Par : Steven R. Ekovich,
Professeur Département des Affaires Internationales Université Américaine de Paris
Janvier 2001
De quelle façon la politique étrangère des Etats-Unis va-t-elle changer avec le nouvel occupant de la Maison Blanche ? Curieusement c’est surtout hors des Etats-Unis qu’on se pose cette question, car, en Amérique, durant une campagne électorale présidentielle, il n’est pas fréquent que les questions de politique étrangère jouent un rôle central, ou même important, dans le vote des électeurs. Lors du déroulement de la dernière campagne présidentielle, le sujet de la politique étrangère était loin des préoccupations centrales des Américains. Comme dans presque toute élection présidentielle les facteurs qui sont déterminants pour l’électeur sont en général la position des candidats en matière de politique intérieure, et surtout dans les domaines ayant trait à l’économie. Avant la politique étrangère vient l’affiliation partisane du candidat, la compétence supposée d’un parti ou de l’autre à gérer les affaires de l’Etat, et les liens d’ordre social, ethnique, régional, ou religieux, qui peuvent unir l’électeur et le candidat, sans oublier les sentiments suscités par la personnalité des candidats (de plus en plus médiatisés). Néanmoins, la prise de position d’un candidat sur la politique étrangère reste une des figures de style imposées lors d’une campagne électorale. Elle apparaît traditionnellement dans quelques discours consacrés à la question, lors des joutes politiques que sont les débats télévisés, dans les programmes des partis votés à leurs conventions nationales, les réponses faites aux journalistes, ainsi que les idées exposées par les plus proches conseillers du candidat. La performance politique précédente est aussi un indice. Il y a également les grandes orientations qui émergent lors des audiences des commissions sénatoriales ; audiences préalables à la confirmation des deux ministres des Affaires Etrangères et de la Défense nommés par le Président. À partir de ces données on peut déjà dessiner, au moins à grands traits, la politique étrangère de George W. Bush, Jr. On peut peaufiner ces traits en les opposant aux prises de position de son principal adversaire Al Gore.
Mais au départ il faut rappeler ce que les candidats des deux grands partis avaient en commun. Il y a tout d’abord un consensus idéologique, construit sur un fondement libéral. Ce consensus est rarement remis en question. Il y a aussi les institutions qui pèsent, en les limitant sur toutes les propositions des candidats. Idéologie et institutions, ainsi qu’intérêts économiques et stratégiques bien entendu, assurent une continuité essentielle en matière de politique étrangère. Les deux candidats, comme tous leurs prédécesseurs des deux grands partis dans l’Histoire récente, étaient internationalistes, partisans du libre échange et de la mondialisation, d’une défense forte et garante des mêmes valeurs profondes américaines.
Mais il faut alors se demander dans quelle mesure un changement de président et même un changement dans la composition du Congrès implique des modifications en matière de politique étrangère. Il ne s’agit pas ici de suggérer que tout changement sera minime, mais seulement que le système impose certaines limites. Ceci étant dit, c’est au moment d’une élection présidentielle que les citoyens américains exercent l’influence la plus directe sur leur politique étrangère, car en choisissant un président, l’électeur manifeste sa préférence pour la conception du monde telle qu’elle est exprimée par l’un ou l’autre des deux candidats. Entre
les élections, ce sont plutôt les autres centres de pouvoirs qui jouent un rôle décisif. A leur tête on trouve les groupes d’intérêts, communément et même abusivement appelés « lobbies » en France (certains groupes étant, bien entendu, plus influents que d’autres). Il y a aussi les journalistes, les universités et instituts de recherche (think tanks), l’opinion publique par le biais de sondages fréquents, et la bureaucratie gouvernementale. Un nouveau président doit souvent dépenser une grande partie de son énergie à établir son contrôle sur la bureaucratie, y compris celle de la politique étrangère, qui elle, à l’instar des autres, est répartie sur plusieurs secteurs de l’administration.
Les présidents réussissent ou échouent dans ce domaine à des degrés différents. Enfin, à un autre niveau, l’exécutif partage aussi des prérogatives en matière de politique étrangère avec le Congrès, plus particulièrement le Sénat, à qui les Pères Fondateurs américains ont donné d’importants pouvoirs en matière de relations extérieures. Mais le Sénat est aussi divisé, non seulement entre les partis politiques (et cette fois-ci à 50/50 !), mais aussi entre les commissions qui sont nombreuses à avoir un rôle à jouer dans la formulation de la politique étrangère. On a tendance en France à ne pas apprécier à juste mesure la vraie puissance des commissions du Congrès Américain. Le Congrès a aussi créé une bureaucratie extrêmement complexe de fonctionnaires, justement pour l’aider à faire face à celle de l’exécutif. Un Président avisé cherche à établir de bonnes relations avec les Sénateurs les plus puissants qui siègent dans les commissions les plus importantes. Parmi les personnalités de l’Histoire qui ont le plus marqué la politique étrangère américaine, on trouve souvent de puissants Sénateurs. C’est encore le cas aujourd’hui. I faut rappeler qu’un traité, par exemple, doit être ratifié par une majorité des deux tiers au Sénat.
Le candidat Bush a présenté d’une façon plutôt concise sa conception de la politique étrangère lors de deux discours : l’un sur sa politique de défense au Citadel (une académie militaire célèbre en Caroline du Sud) et l’autre qui portait exclusivement sur sa politique étrangère à la Bibliothèque Présidentielle Ronald Reagan en Californie. Ce dernier est intitulé « A Distinctly American Internationalism. » À la suite de ce discours les journalistes l’ont interrogé de temps à autre pendant la campagne sur le sens du terme. La question reste à l’ordre du jour. Efforçons-nous d’y trouver un sens.
“Dans la défense de notre nation” dit Bush au début de son discours, “le président doit être un réaliste lucide.” Cela sonne probablement comme une évidence aux oreilles des Français, par contre aux Etats-Unis de tels propos relèvent d’un très vieux débat : jusqu’où la politique étrangère peut-elle aller au-delà des intérêts économiques et stratégiques pour promouvoir des valeurs propres à la démocratie américaine ? Ce débat est fréquemment mis sous la rubrique de « réalisme v. idéalisme » et tout président est appelé à faire sa synthèse en penchant soit d’un côté soit de l’autre. Lors de la campagne présidentielle de 1992, par exemple, le candidat Clinton a présenté sa politique étrangère comme celle d’un « réalisme démocratique » ou alternativement d’un « réalisme Wilsonien » car l’ancien président démocrate est perçu comme ayant mis, naïvement, trop de zèle du côté idéaliste (surtout à cause de son acharnement à vouloir créer la Société des Nations). Il n’est pas étonnant, alors, de voir le candidat républicain Bush mettre d’emblée l’accent sur le « réalisme » qui est souvent l’apanage du parti républicain. Mais traditionnellement l’idéalisme à l’américaine relève d’une défense des valeurs libérales et républicaines. Le candidat Bush a aussi préconisé ces valeurs : « Certains ont essayé d’imposer un choix entre les idéaux et les intérêts américains – entre ce que nous disons » dit-il, “et ce que nous faisons, mais c’est un choix qui n’en est pas un. » Par contre Bush Jr. transforme la tradition idéaliste en une défense de « l’esprit humain » qui lui permet de louer le « courage et l’idéalisme » de « Scharansky, Havel, Walesa, Mandela » et quelques phrases plus loin de poursuivre sa transformation en disant que nous sommes des « êtres spirituels » et que la liberté (freedom) est « le droit de l’âme à respirer… Les gens devraient pouvoir exercer leur liberté de religion. » Propos rassurants adressés aux fondamentalistes chrétiens de l’aile droite du parti républicain ou ébauche d’une nouvelle direction dans la poursuite des idéaux américains ? Bush lui-même met un bémol à ces propos en ajoutant : « nous proposons nos principes, mais nous ne devrions pas imposer notre culture phrase qu’il répète lors d’un débat télévisé. »
Mais respecte-t-il ce principe lorsque, dès son investiture à la présidence, il prend un décret qui interdit le financement américain de toute organisation internationale favorable à l’avortement ?
C’est intéressant de comparer les propos du candidat Gore au même sujet d’idéalisme, pour mieux comprendre ce que Bush ne veut pas dire. Dans le discours de Al Gore, consacré à la politique étrangère (prononcé au Old South Meeting House de Boston « où ont été plantées » d’après le candidat, « les premières graines de la liberté américaine » Gore a classé les problèmes de politique étrangère en deux catégories : ce qu’il appelle les « menaces
classiques », qui concernent la protection des intérêts américains par les moyens d’une défense forte, objets d’inquiétudes pour les réalistes ; et les » nouveaux défis sécuritaires » qui exigent un « New Security Agenda. » Tandis que les nouvelles menaces vont bien au-delà de la liste habituelle post-guerre froide, du terrorisme, de la prolifération des armes de destruction massive, des conflits ethniques et du trafic international des drogues, jusqu’à inclure des épidémies tels le SIDA, la pauvreté et le déséquilibre des systèmes écologiques mondiaux. L’équipe Bush exprime une certaine méfiance, de voir ces questions tomber à la rubrique de la politique sécuritaire.
De plus, là où l’état nation traditionnel est en train de se métamorphoser sous la pression des organisations supranationales et celle des acteurs de la société civile au sein des états, Gore considère que la politique US devait renforcer et revigorer les institutions internationales et régionales. L’équipe Bush incline, elle, à voir le monde comme une arène dans laquelle les états nations (chaque détenteur d’un pouvoir plus ou moins important) seraient en compétition, et voit les organisations internationales comme un moyen de protéger les intérêts américains. Gore a aussi proposé la doctrine du « forward engagement » (l’engagement vers l’avant) qui consiste à traiter les problèmes très vite, dès qu’ils apparaissent, sans attendre qu’ils deviennent graves, et à leur trouver une résolution immédiate et à se donner immédiatement les ressources nécessaires à cette résolution. L’équipe Bush n’exprimerait sans doute aucun désaccord sur ces principes, mais elle les appliquera très certainement de façon différente. Si les problèmes, pris dès leur apparition, ne semblent pas avoir un rapport plausible et direct avec les intérêts américains (pour prendre l’exemple humoristique proposé par un journaliste new-yorkais : il y aurait intervention dans le cas d’une attaque armée contre l’Etat du middle west l’Ohio, mais non dans le cas d’une attaque contre New York qui ne serait pas jugée suffisamment grave). Ce qui signifie, que pour l’équipe Bush, une intervention américaine dans des missions humanitaires ou dans la résolution de crises concernant les droits de l’homme sans rapport avec les intérêts américains, est peu probable.
Pendant la campagne, cette divergence d’opinion a ouvert un débat sur ce qu’on a appelé la « nation building » – la reconstruction nationale : les militaires devraient-ils jouer un rôle dans la reconstruction d’institutions démocratiques stables là où le conflit a provoqué l’écroulement de l’Etat, en Bosnie, au Kosovo, à Haïti ou et en Somalie, par exemple. Le problème le plus crucial était le suivant : les militaires devaient-ils exercer des responsabilités autres que celles de combattre et de gagner des batailles, et spécialement des batailles dites de « haute intensité » ? Le Congrès s’est demandé de quelle façon un instrument créé pour un usage spécifiquement militaire, pouvait également être utilisé à une autre fin, notamment dans des missions plus « soft » telles de maintien de la paix et des missions humanitaires. Si l’armée devient si spécialisée, qu’elle ne peut intervenir que dans les situations de combats intensifs, les Etats-Unis pourraient être obligés d’accepter une division du travail plutôt que de laisser à d’autres les missions humanitaires et l’usage plus fin de l’outil militaire lorsque il est appliqué pour soutenir la diplomatie. Les Etats-Unis seraient alors appelés à intervenir seulement dans les situations où il faut cogner fort.
Au-delà de ces conceptions générales de la sécurité nationale, quelles sont les orientations de l’équipe Bush par rapport aux différentes régions du monde ? Le New York Times a reproché au candidat d’avoir limité ses préoccupations, aux seules grandes puissances mondiales. L’équipe Bush a répondu qu’il s’agissait seulement d’établir des priorités et non d’écarter qui que ce soit. Les Français peuvent cependant s’étonner que le continent africain soit à peine évoqué. Quelles sont donc ses priorités ? Selon Bush, c’est de travailler avec ses puissants alliés démocratiques en Europe et en Asie afin d’y faire avancer la paix ; de promouvoir l’idée d’un hémisphère ouest pleinement démocratique dont les états seraient reliés par le libre-échange ; de défendre des intérêts américains dans le Golfe Persique et faire avancer la paix au Moyen Orient tout en assurant la sécurité d’Israël ; et de limiter la prolifération des armes de destruction massives et de leurs vecteurs, surtout les missiles. Examinons, point par point.
Aucun pays n’a suscité autant de débat lors de la campagne électorale, que la Chine. N’oublions pas que l’Amérique, naturellement, regarde vers le Pacifique où elle possède des intérêts très importants. Bush a adopté, à l’égard de la Chine une des démarches traditionnelles de la politique américaine, la « Rim Strategy » – une sorte d’endiguement de la Chine. Ceci explique en partie pourquoi il traite le pays plutôt comme un adversaire, un « compétiteur stratégique » et non, comme Gore et Clinton comme un « partenaire » stratégique. Dans son attitude de partenariat l’équipe Clinton/Gore a adopté une espèce d’engagement constructif vis-à-vis de la Chine, espérant que des liens économiques allaient faire évoluer l’économie chinoise dans une direction libérale, ce qui entraînerait la vie politique dans un processus de démocratisation. C’est pourquoi la politique récente des Etats-Unis vise à intégrer la Chine au sein de l’OMC avant même qu’elle n’ait « méritée » son intégration. L’équipe Bush n’est pas du tout contre la libéralisation économique et politique de la Chine, elle est tout simplement plus circonspecte. Pour cette raison, les politiques proposées par Bush envers la Chine et Cuba sont moins contradictoires que celles qui ont été proposées par Gore, qui considérait que la stratégie d’engagement apte à faire infléchir la Chine ne marcherait pas pour Cuba. Donc, les deux candidats prônaient la continuation de l’endiguement de Cuba. Peut-être s’agissait-il là plutôt de faire infléchir des voix cubano-américaines en Floride?
Toute stratégie qui vise la Chine, doit prendre en compte aussi le Japon et l’Inde. L’équipe Bush semble estimer que Clinton n’a pas assez soigné ses relations avec le Japon, surtout pendant une période de rapprochement avec la Chine. Encore une fois, la volonté d’apporter davantage de poids diplomatique aux relations avec ses alliés doit influer sur les relations nippo-américaines. La prise de distance relative de Bush par rapport à la Chine rend légèrement plus facile une évolution japonaise vers une indépendance accrue en Asie, ce qui peut être perçu par le leadership chinois comme une menace. Idem pour un appui politico- militaire envers Taiwan. Les deux candidats ont annoncé un soutien militaire à Taiwan, au cas où la Chine essaierait d’imposer par des moyens militaires l’intégration de Taiwan. Ceci ne veut pas dire que Bush n’est pas contre la continuation de la politique de « One China », cela veut dire seulement qu’il veut qu’elle se fasse par des négociations et avec l’accord des Taiwanais. L’Inde aussi peut être prise comme un contrepoids à la Chine, mais certainement pas au prix d’une hégémonie régionale, surtout par rapport au Pakistan. En tout cas, les récentes déclarations de Colin Powell, le futur Secrétaire d’Etat, laissent entendre que la politique américaine envers la Chine va se recentrer par rapport aux positions opposées exprimées par les deux candidats.
Pour ce qui concerne les relations avec l’Europe, le candidat républicain s’est contenté de reprendre les formules consacrées telles le maintien des rapports privilégiés avec les alliés historiques des Etats-Unis, tout en affichant une volonté d’approfondissement du dialogue et des consultations. Pour l’équipe Bush, l’OTAN reste l’indispensable clef de voûte des relations transatlantiques. Pour Colin Powell, l’OTAN ne prend pas la Russie comme cible, elle vise à préserver la paix en Europe. Reste à voir comment il va conjuguer les deux. Quoi qu’il en soit l’équipe Bush estime que Clinton aurait trop misé sur le seul Elstine. Il ne faut pourtant pas oublier, que Bush père avait privilégié les relations bilatérales avec l’Allemagne et a infléchi la ligne Reagan qui maintenait le lien privilégié avec l’Angleterre. Néanmoins la préoccupation majeure de l’équipe Bush, en Europe, reste la Russie. La nouvelle conseillère pour la sécurité nationale, Condoleezza Rice, est d’ailleurs une spécialiste de ce pays et fut chargée, dans la précédente administration Bush, du dossier bien mené à terme, de la réunification de l’Allemagne.
La première région du monde prise en compte dans le programme du parti républicain est l’Amérique Latine. S’il y a une région du monde dont Bush peut se vanter une expérience diplomatique, c’est l’Amérique latine et en particulier le Mexique, voisin du Texas. L’ancien gouverneur, hispanophone, connaît bien les leaders mexicains, et continuera à œuvrer en vue d’ une plus grande libéralisation économique et politique, et une intégration accrue dans l’économie nord-américaine pour,. selon le mot de Colin Powell devant les Sénateurs, « créer une zone de libre échange qui va du Yukon au Cap Horn. » Il faut rappeler que la capitale du Texas, Austin, est un pôle de développement des technologies de l’information et de la nouvelle économie, dont Bush peut se présenter comme un bon connaisseur.
Durant la campagne, aucun des deux candidats n’a évoqué la question du Moyen- Orient tout au moins au-delà des généralités habituelles, recherche d’une paix globale tout en assurant la sécurité d’Israël, car ils n’ont pas voulu prendre le risque de porter ombrage aux négociations en cours. En tout état de cause, il était préférable pour le candidat Bush de ne pas s’empêtrer dans un dangereux bourbier. Il est vrai qu’il s’est prononcé, comme son prédécesseur, en faveur du transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem – il s’agissait de satisfaire un électorat juif – mais il est demeuré, à l’instar de Bill Clinton, plus que vague sur le calendrier à mettre en œuvre. Il a, en revanche tenu des propos plus clairs sur l’Irak. L’équipe Bush estime que la politique actuelle est un échec, et laisse entendre qu’il faut œuvrer à la fois pour remplacer Saddam Hussein, remettre en place un dispositif de vérification de la production d’armes de destruction massive sur le terrain, et, si nécessaire, riposter à une éventuelle provocation de Saddam Hussein de façon beaucoup plus musclée que sous l’administration Clinton. Reste à voir, dans ce cas de figure, jusqu’où les Etats-Unis pourraient disposer du soutien de leurs alliés européens et arabes. L’annonce récente de la levée de sanctions économiques sur certains pays serait-elle une manœuvre pour inciter ces alliés à accepter l’idée d’un renforcement plus efficace et encore plus précis des sanctions sur l’Irak ? Il ne faut pas perdre de vue que l’équipe Bush est constituée d’hommes liés aux intérêts pétroliers qui n’entendent pas déstabiliser le marché pétrolier, surtout à un moment où les Etats-Unis risquent d’entrer en récession.
Arrivons maintenant au problème inquiétant de la prolifération des armes de destruction massive qui a amené Bush à se prononcer sur le traité concernant des arrêts d’essais nucléaires (le Comprehensive Test Ban Treaty, CTBT). Dans le programme du parti républicain, le CTBT est perçu comme un « anachronisme issu d’une pensée stratégique obsolète » car, en se faisant l’écho du Sénat à majorité républicaine lors du débat sur la ratification du traité, on estime qu’il est invérifiable, inapte à assurer la sécurité et l’efficacité de l’arsenal nucléaire américain, insuffisant pour limiter la menace nucléaire des « rogues states » (les états parias). Reste à voir, ce que le président Bush va faire sur ce sujet après avoir analysé le rapport, rendu public le 5 janvier, de l’ancien chef d’état major le général Shalikashvili (chargé d’une enquête sur le traité), qui reconnaît bien, avec le Sénat, que ce traité comporte des points faibles, mais qui considère que ces faiblesses peuvent être corrigées et qui conclut en affirmant que ce traité est indispensable à la sécurité et à la diplomatie américaines.
Bien que le CTBT ait provoqué peu de discussion au cours de la campagne, le sujet d’un bouclier anti-missiles a suscité plus de réactions, malgré le fait que les deux candidats étaient d’accord sur le principe. Bush, de même que Gore d’ailleurs, est favorable à la construction d’un système de défense nationale anti-missile (NMD) voué à la protection du territoire des Etats-Unis ainsi que d’un bouclier anti-missile de « théâtre » (T^) consacré à la couverture des troupes américaines et alliées déployées en mission. Le TMD suscite moins de contestation, étant très souvent absent du débat, par rapport à la NMD. D’abord il y a très peu de gens qui soient défavorables à la protection des troupes contre des attaques missiles, et deuxièmement une TMD, qui est plus réduite, ne risque pas de neutraliser l’arsenal nucléaire de la Russie. Il en va tout autrement pour l’arsenal de la Chine, pour laquelle il n’y a aucune différence entre NMD et TMD – car les deux sont en mesure de neutraliser sa riposte nucléaire et de ce fait la logique de dissuasion entre la Chine et les États-Unis. Pour passer à travers un bouclier anti-missiles, qui peut être employé dans la défense de Taiwan, la Chine pourrait simplement augmenter le nombre de ses missiles et de ses têtes nucléaires, ce qui entraînerait, par effet de cascade, la même réponse d’augmentation en Inde et au Pakistan. L’équipe Bush affiche une volonté de négocier avec la Russie la mise en place d’un bouclier anti-missile, surtout parce que, pour cela il faut modifier le traité ABM qui limite de tels systèmes entre les deux pays. Reste à voir ce que Bush entend faire pour convaincre les Chinois.
Comme dans tout programme politique, les grandes lignes annoncées dans sa campagne sur la politique étrangère, par le Président Bush, restent encore pour le moment théoriques. Mais comment son équipe de sécurité nationale, tout expérimentée qu’elle soit, va-t-elle appliquer ce programme aux dures réalités du monde actuel ?