Islam politique et globalisme. Vers une nouvelle tentation radicale de l’universel ?

Jure Georges Vujic

Géopoliticien et écrivain franco-croate

Résumé

L’islam politique de l’État islamique serait plutôt une re-théologisation du politique, une religion politique au sens que lui donne Emilio Gentile qui distingue de la « religion civile » (forme de sacralité dans un contexte pluraliste) la notion de « religion politique » fondée sur le monopole du pouvoir. Par « religion politique », il faut comprendre, en revanche, une sacralisation de la politique qui a un caractère exclusif et intégriste. Ainsi l’islamisme salafiste rigoriste du Califat impose l’observation de ses commandements coraniques et la participation au culte politico-religieux, sanctifie la violence comme arme légitime de lutte contre les ennemis des mécréants et, elle assume vis-à-vis des religions instituées traditionnelles une attitude hostile, visant à les éliminer, ou alors elle cherche à établir avec elles un rapport de cohabitation symbiotique, au sens où la religion politique cherche à incorporer la religion traditionnelle dans son propre système de croyances, en lui réservant une fonction subordonnée et auxiliaire. Ainsi, la destruction de la diversité dans le domaine de la religion et de la culture a généré un nouveau type de néofondamentalisme. Son succès s’explique par les conditions globalisantes fertiles pour l’avènement d’un tel phénomène,  parce que la mondialisation en tant que processus d’acculturation ne permet pas la coexistence et l’interdépendance de l’identité culturelle et historique.

 Summary

Political Islam of ISIS would rather be a re-theologization of politics, a political religion in the sense given to it by Emilio Gentile who distinguishes the notion of political « religion » based on « civil religion » (a form of sacredness in a pluralistic context) on the monopoly of power. By « political religion, » we must understand, on the other hand, a sacralization of politics which has an exclusive and fundamentalist character. Thus the rigorous Salafist Islamism of the Caliphate imposes the observance of its Coranic commands and participation in the politico-religious cult, sanctifies violence as a legitimate weapon of struggle against the enemies of the miscreants and assumes with respect to the religions instituted a  hostile attitude aimed at eliminating them, or seeks to establish a relationship of symbiotic cohabitation, in the sense that political religion seeks to incorporate traditional religion into its own belief system by reserving for it a subordinate and auxiliary. Thus, the destruction of diversity in the field of religion and culture has generated a new type of neofondamentalism. Its success is explained by the fertile globalizing conditions for the advent of such a phenomenon, because globalization as a process of acculturation does not allow the coexistence and interdependence of cultural and historical identity.

Islam politique ou religion politique ?

 D’une manière générale, on parle souvent d’islam politique pour qualifier Daech à la fois de courant religieux fondamentaliste rigide et intégriste dévelopant une stratégie de conquête violente à la fois révolutionnaire et conservatrice. Pourtant, Daech, de par son idéologie et ses buts stratégiques, n’a rien a voir avec l’islam politique classique et historique qui s’est cristalisé et affirmé après la seconde guerre mondiale dans le monde musulman et arabe sous l’égide du pan-arabisme et de l’islam révolutionnaire séculier. L’islam politique articulait alors un discours modernisateur, anti-colonial et émancipateur sur le plan social. Cet islam politique a été récupéré par les orientalistes au service du colonialisme britannique en Inde et a été repris tel quel par Al-Mawdûdî au Pakistan. Le Cheikh Abû Al-A`lâ Al-Mawdûdî fut le fondateur, en 1941, du parti Jamaat-i-islami. D’un autre côté, un islam politique d’émancipation a été élaboré par Mahmoud Muhammad Taha au Soudan, lequel a été le seul intellectuel musulman qui a essayé de développer l’élément de l’émancipation dans son interprétation de l’Islam, lequel a été condamné à mort en 1985 pour ses idées par les autorités de Khartoum. L’idéologie, les buts et la structure de Daech (État islamique) sont étrangers à cette forme laique et progressiste de l’Islam politique en tant que projet géopolitique et social révolutionnaire propre au Baasisme et au Nassérisme. L’islam politique du Califat serait plutôt une re-théologisation du politique, une religion politique au sens que lui donne Emilio Gentile qui distingue de  la « religion civile » (forme de sacralité dans un contexte pluraliste) la notion de « religion politique » fondée sur le monopole du pouvoir. Par « religion politique », il faut comprendre, en revanche, une sacralisation de la politique qui a un caractère exclusif et intégriste. Ainsi l’islamisme salafiste rigoriste du Califat impose l’observation de ses commandements coraniques et la participation au culte politico-religieux, sanctifie la violence comme arme légitime de lutte contre les ennemis des mécrèants et, il assume vis-à-vis des religions instituées traditionnelles une attitude hostile, visant à les éliminer, conformément aux preceptes coraniques. Sinon, il cherche à établir avec elles un rapport de cohabitation symbiotique, au sens où la religion politique cherche à incorporer la religion traditionnelle dans son propre système de croyances, en lui réservant une fonction subordonnée et auxiliaire.

La paternité du concept de religion politique, appliqué aux totalitarismes, est attribuée au philosophe autrichien Eric Voegelin qui, en 1938, a publié un essai intitulé Politische Religionen. En réalité, dès 1935, l’historien autrichien Karl Polanyi avait analysé la « tendance du national-socialisme à produire une religion politique ». Le principal élément commun de leurs interprétations était la connexion génétique entre les religions politiques et la modernité, la sécularisation, la société de masse, la pensée mythique. Tout comme le remarque Emilio Gentile[1], le problème de la religion politique contemporaine et la résurgence du l’islamisme radical, ne  concerne pas seulement le totalitarisme : il a acquis un caractère d’actualité à la suite des nouvelles manifestations de nationalisme religieux et de fondamentalisme théocratique qui ont suscité une vague de recherches et de réflexions sur les rapports entre religion et politique, entre sécularisation et sacralisation dans le monde contemporain, de la politisation de la religion à la « religionisation » de la politique. Le processus irréversible de « désenchantement du monde » de la modernité tardive avec une disparition progressive du sacré dans la société moderne ne s’est pas totalement consommé. En réalité, cela ne s’est pas produit. Au lieu de la disparition du sacré dans la vie publique, on a assisté à l’apparition dans les sociétés modernes, même les plus avancées, de nouvelles formes de sacralisation, indépendantes des religions traditionnelles. Le globalisme néolibéral dans sa marche en avant vers le progrès sans mesure ni limites, et la démesure technoscientifique apparaissent de plus en plus comme une nouvelle forme de religion séculière. Or, parallèlement, dans le sillage de la fin des grands récits de la modernité et de l’utopie iréniste de la fin des idéologies, est apparue une religion politique islamiste avec une tentation d’hégémonie universelle radicale et passatiste.

Le politologue Enzo Traverso[2] a eu le mérite de montrer l’inexactitude de la notion  d’« islamo-fascisme », très en vogue dans les milieux médiatiques, une catégorie générique qui ne peut s’appliquer à l’État islamique en tant que religion politique néo-fondamentaliste, même si ce groupe islamiste « manie les codes de l’impérialisme culturel occidental ». En effet, l’État islamique préconise un  retour en arrière en prétendant restaurer le califat en tant que parabole d’un « « ersatz aux utopies disparues », de sorte qu’il se différencie du fascisme classique qui était éminemment révolutionnaire, futuriste et laïque. A ce titre, Traverso constate que « l’islamo-fascisme est moins une radicalisation de l’Islam qu’une islamisation d’une radicalité aveugle et violente », alors que l’Islam radical néo-fondamentaliste ne s’inscrit guère dans le cadre des « “grands récits” émancipateurs » très différents l’un de l’autre : révolution sociale, rêve américain et panarabisme. Néanmoins, il voit se dessiner les contours d’un nouveau « post-fascisme » en réaction à « l’idéologie du marché (…) religion politique de notre temps ». A ce titre, il rejoint les prémonitions de Philippe Sollers[3] qui voit dans ce nouveau post-fascisme qui ne renie pas sa « tentation de purification psychique » un « contre-monde » face au « para-fascisme sournois, tourbillonnant et multicolore de la marchandise (liquidation en douceur par la loi du marché, le Spectacle, la dégradation de l’enseignement ». En effet, alors que l’Islam politique modernisant, nationaliste et pan-arabiste, est né dans la matrice coloniale, la religion politique de l’Islam néo-fondamentaliste  constitue un projet réactionnaire né dans le sillage de la globalisation triomphante des années 1980 et l’implosion du monde bipolaire des années 1990. Se sont développées parallèlement à la fin de la « révolution » en tant que « mélancolie de la gauche » contemporaine, et la consommation des fascismes historiques, dans le cadre d’une globalisation néolibérale vouée au culte du « présentisme », de nouvelles religions politiques qui apportent une « réponse régressive dans un monde désenchanté en panne d’utopies, qui se nourrit de promesses fantasmées d’un retour à un passé mythifié ».

Globalisation de l’Islam politique

 La globalisation du discours islamiste marque une tendance à vouloir devenir dominant, faisant de l’islam pur, un « anti-Occident », essentiellement inapte à la démocratie, la laïcité ou encore aux droits de l’Homme. Jacques Berque écrivait dans une perspective spirituelle et en comparaison avec le christianisme, que l’Islam est une religion de l’« immédiateté » et de la « globalité », « L’Islam est une religion du yusr, « libre cours », Immediacy and wholyness, disait le grand Iqbal pour caractériser le système. Deux termes que le français pourrait rendre par « immédiateté » et « globalité », si l’on osait risquer ces néologismes »[4]. Cette temporalité est une caractéristique spécifique du message islamique, à se transformer irréversiblement en un islam politique radical et global.

En effet cette mutation de l’islam religieux en Islam politique résulte d’une instrumentalisation réductrice du message spirituel, lorsque  l’invocation du référent religieux islamiste devient un principe explicatif global. C’est l’idée qu’il existe un lien direct et causal entre un corpus de normes et la pratique des Musulmans. Il s’agit ici d’une conception holiste symétriquement repris par les commentateurs « néo-orientalistes » en Occident et les islamistes, selon Roussillon[5], et qui constituerait le support de l’exceptionnalité musulmane, alors même que l’ensemble des observations sociologiques témoigne au contraire d’une dissolution de cette « totalité holistique ».

La mondialisation de l’Islam et sa déterritorialisation ont entraîné une dissociation croissante entre religion et culture, tant dans les milieux émigrés en Occident qu’au sein des sociétés musulmanes elles-mêmes. La norme islamique tend ainsi à devenir une formulation abstraite indépendante des stratégies des groupes qui s’en revendiquent. Elle se charge de sens et de contenu selon les contextes socio-économiques, les déterminations locales dans lesquelles les hommes l’enracinent. Ce processus favorise des situations paradoxales voire schizophrènes où ce sont les islamistes les plus radicaux, se réclamant d’une fidélité religieuse absolue, qui se retrouvent les plus influencés et intégrés dans les modes de vies occidentaux.

Une nouvelle anthropologie normativiste

L’islamisme radical en tant que religion politique constitue à proprement parler une idéologie néo-fondamentaliste, syncrétiste, « à la carte », d’ailleurs au même titre que le fondamentalisme néoprotestant évangéliste et sioniste chrétien millénariste, car elle permet sur la base d’une lecture décadentiste voir chiliastique et millénariste la reconstruction d’un Âge d’or mythique, lequel constitue, pour bon nombre de ses adeptes déracinés et socialement déclassés, un univers immanent où se cristallise le fait religieux uniquement sur une base rituelle et formelle, sur la base de l’auto-affirmation de leur être individuel, une vision égotiste hypermoderne, qui le plus souvent coïncide avec une pulsion de toute-puissance, démiurgique, et grégaire. La globalisation en tant que processus de déstructuration des liens sociaux et de nivellement économique à travers la forme marchande (on parle volontiers de fondamentalisme du marché) génère les conditions propre à l’incubation et la poussée de ces formes de néofondamentalisme : la déculturation, l’hyper-individualisation et la culture du narcissisme (C. Lash), la destruction des liens organiques familiaux et sociaux, un processus de « rupture-positivation-radicalisation » – le fait de considérer cette rupture comme positive. Les phénomènes de conversion et de radicalisation religieuses qui sont vérifiables chez des jeunes de seconde génération d’immigrants intégrés dans la société occidentale contemporaine, qu’on apparente souvent à une seconde naissance le fameux « born again muslim », correspondent le mieux à l’avènement d’une nouvelle anthropologie normativiste islamiste. Ce phénomène résulte de la conjonction de deux facteurs : l’hégémonie de la  globalisation marchande techno-scientiste en tant que « seconde religiosité » marchande occidentale (Spengler), d’une part, la fétichisation rigoriste scripturaire d’un système de normes de comportement, d’un  d’islam-code (Olivier Roy) coupée de référents culturels et de racines, globalisable, adaptable à toutes les formes et situations, du désert afghan à l’université américaine, de l’autre. Cette forme schizophrène de crispation fondamentaliste résulte de la rupture entre norme religieuse et norme juridique, entre norme religieuse et norme sociale, entre religion et territoire, alors que ces protagonistes le plus souvent sont en fait « tout autant produit qu’acteur de la déculturation moderne, souvent quiétiste, il peut néanmoins créer un terreau favorable à des actions violentes » selon Olivier Roy.

Terrorisme islamiste et société occidentale  post-mortem 

En raison de ses dimensions globales et asymétriques et des fréquences croissantes dans l’espace et le temps, le terrorisme djihadiste religieux est maintenant souvent considéré comme un risque pour la sécurité non seulement des sociétés transnationales puissantes et les entreprises, les services militaires et de sécurité, mais aussi comme un risque social particulier (et partiellement internalisé comme présentant un risque psychologique sous la forme de craintes latentes et phobies) de notre vie quotidienne et notre société, comme les risques et les menaces telles que les catastrophes environnementales et technologiques naturelles difficiles à ignorer et éviter. L’amplification médiatique du phénomène terroriste et le syndrome de sécurité qui touche tous les pays occidentaux, modifient de manière significative la perception individuelle et collective omniprésente de la menace terroriste au niveau mondial. Cette menace qui fait que tous les citoyens sont perçus comme des ennemis potentiels, des éléments subversifs ; la création d’une situation dans laquelle disparaît la division classique entre amis et ennemis (ce que Carl Schmitt appelle hostis / inimicus). Avec le renforcement  de l’arsenal juridique sécuritaire et de la guerre declarée au « Terrorisme »,  on assiste à un retour en force du modèle Hobbessien de la société « en état de guerre civile permanente « Homo Homini Lupus » qui remplace l’époque aristotélicienne du zoon politikon voire néokantienne de la paix universelle. C’est l’avènement de la « généralisation du doute », d’une conflictualité fluide  et insaisissable, d’un mélange d’anxiété et de besoin festif, qui justifie la mise en place des lois et des normes de sécurité spéciales et extraordinaires. Le terrorisme est devenu un virus mortel mondialisé, le risque imprévisible et toujours présent qui remet en question la perception sociale actuelle et la représentation de la mort. Plus précisément, parallèlement à la société techno-scientifique moderne cherchant à évacuer progressivement la mort de la culture sociale et sphère publique, les médias font état d’une violence terroriste subite et barbare et rudimentaire quotidienne. Ce qui bouleverse notre relation ambiguë à la mort dans sa dimension symbolique, ontologique et sociale. Avec cette amplification médiatique du terrorisme islamiste et la mobilisation commémorative pour les victimes du terrorisme, le terrorisme s’inscrit dans la nouvelle « société post-mortem » où la mort a été temporairement mise hors de la réalité sociale. L’acte terroriste imprévisible et choquant qui surgit de nulle part et frappe au centre de nos villes et nos maisons, devient une dimension sociale inhérente de notre sphère privée. C’est ce que U. Beck a écrit quand il a dit que nous vivons dans une « société du risque »[6]. Nous assistons à un « changement de régimes de catastrophe » après l’ère industrielle et des grands Incendies de Londres, Chicago, des accidents miniers etc., les actes terroristes sont aujourd’hui associés aux catastrophes environnementales, technologiques et biologiques (OGM etc.), lesquelles avec des dimensions spectaculaires et une grande intensité, concourent ā créer un climat d’incertitude et de l’imprévisibilité. L’idée de progrès continu sans risques devient un mythe du passé. Les catastrophes ont leur propre budget et de la comptabilité et de la bourse. Le terrorisme fait aujourd’hui parti du répertoire de la gestion des risques et de crise. Dans la comptabilité des « progrès », le positif est ce qui est permanent, statique et en toute transparence, et  alors que le « négatif » est calculée sur la base d’une discontinuité, et d’une vitesse incontrôlable. A cet égard, l’escalade incontrôlée terrorisme / lutte contre le terrorisme, le renforcement des mesures antiterroristes ouvrent la voie vers la psychose sociale collective alors que la tendance s’accroit d’un contrôle de la sphère privée, Internet, téléphone qui se transforment progressivement en un « totalitarisme du sûr ». Persister à soutenir la politique de « frontières ouvertes » sans contrôle des flux migratoires, et aussi demander le pays pour lutter efficacement contre le terrorisme islamiste interne reflète également le degré de schizophrénie, qui confine au masochisme. Le  radicalisme islamique est en fait secte simultanément régressive, pleine l’intolérance et de bigoteries, mais surtout une hérésie post-moderne qui attaque l’autorité des traditions et les cultures enracinées. Il a essayé, morceau par morceau, de recréer le glamour perdu du Califat fantasmé par une vision hypermoderne du temps passé. L’islam comme religion n’est pas phénomène unique, mais un fait pluriel et hétérogène. Au contraire, l’interprétation  exclusiviste et réductrice salafiste divise l’Islam en 73 sectes (le hadith des 73 sectes). Toutes ces sectes finiront en enfer, sauf une : les salafistes comme groupe sélectionné pour le paradis promis aux fidèles. Hamamdi Rediss[7] constate que le salafisme, le fondamentalisme et le réformisme appartiennent au même champ sémantique. En fait, cette forme religieuse de l’Islam préconise l’oubli, le refoulement de sa propre histoire, le plus grand symptôme de la pensée moderne, l’islam qui discrimine et qui fonctionne selon le système binaire : pur-impur, croyant-incroyant, homme-femme, etc. Il croit opposer le monde contemporain au temps primordial de l’Âge d’or dont il a, en fait, modifier la réalité historique. Une telle foi historicise l’Âge d’or comme un temps de la communauté islamique d’origine et le profile à l’avantage de sa vision idéologisée. Dans cette perspective, le contexte (historique), en principe, souille le texte (le mot divin). Par conséquent, il s’agit d’un déni du contexte réel (l’histoire et la culture) afin de coller à la littéralité seule du Coran, sans possibilité de différentes exégèses et à la négation de la tradition réelle. La destruction progressive des communautés organiques de liens communautaires, de la nation et de l’identité au niveau mondial conduit à une tabula rasa civilisationnelle moderne où tout devient autoréférentiel, auto-constituée sans légitimation extérieure supérieure.

Les nouveaux mutants religieux de la postmodernité globale

Ainsi, la destruction de la diversité dans le domaine de la religion et de la culture a généré un nouveau type de néofondamentalisme. Son succès s’explique par les conditions globalisantes fertiles pour l’avènement d’un tel phénomène, parce que la mondialisation en tant que processus d’acculturation ne permet pas la coexistence et l’interdépendance de l’identité culturelle et historique. C’est pourquoi le politologue français Olivier Roy estime que l’islamisme radical était une forme de fondamentalisme religieux le mieux adapté à la mondialisation[8]. Dans un entretien[9], Olivier Roy parlait d’un « nihilisme générationnel » qui touche certains jeunes de 20 ans isolés et partant faire une guerre qu’ils pensent être la leur.  La sécularisation n’a pas réussi à abolir le phénomène religieux, mais a encouragé l’émancipation et l’autonomisation de la culture et les domaines de la vie politique et institutionnelle. Privés de leur milieu, de l’environnement culturel, la religion est présentée comme un refuge purement abstrait, qui ne repose sur rien, dans le vide comme un désert. La religion traditionnelle et des espaces politiques théologiques cèdent la place à des formes mutantes de la religion post-moderne, adaptées à l’environnement mondial sans contenu théologique et philosophique. Enfin[10], il est intéressant de mettre en place une analogie paradoxale entre salafisme et le protestantisme américain. En fait, les États-Unis ne sont pas une nation comme les nations européennes, car son histoire a été le produit d’un migrations successives de l’Europe vers le « Nouveau Monde » souvent menées par des pasteurs  protestants puritains très radicaux dans l’interprétation de la Bible (littéralisme protestant), de sorte que les ÉU constituent une sorte de « mutant civilisationnel ». L’histoire américaine est pleine de schizophrénie parce que son modèle civilisationnel a toujours oscillé entre moralisme pastoral fanatique et esprit aventurier hors-la-loi, de cow-boys ou de chercheurs d’or, comme symbole de la transgression morale. Ces deux éléments expliquent pourquoi les États-Unis sont toujours prêts à imposer leur mode de vie au reste du monde. Une schizophrénie similaire se  retrouve dans le fondamentalisme islamique, en particulier parmi les islamistes de deuxième ou troisième génération dans l’Union européenne ou aux ÉU, instruits et adeptes de la haute technologie, l’Internet et Facebook, et dans une large mesure, inconsciemment, fasciné par les réalisations technologiques de l’Occident, mais qui sont en même temps les militants nihilistes d’un pseudo retour régressif à un Âge d’or réaménagé du Califat, faisant croire qu’il est purifié de la technologie, des péchés et des vices de l’Occident, alors qu’il en manifeste et toutes les composantes.

[1]  Emilio Gentile, Les religions de la politique : Entre démocraties et totalitarismes, « Fascismo. Storia e interpretazione », Paris, Seuil, coll. « La couleur des idées », 2005.

[2] Enzo Traverso, Les nouveaux visages du fascisme, Paris, Textuel, 2017.

[3] Philippe Sollers, Vérité de Barthes, 1993.

[4]  Jacques Berque, « Quel Islam », Le Temps stratégique, n° 64, juin 1995.

[5] Alain Rousillon, La pensée islamique contemporaine. Acteurs et enjeux, Paris, Téraèdre, 2005

[6] Ulrich Beck, La société du risque. Sur la voie d’une autre modernité, Paris, Aubier, 2001

[7] http://www.jeuneafrique.com/138474/societe/maghreb-pourquoi-le-salafisme-ne-passe-pas/

[8] Olivier Roy, L’Islam mondialisé, Paris, Le Seuil, 2002.

[9] Journal Le Monde, le 27 septembre 2016

[10] Olivier Roy La Sainte ignorance. Le temps de la religion sans culture, Paris, Le Seuil, 2008 ; rééd. Paris, Le Seuil, coll. « Points Essais », 2012

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