CONSIDÉRATIONS SYMBOLIQUES SUR LE COMPLEXE ISRAÉLO-JUIF

Jean Paul CHARNAY

Septembre 2007

L’ISRAÉLIEN EST-IL UN OCCIDENTAL, le juif demeure t-il un oriental ?

En Europe, les juifs ont été ghéttoïsés, marginalisés, puis désenclavés mais ils sont devenus Occidentaux. De même pour la majorité des juifs maghrébins par la colonisation française, et pour les juifs orientaux par l’existence d’Israël. Etonnant destin que celui du peuple juif. Les juifs ces orientaux passés en Occident, per­sécutés souvent, ashkénazes de l’Europe du Nord, séfarades de l’Europe du Sud, repassés en Orient sont devenus des Israéliens porteurs de valeurs constitutives de l’Europe gréco-romaine, christiano (au sens civilisationnel et non théologique) -in­dustrielle, lumières et révolutions, démocratie et libéralisme. Ces Orientaux deve­nus Occidentaux se réimplantant en Orient ne se retransforment pas en Orientaux mais s’y veulent Occidentaux, et comme Occidentaux ayant repris Jérusalem aux Arabes.

Jérusalem au gré des dominations

Durant des siècles les juifs dispersés parmi les nations avaient souhaité « l’an prochain à Jérusalem ». Après Auschwitz ils ont affirmé « plus jamais ça » donc recherché un Etat-nation- refuge stratégique « au cas où ». Singulière énergie que celle du peuple d’Israël privé de souveraineté terrestre depuis deux millénaires, mais s’étant maintenu dans ses diasporas par ses rabbins et ses massorètes, puis par un prodigieux effort de volonté linguistique, ayant retransformé l’hébreu de langue non morte mais d’érudition et d’observance en une langue vivante. Jérusalem avait été soumise à de multiples souverainetés, mais l’identité juive avait perduré.

Elle s’était révélée en ce pays de Canaan où se seraient installés les Hébreux au 2ème millénaire av. J.C. David y aurait bâti son palais et Salomon édifié le Temple sur ce mont Moriah, là où Abraham n’aurait sacrifié qu’un bouc. Jérusalem signifie « la paix des Jébuséens », du nom du peuplement pré-israélite. Mais après l’exil en Egypte, de Joseph à Moïse (aux -15e-13e siècles) elle fut prise, saccagée parfois une vingtaine de fois. Par l’égyptien Sezrae en 971, par l’assyrien Nabuchodonosor en -606-599-588, qui détermina l’exil à Babylone (soixante dix ans) et la destruction du premier Temple. Le perse Cyrus en autorisa la reconstruction en – 536. Alexandre ayant conquis la Palestine en -333-330. Jérusalem échut au lagide Ptolémée Ier Soter en – 320. Judas Maccabée la reconquiert contre le Séleucide Antiochus IV Epiphane roi de Syrie en – 166 : victoire dans une guerre civile des tenants de la tradition contre les juifs hellénisés. Pompée range le royaume de Judée en Etat vassal de Rome en – 63, le second Temple est détruit lors de la grande révolte anti-romaine par Titus aux ordres de son père Vespasien en 70 ap. J.C. Jérusalem est à nouveau saccagée après la révolte des Zélotes en 133 par Hadrien qui nomma la nouvelle ville Aelia Capitolina. Elle est rebaptisée Jérusalem par Constantin en 335, sa mère sainte Hélène ayant « inventé » la vraie Croix et tracé le chemin de croix de la passion du Christ, Via Dolorosa. Elle est conquise par le perse Choroès en 614, reconquise par l’empereur byzantin Héraclius en 629, mais vite subjuguée selon un traité par le second Calife Omar en 638. Ville du miraj, ascension de Muhammad vers Dieu commémorée par l’édification du Dôme du Rocher par le Calife omeyyade Abdel Malik en 691, elle est dénommée Al Qods, la Sainte, passe aux Fatimides en 969, aux Seldjoukides de Perse en 1070, redevient fatimide avec les Ortokides en 1098. Elle est prise par les Croisés en 1099. Chassés par ceux-ci les Juifs s’y réinstallent lors de sa reprise par Saladin en 1187. Elle est rétrocédée lors de la sixième Croisade par négociation à Frédéric II. HohenstaufFen par le sultan d’Egypte Malik el Kamel en 1229, reprise par le sultan Melik al Saleh en 1244. Régie par les mamlouks Bahrites (1250-1382) puis Burgites (1382) elle est rattachée à l’empire ottoman (1516). Demeurant un fantasme chrétien (la Jérusalem délivrée du Tasse, 1588-1591) elle devient l’objet de la compétition des Puissances européennes se disputant la protec­tion des Lieux Saints (guerre de Crimée, 1854-1855). Elle est enlevée par Allenby en 1917, proclamée capitale du mandat britannique sur la Palestine en 1922. Puis intervient l’innommable génocide nazi. Que la formule allemande de la déclaration de Hambourg de juillet 1941 ait signifié « solution totale » (refoulement des juifs dans les zones non aryennes) ou comme l’ont traduit les Anglo-saxons « solution finale » (extermination) de toute façon, se pose la redoutable, la non-permise ques­tion : Israël existerait-il sans la Shoah ?

Passage de l’étoile jaune à l’étoile bleue

En 1948 les jeunes Nations unies instituent sur les fondations du Foyer Juif prévu par la déclaration Balfour (1917) et les accords Sykes-Picot un Etat juif sou­verain, par 33 voix sur 56 (13 nons et 10 abstentions), tous les pays musulmans alors indépendants ayant voté contre lors de cette démonstration du démocratisme parlementaire international. D’où la première guerre israélo-arabe aboutissant au partage de Jérusalem entre Israël et la Jordanie qui contrôle l’esplanade des mos­quées et le Mur des Lamentations.

La guerre des Six Jours la restitue à Israël en 1967 et les esprits israéliens les plus agnostiques (Moshe Dayan ?) avaient été émus par la résurrection militaire d’une souveraineté juive sur Jérusalem réunifiée et déclarée capitale pérenne et insécable mais jusqu’où ? Au mur des Lamentations, le sofar avait résonné, effaçant le vieil anathème « O Jérusalem, que ma droite se dessèche si jamais je t’oublie… ». Lors de la guerre de 2006 les quelques 190 Nations unies réitèrent le droit à la sécurité – à la vie – d’Israël, dans la résignation politique de la plupart des gouvernements musulmans, en désaccord avec le sentiment, le rejet profond de l’immense majorité des opinions publiques musulmanes. Mais les batailles d’érudition doublent les stratégies politiques : travail des historiens israéliens, ou justificateurs, ou accusa­teurs.

Réinterprétation de la terrible conquête de la Terre Sainte par Josué telle que décrite dans la Bible, transformée en une lente migration de tribus semi-nomades à la recherche de nouveaux établissements. Rejetant la traditionnelle archéologie biblique « la pioche dans une main, la Bible dans l’autre » , à la recherche de l’iden­tification topographique des lieux saints, la nouvelle archéologie stratigraphique (Nils Sïbberman, Israël Finkelstein) dynamite les chronologies linéaires classiques en fouillant d’autres sites (Megido, Geze, Hazor..). Abraham aurait migré non à l’âge du bronze moyen (1800 av J.C.) mais à celui du bronze récent (1200 av J.C.) et aurait déjà connu la vie citadine alors que Jérusalem n’aurait été qu’une simple bourgade. Après la scission des tribus d’Israël le Royaume du Nord, Samarie plus fertile, aurait été affaibli par la présence assyrienne, et l’histoire des Hébreux aurait été écrite dans le royaume de Juda au Sud, privilégiant l’institution de la royauté (David, Salomon), décalé de 1000 ans av J.C. à l’âge du fer (7e siècle av J.C.) ; les errements des rois étant balancés par les cris, la conscience indignée des prophètes (de 1000 à 600 av J.C.). D’autre part, la succession généalogique des patriarches, Abraham, Isaac, Jacob, est remplacée par la localisation de leur résidence, définis­sant ainsi l’ampleur géographique d’Israël. Bref, le renouvellement archéologique peut être mis à contribution pour « expliquer », structure et territoire, la « naissance d’une nation ».

Refus de la comparaison entre Israël et les royaumes latins des Croisés, mo­tif pris que ceux-ci, implantés dans les villes, étaient dépendants de la campagne pour leur subsistance alors que les Israéliens maîtrisent l’ensemble des systèmes de recherche scientifique et technique, de production industrielle et agricole. Mais l’économie israélienne est aussi maintenue par la force de travail palestinienne issue soit des Arabes de citoyenneté (de seconde zone) israélienne, soit des Arabes venant chaque jour des Territoires- quand les points de passage sont ouverts.

Analyse des rapports internationaux pour se persuader que les traités d’armistice ou de commerce passés avec certains pays arabes, ne relèveraient pas de l’obser­vation faite par l’historien hagiographique des Croisades René Grousset à propos d’une trêve renouvelable conclue entre Saladin et Baudouin IV, roi de Jérusalem, que dans le droit franco-arabe de l’époque une paix n’était qu’une trêve. D’ailleurs la Charia autorise t’elle autre chose qu’une coexistence avec les peuples infidèles ? Les juristes en discutent. Et que deviendraient les traités en cas de victoire électorale des ultranationalistes et islamistes ? L’Occident prêche la démocratie mais par dé-mocratisme refus de reconnaître les poussées populaires ou populistes (FIS algérien, Hamas palestinien- outre le Hezbollah libanais. Tous mouvements de fondamenta­lisme religieux révolutionnaire dont l’exaltation (Al-Qaïda) déroute les sociétés oc­cidentales post-religieuses, qui pourtant en connaissent certains symptômes : Gour Emounim Juif, évangélistes, négateurs de l’évolution.

En sens inverse, réaction critique des « nouveaux historiens » israéliens remet­tant en cause l’installation des colons puis de l’Etat israélien en Palestine, « terre sans peuple pour un peuple sans terre », et l’accusation portée à l’encontre des habitants originaires d’avoir abandonné ou vendu leurs terres, pensant faire une « bonne affaire » en attendant leur retour affirmé comme un « droit ». Mais si l’Occident s’interroge sur la réinstauration d’une Jérusalem israélo-juive, n’était-ce pas parce que son prophétisme été l’une des matrices de l’Europe ?

Les prophètes aux racines de l’Europe

Les Hébreux avaient inventé ce genre politique et littéraire, mêlant la fonction tribunicienne et l’exaspération religieuse, la prospective et l’invective, conjuguant r des temps le prophétisme d’exécration (dénonciation de la corruption des moeurs) ; le prophétisme de mission (institutionnalisation, organisation, de modes de résis­tance et de combat), le prophétisme d’eschatologie (alternant les utopies heureuses et les perspectives apocalyptiques), le prophétisme de révélation (affirmant énoncer la parole de Dieu, donc transmettre une pensée plus qu’humaine même si incomplè­tement dévoilée).

Le prophétisme avait structuré ce peuple à la « nuque raide » nom « d’élite », non « élu » disent les rabbins libéraux, mais « désigné » parmi les nations pour supporter d’abord la colère de Dieu contre les dérives de sa création, l’humanité. Dernier des grands « prophètes » saint Jean dans son Apocalypse affirme l’éternité du logos di­vin : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu » (Ap., I., 1) car « dit le Seigneur Dieu, je suis l’alpha et l’oméga qui est, qui était et qui vient » Ap., I, 8). De là, ordonne le Vieillard de l’Apocalypse (I., 11) « Ecris-le dans un Livre et envoie le aux sept églises » (les premières communautés chrétiennes). Mais pour cela Jean doit « manger le Livre » que lui présente l’Ange s’érigeant sur la terre et sur la mer (l’intégralité de la création), Livre qui est doux à sa bouche (aisé à recevoir) et amer à son ventre (dur à appliquer), A.p., X. Mais au partage des eaux du Jourdain, Jean Baptiste et Jésus avaient engendré la grande dérive judéo-chrétienne qui nierait le Judaïsme. Saint Jean déjà partage entre la synagogue et les premières communautés chrétiennes. Et si saint Augustin donne la paix aux Juifs témoins de la vie terrestre du Christ, Pascal dénonce les « juifs char­nels » attirés par les biens de ce monde qui pourtant spirituels connaissant le Dieu unique, ils auraient du mépriser.

En fait l’Europe moderne politiquement issue en ses Etats-nations des tribus germaniques devenues les royaumes romano-barbares christianisés, résulte de la syn­thèse entre Antiquité classique et Antiquité biblique. Symboliquement, aux voûtes de la Sixtine, Michel Ange inscrit ces écrasants athlètes du Verbe prédicteurs des avenirs obscurs, signes de cette imbrication profonde entre le logos hellénique et le souffle judaïque : les cinq Sibylles mystérieuses, de Cumes, de Delphe, de Libye , de Perse, d’Erythrée, et les quatre grands prophètes porteurs de la colère de Dieu contre les ennemis d’Israël, mais aussi contre Israël lui-même : Isaïe, Jérémie, Ezechiel, Daniel, outre trois des petits prophètes : Zacharie, Jonas, Joël, et il y eut les foyers européens de la pensée juive : Rashi à Troyes et Worms au XIe siècle, Maimonide à Cordoue au XIIIe siècle, les « juifs du Pape » en Avignon, Thessalonique la Jérusalem des Balkans au XVIe siècle, Amsterdam la « Nouvelle Jérusalem » au XVIIe, Vilnius la « Jérusalem du Nord au XIXe. Inversement Bossuet fondait la royauté du droit divin sur la Politique tirée des propres monarchies de l’Ecriture sainte.

Mais s’étaient exaspérés les massacres de juifs lors du départ des deux premières croisades, de la Grande peste (1349), leurs expulsions ou les conversions forcées et l’inquisition après la Reconquête espagnoles leur exécration par Luther, leur dissé­mination à travers l’Empire ottoman et l’Europe slave où les pogroms les attein­draient. Pourtant au XVIIIe siècle en Allemagne l’Aufklàrung puis le romantisme avaient valorisé la judéité. Préoccupé dès sa jeunesse (DieJuden, 1749), Lessing avec son drame le meilleur, Nathan le Sage (1779) illustre une invraisemblable fabulation théâtrale et historique, inspiré par une nouvelle du Décaméron de Boccare (vers 1350). Nathan est l’antithèse du Shylock de Shakespeare. Juif de Jérusalem dont la famille a été massacrée à Gaza, Nathan a recueilli une jeune chrétienne aimée par un templier. Le patriarche latin exige sa condamnation à mort mais Saladin s’aperçoit que la jeune fille et le templier sont frère et sœur, et enfants du mariage de son propre frère avec une chrétienne ! La mutation se situe au-delà, dans la pa­rabole des trois anneaux : un père en donne un à chacun de ses trois fils, mais un seul est d’or pur. Interrogé sur le point de savoir comment le reconnaître, un juge conseille de laisser s’écouler le temps. Dans son déisme maçonnique et rationaliste, Lessing affirmait l’équivalence de la révélation théologique des trois monothéismes, chacun contenant des parcelles disséminées qui, contre les anciennes accusations réciproques d’antériorité et de falsification des Ecritures, convergeraient de par le principe optimiste de la perfectibilité indéfinie. Ainsi le judaïsme était replacé au niveau du christianisme et le philosophe préconisant un judaïsme rationaliste, Moses Mendelssohn, reçu par Frederic II à Potsdam, non à son Académie de Berlin, et dont le petit-fils, le compositeur Mendelssohn Bartholdi, converti au luthéra­nisme, ressuscita l’œuvre de Jean -Sébastien Bach. En 1781, l’édit de tolérance de Joseph II avait précédé la révolution française, et la succession abbé Grégoire / Napoléon adoptant le principe « tous les droits pour les individus, rien pour la communauté ». En fait au grand Sanhédrin de 1809, les rabbins articulent l’ob­servance de la kashrout et les obligations militaires, et le décret impérial de 1812 institue le Consistoire de France aux aspects concordataires.

Pourtant, curieusement le romantisme s’est ressaisi de la légende médiévale (XIIIe siècle) du Juif errant ! Ce mystérieux Ahasvérus peut-être évoqué à la fin de l’évangile selon saint Jean, comme le disciple « qui ne mourra pas ». Cordonnier ou portier de Ponce-Pilate, il aurait souffleté Jésus lors de sa montée au calvaire et, doté d’immortalité, ne pourrait nulle part se reposer jusqu’à la fin des temps. Certes il réanime les fantasmes médiévaux du juif au chapeau pointu, affligé d’une rouelle jaune, perforateur d’hosties consacrées, égorgeur d’enfants, du « peuple décide », de la synagogue aux yeux bandés qui ont refusé Jésus comme messie. Figure étran­ge qui a fasciné Goethe, Chamisso, Lenau, Balzac, Edgar Quinet, Eugène Sue. Kierkegaard pou qui il est un esthéticien désespéré, et Apollinaire pour qui il est un pécheur surhumain, contemplateur méprisant de l’humanité depuis dix siècles, sorte d’anti-prophète personnalisant le peuple juif et son malaise existentiel dans une Europe dont il contribue à forger la pensée et la conscience : après tout Spinoza et Kafka ne furent-ils pas par la pensée des sortes de juifs errants ? Après des étu­des rabbiniques, Spinoza et son panthéisme chassé de la synagogue d’Amsterdam, constitue un maillon essentiel entre le cartésianisme et la Natùr philosophie alle­mande ; Kafka qui avait rêvé d’un voyage en Palestine plonge l’absurde et l’angoisse dans le bureaucratisme moderne.

Au XIXe siècle, en dépit des pogroms récurrents dans l’Europe de l’Est, lors de l’assassinat d’Alexandre II de Russie en 1881, les israélites semblent s’intégrer l’Europe de l’Ouest et du Nord. Mais Heine le poète de la Loreleï se convertit au luthéranisme (par ambition ?), et Disraeli à l’anglicanisme : champion de l’impéria­lisme britannique il fut le ministre préféré de Victoria. Et c’est à un Lord Rothschild (Nucingen dans Balzac) que Lord Balfour adressa sa Déclaration sur un foyer natio­nal juif. Puis eut lieu l’extraordinaire floraison intellectuelle et artistique israélite à la fin de la double monarchie habsbourgeoise, impériale et royale. Mais le national socialisme la bouleversa : « en ma qualité d’Autrichien, de juif, d’écrivain, d’hu­maniste et de pacifiste, je me suis toujours trouvé présent là où ces secousses sismi-ques se produisaient avec le plus de violence » constatait Stefan Zweig (le Monde d’hier- Souvenir d’un Européen). L’Autriche-Hongrie dissociées, Vienne hitlérisée, il se suicida au Brésil en 1942.

Contradiction d’une double allégeance ? A l’inverse d’Ezéchiel, visionnaire ap­pelant à l’explosion immédiate, Jérémie, diplomate, prêche la souplesse et la sou­mission tant que le dominateur est même fort, et la révolte quand il s’affaiblit. Disciple du grand Jérémie, le petit prophète Baruch rappelait au peuple châtié par l’exil à Babylone, qu’il lui fallait pourtant honorer Nabuchodonosor et son fils Balthazar. Hellénisés, Philon d’Alexandrie le philosophe et Flaviurs Josèphe l’his­torien ralliaient l’ordre romain pourvu qu’il respecte la judéité. Selon la formule célèbre, le juif prie et combat pour son pays d’accueil, non d’exil, et s’insurge contre la domination étrangère. Israël a parfois placé ses enfants au plus proche des pou­voirs dominants : Josèphe en Egypte, Esther contre Aman complotant le massacre de juifs, gagne la mansuétude d’Assuérus qui prend Mardochée comme conseiller. Mais parfois ils engendrent la haine de ce pouvoir, et entrent en rébellion : Moise sauvé des eaux du Nil par la fille de Pharaon- l’armée de Pharaon engloutie par la Mer Rouge, Daniel dans la fosse aux lions.

Non sans paradoxe la charnière des XIXe et XXe siècles des nationalismes euro­péens (1870-1945) fut aussi celle des Juifs du savoir (Jean Claude Milner, Grasset 2006), de la Wissenschaft, connaissance absolue, logique de l’intelligence abstraite : Cassirer, Max Planck, Husserl. Est-ce par hasard si sur les quatre génies novateurs qui au long de la première révolution industrielle ont bouleversé les visions de l’univers et de l’homme, trois sont des juifs agnostiques de culture germanique, Marx et l’économie, Einstein et la relativité, Freud et l’inconscient outre Darwin et l’évolution. Les théories de ces nouveaux «démiurges » sont dépassées certes, non la dévastation métaphysique et cosmologique qu’elles ont engendré dans la conscience humaine. Mais durant la même période se diffusent la théorie du complot judéo-maçonnique porté par ce faux, Le Protocole des sSages de Sion. Alors apparaissent un bouc émissaire, et un « prophète », Alfred Dreyfus et Theodor Herzl, l’officier patriote citoyen français d’origine israélite et l’intellectuel hongrois d’origine juive, humaniste dans la monarchie habsbourgeoise désespérant de l’insertion définitive des Hébreux dans les pays chrétiens européens. Les mouvements sionistes se heur­taient aux atermoiements internationaux sur le retour en Palestine, rejeté par Abdul Hamid et Guillaume II, préconisé puis freiné par l’Angleterre puissance manda­taire, étatisé en 1948. D’où, au-delà de la judéité, le nationalisme israélien presque raciste, du musée de la Diaspora à Tel-Aviv « rapatriant » politiquement et cultu-rellement les grands Juifs qui se sont illustrés à travers les nations et les civilisations. Ainsi, de pères français de souche et de mères d’origine juive, les deux plus fins, les deux plus capiteux des écrivains français : Montaigne et Marcel Proust, sont embrigadés parmi les fils d’Israël car en droit hébraïque, c’est la mère qui confine la judéité. (Comme sa mère, non convertie mais qui fit baptiser ses deux fils, le « petit Marcel » était dreyfusard, contrairement à son père et son frère). L’origine biologique l’emporte sur l’environnement culturel. Peut-on les lier, les diviser selon la politique, selon l’éthique ? Durant des décennies, Wagner a été interdit en Israël. Mais la musique ne peut elle favoriser la compréhension, voire la fraternisation ? Deux chefs d’orchestre l’ont tenté en créant des orchestres israélo-palestiniens. David Barembaum et Miguel Estrella qui fut persécuté dans son pays. Le premier cultive la grande musique classique ; l’Occident reste dominant. Le second souhaite réaliser un nouveau monde par des synthèses entre musique classique et musique orientale- mais ces métissages seront-ils concluants ?

Pourtant le prophétisme biblique débouchait sur l’universel contre les religions ritualistes et les peuples bloqués dans leurs limes culturels. Latéralement au stoïcis­me antique et à Marc Aurèle empereur, se répondent les juifs porteurs de l’univer-salisme de la condition humaine Isaie : « L’agneau boira à côté du lion » ; saint Paul (épître aux Galates) : « il n y aura plus ni juif ni grec » ou, inverse et homologue, Trotski, (Bronstein) et son appel à la révolution permanente dans tous les pays. Demeurait pourtant le problème de l’identité juive qui avant Israël, à un siècle de distance, Marx (Sur la question juive 1845), puis Sartre (Réflexion sur la question juive 1946) ne parvenaient à cerner. Le juif s’efface t’il dans le capitalisme mondial ? ou ne nait-il que par le regard de l’Autre ? Pourtant, après la guerre des Six jours et les phrases prophétiques du Général de Gaulle sur le Traumatisme arabe causé par un peuple « sûr de lui », Aron, citoyen français d’origine israélite revendiquant sa seule citoyenneté admet que la défaite d’Israël lui serait concrètement impitoyable (de Gaulle, Israël et les juifs, 1968). Sartre pro-israélien devra cohabiter avec Genêt pro -palestinien.

Israël demeure t-il européen ?

Aux deux bouts de l’histoire, les juifs se sont heurtés sacrificiellement au dur ordre européen, celui des légions romaines à Massada (66) : les derniers défenseurs se sont ils précipités du haut de la falaise après avoir tué les non combattants ? Celui de la Wehrmacht lors de l’insurrection suicide du ghetto de Varsovie (1943). Mais la guerre des Six jours imposa la vision d’un israélien moderne et affirme plus que d’un juif se défendent. C’est l’ambiguïté d’Israël. Quelle est son identité profonde – les Séfarades reprochent encore aux Ashkénazes leur emprise sur le pouvoir. La distinction joue encore parmi les Sabras. En fait géopolitique et géosociologie ne concordent pas.

En géopolitique Israël est établi sur deux façades maritimes, Méditerranée et Mer Rouge, mer occidentale et mer orientale, mais est entièrement enclavé par des pays arabes. Espérant devenir un inséminateur de la modernité, il vise à effacer son hétérogénéité par rapport aux sociétés limitrophes. Contrairement à la Turquie, Israël ne peut – ne veut- souhaiter son admission institutionnelle dans l’Union européenne. Or, en géosociologie, la stratification sociale israélienne reproduit en gros celle des pays occidentaux industrialisés libéraux. S’y ajoutent le poids dé­mographique des Arabes israéliens, population semi-marginalisée au niveau de vie inférieur, et la compression des Palestiniens dans les Territoires Ramallah- Jéricho, et dans la bande de Gaza. D’où la dénonciation arabe : bien qu’ayant encore une forte paysannerie de type pré-industriel et ne disposant qu’imparfaitement de han­te technologie, les opinions publiques arabes estiment que c’est Israël qui a une structure archaïque de type colonial. Et elles comprennent mal pourquoi les Juifs devenus européens ont voulu revenir en Asie. Comme elles comprennent mal les oscillations de ses penseurs mystico-politiques entre un hassidisme humanisant et un Eretz Israël victorieux. Ce volontarisme est jugé anti-historique, mais relève d’une philosophie de l’histoire postulant la non-inéluctabilité de la catastrophe. De son côté l’Europe, éperdue de repentance après l’holocauste s’oriente par rap­port à Israël selon une philosophie morale prônant et la réconciliation religieuse judéo-chrétienne, et l’affermissement terrestre de l’Etat-nation israélien. Or là où les Arabes, ne voient que la continuité d’une vision de l’histoire reliant les croisades à la colonisation, la vision européenne verrait dans Auschwitz un événement inas­similable par l’histoire.

En politique pratique, l’Europe des 27 souhaite, au-delà de Barcelone, établir des rapports privilégiés, constituer « un cercle d’amis » avec tous les pays la bordant par une frontière terrestre ou maritime. Le programme Meda articule des accords bilatéraux et des perspectives régionales. La destruction du Liban lors de la guerre de juillet 2006 a impliqué l’Europe et dans le financement de sa reconstruction, et par la l’envoi de casques bleus doublant la FINUL, l’Amérique ayant atteint la limite de rupture de ses effectifs en raison de la dispersion de ses engagements. Ainsi, les vieux Européens viennent en aide à leurs frères lointains. Paradoxale situa­tion : l’Europe nourrit les Palestiniens, protège « l’entité sioniste », aspire à un Etat palestinien. Mais n’a diplomatiquement qu’une audience limitée dans le Quartet international sur le Moyen-Orient, face aux Etats-Unis, l’Onu et la Russie. Et non sans paradoxe, Israël participe aux jeux athlétiques européens.

Les immigrations arabes en Europe vont-elles modifier les équilibres et les re­fus ? La communauté juive en France (la troisième en nombre après Israël et l’amé­ricaine) aura-t-elle tendance à multiplier les alyas, en raison du poids électoral des nouveaux citoyens musulmans, des attentats anti-sémites et de la politique pro­arabe que devra suivre une France où judéophobie et islamophobie s’affrontent ? Après l’arrivée en Israël des Juifs originaires de l’ex-URSS, une « vague » franco­phone contribuerait-elle à ré-européaniser Israël où les Sépharades commencent à émerger ? Les appels au retour en Terre sainte transforment des Juifs en Israéliens.

Israël demeure t-il équidistant entre l’Europe et l’Amérique ? Washington as­sure dans la longue durée l’arrière-plan profond et consolidé de l’existence d’Israël, sans que les lobbies juifs américains aient à peser autrement qu’en cas d’événe­ments particuliers sur la politique du Secrétariat d’Etat- car la diaspora se partage entre républicains et démocrates : le soutien américain demeure donc indéfecti­ble, non soumis aux alternances présidentielles en dépit parfois d’agacements ré­ciproques. Mais demeure l’apport capital des grands donateurs et des fondations. Psychologiquement et sociologiquement, la diaspora juive est peut -être la mieux intégrée dans la république constitutionnelle américaine ? Symbole éclatant : à Pearl Harbor, sur la plaque énonçant les noms des 1300 morts du cuirassé Arizona, le premier est Aaron, le dernier Zysberg. Ils cautionnent davantage Israël que si vivants ils y étaient retournés. Autre symbole : c’est un juif américain vice-prési­dent du FMI, qui a été nommé gouverneur de la banque d’Israël, tandis que le très hassidique (pieux) et médiatique, Elie Wiesel, a été évoqué pour la présidence de la république. Dès lors, le juif américain emporte la haine des islamistes David Pearl dut professer son identité avant d’avoir la tête tranchée. Mais les Arabes continuent à se demander pourquoi les Américains n’abandonnent pas Israël, ce qui leur as­surerait une alliance pétrolière arabe reconnaissante. Mais une nouvelle configu­ration apparaît-elle en fonction d’un éventuel Grand-Moyen-Orient ? Souveraine de sa minorité musulmane l’inde n’avait pas noué des relations diplomatiques avec Israël. Elle s’intéresse maintenant à la High Tech militaire : capteurs sensoriels pour sécuriser les frontières au Cachemire comme en Palestine. Au-delà des anciens bi­nômes URSS/Inde- Chine/Pakistan, une triangulation Inde / Israël/EU s’articule­rait-elle ?

Les réactions arabes aux compressions israéliennes

En 1957, la bataille d’Alger avait été tactiquement gagnée et psychologiquement perdue par les paras de Massu. En 1967, guerre des Six jours, la trop rapide victoire militaire israélienne, le désastre (naqsa) arabe, et ses bouleversements frontaliers ont déterminé une double défaite de portée historique :

  • Pour les Arabes : la cassure du rêve de la nation arabe, du panarabisme triom­phant dans une marche vers la laïcisation et le développement économique et in­ Le rêve panarabe brisé a fortifié le rêve islamiste d’un retour à la pureté musulmane originaire : le Prophète à Médine. Certes ont affirmé de nombreux géopoliticiens, Ben Laden ne s’intéressait guère à la Palestine. Peut être. Mais en définitive s’est durcie.
  • En Israël : sur un sentiment de supériorité stratégique ressenti par ses auteurs, Moshe Dayan, minister de la défense, Isak Rabin, chef d’état major et qui a été sanctionné par les défaites tactiques intervenues au déclenchement de la guerre contre Israël de 1973. D’où les intéressantes controverses : la guerre de 1967 aurait-elle du se terminer par une proposition de remise des territoires conquis aux arabes contre la reconnaissance d’Israël, et non pas la multiplication des colonies dans la West Bank ? Mais psychologiquement et internationalement la guerre de 1967 a transformé le juif sioniste en israélien de statut international et de civilisation occidentale.
  • L’irrésistible montée de la haine anti-israélienne. Au point de vue idéologique et affectif, l’écrasement des armées arabes en Six jours a entraîné de tels traumatis-mes dans les sociétés arabes que cette victoire est devenue pour Israël un désastre psychologique et géopolitique, en affermissement les blocages arabes sur :
  • le maintien du droit au retour des Palestiniens en leurs lieux d’origine
  • la revendication sur le mont Moriah, le Haram ech sherif (le Noble Enclos) : l’esplanade des mosquées, lieu supposé du sacrifice (du non-sacrifice) du fils d’Abra­ham et de Sarah, Isaac selon la Bible du fils aîné d’Abraham avec son esclave arabe Agar , Ismaël selon l’islam.
  • les dénonciations arabes du « terrorisme d’Etat » israélien.

Considérations symboliques sur le complexe israélo-juif Au-delà s’enchaînent les contradictions :

  • les guerres de libération arabe contre la colonisation avaient usé de l’argumen­tation nationaliste : droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et de leurs ressources. Certes le sentiment religieux était également fort dans les masses, mais souterrain il devient effervescent dans les vitupérations arabes contemporaines.
  • les Arabes israéliens, coincés entre leur sort matériel plus enviable que celui des Palestiniens des camps et des Territoires, mais infériorisés par rapport à la ci­toyenneté israélienne, sont soumis à un statut évoquant celui du dhimmi, le « pro­tégé » non musulman dans une souveraineté musulmane. Ce qui disqualifie pour les Arabes la prétention d’Israël à s’affirmer démocratique.
  • les Arabes chrétiens qui avaient tant œuvré lors de la Renaissance arabe (Nahda) en privilégiant l’arabité et le nationalisme unitaire pour surmonter la dichotomie religieuse musulman / chrétien, subissent maintenant la pression de l’islamisation oblique et sont enclins à abandonner leur terre d’origine, à passer en diaspora. Ce faisant ils anéantissent l’espoir israélien de leur séparation sur place d’avec les mu­sulmans : le rêve d’une partition arabe par constitution d’un Etat libanais chrétien réduit qui pourrait être un allié d’Israël, un bloc non musulman en terre arabe. Ce fût le rôle de l’armée du Liban Sud du général Aoun qui tint la frontière stratégique sur le Litani, protégeant ainsi le nord d’Israël. Mais le système ne peut se mainte­nir et le gouvernement Barak abandonna cette Armée et se replia sur la frontière internationale, ce qui détermina la guerre de 2006 : roquettes du Hezbollah sur le nord d’Israël.
  • Les dirigeants arabes soumis aux contraintes économiques de l’Occident (tech­nologie, subventions, tourisme…) obligés de supporter Israël dans la watan ara-biyya, et dans la Umma islamiyya.

Alors s’inversent les évaluations :

  • Assimilation de la compression israélienne à la mainmise coloniale sur le reste du monde : emprisonnement d’élus du Hamas (qui n’a pas supprimé de sa charte contrairement au Fatah la destruction d’Israël) évoquant celui des militants natio­nalistes lors des guerres d’indépendances. La guerre palestinienne est une guerre de libération et le vocabulaire atteint à l’horreur lexicale. Les expressions Territoires oc­cupés – colonies implantées, toponymie réinstallée (Galilée pour Palestine, Judée-Samarie pour Cisjordanie, West bank), évoquent l’impérialisme sur les autres conti­ D’où de la part de certains arabes exacerbés les anathèmes paradoxaux – les enfants des rescapés d’Auschwitz accusés d’être à la fois les successeurs des croisés, et de promouvoir un génocide et un crime contre l’humanité.

La compression d’Israël par les Arabes

  • Négation sinon de la réalité au moins de l’importance de l’holocauste non seu­lement dans les opinions publiques, mais par certains gouvernements musulmans. Ce qui au-delà de la négation du fait historique déboucha sur le négationnisme passionnel de la légitimité donc de l’existence d’Israël.
  • Rumeurs selon laquelle la destruction du World Trade Center serait l’œuvre d’une provocation israélienne. Dès lors, au-delà du dialogue interreligieux entre notables, les controverses, les affrontements idéologiques ne sont pas purement na­tionalistes et politiques, mais mettent en jeu les fois et les dogmes, et le respect que leurs sectateurs exigent pour eux des autres. Le choc de civilisations devient choc de théodicées. Fidèle contre infidèle ? Alors ressurgissent les vieux anathèmes proférés par les nations à l’encontre du peuple juif : anti-judaïsme religieux, anti-sémitisme racial, anti-sionisme politique, judéophobie anti-feuge (juif en verlan), anti-israé­lienne étatique. Alors que le Conseil de sécurité de l’Onu a réaffirmé le droit à l’exis­tence d’un Etat palestinien, le poids arabe s’alourdit sur les deux facteurs matrices matérielles de tout Etat : la population et le territoire.
  • Le cauchemar démographique : Israël submergé ?

Dans l’histoire à longue fibre, les flux démographiques finissent toujours par l’emporter sur les machines de guerre et sur les souverainetés établies. Non sans mal par les Exodus les rescapés de la Shoah s’étaient réinstallés sur ce que les Juifs croyants considèrent comme leur terre historique promise à eux par Dieu. Or, dès la guerre des Six jours, on s’interrogeait sur le jour où Israël serait menacé de l’in­térieur par la démographie arabe et ce, même si les sociétés arabes atteignaient le seuil de transition. D’ailleurs, en contrôlant trop de Palestiniens en 1967, Israël ne s’est-il pas déséquilibré ? Il se réoccidentaliserait ethniquement et géopolitiquement en acceptant leur Etat.

En fait ce sont les populations inversement extrémistes concentrées soit dans les camps palestiniens soit dans les colonies juives des Territoires qui sont résolu­ment natalistes. Mais une fermeture de longue durée des Territoires étranglerait l’économie israélienne. Et un transfert de la population, des Arabes israéliens vers les Territoires, contre le rapatriement des colons en Israël poserait de plus grands problèmes que le démantèlement des implantations de Gaza. Enfin, eu égard aux frontières irrationnelles, et quels que soient les progrès de l’armement (missile de précision drones), leurs colonies fortifiées peuvent servir de portes d’observations et de résistance (« hérisson ») et de quadrillage stratégique à Tsahal en cas de guerre ouverte, ou de révolte généralisée, ou au moins de glacis tactiques contre l’envoi de roquettes. D’ailleurs les Arabes israéliens sont économiquement favorisés par rapport à la majorité des Palestiniens des Territoires et des camps, et affectivement, veulent rester pour affirmer le caractère arabe de la Palestine historique.

La hantise démographique est telle qu’elle influerait sur la politique israélienne des visas (refus de renouvellement pour les Palestiniens ayant acquis une autre na­tionalité), et que l’on songe à des stratégies répressives entraînant une émigration définitive. La diaspora palestinienne compte plusieurs millions de personnes. Ce radicalisme démographique est générateur pour Israël d’une angoisse existentielle. D’où les actuels appels israéliens a l’alya. Mais demander à plus de juifs vivant en diaspora d’accomplir cette alya serait se priver de la force de pression politique et financière et de renouvellement intellectuel et culturel que ces diasporas réalisent dans leur pays de naissance ou d’exil, qui est souvent aussi devenu leur pays de ci­toyenneté acceptée. Les diasporas constituent-elles une force pour le pays d’accueil ; (multiculturalisme) et une faiblesse pour Israël, ou réciproquement ? L’ambivalence demeure : trop d’alyas amoindrirait la visibilité du fait juif hors d’Israël. Mais que si, comme il est probable sur la longueur des décennies voire de siècles, ce soit la démographie arabe qui l’emporte, (la victoire par les ventres), il n’en demeure pas moins qu’il s’agira d’une « victoire » plus biologique que conceptuelle, et que cette victoire s’apparentera davantage à un combat / remplacement entre des espèces animales ou végétales, qu’à une volonté de justice ou de raison.

  • L’imbroglio topographique : Israël forteresse

Eretz : la Terre. Mais : Foyer National juif, kibboutz d’esprit pionnier, laïc et so-cialisant.En leurs origines sionistes les juifs européens voulaient sortir des ghettos topographiques et sociaux. Mais Israël ne reconduit-il pas la structure du ghetto ? Région bizarre que cette partie du Proche-Orient où les cartes israéliennes n’osent tracer des frontières, mais définissent des zones de contrôle par des lignes bleue ouverte, où les cartes palestiniennes n’indiquent même pas « l’entité sioniste ». Région tronçonnée où de nouveaux ghettos s’imbriquent les uns dans les autres, où le Mur de sécurité tranchant à travers des terres palestiniennes offrira matière à échanges ou compensations, où les camps, les settlements, les check-points, les routes stratégiques ouvertes ou fermées quadrillant les libres circulations.

Mais un Etat palestinien qui ne serait plus une peau de léopard serait-il immé­diatement viable ? Devrait-on envisager une période intermédiaire sous contrôle de l’Onu comme en Bosnie ou au Kosovo ? Pratiquement l’Onu a stabilisé les épura­tions ethniques (expression d’abord utilisée par les Serbes devenant minoritaires au Kosovo en raison de l’expansion insidieuse des Albanais) qu’elle était censée éviter ..On est loin de l’espoir -projet du Fatah et de l’OLP originaires d’une république laïque contenant en son sein les trois monothéismes cantonnés au for intérieur avec un Arafat mettant en scène son observance musulmane mais assistant à la messe de Noël à Bethléem. Avit-on réduit à un « Etat souverain de Jérusalem » gouverné par un collège de princes à la présidence alternante, qui évoquerait la superficie de Monaco, Andorre, San-marin, le Lichtenstein. Vision péjorative avec les tentations financières des marchands du temple et des paradis fiscaux ou un Vatican inter-abrahimique monothéiste pourrait-il adoucir les concurrences et les controverses inter- et intra- religieuses qui ont envenimé les siècles ? Etat souverain devrait-il (par continuité territoriale ou non) englober les autres lieux saints : Bethléem et la basilique de la Nativité, Nazareth et la basilique de l’Annonciation, Hébron et le tombeau des Patriarches ?

Au fil des négociations avortées, que de formules à la fois percutantes et dérisoires. « La paix contre les territoires » – vieille idée de Bourguiba relancée par le prince saoudien héritier devenu rois Abdallah- « Etablissement de frontières sûres et reconnues » : frontières sûres qui ne peuvent plus être linéaires- les colonies reliées par des routes « stratégiques » souvent interdites aux Palestiniens constituent des ré­seaux vermiculés, des zones, des « espaces » pouvant surveiller leurs approches avec des points de feu à déclenchement automatique (mitrailleuse à caméra infrarouge). Car, de telles frontières dépendent du progrès de la technologie militaire, des visées souterraines sur la maîtrise des eaux, et du souci de Tsahal d’exercer un maillage par les colonies. D’où les fantasmes -craintes (est-elle sincère) des Arabes d’être re­poussés « au désert » par Eretz Israël (le Grand Israël). Israël avait dû abandonner la frontière stratégique fluviale du Litani au Liban et a voulu sortir du guêpier de Gaza récupéré alors de la guerre « incivique » palestinienne de juin 2007 par le Hamas islamiste contre le Fatah. Mais le retrait effectué contre la volonté des habitants et de l’extrême droite), n’empêche pas le harcèlement palestinien et les contre-frappes plus ou moins ciblées de Tsahal.

En fait Israël s’oriente vers un repli sur soi, se transforme en un ensemble plus rationnel, politique, territorial, démographique, et s’interroge sur le démantèlement des colonies excentrées trop coûteux en soldats pour leur défense, contre intégra­tion juridique dans Israël des subsistantes, et achèvement du mur de sécurité tran­chant à travers les propriétés et les activités palestiniennes- le problème du Golan syrien demeurant irrésolu. Ce qui porte atteinte à la délimitation des frontières internationales et tend à constituer Israël en un réduit défensif en les « forteresses emmurées d’Israël ».

  • Incomplétude des généraux israéliens : Israël impuissant ?

Symboles : Judith tranche la tête d’Holopherne. Mais Samson s’engloutit sous les ruines avec les Philistins.

1948 : Contre Israël – David (re)naissante, le Goliath des armées arabes. 1995 : contre les ados- David- lanceurs de pierres vainc le Goliath des blindés israéliens. Car ce sont les enfants âgés d’une dizaine d’années lors de la première Intifada, à la scolarité et à l’éducation entièrement perturbées, qui sont les héros volontaires et désespérés, les martyres s’auto-sacrifiant , de la seconde Intifada. Israël paie t-il la trop grande brillance de ses généraux, capables de gagner une guerre définitivement (psychologie et territoire), mais capables de rseculer indéfiniment dans le temps sa défaite- sa disparition ?

Ils reconduisent son existence par une paix belliqueuse- une longue guerre lar­vée, de basse intensité, ponctuée d’explosions violentes : 1956, 1967, 1973, 1982, 1995, 2006. Avant la visite de Sadate en Israël, les Egyptiens se plaignaient de cette situation de « ni paix, ni guerre » ils étaient conscients de la durée toujours renouve­lée du conflit. A l’inverse les Israéliens espéraient qu’après chaque guerre « gagnée » militairement avec plus ou moins de perte, ils parviendraient à être sinon admis au moins supportés par l’environnement arabe. En fait, ils ont du non sans angoisse comprendre que chaque « guerre » n’était qu’une phase opérationnelle, un épisode plus militarisé d’un interminable conflit- une guerre de cent ans, de deux cent ans durant laquelle alternent des batailles rangées de « grande guerre » et des périodes d’actions terroristes (attentats .) de « petite guerre ». Devrait-on procéder pour ce conflit israélo-palestinien à une rupture épistémologique ?

Depuis plus d’un demi-siècle les analyses stratégiques et les tentatives de réso­lution conjuguent invectives et négociations depuis sa création Israël doit articuler des frontières aberrantes pour une population limitée. Il est confronté à deux sé­quences historiques traumatisantes : le souvenir de trois souverainetés redoutables, mais dont la puissance ne put freiner le caractère temporaire.

  • les Assyriens qui, en dépit de leur importante machine de guerre et de leur sens artistique achevé, ne purent se maintenir qu’au prix de guerres perpétuelles avec les peuples environnants, qui les en engloutirent.
  • les Croisés, introduisant par le forceps une population et une théologie hété­rogènes, et qui succombèrent dès que se tarirent les flux démographiques venant d’Europe.
  • Avec en symbole le décryptage par Daniel (II, 32) du rêve de Nabuchodonosor, le colosse fragile à la tête d’or, à la poitrine d’argent, au ventre et aux cuisses d’airain, aux jambes de fer, aux pieds d’argile : la succession des empires. Mais ces frontières aberrantes et cette population limitée déterminent des stratégies extrêmes selon trois modes. Soit la guerre préventive : lancer la contre offensive avant que se dé­clenche l’offensive (1967). Soit la guerre répressive (1956-1982-2006). Soit la ghet-toïsation réciproque : colonies, mur de la sécurité. Les deux premiers devant assurer la sûreté militaire externe, de son territoire en ses frontières, le troisième la sécurité policière interne à l’encontre des attentats -suicides. Pourtant seule une guerre défi­nie contre-offensive a depuis 1948, Tsahal avait réussi à maintenir seul les frontières du pays. La mise au point des missiles de précision pour « frappes chirurgicales », « attentats ciblés » avaient un temps donné l’expression que la sécurité du territoire pouvait être obtenue par la destruction anticipée des armes offensives et des chefs combattants ennemis. Mais contre la multiplication des petites et moyennes ro­quettes, la fabrication de missiles capables de défoncer les bunkers ou les tunnels les contenant, ne résorbera pas l’avantage tactique qui était apparu lors des guerres de décolonisation, à savoir que la prolifération des armes à feu légères joue à l’encontre des armées institutionnalisées et sur- équipées. Et qu’un volontaire envahi par sa certitude surmontera les surveillances policières.

Pour réprimer ces actes, terroristes pour les Israéliens, sacrificiels pour les Palestiniens, la marée des chars et des bulldozers, les frappes aériennes, s’enflent ou décroissent dans les villes et les bourgs palestiniens. Non sans paradoxe le char lourd, arme principale de la grande bataille terrestre depuis la Seconde guerre mon­diale, devient un instrument déterminant dans la guérilla urbaine engendrée par la seconde Intifada. Il avait commencé à jouer ce rôle dans le maintien de l’ordre par la Kfor au Kosovo. Mais un char lourd n’arrête ni un missile artisanal « bricolé », ni poseurs de bombes.

Ceci se poursuit dans une cruelle conjoncture pour la dissuasion nucléaire dont le caractère pédagogique est remis en cause à l’encontre d’Etats dit voyous : les Etats-Unis déniant leur droit virtuel à l’enrichissement de l’uranium susceptible de conduire à la fabrication de l’arme, car la doctrine de la stabilité réciproque engendrée par l’équilibre de la terreur (destruction mutuelle assurée) se délite par le progrès technique : l’interception de missiles balistico-nucléaires semble désormais envisageable non plus par le laser de « la guerre des étoiles » du temps de Reagan, mais par des missiles anti-balistiques : (croisement de deux paraboles) aussi bien contre un lanceur intercontinental que contre une arme de théâtre. D’où la cession de Patriots américains à Israël (à Taiwan, à la Corée du Sud, au Japon ?). Ceci pour pallier les craintes de l’Occident envers une arme balistique nucléaire iranienne. Ces fusées iraniennes ayant une portée de 2000 km seraient en mesure de menacer l’Europe du Sud, donc de desserrer le soutien européen envers Israël.

Synthétisons :

En géopolitique, Israël soutenu par l’Occident demeurent en cas de victoire des armées arabes sous l’ombrelle américaine. Demeure t-il le lieu d’articulation entre la Diagonale Tragique de l’Europe, et le glacis islamo-russe de l’Asie médiane ? Israël serait l’un des lieux focaux du découpage de la planète. D’où dans le tiers-mondisme le passage de l’anti-sionisme à l’anti-sémitisme des banlieues et de la conférence de Durban 2001.

En stratégie : Israël est sécurisé par son contrôle sur deux zones appartenant à des Etats arabes : le Golan syrien, le Sud Liban. Les deux zones servent de glacis tactique à Tsahal, mais celle-ci doit être soutenue par une force internationale.

En rémission, Israël n’est donc plus seul maître de sa survie et dépend de la pré­sence étrangère pour la sécurité de ses citoyens. Dès lors surgit un doute : les straté­gies auxquelles recourent les généraux de Tsahal sont-elles le reflet des orientations définies par les politiques ? Certes dans le cas limite d’une destruction possible d’Is­raël, faucons et colombes formeraient une union sacrée. Mais à travers la suite des événements joue l’alternance des majorités. Or, la démocratie israélienne est partiel­lement biaisée par deux circonstances : par la présence de l’électorat arabe israélien minoré en fait plus qu’en droit. Et surtout par le jeu des coalitions changeantes supportant des gouvernements aux instruments (système de renseignements, com­pétence militaire) moins « performant » que ceux de l’armée.

En d’autres termes, même si Tsahal n’est pas monolithique, et non plus pré­torienne, elle conserve un poids décisionnel qui entraîne, souvent l’adoption de stratégies militaires dures. Pour citoyenne qu’elle soit en sa composition, l’armée israélienne, certains de ses généraux ne constituent ils pas un « noyau dur », un contre- pouvoir plus influent que les états-majors des démocraties occidentales ? Ses chefs compensent-ils en politique occulte ce qu’ils ne peuvent réaliser en tac­tique directe ? L’échec de la guerre de 2006 a entraîné la démission du chef de l’état major. D’où l’interrogation d’Israël : Tsahal aurait-il intérêt à s’articuler avec l’Otan ou à transférer certaines tâches de sécurité à des sociétés de mercenaires ? En 2006 d’ailleurs n’y a-t-il pas eu une double erreur d’appréciation réciproque ? La part du Hezbollah et du Hamas d’une part, l’enlèvement de trois soldats israéliens, provoquant une « grande » guerre, une véritable « bataille ». De la part d’Israël, procédant à une offensive générale en vue de délivrer un soldat otage (ou prisonnier de guerre ?), et attirant sur ses villes frontières un déluge de roquette « Recassant » le Liban ? Mais les actes de guerres détruisant un pays tiers, le Liban, sont ils justes dans leur cause, et justes dans leur accomplissement ? Sont ils ou non corrélatives à la nature de l’atteinte ? L’intensité de la riposte a-t-elle causé des pertes démographi­ques et matérielles, de dégâts collatéraux plus que proportionnels aux dommages subis ?

Les dérives de l’éthique

Un obus détruisant une maison palestinienne et tuant ses habitants devrait susciter la même horreur sacrée que le massacre aléatoire engendré par un kamikaze se faisant exploser ? Ces faits de violence extrême abolissent toute distinction entre civils et militaires, entre combattant et passants. Selon la formule des anarchistes du XIXe siècle, de par sa simple appartenance à une population opprimante nul n’est innocent. Cet extrémisme est invoqué par Israël pour justifier ses attentats ciblés contre les inspirateurs idéologiques, les doctrinaires et les gourous. Le statut de mili­taire défini par la convention de Genève est surpassé par la dénomination de « com­battants ennemis » (cf. l’administration Bush pour les Talibans de Guantanamo) dont la mise hors de combat excuse la commission de dégâts collatéraux.

Mais l’exécution de ces attentats ciblés ne peut avoir lieu que sur indices précis : les services de renseignements israéliens soumettent à la tentation, voire tentent de verrouiller tout Palestinien susceptible de devenir informateur – quitte à le trans­former en traître à sa cause, et à l’envoyer à la justice palestinienne, à la vindicte populaire – à la pendaison s’il est découvert. Kamikaze ou traître : tels sont les deux destins limites imposés par la guerre aux Palestiniens, les destins médians étant l’attentisme ou le combat de rue. Alors s’affrontent les déclarations imprécatoires et les sentiments profonds, la négation de la Shoah remet en cause l’existence politi­que et la légitimité morale d’Israël justifiant sa « radiation de la carte ». À l’inverse l’ambiguïté maintenue par Israël sur la réalité « virtuelle » de sa bombe lui permet d’échapper aux reproches d’avoir introduit le jeu de la dissuasion – répression dans la région, donc de susciter chez ses voisins un « désir de bombe ».

Au-delà de la géopolitique internationale se pose le problème des fins : en quelle mesure l’humanisme- l’humanité -demeure présent en ces compressions ? Car s’op­posent deux principes : saluspopuli suprem lex et « nécessité n’a pas de loi » – légiti­mité de la sécurité – légitimité de la résistance à l’oppression, à la négation, chaque partie reproche à l’autre de ne respecter ni le droit de la guerre, ni les résolutions de l’Onu.

Consumation des Premiers ministres

Ainsi, imposé, haï, Israël demeure écartelé entre ses grands sionistes dont cer­tains étaient nationalistes et agnostiques, et les ultra-orthodoxes de Mea Sharim qui exerce un Etat hébreu et refuse le servir militaire. Un Etat né dans la violence à l’encontre du mandat britannique freinant l’immigration, implanté comme une écharde, un coin, dans une terre que les Arabes s’attribuaient depuis quatorze siè­cles, lesquels ont repris aux « occupants sionistes leurs modes de combat terroris­te ».Il serait fallacieux de monter des équivalences à quelques décennies de distance entre Haganah (Défense) / Fath (Victoire) plus « modérés » que Irgoun – Stern / Hamas – Hezbollah. Mais c’est par la guerre que David Ben Gourion qui aurait déclaré « La Torah, oui — le Talmud non ». Voulut fonder Israël sur Jérusalem. Il n’en conservera que la moitié, et se félicita ensuite qu’Einstein ait refusé sa proposition de devenir le premier président. C’eut pourtant été une synthèse originale que ma­rier un nationalisme scientifique ultramoderne à la millénaire inspiration biblique.

En fait, de par les compressions arabes, les Premiers ministres d’Israël sont acculés à des opérations extrêmes, à des choix angoissants. Lévi Eshkol est acculé à la guerre de 1967. Golda Meir posa le principe : pas de rachat des otages mais dut supporter l’exécution des athlètes israélien capturés lors des Jeux Olympiques de Munich en 1972. Elle dut démissionner en 1974 après les défaites tactiques du début de la guerre du Kippour. Elle accueillit Sadate à Jérusalem qui marcha vers la paix, il en mourut. Begin s’enlise à Beyrouth et ne parvit pas à détruire les miliciens du Fatah : Yasser Arafat s’échappe grâce à la France, mais il signe une paix avec l’Egypte- contre la remise du Sinaï.

Scellant la fin du rêve d’Eretz Israël, acceptant une autorité palestinienne. Isaak Rabin est assassiné. Abandonnant l’Armée (chrétien) du Liban-Sud, Ehud Barak renonce à la frontière stratégique du Litani, il résultera la seconde guerre du Liban. Accusé d’avoir laissé se perpétuer les massacres de Sabra et Chatila, puis de Jénine et de la bataille de Naplouse, Ariel Sharon déclenche la seconde Intifada en montant sur l’esplanade des mosquées, puis évacue de force les colonies de Gaza. Il veut déli­miter unilatéralement des frontières sûres pour Israël, mais une attaque cérébrale le plonge dans un coma de longue durée avant qu’il n’ait sécurisé Israël par le Mur et une rationalisation territoriale (échange de terre) des colonies restantes.

Trois soldats israéliens ayant été enlevés, son successeur Ehud Olmert déclenche la guerre de l’été 2006, puis est obligé d’accepter des négociations : échange plus que proportionnel de prisonniers. Israël étant désormais impuissant à assurer la sécurité militaire rapprochée de ses territoires (le mur de sécurité étant supposé pallier à l’inefficacité de sa sécurité policière face aux attentats suicides) est obligé de demander l’envoi d’une force internationale pour stabiliser le Liban-Sud fief du Hezbollah- ce qui rétablit mais par le contrôle étranger la frontière stratégique du Litani. D’où le caractère fallacieux du prix Nobel de la Paix Bégin / Sadate – qui y laissa sa vie – Arafat / Peres l’éternel non-Premier ministre à la limite devenu

Président de la république / Rabin qui y laissa sa vie. Et que deviendraient les traités de paix si des élections « libres » étaient organisées en Egypte voire en Jordanie, après la victoire du Hamas en Palestine ?

La question israélo-juive : question complexe ou question de complexe ?

Soit deux symboles de mémoire, de courage du désespoir, de sreprise en main de son destin ; Yash Vashem le Mémorial des victimes de la Shoah à Jérusalem ; Sobibor en Pologne, le seul camp d’extermination où la révolte combattante fut victorieuse (14 octobre 1943). L’un signifie t-il le juif sacrificiel, l’autre le guerrier légitimé ?

La notion de guerre légitime ? La notion de guerre sainte n’existe pas précisé­ment dans l’Ancien Testament. Seules semblent sacralisées la guerre pour le main­tien du peuple « désigné » sur sa terre, à l’exemple (maintenant revisité) de l’arrivée de Josué en Canaan, et pour le respect de l’observance judaïque à l’exemple de la révolte des Zélotes Flavius… raconte comment une enseigne légionnaire, un san­glier, fut prise pour un porc. Israël ne pouvait laisser Iahvé fondre dans le Panthéon romain, ni sacrifier à l’empereur divinisé.

Les autres guerres, phénomènes sociaux inhérents aux activités humaines, sont profanes, « au choix ». Ainsi pour les deux guerres du Liban, 1982, 2006. Mais un juif orthodoxe et un israélo-occidental peuvent ils avoir la même conception, la même réaction ? Le premier accepte t’il un Etat laïcisant assurant son établissement sur une terre scripturairement définie ? Sans compter les visionnaires appelant l’édi­fication du troisième Temple et un israélo-occidental se limitera t’il à une souverai­neté internationalement cantonnée ? Les découvertes archéologiques renouvellent les interprétations bibliques traditionnelles et exaspérant les passions contemporai­nes où s’invoquent les grands archétypes classiques :

  • l’Hébreu antique
  • le Juif médiéval
  • l’Israélite des Lumières, et des naturalistes, des socialismes et des révolutions.
  • le sioniste kibboutznik
  • le Jude de la Shoah
  • l’Israélien combattant.

Evolution historique, ou personnalité multiple ? Antiques Falachas éthiopiens et ex-soviétiques déjudaïsés-anti-sémites parfois.

En fait, pour Israël, deux complexes s’enchevêtrent :

  • une situation géopolitique complexe, comment se faire admettre géographi-quement alors que l’environnement majoritaire vous accuse de procéder à une oc­cupation reposant sur la force.
  • une interrogation psychologique complexée : les Israéliens doivent ils se refaire orientaux pour mieux s’affirmer israélo-juif ?

La compression israélienne sur les Arabes pérennise leurs antagonismes internes sanglants (Septembre Noir, Hamas contre Fatah) mais la compression des Arabes sur Israël débouche sur trois apories.

  • Plus Israël se veut d’Occident, moins il s’insère psychologiquement.
  • Plus Israël s’implante militairement, moins il est reconnu politiquement.
  • Plus Israël risque par ses réussites de développer un complexe de supériorité, moins il échappe aux traumatismes de son insécurité.

Donc Israël : un Etat parmi les Nations, et la patrie des Juifs définie par une as­cendance, une terre, un Livre ? En ce peuple où en cas de périls extrêmes les colom­bes doivent rejoindre les faucons, où les Intifada ont succédé à la Shoah, Emmanuel Lévinas pour assumer la seconde a proposé l’acceptation par « l’otage » lui-même d’une responsabilité « inconditionnée » l’approchant de la sainteté. Et Amos Oz pour surmonter les premières par « la paix maintenant » implore « Aidez-nous à divorcer ». Où se situe le peuple israélien entre Europe et Amérique, Orient et Occident ? Israël-litt : « Dieu combattra », tel est le nom qu’imposa à Jacob l’ange avec qui il lutta (Genèse, XXXII, 29). Désigna plus précisément les Hébreux (« ceux d’au-delà de l’Euphrate ? ») Du royaume du Nord par rapport aux habitants du royaume du Sud, de Juda (juif, du latin Judaeus). Appellation prédestinée ? Israël est un « jouteur puissant ». Son avenir dépend t-il moins de ses stratégies que de ses identités ? Sa vérité est-elle plus dans ses symboles que dans ses réalisations ? La question demeure d’existence. Et, selon l’intuition phénoménologique, l’existence précède l’essence.

* Islamologue et Directeur de recherche au CNRS- Paris-Sorbonne, auteur de plusieurs publica­tions sur les doctrines et les conduites stratégiques, sur le droit musulman, l’Islam et la pensée po­litique arabe contemporaine, notamment l’ouvrage, Technique et géosociologie, Le nucléaire en Orient. Paris : Anthopos, Economica, 1984. Actuellement, Président du Centre de Philosophie de la Stratégie.

Notes

  • dans frustrations arabes, Al- Bouraq, Beyrouth, 1993
  • « Logique socio-stratégique au Proche-Orient », in Politique Etrangère, N°5, 1973, p.533.
  • « Mutations des stratégies palestiniennes »
  • « Guerre révolutionnaire et guerre militaire dans les années 1970-1980 ».
  • «Traumatismes arabes, révolution et terrorisme », in Revue Politique et Parlementarisme, N° 925, septembre 1989, p. 44.
  • « Pour une Philosophie des stratégies arabes »,Arabies, N°139-140, juillet- août 1998.
  • « Entre Islam et géostratégies », entretien avec Olivier Mongin, revue Esprit, août-septembre 1998, pp.65-83.
  • « La Véritable révolution islamique, vers un néo-islam ? » Islam de France, N°2, 1998, pp. 51-63.
  • « Guerre sainte »in, Dictionnaire de stratégie, Thierry de Montbrial et Jean klein, éd.,PUF, 2000, pp.304-309.
  • « Sur les Stratégies arabes, in Agir, revue générale de stratégie », N° 6, hiver 2000, pp. 23­
  • « la Victoire de Ben Laden ? Djihad sacrificiel et géopolitisme américain, Un monde à repenser, 11 septembre 2001», Eric de la Maisonneuve et Jean Guellev é Economica, Paris : 2001, pp. 89-97.
  • « Destructurations au Moyen-Orient », inGéostratégiques, N°6, 2005, pp. 35-43.
  • « le djihâd comme anti-dialogue ou le trilogue anti-djihâd »in Conflits Actuels, N°15, 2005-1, pp.80-105.
  • « l’Ambition du nucléaire au Moyen-Orient », Entretien avec Yacin Tekfa, revue Géostratégiques, N°10, décembre 2005, pp. 285-292.
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