Professeur Houchang HASSAN-YARI
Décembre 2005
Cet article cherche à valider la thèse selon laquelle la cohésion entre la société civile et le pouvoir politique joue le rôle déterminant dans la résistance de la République islamique d’Iran face aux menaces étrangères depuis son instauration en 1979. Le régime islamique est confronté à deux menaces existentielles d’origine externe et une menace interne plutôt rampante.
L’invasion irakienne et la guerre qui l’a suivie (1980-1988) avaient comme résultat le changement du régime islamique. Plusieurs facteurs, notamment les deux premiers éléments ci-dessus mentionnée, plus la capacité du Guide de la révolution, l’Ayatollah Khomeyni, de maintenir un ordre cohérent au sein des cercles politico-militaires et une bureaucratie embryonnaire, n’ont pas permis la réalisation de l’objectif irakien.
Le régime islamique a dû réduire au minimum la menace externe et récompenser ses carences matérielles durant les opérations militaires et la conduite de guerre avec les sacrifices remarquables du peuple iranien.
L’existence du régime islamique est de nouveau menacée, cette fois-ci par Israël et les États-Unis. La deuxième République a plus de difficultés à résister à ces ennemis, non pas nécessairement à cause de la force redoutable de ceux-ci, mais plutôt devant l’absence des deux facteurs qui avaient assuré la première République, c’est-à-dire un peuple disposé à toutes sortes de sacrifices et un dirigeant charismatique et très peu contesté à l’intérieur.
Le rôle des facteurs internes et externes dans la protection de la sécurité iranienne ou sa remise en question dans le nouvel environnement régional et international est indéniable. En d’autres termes, un rapport de plus en plus étroit existe entre le degré de la démocratisation à l’intérieur de l’Iran et la menace externe. Ce lien se précise au fur et à mesure que la date des élections présidentielles en Iran, prévue pour le 17 juin 2005, se rapproche et que George Bush hausse le ton de sa rhétorique dans le dossier nucléaire iranien.
Les facteurs externes
Depuis son instauration, en février 1979, la République islamique d’Iran a dû faire face à deux menaces colossales qui visent le fondement même du régime islamique. L’invasion de l’Iran par l’Irak en septembre 1980 et la non-reconnaissance de la légitimité du régime issu de la révolution islamique par les États-Unis forment les deux périls existentiels qui hantent le régime de Téhéran.
A- La menace irakienne
L’invasion du territoire iranien par les forces militaires irakiennes le 22 septembre 1980 était la première menace. Bagdad avait saisi l’occasion du désordre post-révolutionnaire, la faiblesse militaire de l’Iran, causée par les purges successives des « généraux du Chah », et les sanctions politico-économiques que Washington avait imposées à l’Iran après la crise des otages, pour lancer une campagne particulièrement meurtrière dans l’histoire moderne du Moyen-Orient.
L’agression, qui n’a pas atteint ses objectifs, a produit des résultats contradictoires. Elle était déclenchée pour :
- Réparer le préjudice à la souveraineté territoriale irakienne imposé par les accords d’Alger conclus entre Bagdad et Téhéran en 1975. L’Irak réclamait la souveraineté sur tout le fleuve Chatt al-Arab (Arvand Roud pour l’Iran), enjeu stratégique significatif, la voie maritime formant la frontière entre les deux pays à l’embouchure du Golfe Persique. Forcé par la puissante machine militaire iranienne et l’appui infaillible des États-Unis pour le régime du Chah, Bagdad fut obligé de reconnaître la souveraineté partagée sur le fleuve et normalisa ses relations avec Téhéran. Huit ans de guerre absurde, 1980-1988, ont produit plus d’un million de tués et de blessés 1, l’usage des armes chimiques par le régime baasiste de Bagdad 2, plusieurs milliards de dollars de dommages matériels 3 et le détournement de l’attention internationale de l’Occident de la région, C’est-à-dire l’occupation du golf Persique permit à Israël l’occupation des territoires occupés. Les hostilités sont suspendues et Saddam Hossein est obligé, en août 1990, de reconnaître la légitimité des accords d’Alger de 1975.
- Mettre fin à la Révolution islamique devenu le porte-étendard du nationalisme arabe, poste resté vacant depuis 1970 avec la mort du président égyptien Gamal Abdul-Nasser, le régime baasiste en Irak a érigé un premier obstacle sur le passage de l’Ayatollah Ruhollah Khomeyni et les nouveaux maîtres de Téhéran qui cherchaient à exporter la révolution islamique dans les pays arabes voisins. Au lieu de détruire le régime islamique, l’invasion irakienne a accéléré et renforcé l’emprise du pouvoir khomeyniste sur l’Iran. La guerre a créé en Iran un contexte d’euphorie religieuse et nationaliste dans lequel aucune voix dissidente ne pouvait être tolérée. Le premier président de la République islamique, Abolhassan Bani Sadr, sera destitué et l’Organisation des Moudjahidin du peuple d’Iran décapitée et dispersée à travers le monde, notamment en Irak. Les autres partis ou organisations politiques, eux aussi jugés ennemis, ont eu un destin similaire. Le système issu de la révolution qui était tolérant et pluriel replie sur lui-même et rejette les ‘autres’.
Prise dans la toile des difficultés et malheurs post-révolutionnaires et en plus d’être occupée par l’ennemi irakien, la majorité du peuple a maintenu sa confiance en son leadership révolutionnaire. La légitimité révolutionnaire et populaire, ainsi que l’existence d’un guide charismatique, ont protégé le régime islamique face à l’Irak, menace redoutable soutenue par les puissances militaires et financières de tous calibres. La combinaison de ces deux éléments, appui populaire et chef charismatique, a d’ailleurs été instrumentali-sée dans la consolidation du pouvoir islamique à l’intérieur du pays au cours de la première république (1979-1989).
La guerre Irak-Iran a eu un impact négatif sur les relations arabo-ira-niennes. Elle a exacerbé les rapports historiquement difficiles entre Arabes et Iraniens. Ces difficultés ont des racines ethniques et religieuses. Les Iraniens, qui étaient zoroastriens avant l’avènement de l’Islam, avaient été appelés guèbres, infidèles, par les Arabes pour qui les Iraniens étaient des Adjams, terme utilisé pour les non-Arabes en général et les Iraniens en particulier.
Se prenant pour l’autre fils de Tikrit, Salah al-Din Yusuf al-Ayyubi (Saladin), Saddam Hussein a envahi l’Iran en vue de vaincre la Perse pour une deuxième fois, présentant ainsi son agression comme la guerre Arabe-Adjam. L’analogie ne se tient pas, car, Saladin, le sultan d’Égypte et de Syrie, qui a repris Jérusalem aux Croisés en 1187, après un siècle de présence occidentale, a mis en pratique une politique de tolérance religieuse dans la Ville Sainte et a permis aux chrétiens le libre accès au Saint-Sépulcre. Cette grande indulgence lui vaudra l’estime des Croisés et des Arabes. A sa mort, l’Occident et l’Orient s’allient pour saluer la disparition d’un modèle de vertu chevaleresque.4 Saddam Hossein a fait tout pour ne pas être Saladin le Kurde : il a gazé les descendants de ce dernier et les soldats iraniens ; il avait édifié un régime de terreur et particulièrement intolérant. En déclenchant deux guerres successives contre deux pays musulmans et arabes, il a affaibli l’Orient face à l’Occident et a contribué à la présence active des pays occidentaux, notamment les États-Unis, au cœur même du monde islamique. Saddam Hussein, panarabiste et socialiste de type arabe, est ironiquement devenu l’élément utile et justificateur d’une présence américaine, pourtant dénoncée du Maroc à l’Indonésie depuis la révolution perse en 1979.
La menace irakienne a failli étouffer le régime islamique qui survit grâce aux sacrifices extraordinaires de son peuple et en dépit de l’hostilité quasi-unanime de toutes les puissances, des États-Unis à l’Union soviétique, en passant par la majorité des régimes arabes.
- Menace américaine
Contrairement à la menace irakienne, matérialisée par le choc brutal des armes, le péril américain reste, au moins pour le moment, implicite et plutôt rhétorique. Il y a cependant deux incidences qui échappent à cette règle temporaire.
D’abord l’opération militaire Eagle Claw (ou l’Operation Evening Light), destinée à sauver les 53 otages de l’ambassade américaine à Téhéran, le 24 avril 1980. L’échec de l’opération a eu un impact négatif direct sur les chances de la réélection du président Jimmy Carter. Au niveau militaire, le fiasco a conduit à la création du Commandement des Opérations spéciales (USSOCOM) et le 160e Régiment aéroporté des opérations spéciales de l’Armée américaine (the Night Stalkers). Une combinaison de défaillance technique et de tempête de sables avait fait avorter la mission et causé la mort de huit soldats. De plus, les Américains ont été obligés d’abandonnés cinq de leurs hélicoptères intacts avec les plans qui identifiaient les agents de la CIA en Iran; ces agents devaient aider le bon déroulement de la mission américaine.5 Comme la République islamique épuise sa légitimité auprès de l’Autorité Suprême, la tempête de sables était un acte divin, selon plusieurs en Iran.
La seconde incidence est plus tragique que la première en terme de la perte de vie humaine. Le 3 juillet 1988 le croiseur américain USS Vincennes abat par erreur un Airbus d’Iran Air au-dessus du détroit d’Ormuz causant la mort de 290 civils. L’acte que les Iraniens ont qualifié de « délibéré », a précipité l’acceptation de la résolution 598 du Conseil de sécurité de l’ONU par l’Ayatollah Khomeyni le 18 juillet 1988. 6 Adoptée un an auparavant, la résolution réclamait un cessez-le-feu entre les deux belligérants. 7
Malgré le caractère impressionnant de ces deux incidences, la vraie menace américaine pour la survie du régime islamique reste à se matérialiser. Le deuxième mandat du président George Bush est de se focaliser sur la mission de la démocratisation du monde, notamment la région du ‘Grand Moyen-Orient’.
Confronté aux nombreuses interrogations sur les contradictions gênantes dans sa politique étrangère, notamment depuis la guerre du Koweït en 1991 et la tragédie du 11 septembre 2001, George Bush cherche à alléger la pression en extériorisant ses problèmes. Dans un discours major de politique étrangère, prononcé à Washington le 6 novembre 2003, le président Bush a fait part de l’échec de la stratégie de son pays d’appui aux dirigeants non-démocratiques arabes aux dépens de la liberté au cours des derniers soixante ans. Il a dénoncé la complicité occidentale qui a sacrifié la liberté dans le Moyen-Orient dans la recherche de stabilité. 8
La « vision » présidentielle qui a mis au défi les alliés américains, comme Hosni Mubarak d’Égypte, de se réformer, est moins ambitieuse et plus ciblée; elle s’intéresse davantage aux régimes islamique en Iran et baasiste en Syrie.
Changement du régime
L’hostilité américano-iranienne puise ses racines dans les visions opposées de l’avenir du Moyen-Orient. Les États-Unis cherchent à consolider sa domination sur une région névralgique, tandis que l’Iran est prisonnier des contradictions de sa propre Constitution. Celle-ci a fait au régime islamique un devoir de soutenir les mouvements des déshérités du monde et l’affront aux oppresseurs d’une part, et la non-ingérence dans les affaires internes des autres de l’autre !
L’existence de nombreux centres décisionnels parallèles dans les domaines politiques et économiques est un autre problème qui ajoute de la confusion dans le secteur de la politique étrangère. Ceux-ci se neutralisent et paralysent la diplomatie iranienne.
La pratique de la politique étrangère en Iran se diviserait en deux républiques (1979-1989, 1989-présent) et trois périodes. L’idéologie constituait le fondement de la politique au cours de la première période (1979-1989) qui avait coïncidé avec le règne de Khomeyni, marqué par la ferveur révolutionnaire et la résistance aux ‘puissances arrogantes’, les Américains en premier lieu. La décennie 1979-1989 constitue la première république.
La deuxième période coïncidait avec les deux mandats présidentiels d’Ali Akbar Hachemi-Rafsanjani (1989-1997); pragmatiste, il cherchait l’apaisement avec le monde extérieur pour reconstruire le pays dévasté par la guerre avec l’Irak.
La troisième période correspond aux deux mandats du Président Mohammad Khatami (1997-2005). Khatami a lancé une révolution tranquille dans le discours politique des dirigeants de la République islamique et modernise le vocabulaire de la diplomatie iranienne en introduisant de nouveaux concepts tels le dialogue entre les cultures et civilisations. Sa politique a réduit de façon substantielle la tension dans les rapports avec le monde extérieur. Il a réussi à faire baisser le « mur de méfiance », érigé entre Téhéran et Washington, si ce n’était pas la conspiration des conservateurs iraniens et américains, plus confortables de survivre dans un climat conflictuel.
Washington reproche à Téhéran trois problèmes majeurs et une préoccupation accessoire : 1. sa quête des armes de destruction massives, notamment nucléaire; 2. sa commandite du terrorisme international, notamment celle du Hezbollah au Liban, du Hamas et du djihad islamique en Palestine; 3 : son hostilité au processus de paix israélo-arabe/palestinien; et 4 : sa violation des droits de l’Homme. Les trois premières inquiétudes, qui sont celles d’Israël avant d’être américaines, ont conduit le gouvernement américain à imaginer une panoplie de mesures destinées à déstabiliser le « régime des mollahs ».
Tout a commencé le 14 novembre 1979 avec un Ordre exécutif, émis par le président Jimmy Carter qui a déclaré une Urgence nationale conformément à l’Acte international de pouvoirs économiques (International Emergency Economic Powers Act 50 U.S.C. 1701-1706) pour traiter la menace peu commune et extraordinaire à la sécurité nationale, à la politique étrangère, et à l’économie des États-Unis émanant de l’Iran. Les successeurs de Carter conduiront ces sanctions en y ajoutant d’autres punitions. Le 15 mars 1995, le Président Clinton a recouru à l’Act pour imposer de nouvelles sanctions afin de faire face à la menace iranienne. Le 6 mai 1995, par une Ordonnance exécutive, le Président a prescrit d’autres sanctions qui seront renforcées par un autre Décret le 19 août 1997, lui-même prolongé le 14 mars 2000. George Bush renouvellera le tout en mars 2001 en additionnant d’autres. 9
Le journal La Presse (Montréal, 11 avril 2005), qui cite l’Agence France-Presse, fait part du prix que Washington investit dans le changement de régime iranien. Selon le quotidien américain USA Today, le gouvernement américain dépense chaque année 15 millions de dollars pour financer les radios et les télévisions émettant des programmes en persan vers l’Iran. Selon la presse américaine citant le site Internet du Département d’Etat, « trois millions de dollars seront attribués aux institutions éducatives, aux groupes humanitaires, aux organisations non gouvernementales et aux personnes vivant en Iran pour soutenir le développement de la démocratie et des droits de l’homme »,
somme dérisoire pour renverser le régime d’Iran, pays essentiel au Moyen-Orient.
Le Monde Diplomatique résume bien les rapports difficiles entre l’Iran et les États-Unis: «Officiels ou contestataires, les interlocuteurs que l’on rencontre à Téhéran restent sereins. « Cela fait maintenant vingt-cinq ans, nous déclare le professeur Mahmoud Kashani, opposant modéré, ancien candidat à la présidence de la République, que les Etats-Unis ont placé l’Iran dans leur ligne de mire. Depuis 1995, Washington a décrété contre l’Iran un embargo, aggravé depuis par la loi D’Amato. Ensuite, M. Bush nous a classés parmi les pays de l' »axe du Mal », et la nouvelle secrétaire d’Etat, Mme Condoleezza Rice, vient de définir l’Iran comme l’un des « postes avancés de la tyrannie » dans le monde. Nous sommes habitués à leur hostilité. L’affaire du nucléaire n’est qu’un nouveau prétexte.» 10
Lancée par les clashologistes ou clashistes de l’administration américaine, la nécessité de changement du régime islamique pourrait prendre des formes différentes selon les circonstances sur le terrain et le contexte mondial. Les États-Unis encerclent l’Iran. Si le fossé entre gouvernants et gouvernés se creusent encore davantage, Washington serait tenté d’intensifier la pression sur le régime iranien. Isolé à l’intérieur, ce dernier sera fragilisé dans ses relations externes. Cela inviterait les Etats-Unis de résoudre le ‘problème’ nucléaire iranien une fois pour toutes. Dans un tel contexte, différents scénarios seraient envisageables, tous difficiles pour la République islamique, mais aussi pour Washington. Il s’agit d’accentuer les sanctions économiques, introduire des pressions politiques, bombarder des cibles nucléaires et militaires avec sans concours d’Israël, etc.
La mise en œuvre de chacun de ces scénarios aura des conséquences pour l’ensemble de la communauté internationale. Provoquant le changement de régime à Téhéran sous la pression externe, Washington remplirait le vœu inachevé du régime déchu d’Irak lors de l’invasion de l’Iran en 1988 ! Le comble de l’ironie c’est que Washington devient l’agent du changement de régimes en faveur de ses ennemis.
- Les défis régionaux
L’ordre régional lance des défis suivants au régime islamique en Iran : 1. la plupart des pays arabes qui soupçonnent les vraies intentions de la politique étrangère et du programme nucléaire iranien refusent d’entretenir des relations normales avec Téhéran ; 2. la poursuite du conflit israélo-arabe. L’Iran paie un prix énorme pour sa solidarité avec la cause palestinienne et syrienne ; aucun pays arabe n’est aussi mal traité par les Etats-Unis et Israël que l’Iran ; 3. l’instabilité au Liban et les menaces américano-israéliennes à l’endroit de la Syrie surtout depuis l’annonce de l’alliance stratégique syro-ira-nienne ; 4. la politique américaine de démocratisation du Moyen-Orient et la crise de la violation des droits humains en Iran ; 5. la continuation de la crise en Irak et l’insécurité d’accès aux lieux saints pour les pèlerins iraniens ; 6. la poursuite de la crise afghane, la production et l’exportation des stupéfiants vers l’Iran et leur impact sur la sécurité psychologique-sociale d’une partie importante de la population iranienne ; 7. la prolongation des crises de basse intensité dans le Nord (détermination régime légal de la Mer Caspienne) et le Sud (question de souveraineté des trois îlots iraniens situés dans le Golfe Persique et revendiqués par les Émirats arabes unis). L’intervention des puissances non-régionales dans ces disputes en faveur de l’Azerbaïdjan ou des É.A.U. sera explosive ; enfin 8. L’encerclement de l’Iran par les Etats-Unis qui est la mère de tous les défis.
La diplomatie iranienne pourrait sortir relativement indemne de ces difficultés si les mesures suivantes sont déployées: 1. Contribuer à l’édifice d’une structure intégrative à l’échelle régionale ou tout au moins sous-régionale (Golfe Persique) ; 2. La continuité rationnelle de la politique des mesures de confiance en vue d’enlever les obstacles dans les relations avec les pays de la région ; 3. La prise de conscience des capacités et limites de sa politique étrangère dans la crise du conflit israélo-arabe ; 4. Reconnaître l’existence d’Israël maintenant que les Palestiniens, comme les autres arabes, ont renoncé à la destruction de l’État hébreu ; 5. La poursuite d’une politique consciente et réaliste de rapprochement avec les pays importants du reste du continent (Russie, Chine, Inde, Pakistan) ; 6. Connaître la réalité de ses propres capacités et l’équilibre des pouvoirs dans la région et au niveau global ; enfin 7. Abandonner toute illusion et comprendre cette réalité selon laquelle l’amélioration concrète de ses relations avec la plupart des pays étrangers est une variable des relations de ceux-ci avec les Etats-Unis ; en d’autres termes, aucun pays ne sacrifie ses relations avec Washington pour plaire à Téhéran.
- La menace interne
À la disparition de l’Ayatollah Khomeyni, arbitre ultime du jeu politique iranien et à l’avènement de la Deuxième République, succède une nouvelle équipe dirigeante, plus politique et pragmatique. Une politique étrangère de porte ouverte et l’ouverture sur le monde est tentée, quoique sans grand succès. L’économie fleurit même si la majorité de la population s’appauvrit. Les relations romantiques qui cimentaient la cohésion sociale et liaient les gouvernants aux gouvernés seront confrontées à la rude réalité de l’après-guerre. La richesse du trésor «public», qui reste entre les mains de quelques individus, ne profite guère au public.
La Deuxième République qui est en paix relative avec son environnement régional et connaît une prospérité matérielle, se trouve plus menacée que jamais. La légitimité révolutionnaire et populaire, qui constituait le pouvoir du régime islamique durant la décennie 1979-1989, est effectivement remise en question. La contestation de cette légitimité par les forces internes, associées à la pression externe, est un danger de taille auquel la deuxième République doit faire face. Le danger devient imminent si ces deux éléments contestataires se convergent. Devant la perte graduelle de l’appui interne, les dirigeants du régime islamique sont forcés de modifier substantiellement leurs discours.
Dans le contexte de l’élection présidentielle de juin 2005, le Guide suprême, le président, le chef du pouvoir judiciaire, les Imams de la prière du vendredi et d’autres dignitaires de la République islamique lancent un mot d’ordre à la population : voter! Devant les menaces et dangers ci-haut mentionnés c’est le nombre de votes qui compte. Toutes les autorités précitées qualifient le vote un devoir religieux et national afin de faire comprendre aux puissances étrangères la détermination du peuple à « dire non » à l’ingérence des « arrogants » dans les affaires internes de l’Iran. C’est la mentalité d’assiégé qui prévaut en Iran.
La Deuxième République se trouve devant trois choix, les uns plus difficiles que les autres :
- ouvrir encore plus l’espace politique interne dont le contrôle pourrait lui échapper;
- fermer davantage cet espace, s’exposant encore plus à la pression interne et externe;
- provoquer une crise internationale avec le danger de ne pas être en mesure de maîtriser sa dynamique.
Tout laisse à présager que le statut quo actuel ne peut pas perdurer.
* Houshang HASSAN-YARI est Professeur et Directeur du département des Sciences Politiques et Economiques au Collège Royal du Canada – Ontario.
Note
- Il n’y a pas de consensus sur le nombre exact de pertes en vie humaine. Certaines sources le chiffre 800.000(http://www.rabac.com/demo/ Relinter/M-Oenjeu.htm). D’autres estimations sont plus importantes que le chiffre d’un million souvent cité. Voir : « On peut estimer la perte de vies humaines à plus de 1 200 000 morts, ce qui est très élevé pour un conflit régional. » http://le.cos.free.fr/iran-irak.htm
- Les résidus de l’ancien gouvernement irakien réfutent toute responsabilité de Saddam Hussein dans ce dossier et font appel à l’aide américaine pour identifier l’Iran comme auteur du gazage kurde : « Récemment, Stephen C. Pelletiere, analyste politique pour l’Irak à la CIA pendant la guerre Iran-Irak, puis professeur à l’Army War College qui participa à la rédaction du rapport, en confirma les conclusions. Il rappela dans le « NEW YORK TIMES » que « le massacre d’Halabja était un crime de guerre, commis par l’armée iranienne, et non un crime contre l’humanité commis par l’armée irakienne. Et, qu’en aucun cas, il ne s’est agit de l’assassinat délibéré de populations civiles. »http://comitesirak.free.fr/cp/cp030915.htm
- Pour une évaluation de ces pertes voir : « Au total, les dépenses militaires, pertes en produit intérieur brut et capitaux non investis, auraient dépassé
500 milliards de dollars pour les deux pays. L’Iran estime officiellement à 300 milliards le prix de la reconstruction de son économie. L’Irak, pour sa part, l’évalue entre 50 et 60 milliards de dollars. » http://le.cos.free.fr/iran-irak.htm
- http://en.wikipedia.org/wiki/Saladin
- Pour un compte rendu de l’opération, voir : http://en.wikipedia.org/wiki/ Operation_Eagle_Claw
- Voir : Houchang Hassan-Yari, « Politique étrangère de la République islamique d’Iran. Rejeter les « verts » de Tehran? », Notes de recherche, Numéro 6, Centre d’étude des politiques étrangères et de sécurité, UQAM, mars 1997.
- AP, 31/1/99
- http://english.aljazeera.net/NR/exeres/BFF619F0-79DA-4AC3-B362-htm
- http://www.whitehouse.gov/news/releases/200103/20010313-6.html et http://www.whitehouse.gov/news/releases/ 2001/ 11/ 20011109-html – 33.4KB
10.Ignacio Ramonet, « Iran, la cible », Le Monde Diplomatique, février 2005, p. 1 http://www.monde-diplomatique.fr/ 2005/ 02/RAMONET/ 11885 Adoptée le 5 août 1996, la loi D’Amato (appelée Iran and Libya Sactions Act) établit qu’une compagnie, même non américaine, reconnue coupable d’investir plus de 40 millions de dollars dans le secteur énergétique en Iran se verrait appliquer des sanctions.