Zalmaï HAQUANI
Professeur à l’Université de Caen Basse Normandie, ancien Ambassadeur d’Afghanistan en France (2002-2006)
2eme trimestre 2013
La longue histoire sans faille entre Le Japon et l’Afghanistan, l’estime réciproque des populations, et surtout la constance et la fidélité des relations, le caractère désintéressé de l’aide japonaise expliquent largement l’importance quantitative et l’efficacité qualitative de la contribution à la stabilité politique, à la souveraineté et à la reconstruction économique de l’Afghanistan d’aujourd’hui et de demain. Le Japon, à la différence de certains autres pays donateurs, a toujours déboursé les montants financiers annoncés, et encouragé la coopération internationale pour l’Afghanistan, non seulement avec ses partenaires privilégiés, mais également avec les pays qui ne font pas partie de ses relations prioritaires, tels l’Arabie Saoudite, l’Inde, l’Iran et le Pakistan.
La percée du japon[1] dans le Pacifique et en Asie n’est pas nouvelle : il s’agissait toujours pour lui d’une priorité incontestable mêlant paix et guerre en alternance durant plus d’un siècle, sans oublier bien entendu ses querelles avec les Russes, son appartenance à l’Axe et son alliance sans faille avec l’Allemagne nazie durant la seconde guerre mondiale dont la fin définitive sera précipitée par les deux bombardements atomiques américains sur Hiroshima et Nagasaki. Aujourd’hui, dans un contexte de mondialisation accélérée et de crise économique et financière éphémère ou durable, le Japon se présente comme pivot essentiel de la politique internationale dans la région.
Quant à ses relations avec l’Afghanistan, elles sont à la fois anciennes, fructueuses et fondées sur une amitié constante et permanente durant plus d’un siècle, excepté la période d’occupation soviétique et de conflits intestines des Moudjahidines afghans entre 1979 et 2001. Après les évènements de septembre 2001, le Japon sera partie prenante du règlement du conflit afghan avec son soutien politique des nouvelles Autorités et son aide économique significative jusqu’à nos jours.
Le passé et le présent des relations entre le Japon et l’Afghanistan restent sans nuage, en dépit des aléas qui ont pu affecter les deux pays séparément à des moments différents.
- Le passé sans nuage des relations entre le Japon et l’Afghanistan
Le début des relations entre les deux pays remonte au mois de janvier 1907 dans un contexte particulier : le célèbre dirigeant Afghan, vainqueur de la bataille de Maywand contre la présence et la tutelle anglaises en Afghanistan, Sardar AYUB KHAN est reçu avec faste au Japon, et n’hésite pas à accorder à celui-ci une aide financière symbolique[2] dans sa lutte contre la Russie. En 1914, le Roi Habibullah manifeste sa solidarité, suite aux deux tremblements de terre frappant le Japon. En juillet 1923, la Loya Jirga Assemblée populaire traditionnelle afghane, approuve l’établissement des relations diplomatiques entre les deux pays, ce qui sera chose faite en vertu d’un accord conclu entre eux. Le Japon est considéré comme un facteur de stabilité politique en Asie et un partenaire économique intéressant et fiable pour toute l’Asie centrale. Des produits industriels et semi-finis japonais, très compétitif à l’époque, envahissent les marchés locaux. En décembre 1927, lors de sa tournée européenne, le Roi Amanullah se rend à Londres à l’Ambassade du Japon, fait tout à fait exceptionnel, visite suivie de la signature, le 19 novembre 1930 à Londres, du premier traité d’amitié et de coopération, sous le règne du Roi Nadershah. Le premier Ministre plénipotentiaire japonais s’installe à Kaboul en 1935.
Dès 1932, le Japon reçoit des étudiants afghans dont deux joueront plus tard dans les années 1960 un rôle important : A. Hakim Ziai, ministre et premier Président de la Cour suprême, et Abdullah Yaftali, Vice-premier Ministre et Ministre des Finances.
Dans l’entre-deux-guerres, l’Afghanistan conserve ses bonnes relations avec l’Allemagne et le Japon, mais proclame sa neutralité durant le second conflit mondial, comme lors de la première guerre mondiale. Ces relations se normalisent progressivement après 1945.
Les Ambassades, fermées durant et en partie après la deuxième guerre mondiale, s’ouvrent à nouveau à Kaboul et à Tokyo en 1956. Le Roi Zaher Shah entame sa première visite d’Etat au Japon en 1969, et le Prince héritier japonais Akihito (Empereur actuel) est reçu dans les mêmes conditions à Kaboul en 1971. Le Japon continue ses bonnes relations sous le régime républicain de Daoud entre 1973 et 1978, mais seront réduites au minimum entre 1979 et 2001. Durant ces longues années, le Japon est impliqué utilement dans la réalisation des certains de développement en Afghanistan, et encore plus largement après septembre 2001. Le Japon, comme beaucoup d’autres pays, condamne les attaques terroristes du 11 septembre, et soutient l’action politique et militaire des Nations Unies et de la coalition internationale contre le régime des Talibans et Al-Qaida de Ben Laden. En matière économique, l’aide japonaise est très importante depuis 2002, au prix aussi, il faut le dire, de quelques sacrifices sur le terrain, suite à des prises d’otages et à d’autres opérations terroristes, alors que le Japon ne participe pas, conformément à sa Constitution, à des opérations militaires extérieures.
Le présent et le futur restent prometteurs pour les deux pays.
- Le présent et le futur prometteur des relations entre le Japon et l’Afghanistan
Le premier acte important du Japon est de soutenir l’action des Etats Unis et de la coalition internationale anti-terroriste aux Nations Unies et, au plan pratique, dans l’Océan indien après le 11 septembre 2001. Dans le cadre de l’action militaire, les autorités japonaises, en dépit des restrictions que la Constitution leur impose, adoptent des mesures spéciales anti-terroristes autorisant le déploiement de forces d’auto-défense japonaises de ravitaillement[3] dans la zone.
Le Japon désigne en 2002 Sadako Ogata, ancien Haut Commissaire des l’ONU pour le réfugiés, comme son Représentante spéciale pour l’Afghanistan. En janvier 2002[4], Tokyo accueille la première Conférence internationale pour la reconstruction de l’Afghanistan, et en février 2003 la seconde sur la consolidation de la paix, et la troisième sur la poursuite de l’aide à la reconstruction en juillet 2012.
Depuis lors, le Japon, en dépit de la crise économique et financière qui la frappera aussi plus tard, accorde à l’Afghanistan une aide très importante, un milliard de dollars dans un premier temps, et participe sous multiples formes en quatre phases entre 2002 et 2007, aux opérations de reconstruction et de développement du pays :
- Soutien des organismes des Nations Unies sur le terrain comme le HCR et l’UNICEF, aide aux opérations DDR (démobilisation, désarmement et réhabilitation) des combattants moudjahidines, prévues par le Accords de Bonn de décembre 2001, assistance à des localités difficiles d’accès.
- Aide aux opérations de déminage, la reconstruction et la réhabilitation des grands axes routiers, tels la route Kaboul-Kandahar et Kandahar-Spinboldak, et certains autres projets dans le nord autour de Mazar-é-Sharif, dans la région de Kaboul et au centre à Bamiyan[5]
- Aide à la consolidation de la paix : en particulier, Assistance à la société civile afin d’intégrer et de réhabiliter les anciens combattants, dont un grand nombre sont handicapés.
- Participation à des projets de développement agricole, d’irrigation et de développement local, au sud et au nord du pays, en coopération avec la FAO et le PAM, et à ceux du PNUD pour l’organisation d’élections et la bonne gouvernance.
Entre octobre 2000 et novembre 2010, l’aide japonaise s’élève à 2,49 milliards de dollars[6] pour soutenir la reconstruction et le nation-building en Afghanistan. En novembre 2009, le Gouvernement japonais annonce une aide supplémentaire de 5 milliards de dollars pour une période de cinq ans, c’est à dire jusqu’à 2014, avec une répartition ciblée dans des zones prioritaires identifiées par le Japon[7]. Dans son discours-programme de janvier 2011, le Premier Ministre, Naoto Kan a réitéré implicitement cette politique d’aide à l’Afghanistan, dans le cadre de la politique étrangère du Japon au XXIe siècle.
Il est à rappeler qu’en 2011, à la suite du tremblement de terre dévastateur qui a frappé le Japon, le Gouvernement afghan et la province de Kandahar offrent symboliquement une aide d’un million et de 250.000 dollars aux autorités nippones, lesquelles, comme les populations concernées, l’ont grandement appréciée.
Jusqu’à présent, le Japon, à la différence de certains autres pays donateurs, a toujours déboursé les montants financiers annoncés, et encouragé la coopération internationale pour l’Afghanistan, non seulement avec ses partenaires privilégiés, mais également avec les pays qui ne font pas partie de ses relations prioritaires, tels l’Arabie Saoudite, l’Inde, l’Iran et le Pakistan. La longue histoire sans faille entre les deux pays, l’estime réciproque des populations, et surtout la constance et la fidélité des relations, et le caractère désintéressé et de l’aide japonaise expliquent largement l’importance quantitative et l’efficacité qualitative de la contribution japonaise à la stabilité politique, à la souveraineté et à la reconstruction économique de l’Afghanistan d’aujourd’hui et de demain.
[1]L’auteur remercie très vivement le Professeur S. GHAUSSY, fin connaisseur du Japon pour les précieuses informations qu’il a bien voulu lui communiquer.
[2]D’un montant de 8000 livres.
[3]Cette participation militaire constitue bel et bien une rupture dans la position habituelle du Japon depui 1945, et contraste avec son attitude passive durant la première guerre du Golfe en 1991.
[4]En même temps que leur Ambassadeur, M. Komano, est chargé de coordonner les opérations d’assistance et d’aide à Kaboul.
[5]Bamiyan qui a connu en février 2001 la destruction, par les Talibans et Al-Qaïda, de ses deux Bouddhas géants creusés dans la montagne,
[6]Dont 1.42 milliards déjà effectivement déboursés en mars 2007, selon le Rapport publié en 2008 du Ministère japonais des Affaires étrangères.
[7]Dans un premier temps, cet engagement devrait aboutir à un déboursement de 1.04 milliards de dollars en 12 mois (novembre 2009-novembre 2010) répartis ainsi : 350 millions de dollars pour la sécurité, 150 millions pour DDR, 550 millions au titre du développement économique