Actes de la conférence
Conférence tenue au Palais du Luxembourg (Sénat)
Ouverture de la conférence par le président de l’Académie de géopolitique de Paris, Ali Rastbeen :
Après avoir rappelé l’originalité de la géopolitique irakienne, le président Ali Rastbeen aborde les problèmes posés par la mosaïque religieuse du pays. Il insiste également sur le fait qu’aujourd’hui tous les Irakiens sans exception ne peuvent que déplorer les résultats catastrophiques de l’occupation américaine. Les relations culturelles entre la France et l’Irak s’inscrivent dans ce contexte troublé d’autant que les tentatives d’établissement d’une démocratie à l’occidentale ne peuvent suffire à mener obligatoirement à la paix, à la justice et à la réussite économique.
I- L’évolution constitutionnelle et institutionnelle de l’Irak: gouvernance et société civile :
Président Ali Rastbeen, président de l’Académie de géopolitique de Paris
1- L’avenir entre l’Irak et la France :
Daniel Garrigue, député à l’Assemblée nationale, président du groupe d’amitié France-Irak, évoque ès qualités la situation actuelle de l’Irak et sa volonté de retrouver sa position internationale tout comme sa place régionale et ce au travers d’une reconstruction globale rendue nécessaire par la guerre initiée par les Etats-Unis d’Amérique. Il évoque les préoccupations françaises concernant les problèmes intérieurs du pays: terrorisme, camp d’Achraf, persécutions anti-chrétiennes, etc. De même, il semblerait que l’Irak renoue peu à peu avec les liens naturels et légitimes qui unissent ce pays à ses voisins en dépit de toute une série de tensions. La France ne peut qu’apporter son aide à cette démarche et aider à trouver des solutions de paix en élargissant le plus possible le cercle de ses interlocuteurs. Comment ne pas comprendre les difficultés d’un pays, marqué par trente ans de guerre, d’embargo, d’intimidations. La reconstruction des transports, la production d’eau potable, l’alimentation des populations sont des priorités absolues. Force est de constater que la reconstruction ne se fait pas à une vitesse suffisante même si un certain nombre d’entreprises françaises ont heureusement fait récemment le pari de l’avenir de l’Irak dans la sécurité.
2- L’Etat irakien entre le passé et l’avenir :
S.E.M. Adil Abd Al-Mahdi, ancien Vice-président de la République d’Irak de 2005 à 2011 commence son allocution en rappelant la richesse de l’Irak. Richesse économique certes avec le pétrole, mais surtout richesse culturelle liée à l’histoire prestigieuse de cette Mésopotamie peuplée d’agriculteurs sédentaires.
Toutefois si la réalité sociale en Irak est saine, la réalité politique ne l’est pas. On a assisté il est vrai de longue date à une monopolisation du pouvoir politique et le pays a connu des guerres exogènes destructives et des turbulences internes graves souvent plus coûteuses que les conflits extérieurs. Ce fût le cas par exemple en mars 1991 lorsque le « Printemps arabe » a été trahi par tous les protagonistes. Trahison irakienne…trahison iranienne…complot occidental…! Il n’empêche que de 1 à 1,5 million de personnes sont parties à l’étranger.
C’est une évidence que les Américains ont eu le tort d’installer une administration « pour eux et par eux » au lieu de mettre en place tout de suite un gouvernement transitoire. De ce fait, le souci des Irakiens a été d’essayer de faire vivre une structure démocratique capable de faire surgir une société désendettée et libre. Grâce à la France, la dette a pu être réduite de près de 90%. Il n’empêche que l’Irak d’aujourd’hui est sans doute « sorti du passé mais n’est pas encore entré dans l’avenir. »
L’Irak a besoin de cinq actions en profondeur
– La nécessité de mettre en place un Etat fort pour assurer l’unité.
– La nécessité d’avoir une croissance économique forte. Le pétrole peut y aider à condition d’augmenter sa production. Il a été calculé que cette dernière pouvait raisonnablement doubler.
– Le pays a besoin d’une mobilisation sociale différente. Une mobilisation qui ne soit pas tournée vers la guerre mais qui soit au service du développement de l’homme.
– Le pays doit approfondir son expérience démocratique. Pour ce faire, il est indispensable de changer en profondeur les mentalités.
– L’Irak doit devenir un Etat de droit, avoir une gouvernance convenable ce qui veut dite par exemple, une pratique de la propriété qui soit valable, de même qu’une politique nationale et internationale de fraternité. A ce niveau l’aide de la France peut être très appréciable.
En réponse à des questions du public S.E.M. Adil Abd Al-Mahdi insiste sur le rôle majeur tout compte fait de la Marjiya dans l’histoire récente de l’Irak et rappelle que la corruption est un phénomène assez nouveau. Il est vrai que l’Etat en s’emparant d’une bonne part des secteurs économiques a beaucoup aidé la corruption à s’installer.
3- Le rôle de la Marjiya dans le nouvel Irak :
Seyed Mohammed Ali Bahr El-Oulom membre de l’ancien Conseil provisoire irakien traite de la manière dont le peuple irakien a été étouffé, privé de ses libertés et empêché d’aider à la mise en place d’une société plus juste. Il fait remarquer que les hautes autorités religieuses n’ont jamais demandé l’établissement d’une république islamique. Elles ont au contraire oeuvré pour que s’installe un régime juste, capable de réformer grâce à la participation des citoyens. Il en appelle aux institutions arabes et musulmanes pour qu’elle fasse leur travail. A l’intérieur tout doit être fait pour homogénéiser le pays et installer les instruments nécessaires à une bonne gouvernance. A l’extérieur, il faut durablement favoriser la paix avec les voisins de l’Irak. En résumé, orientation et non-ingérence sont les maitres mots qui caractérisent l’action de la Marjiya.
4- La sécurité et les coûts humains, la guerre et ses lendemains :
Selon monsieur Houshang Hassan-Yari, professeur et directeur du Collège militaire royal du Canada, Kingston, le coût humain de l’invasion américaine en Irak que ce soit le coût visible ou le coût invisible est considérable. En particulier, les blessures psychologiques inhérentes aux déplacements de populations tout comme celles qui procèdent du deuil permanent, ont marqué les Irakiens pour une longue période. Il n’est donc pas étrange que 92% des Irakiens voient les étrangers des forces coalisées comme des forces d’occupation et non pas comme des forces de libération. Plus de 40% des Irakiens pensent que les forces des coalisés doivent absolument quitter le territoire irakien même si pour certains cela ne doit pas forcément être fait immédiatement.
La question la plus fondamentale aujourd’hui est celle de la sécurité humaine, que ce soit la sécurité économique, la sécurité alimentaire, la sécurité sanitaire, la sécurité environnementale, la sécurité personnelle vis à vis des abus de l’Etat, la sécurité de la communauté, la sécurité politique enfin. Au niveau de certains problèmes, il y a urgence absolue. C’est le cas pour la question des soins médicaux, de la qualité de l’eau potable, bref et plus globalement tout ce qui pourrait aider l’Irak à retourner à une situation de pays industriel moderne. Il est clair que les forces de la coalition sont responsables de l’installation d’une société de violence ce qui a provoqué une augmentation énorme de la mortalité, soit par mort violente, soit par mort silencieuse cette dernière s’expliquant par une très forte dégradation du niveau de vie des habitants du pays.
5- Les transformations sociales et économiques en Irak après 2003 :
Mohammed Al-Karaichi, président du Centre franco-irakien pour la Coopération et le Dialogue, dénonce avec vigueur la généralisation de la pauvreté dans la société irakienne d’aujourd’hui de même que toute une série d’atteintes à la souveraineté de l’Etat.
Il insiste sur le fait qu’on a assisté en Irak à un changement qui a substitué à un modèle socialiste, un modèle libéral capitaliste. Néanmoins l’Etat est garant de la liberté économique et sociale en particulier pour tout ce qui concerne les investissements étrangers. Il n’empêche que depuis 2003 c’est une nouvelle culture économique qui a été imposée aux Irakiens. Cela a eu pour conséquences un boom économique dans certains secteurs comme celui du téléphone portable depuis 2008 ou celui du pétrole qui constitue, faut-il le rappeler, 95% des recettes de l’Irak.
Mais en parallèle l’Etat est intervenu de moins en moins en matière sociale. Son retrait a provoqué une diminution de 50% de l’aide alimentaire. Heureusement l’unification du marché des changes du dinar a permis de juguler l’inflation et d’améliorer les échanges extérieurs. Ainsi le PNB connait une légère reprise et la dette extérieure est en voie d’effacement.
Mais toute une série de points noirs demeurent. Pour ne citer qu’un exemple la production d’électricité ne couvre même pas 50% de la demande, la corruption s’est installée durablement dans tous les domaines et la misère de la société civile est patente. Sur quelque 4000 associations déclarées, à peine une centaine fonctionne aujourd’hui. Les deux victimes principales de cette effrayante désagrégation sont l’enfant et la femme. Cette dernière, souvent devenue chef de famille, (un million de veuves) s’enfonce dans la pauvreté et même si à l’Assemblée nationale, les femmes doivent représenter au moins un quart des élus, il n’empêche qu’elles souffrent d’un phénomène de sous-représentation politique dans tous les domaines de la société civile.
II- Economie, voisinage, diplomatie et relations économiques et énergétiques internationales de l’Irak :
Président: Professeur Houshang Hassan-Yari, Collège militaire du Canada, Kinston.
1- La géopolitique de l’Irak :
Le recteur Gérard-François Dumont, professeur à l’Université de Paris-Sorbonne insiste sur les trois facteurs qui pèsent sur la géopolitique de l’Irak. Ils sont d’ordre historique, politico-géographique et démographique.
L’Irak est un territoire relativement récent et en refondation. Il est au coeur géographique et historique du Moyen-Orient. Chacun sait que Bagdad fut capital de l’empire abbasside et qu’après les empreintes culturelles perse, turque, mongole, il est devenu protectorat britannique. C’est seulement au XXͤ siècle que les Occidentaux ont redécouvert le prestige et la valeur de la civilisation sumérienne. Pour le recteur Dumont, l’Irak est un Etat exogène fabriqué de l’extérieur, ce qui explique que toute une série de tensions perdurent depuis son indépendance en 1932. Phénomène particulièrement révélateur, le tracé de ses frontières est tout à fait artificiel sauf celle avec l’Iran. En matière démographique, une multitude de forces centrifuges procèdent d’un exil très important après le premier « printemps arabe » de 1991 et de la coexistence de nombreuses minorités religieuses. Certes la population irakienne souffre beaucoup et le pays n’est pas encore un Etat de droit, lequel ne pourra être construit que par la population elle-même et non pas par des forces d’occupation extérieures. Centre du chiisme arabe, l’Irak est un pays exemplaire dont la stabilisation est un enjeu pour tout le Moyen-Orient.
2- Perspectives et avenir de l’industrie du pétrole en Irak :
Pour monsieur Adnan Karim Najmaldin, vice doyen de l’Université de Kerbala, la production de pétrole en Irak est riche d’enseignements. Ce pays est le neuvième producteur mondial et pourrait doubler sa production en moins de cinq ans. Le prix de ce pétrole a augmenté de 500% ces dernières années mais en 2008 la crise mondiale a fait diminuer la valeur de l’or noir de 30%. Les réserves irakiennes sont les plus importantes du monde mais c’est toute l’industrie du pétrole qui souffre des attaques terroristes, des sabotages et d’un manque de politique de stockage valable.
Les principaux défis de l’Irak aujourd’hui sont les suivants :
– Reconstruire les infrastructures
– Trouver des emplois aux très nombreux chômeurs
– Assurer le service de la dette
– Assurer le paiement des importations
– Soutenir la monnaie nationale et lutter contre l’inflation
Il semblerait que tout cela soit possible d’autant que le pays a des réserves énormes, un pétrole peu profond, en réalité le moins cher du monde.
Pour que le redressement de l’Irak ait lieu, toute une série de conditions préalables doivent être réunies: la stabilité politique, l’entretien des infrastructures, la lutte contre la corruption, l’encouragement du secteur privé, la création d’une holding nationale, la formation de nouveaux propriétaires pétroliers, la réglementation d’un modus vivendi entre le gouvernement et les gouvernements régionaux. A l’horizon 2050, on va assister à un épuisement des ressources pétrolières de la plupart des pays arabes, ce qui aura pour conséquence une augmentation importante du prix de l’or noir avec les bienfaits que cela apportera aux pays producteurs. Mais en même temps, les risques géostratégiques n’en seront que plus forts. En tout cas, il est certain qu’utiliser comme matière première une denrée de plus en plus rare et de plus en plus chère, correspond aussi à une certaine folie des hommes.
3- La Constitution, les institutions, la société civile et le pouvoir en Irak :
Madame Layla Alkhafaji ancienne député au Parlement irakien – directrice des relations internationales de la Fondation Al-Hakim – rappelle que sous la dictature on n’avait pas pu assister à l’émergence d’une société civile forte de même qu’étaient piétinés la liberté et les droits de l’homme. Heureusement cela a changé et les Irakiens ont obtenu le droit de choisir en même temps que certains partis politiques forts sont apparus tout comme une certaine volonté populaire de conserver la démocratie. Plus encore on a vu apparaître la promotion d’une culture du dialogue et de l’acceptation d’idées contradictoires. Il n’empêche que toute un série d’obstacles gênent les associations. Non seulement, elles n’ont pas les moyens d’agir et le haut niveau de chômage bloque la plupart des perspectives sociales mais encore les lois qui régissent le travail des associations ne sont pas appliquées. Il serait donc nécessaire qu’on puisse garantir leur indépendance, leur donner les moyens de travailler, les aider à établir des liens valables avec les ministères tout en les rendant indépendantes du gouvernement.
D’une manière plus générale, toute une série d’ateliers de travail tentent d’améliorer les possibilités d’avenir des femmes dans la société mais dans un contexte où leur rôle au sein de l’exécutif est en train de décliner.
4- La place de l’Irak dans le monde arabe après 2003 :
D’emblée S.E.M. l’ambassadeur Nassif Hitti, directeur de la Mission de la Ligue des Etats Arabes en France et observateur permanent auprès de l’UNESCO, pose la question de savoir si on peut se livrer à une politique de « décommunautarisation ». Ensuite, il pose la question de l’indépendance du pays par rapport au pétrole en même temps qu’il constate avec amertume que le nouvel Irak est en plein déstructuration. Enfin, il s’interroge sur le rôle de locomotive que pourrait jouer l’Irak dans la phase de reconstruction d’un monde arabe bouleversé. Trois rapports du PNUD ont parfaitement bien décrit la situation du monde arabe qui depuis ces dernières années a du s’attaquer à quatre grands défis:
– Le choc des « deux D » (démographie, développement, ce dernier n’étant pas assez dynamique)
– La nécessité de passage d’un nouveau contrat entre l’Etat et la société sans lequel il y aurait danger de création d’un désert politique
– La déstructuration de la région dans la mesure où il y a eu échec de la construction de l’Etat national
– Le constat de la disparition de la légitimité des Etats d’où l’effondrement de plusieurs régimes
Pourtant le monde arabe présente toute une série de potentialités réelles. Dans ce contexte, le premier et plus grand défi est peut-être de se regarder soi-même, de se voir soi-même dans la glace.
5- Les relations entre la France et l’Irak :
S.E.M. l’ambassadeur Fareed Yassen constate qu’on a beaucoup parlé de « printemps arabe » et qu’il y avait là un air de « déjà vu ». Faut-il rappeler que la résolution 688 n’avait rien apporté sinon qu’une occupation externe avait remplacé une occupation interne. Il faut également déploré le mauvais choix qui avait été fait en matière de système électoral. Néanmoins, la nation irakienne existe, notamment au travers du sport. Mais il ne faut pas oublier que par exemple au Kurdistan les bombardements des villes et des campagnes par des avions aux couleurs du pays n’avaient pas aidé à la construction de l’unité nationale. Selon l’Ambassadeur Fareed Yasseen, depuis son indépendance l’Irak est un laboratoire, un banc d’essai qui connait aujourd’hui un processus de restauration. Il y a donc là des raisons d’espérer et de travailler au renforcement de la nation.
Pour ce qui concerne plus particulièrement les relations entre la France et l’Irak, elles sont en réalité très anciennes. Depuis les liens qui unirent au IXͤ siècle Haroun Al-Rachid à Charlemagne. Il est également significatif de rappeler qu’un des premiers consulats français avait été établi à Bassorah avant 1789.
L’histoire des relations entre la France et l’Irak peut être décomposée en trois phases, avant 1958, de 1958 à 1970, depuis 1970.
La première phase est marquée avant tout par le rôle bénéfique de la France dans la formation des élites irakiennes tout spécialement dans le domaine juridique. Mais après 1954, la guerre d’Algérie puis l’expédition de Suez allaient gravement porter atteinte à ces relations.
La deuxième phase qui démarre en 1958 avec l’arrivée en France du général de Gaulle est marquée par la reprise des bonnes relations franco-irakiennes. Après 1962, date de la signature des accords d’Evian et la mise en place d’une politique arabe générée par le général de Gaulle tout allait bien.
Depuis 1970, les choses sont un peu plus confuses, avec le rôle positif joué par Michel Jobert mais aussi les relations ambigües entre l’Elysée et Saddam Hussein en matière de fourniture d’armes, les relations franco-irakiennes étant alors à la fois basées sur la guerre, tous azimuts en même temps que très personnelles. Ces années furent marquées par l’importance des services de renseignement.
La France a participé à la première guerre d’Irak lorsqu’il fut question de reprendre le Koweït. A l’inverse, elle a eu l’attitude qu’on sait en 2003 lorsque les Français voulaient bien aller se battre contre Saddam Hussein, mais seulement sous mandat de l’ONU.
Comment revenir à la lune de miel des années 1980? Cela ne peut se faire que sur des bases plus saines. Phénomène révélateur de la volonté irakienne d’avoir avec la France de nouvelles relations inspirées par la paix: la transformation en bâtiment civil des bâtiments militaires irakiens situés à Paris. Ce symbole est porteur d’avenir, de même les cent bourses accordées par Alain Juppé à de jeunes Irakiens pour parfaire leur formation universitaire supérieure en France, participent du même esprit et témoignent s’il en était besoin d’un désir commun d’oeuvrer au développement et à la paix.
Clôture de la conférence par Jacques Barrat, diplomate et Professeur des Universités – Université Panthéon-Assas (Paris II): texte supra.
Texte définitif établi avec la collaboration de Maxime Notteau, doctorant en géopolitique à l’Université Panthéon-Assas (Paris II), auditeur IHEDN-jeunes.