grand avantage nautique pour le trafic de marchandises via le canal de Suez en direction du Moyen et de l’Extrême-Orient. Outre des délais plus courts et des coûts de transport réduits, la route nord de l’Adriatique contribue également à d’importantes économies d’émissions de CO2 . Les marchés qui n’utilisent pas le canal de Suez (route ouest ou Atlantique) utilisent également l’axe de trafic via le cluster nord de l’Adriatique, mais sont davantage orientés vers le cluster européen de la mer du Nord. L’UE prévoit de développer l’interconnexion de plusieurs tronçons de routes ferroviaires croates au réseau transeuropéen routier. Ainsi, la liaison Pula-Buzet-Divača-Trieste sera la première route internationale qui reliera l’Istrie à l’ouest par chemin de fer et ouvrira la possibilité d’une nouvelle revitalisation de la voie ferrée vers le reste de la Croatie.

D’autre part, la construction d’un nouveau tronçon ferroviaire Zagreb-Maribor-Graz, raccourcira considérablement le trajet de Zagreb à l’Autriche et permettra une meilleure fluidité du trafic pour nos entrepreneurs qui transportent des marchandises. Il est également prévu de connecter le port de Rijeka au corridor Baltique-Adriatique, ce qui ouvrira la possibilité d’étendre ses capacités. Ainsi parallèlement à son rôle de hub énergétique régional, la Croatie participe à l’intégration routière et portuaire de la région du Sud est européen avec la connexion de la Croatie au corridor des Balkans occidentaux, avec le positionnement géostratégique du port de Ploče comme une plateforme incontournable pour le transport de marchandises de la région. D’autre part, la Croatie s’est engage dans un processus de modernisation de réseau ferrovière avec la modernisation de la voie ferrée de Zagreb à l’extrême est de la Croatie, le prolongement du corridor méditerranéen de Rijeka à Split, qui relancera le réseau ferrovière de la région de Lika.

Le port de Rijeka jouit aussi d’un service maritime et intermodal de transport le reliant à l’Europe centrale et comprend la ligne maritime régulière Piareus – Rijeka Express Service (PRS Service) et un bloc de services ferroviaires coordonnés – réseau ferroviaire sur la ligne Rijeka – Budapest – Rijeka et Rijeka – Belgrade – Rijeka. D’autre part, des fonds européens supplémentaires destinés à la Croatie devraient servir pour modernisation du port maritime et de l’aéroport de Split, ainsi qu’une liaison ferroviaire directe Rijeka-Split avec l’Europe occidentale, via Zagreb à Graz.

Bibliographie

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Marc Foucher, La bataille des cartes : Analyse critique des visions du monde, Paris, François Bourin Editeur, 2011

Article, Joseph Krulic, La route des Balkans des réfugiés, dans revue Hommes et migrations, 1328 | 2020, Les réfugiés dans l’impasse, Le Point Sur,

Articles « espaces-transfrontaliers.org: Eurorégions » sur www.espaces-transfrontaliers.org ; « Coopérations territoriales transfrontalières, eurorégionsGéoconfluences » sur geoconfluences.ens-lyon.fr

Article « La guerre d’Ukraine n’est pas une guerre mondiale, c’est la première guerre mondialisée », analyse Bertrand Badie – Public Sénat (publicsenat.fr)

Article Philippe Dugot, « The Geography of Croatia », Sud-Ouest européen, mis en ligne le 24 mai 2019

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