La thématique de la participation des femmes à la vie politique apparaît essentielle dans le monde aujourd’hui, notamment parce qu’elle est liée à leur capacité d’obtenir l’autonomie, nécessaire à cet objectif. La sous-représentation et le problème de la formation sont les obstacles récurrents à abattre pour pouvoir ouvrir plus largement aux femmes leur participation dans les responsabilités internationales et leur intervention au niveau de la gouvernance mondiale.
Fidèle à sa vocation d’animer librement des débats sur des thématiques qu’elle veut analyser de façon inédite et originale, l’Académie de Géopolitique de Paris a le plaisir d’organiser un colloque sur « La Femme et sa place dans la gouvernance à l’échelle mondiale » le vendredi 8 mars de 14h30 à 18h00. À partir des différentes aires géographiques et culturelles, notamment l’Afrique et le Proche-Orient, et de la déclinaison des nombreuses problématiques liées à ce défi majeur, spécialistes et praticiens des relations internationales débattront et confronteront leurs points de vue divers, ouvrant la voie à de multiples pistes de recherche venant enrichir la connaissance scientifique sur ce sujet très sensible, et très actuel.
Ali RASTBEEN, Président de l’Académie de Géopolitique de Paris,
Ouverture : « Les femmes et leur place dans la gouvernance mondiale »
Quel est le rôle et la place des femmes dans la gouvernance mondiale ?
La réponse à cette question n’est ni facile ni évidente. Les observations qui suivent, ont pour but de soulever des questions et susciter une discussion. Il faudrait au préalable s’entendre sur le sens du concept de « gouvernance mondiale ».
Le vocable de « gouvernance » tel qu’il est employé aujourd’hui est à la fois un concept descriptif, normatif, idéologique et critique. Il possède une longue histoire : au Moyen-âge, ce terme était synonyme de « gouvernement ».
À partir des années 1930, on commence à parler de la « corporate governance » (gouvernance d’entreprise), « politique en réseau régissant les relations d’acteurs réunis avec l’objectif d’engendrer un profit ».Depuis cette époque, le discours sur la gouvernance oscille entre l’apologie de la technocratie efficacité, gestion performante et innovante, sensée pallier aux risques et résoudre des questions de plus en plus complexes, et l’idée de la démocratie participative, prise en compte de la société civile, pluralité d’acteurs publiques et privés.
Cette excellente idée néolibérale est de plus en plus détachée des cultures locales. On assiste donc à une atomisation de la puissance publique, aussi bien par le haut que par le bas. Avec le qualificatif « mondial », la notion se confond avec celle de « régime international » santé, environnement, droit maritime, etc. La gouvernance mondiale se superpose ici à la gouvernance locale et nationale, et il s’agit « d’ajuster à l’échelle planétaire les politiques et comportements des États et des grandes organisations internationales ou transnationales, d’une part sur la base de normes négociées à l’échelle planétaire », avec des acteurs tels que les grandes institutions économiques mondiales (OMC, FMI, etc.), d’autre part les multinationales, les grandes ONG et les lobbys. La représentativité démocratique de cette gouvernance pose question. Les ONG mondiales ont une représentativité problématique. L’atomisation de la puissance publique suppose l’existence de pôles de pouvoir concurrents : la gouvernance mondiale signifie polyarchie ou même parfois autoritarisme (au nom du développement). Ainsi, l’État est sensé se cantonner au rôle de régulateur et d’arbitre.
Aborder la question de la place des femmes au sein de la gouvernance mondiale peut ainsi signifier celle de leur représentation parmi ces grands acteurs de la globalisation capables d’agir au niveau international avec des institutions et des grandes entreprises internationales. L’ONU proclame vouloir permettre à davantage de femmes d’occuper une place légitime dans les instances de décision. L’expertise d’ONG de femmes peuvent contribuer à la création de normes négociées dans des domaines relatifs à leurs besoins. Au niveau local, ces ONG ont prouvé leur efficacité.
La gouvernance mondiale n’est cependant peut-être pas le niveau où se décident les questions cruciales pour l’amélioration du statut de la femme. La gouvernance mondiale fonctionne selon une logique d’évitement du risque et de la conservation des équilibres en place. L’impasse sur la gouvernance démocratique au niveau national ne peut pas ce faire, et c’est à ce niveau que leurs intérêts et leurs besoins sont susceptibles d’être prises en compte.
Pour rappel, d’après les données de 2023, les femmes n’occupent qu’environ 21 % des postes ministériels dans le monde. Au 1er janvier 2023, les femmes représentent 22,8 % des membres de cabinet à la tête de ministères. Seulement 15 pays ont une femme comme chef d’État, et 16 pays ont une femme comme chef de gouvernement.Par exemple, la participation des femmes à la gouvernance démocratique est étroitement liée à celle de l’accès des filles à l’éducation, facteur qui contribue à leur émancipation de la domination familiale. L’élévation du niveau d’éducation des femmes est aussi corrélée à une baisse des taux de fécondité, sujet particulièrement important en Afrique et dans certains pays d’Asie et au Moyen-Orient. Or, ces politiques se décident toujours au niveau national.
En outre, si la gouvernance mondiale commence à être perçue comme une force qui érode la légitimité démocratique et la culture, les réactions de rejet qui se manifestent au niveau national peuvent conduire à la stagnation ou même au rejet de politiques visant à améliorer le statut de la femme au nom de la défense de la souveraineté ou des traditions, réelles ou imaginaires. De même, l’extension de la normativité à outrance peut engendrer des réactions de rejet. Les réponses susceptibles d’être apportées à toutes ces questions seront cruciales pour l’avenir des femmes au sein de la gouvernance mondiale.
Quionie Rébecca OMOALI BOWAO, Magistrat, Experte Droits de l’Homme et Genre, Présidente de l’Association MIBEKO et de son Forum International MIBEKO
Autonomie des femmes en Afrique : un parcours laborieux
La célébration de la Journée Internationale des Femmes, le 8 mars 2024, intervient dans un contexte géopolitique international contrasté, marqué par la perte de vitesse des repères fondamentaux de garantie de la dignité humaine acquis de hautes luttes après la deuxième guerre mondiale. L’espoir de Paix, de Justice, d’un monde meilleur, porté par l’avènement du troisième millénaire, s’effondre peu à peu. On assiste à l’émergence des guerres internes, internationales et internationalisées au cours desquelles les femmes et les filles, victimes des violences sexuelles utilisées comme arme de guerre, en payent véritablement un lourd tribut.
En Afrique, la situation de la femme est de tout temps, particulière.
En effet, malgré l’existence d’un cadre juridique international favorable à sa protection et à sa pleine intégration sociale, auquel la plupart des États africains ont adhéré, la femme africaine continue de subir un statut empreint d’inégalités de traitement fondées sur la domination masculine.
L’analyste Joëlle ABEGHE MINTO’O pense que : « Les Africains empêtrés dans leur coutume »1, les femmes et les filles demeurent des proies faciles, car, victimes dans leur quotidien de nombreux actes de violence et de discrimination portant atteinte à leurs droits fondamentaux et à la dignité. Pour comprendre cet état de fait, Joseph KI-ZERBO invite à opérer « une distinction entre les droits en tant que normes acceptées ou proclamées, et les droits comme pratiques inscrites dans les mœurs ».
Cela emmène à observer qu’en Afrique, le droit découlant des mœurs semble bien s’imposer, dans une certaine mesure, sur le droit proclamé ou positif.
Cette situation de détresse en temps de paix s’est aggravée avec la survenance sur le continent de guerres fratricides, laissant émerger de nouvelles formes de violences sexuelles à l’encontre des femmes et des filles, plus perverses, inhumaines et barbares.
C’est ce dont témoigne la mère d’une fille assassinée par les belligérants dans le conflit armé à l’Est de la RDC :
« Le 15 mai de cette année [2001], quatre combattants fortement armés – c’étaient des Hutus – sont venus chez nous à 9 heures du soir. Tout le monde dans le quartier avait pris la fuite. J’ai voulu cacher mes enfants mais je n’ai pas eu le temps. Ils ont pris mon mari et l’ont attaché à un pilier dans la maison. Mon bébé de quatre mois a commencé à pleurer et je l’ai mis au sein. Ils sont partis chercher ma fille et je savais qu’ils la violeraient. Mais elle a résisté
1 Joëlle ABEGHE MINTO’O, Les droits des femmes en Afrique centrale, Thèse de doctorat Droit Privé, Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 1998, p. 1.
2 Joseph KI-ZERBO, Les droits de l’homme en Afrique, Tradition et modernité. Foi et développement, Centre Lebert, N° 237-238, novembre-décembre 1995, p. 1.
et a dit qu’elle préférerait mourir que d’avoir des relations (sexuelles) avec eux. Ils lui ont coupé le sein gauche et le lui ont mis dans sa main. Ils ont dit : « Tu veux encore nous résister ? ». Elle a dit qu’elle aimerait mieux mourir que d’être avec eux. Ils ont coupé les lèvres génitales et les lui ont montrées. Elle a dit : « Par pitié, tuez-moi ». Ils ont pris un couteau et l’ont mis sur son cou et ensuite, ils ont fait une longue incision verticale en descendant vers la poitrine et ont ouvert son corps. Elle pleurait mais finalement, elle est morte. Elle est morte avec son sein dans la main ».
Des cris similaires ont été entendus au Rwanda, au Burundi, en République du Congo, en République centrafricaine, au Soudan, etc.
Aussi, la problématique de l’autonomie des femmes en Afrique renvoie, au-delà de l’exigence de citoyenneté des femmes en tant qu’actrices de gouvernance, au même titre que les hommes, à l’exigence d’une justice pénale et de réparation efficace en réponse aux crimes internationaux de violences sexuelles.
C’est une invitation à la prise en compte de l’approche genre à l’aune de la systémique au coeur de la responsabilité partagée des Nations Unies, des organes régionaux de protection des droits de l’homme, de l’Etat concerné et des acteurs non étatiques.
Ainsi, la responsabilité collective et individuelle des acteurs de gouvernance mondiale et nationale est interrogée.
Kamala MURADOVA, Spécialiste en relations internationales, Essayiste, Chercheuse associée à l’Académie de Géopolitique de Paris,
L’Arménie, l’Azerbaïdjan et la Géorgie ces trois républiques indépendantes de Caucase du Sud auparavant faisant partie de la Russie tsariste et après une courte période de l’indépendance entre 1918-1920, ont fait partie jusqu’au 1991 de l’Union soviétique. Évidemment durant toutes ces années l’environnement politique a joué un rôle important dans l’émancipation de situation des femmes qui presque similaire. L’ouverture des écoles des filles, les éditions des journaux et des magazines pour la publique féminine et surtout droits de vote sont des acquis au début de vingtième siècle. La particularité de l’Azerbaïdjan marqué par le fait qu’il soit premier pays musulman à donner le droit de vote aux femmes en 1918, durant la période première république. La Constitution soviétique déclarait les hommes et les femmes égaux en droits, en incluant les femmes dans les sphères économique, politique et sociale. Dans les pays de Caucase du Sud il serait impossible d’étudier la situation des femmes sans prendre en considération le statut de la famille. Dans ce système de sociétés patriarcales la famille est sacrée et plier de la nation, dont la femme en est gardienne. Afin de protéger les femmes contre les violences conjugales et toute sorte de discrimination les trois républiques ont adopté des lois et sont rejoints aux conventions internationales. En dépit de l’environnement juridiquement favorable aux femmes, elles rencontrent beaucoup de difficultés dans l’intégration à la vie politique et dans la gouvernance. Un autre problème rencontré est celui d’entreprenariat. L’activité des femmes dans ces deux secteurs restent faible par rapport aux autres domaines sociaux-culturel, dans l’éducation où elles sont en majorité écrasante.
Patricia LALONDE, Ancienne eurodéputée, Vice-présidente de Géopragma,
« Les femmes dans les sociétés Irano-Afghanes »
La lutte pour le droit des femmes est victime des aléas géopolitiques. Aussi je suis frappée par la comparaison faite entre le sort des femmes iraniennes et afghanes, actuellement sous le régime des talibans. Dans ces pays les femmes avaient leurs droits, à l’époque du roi Zaher Shah en Afghanistan et à l’époque du Shah d’Iran. Depuis, que s’est-il passé ? Après l’invasion soviétique (1979), les Occidentaux (particulièrement les britanniques) ont appuyé tous les groupes islamistes… La suite vous la connaissez : le 11 septembre, l’intervention américaine pour virer les talibans. Dès ce moment, la situation s’est améliorée dans les grandes villes, il y avait une certaine modernité, pas de Burka, etc. bien que dans les campagnes ça n’était pas encore le cas. Je tenais à dire tout cela car je pense que la perception qu’on fait des pays dans nos médias est en fonction de la géopolitique. Comme il faut actuellement taper sur l’Iran à cause de ce qu’il se passe au Moyen-Orient (et ce n’est pas nouveau) on explique que le méchant c’est l’Iran, et on vit un peu la même chose avec la Russie dans le contexte actuel. Il ne faudrait pas que les révoltes en Iran masquent la responsabilité des occidentaux. J’ai l’impression que si on compare l’Iran et l’Afghanistan c’est aussi pour faire oublier la débâcle d’Afghanistan, les occidentaux étant partis, de manière pas très brillante… laissant clés en main le pouvoir aux talibans d’une façon assez honteuse. Le deux-poids deux-mesures occidental dans la défense des droits des femmes est ahurissant. Mettre sur le même pied Bachar el-Assad et l’état islamique… en plus d’avoir soutenu des groupes d’opposition syrienne islamistes… Le droit des femmes syriennes n’était aucunement dans les préoccupations des occidentaux qui voulaient remplacer un régime, certes autoritaires, par un régime islamiste. Idem en Tunisie, Lybie, Égypte… Nous même en Europe nous sommes menacés par l’entrisme de l’islam radical.
Jean-Michel VERNOCHET, Essayiste et Journaliste,
« La Femme et sa place dans la gouvernance »
Le regard porté à travers le verre déformant de la doxa ne doit pas nous leurrer. La place des femmes « dans la gouvernance à l’échelle mondiale » n’a jamais été aussi prégnante même si elle ne répond pas toujours aux critères quantitatifs – aux quotas égalitaristes – définis impérativement par les idéologies dominantes aujourd’hui : féminisme, néo-féminisme, wokisme, etc. dont les excès ne sont plus à dénoncer.
Pour s’en convaincre il suffira de se reporter à l’impressionnante liste des dirigeantes politique qui sous toutes les latitudes et sur tous les continents dirigent les destinées des États et des peuples : https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_de_dirigeantes_politiques
Car l’équité et la qualité individuelle se réduisent-elles à une question de chiffres et de proportions ? Le système de la parité en France n’a apparemment pas fais ses preuves et le personnel politique féminin – mais ce n’est là que appréciation personnelle – y est régulièrement décevant : Valérie Pécresse, Ségolène Royale, Anne Hidalgo, pour ce citer que celles-là ont indéniablement échoué à convaincre.
Notons que de grandes figures féminines de la politique internationales ont émergé dans des systèmes culturels et confessionnels particulièrement conservateurs voire patriarcaux : Bénazir Butto au Pakistan, Indira Gandhi en Inde, Corazon Aquino aux Philippines, Sirimavo Bandaranaike au Shri Lanka, en Birmanie Daw Aung San Suu Kyi, dans un autre style Eva Peron en Argentine, Margaret Tatcher au Royaume-Uni, Golda Meir en Israel… La liste est ainsi fort longue des femmes qui ont joué ou jouent encre actuellement un rôle de premier plans dans les Affaires mondiales.
Si nous reprenons l’intitulé de ce colloque : « La thématique de la participation des femmes à la vie politique apparaît essentielle dans le monde aujourd’hui, notamment parce qu’elle est liée à leur capacité d’obtenir l’autonomie, nécessaire à cet objectif. La sous-représentation et le problème de la formation sont les obstacles récurrents à abattre pour pouvoir ouvrir plus largement aux femmes leur participation dans les responsabilités internationales et leur intervention au niveau de la gouvernance mondiale », nous pourrions dire a contrario que les femmes non seulement n’ont jamais été absentes de la scène politique – oserai-je dire – depuis la nuit des temps, mais qu’elles y jouent de plus en plus souvent un rôle de premier plan !
L’histoire du monde est tout autant celui des rois que des reines.
Observons que ce ne sont pas les restrictions liées à la tradition qui ont freiné l’accès au Affaires et à leur exercice de fortes personnalités telles que Margaret Tatcher, et qui ne l’ont pas non plus empêché de s’accomplir en tant qu’épouse et mère.
De ce point de vue il semble erroné de vouloir imaginer des aides ou des procédures « compensatrices », « facilitatrices » ou « incitatrices » qui permettraient au sexe féminin d’occuper des positions prééminentes dans la gestion des affaires mondiales, positions que, de facto, elles occupent déjà … Madame Van der Leyen n’occupe-t-elle une place sur mesure et ne jouit-elle pas de prérogatives qui vont bien au-delà de ses fonctions de présidente de la Commission européenne ?
À un niveau plus modeste des secteurs importants de nos sociétés sont largement féminisés sans que quiconque y trouve à redire, par exemple l’enseignement public mais plus encore la magistrature.
Faits et réflexions qui conduisent à penser que les politiques volontaristes ne constituent pas certainement le meilleur choix. Ses doute mieux vaut laisser faire les forces organique de la nature humaine et sociale, plutôt que de vouloir à tout prix corriger des défauts ou insuffisances qui n’existent en grande partie qu’à travers le prisme déformant de modes ou de partis-pris idéologiques.
« Le statut précurseur de la femme en Tunisie »
Mohamed Larbi HAOUAT, Docteur d’État en Relations Internationales, Chercheur associé à l’Académie de Géopolitique de Paris & IPSE,
Le statut précurseur de la femme en Tunisie n’était pas un don du ciel, ni un bloc magique et élaboré d’un seul coup, mais le travail d’hommes et de femmes, des siècles durant. En effet, tant d’initiatives ont été déployées à travers l’Histoire dans la perspective de l’émancipation de la femme en Tunisie. Au début, cette lutte était une émanation féminine et solitaire. Elle est par la suite devenue mixte et collective, afin d’avoir plus d’impact. L’institutionnel, les réseaux de la société civile et médiatiques ont fait bouger la situation pour le bien de la femme. Les exemples d’héroïnes tunisiennes de l’émancipation des femmes sont légion, et à leur tête la légende d’Elyssa (Didon), et sa fuite de Tyr pour aller fonder Carthage, mais surtout quand elle s’immole en guise de protestation contre un homme qui cherchait à l’épouser de force. Cet acte a marqué à jamais son refus de sa soumission à l’hégémonie masculine, brandissant solennellement le droit des femmes à la liberté, le droit de dire non au mariage forcé. Son souvenir vivace est profondément gravé dans la conscience collective tunisienne. Le débat sur le voile a lieu en Tunisie dès 1919. On peut aussi évoquer la femme de Bourguiba qui avait une grande influence, se mêlait de tout, y compris de politique. Des groupuscules islamiques prétendent remettre en cause les acquis du statut précurseur de la femme en Tunisie, récusant la modernité et revendiquant le retour à la tradition, à la Charia pure et dure. Surtout, la réinstauration de la polygamie et de la femme au foyer. Le crime le plus crapuleux fait à l’encontre de la femme tunisienne fut d’avoir envoyé plus de 500 tunisiennes à la guerre en Syrie pour la prostitution. 40 femmes sont revenues en Tunisie enceintes, le reste ou bien tué ou bien en prison. L’émancipation de la femme a aussi été une question sérieuse pour les hommes en Tunisie, les exemples de réformistes et progressistes tunisiens sont nombreux. Bourguiba, le vrai instigateur du code de statut personnel, promulgué pour faire la femme l’égale de l’Homme devant la loi, disait : « Si on ne le fait pas maintenant, personne ne le fera plus tard. J’imposerai la liberté de la femme et des droits par la force de la loi sans attendre la démocratie ou ceux qui ont été leurrés par une culture machiste au nom de la religion ». Droit de vote, de choisir son mari, divorce… ce code fut le premier du genre dans le monde arabe.
Premier débat
Ismael PAIENDA, Co-fondateur et membre du comité des dirigeants de l´Assemblée des Spécialistes et des Experts d´Afghanistan,
« Comment parvenir à établir le respect des droits des Femmes ? »
L’émancipation des femmes est la clé pour construire un monde équilibré. Le 8 mars a pour origine une grève des ouvrières d’une usine textile à New York en 1908, dans lequel est survenu un incendie dans lequel elles ont péri. Le problème est commun à toutes les femmes du monde. Même en Europe, l’égalité n’est pas totalement respectée… et l’accès aux droits a été un long combat. Les principales causes d’inégalités entre les gens sont : les discriminations basées sur le genre, les inquiétudes et croyances traditionnelles, les us et coutumes qui varient en fonction des pays et même des bleds, la discrimination au travail, la charge de travail domestique pour les femmes, les inégalités d’accès à l’éducation, la violence basée sur le genre, l’écart salarial. Même si la loi existe, si elle n’est pas appliquée, ça ne sert à rien. Pour supprimer les discriminations envers les femmes, il faut supprimer les causes que je viens de vous citer. Quelles solutions peut-on apporter ? La question de la représentation équitable est importante, la lutte contre les discriminations au niveau institutionnel, le renforcement des lois et institutions, des programmes d’autonomisation économique des femmes, la sensibilisation et l’éducation culturelle, la transformation des normes sociales, des mentalités et de l’opinion, l’égalité salariale, des pénalités pour quand ce n’est pas appliqué, favoriser l’accès à la santé, abattre la violence de genre, promouvoir des dialogues, un engagement gouvernemental, encourager les médias à promouvoir les images non-stéréotypées de la femme, soutenir et promouvoir la création culturelle qui célèbre l’émancipation des femmes, encourager la participation active des femmes en politique… Ces mesures combinées peuvent contribuer à constituer un environnement où les rapports entre les hommes et les femmes sont équilibrés et où la gouvernance mondiale reflète la diversité et l’équité. Des gouvernements devront mettre en place tous les processus correspondant. Nous sommes à un moment charnière de l’Histoire, dans notre engagement en faveur de l’égalité des sexes, pour envisager un avenir plus équitable et plus inclusif. Nelson Mandela disait qu’ « il est de notre responsabilité de changer le monde pour le rendre meilleur, et plus juste pour tous ». Ensemble œuvrons pour un monde où chaque femme peut pleinement exercer son potentiel et contribuer à la gouvernance mondiale de manière significative. Le droit des femmes n’est pas un privilège, c’est un droit humain.
Myassa MESSAOUDI, Écrivaine et militante féministe,
« Les mouvements féministes à l’aune du néolibéralisme »
Dans la gouvernance en Occident, on trouve des femmes aux plus hauts postes décisionnaires, mais il n’en est rien dans beaucoup de coins du reste du monde, le monde arabo-musulman par exemple où la lutte féministe est physique, juridique, expose à des dangers patents et est menée dans une terrible solitude. Le capitalisme industriel du 19ème siècle avait donné un coup de pouce à l’émancipation des femmes en leur permettant d’accéder au travail (par besoin de main d’œuvre, bien sûr, et pas par esprit d’émancipation puisque femmes et enfants étaient beaucoup moins rétribués que les hommes). Ce capitalisme a réalisé des profits phénoménaux, mais il a parallèlement permis un certain nombre de progrès concernant les femmes : accès à davantage de métiers, indépendance financière, progrès médical et baisse de la mortalité infantile, ce qui a conduit avec le temps à d’autres revendications, telles que les droits politiques. La multiplication des usines et les besoins du capitalisme en main d’œuvre ont fini par ancrer les femmes dans le salariat, et ces dernières ont pris part à tous les mouvements de grève aux côtés des hommes pour réclamer leurs droits et améliorer les conditions de travail, leur contribution ayant permis l’émergence de l’État-providence en Occident, en France en particulier : accès aux soins, sécurité sociale, congés-maternité, crèches, écoles, etc. Mais le moteur du capitalisme est le profit, il s’en fiche de la hiérarchie des sexes, et de plus la révolution industrielle, récente, n’avait pas annihilé les mentalités misogynes. Ces mouvements furent accompagnés par le recul de la religion, qui a donc freiné l’émancipation des femmes. Le capitalisme du début du siècle avait donné un coup de pouce aux féministes, mais le néolibéralisme en vigueur aujourd’hui a bouleversé l’ordre du monde, en particulier les valeurs démocratiques mises en avant par l’Occident. Il opère au niveau international à travers la mondialisation, le militarisme et, à nouveau, l’entreprise coloniale. Fondé sur une liberté sans limite des marchés, il met l’accent sur la dérèglementation, les privatisations, le démantèlement de la protection sociale et des États-providence qui avaient émergé après la Seconde Guerre mondiale. Les femmes ont été fortement impactées lorsque les secteurs de l’éducation et de la santé ont été touchés. Dans les pays pauvres, la baisse des commandes a intensifié la concurrence et généré un travail encore plus mal rémunéré et précaire pour les femmes. Si la visibilité des femmes a été nettement améliorée et leur cause clamée dans toutes les instances internationales, voire mise en avant comme l’un des motifs d’intervention militaire, les femmes n’ont pas vu d’amélioration sur le terrain… La diplomatie du féminisme a montré ses limites et sert le plus souvent à stigmatiser des pays ennemis, et la solidarité affichée par les grandes démocraties occidentales reste au stade de la propagande, d’argument de légitimation des menées néolibérales et néocoloniales. Pire, la cause des femmes est de plus en plus vidée de son sens idéologique au profit d’un merchandising qui vise à l’instrumentaliser pour augmenter les profits ou envahir de nouveaux territoires, rendant ces combats mainstream et bankable. La théorie féministe peut circuler comme un signe de prestige dans un paysage élitiste et néolibéral… Les études sur le féminisme émanent souvent d’Occident et ne tiennent pas suffisamment compte des féminismes de terrain. Il n’est pas vrai que le féminisme peut être théorisé et calqué pareil sur toutes les femmes partout à travers le monde. La parité, à double-tranchant, est aujourd’hui louée au détriment des compétences, et alors qu’en Europe on voit que ce ne sont pas forcément les femmes les plus qualifiées qui arrivent au pouvoir.
Dr Rahela KAVEER, Docteur en médecine aux USA, Présidente internationale des Hazara Afghans, Ambassadrice de paix,
« Activisme pour les droits des femmes en Afghanistan »
La 1ère période d’évolution de la condition des femmes afghanes commence dans les années 1920, lorsque sous le règne du roi Amanullah Khan (1919-1929) elles avaient la liberté de faire des études, on envoyait les étudiants (filles et garçons) étudier en Europe, réformes et changements dans le système se succédaient, les valeurs modernes commençaient à être introduites, etc. malgré de nombreuses barrières politiques et culturelles qui subsistaient. Une 2ème période d’amélioration de la condition des femmes afghanes commence sous le règne du roi Zaher Shah (1933-1973) qui a duré 40 ans et durant lequel elles avaient la liberté de mouvement, d’action, d’accéder de plus en plus à certains postes etc. liberté qui a continué sous le gouvernement républicain (suite au coup d’État du Prince cousin Mohammad Daoud Khan (1973-1979) jusqu’à l’invasion par l’Union soviétique. Il faut toutefois noter que ces grandes opportunités désormais accessibles aux femmes afghanes ne l’étaient probablement que pour environ 25 % de la population vivant dans les zones urbaines. Les autres n’y avaient pas accès. En ce qui concerne la condition des femmes, l’oppression a commencé dès 1992 avec l’arrivée des Moudjahidines. Les Hazaras ont été oppressés aussi. Après ce fut la guerre civile et l’arrivée des Talibans (1996) où l’oppression a été plus forte encore, jusqu’à l’intervention des États-Unis et de la communauté internationale en 2001, à partir de laquelle s’ouvre la 3ème période d’amélioration de la condition des femmes afghanes. C’était l’âge d’or pour les femmes : presque toute la population a pu accéder à l’éducation, la société civile s’est développée, des femmes ont participé aux gouvernements, les valeurs démocratiques ont été promues, etc. Malheureusement, cela s’est terminé avec l’effondrement du gouvernement en 2023 et le retour des Talibans, et la situation s’est largement détériorée depuis.
Les Hazaras sont un des groupes ethniques composant la population afghane. Toujours persécutés et confrontés au génocide, notamment à l’époque d’Abdur Rahman Khan quand 60% d’entre eux furent tués (1880). Durant les années 1980, à l’époque de la guerre entre l’Afghanistan et l’Union soviétique, des femmes Hazaras ont pu se montrer, s’exprimer, accéder à la participation, mais cela concernait très peu de femmes impliquées au niveau intermédiaire, aucune au niveau supérieur. Des gens quittaient l’Afghanistan à cause de la guerre et immigraient dans les pays voisins où le statut de réfugié leur a donné des opportunités pour se développer, suivre des études, créer des ONG (nous avions lancé une association de femmes à Mazâr-e Charîf en 1993 et une autre à Bâmiyan). Des associations de réfugiés afghans furent créées en Iran et Pakistan. Aujourd’hui il n’y a plus de droits : pas de droit à une occupation, à sortir sans père, frère, oncle ou mari, de faire des études… Une campagne avait par exemple eu lieu pour arrêter des centaines de femmes sous le prétexte d’un « hijab inapproprié ». Des témoignages me sont parvenus sur ce qu’elles ont subi lors de leur emprisonnement. L’oppression d’aujourd’hui n’est quand même pas aussi forte qu’à la première époque des talibans, et certains Hazaras participent au gouvernement, mais il s’agit plus une question de communication politique. Les divisions ethniques ont longtemps affecté le mouvement des femmes en Afghanistan. Nous avons lancé un mouvement mondial des Hazaras pour la solidarité des femmes et aussi permettre la réalisation d’une paix et d’un développement durables.
RANAIVOARISOA Rojontsoa Tsihoarana, Chercheuse associée à l’Académie de Géopolitique de Paris,
« La place de la femme à Madagascar »
La femme a toujours été présente dans l’histoire de Madagascar, du temps des « Vazimba » où la culture malagasy à été fondé sur un système matriarcal, et que la transmission du pouvoir se faisait de manière matrilinéaire (c-à-d de mère en fille). Durant la royauté, 4 grandes se sont succédées, dont la plus influente et la plus remarquable fut la reine Ranavalona Ière, qui a été un véritable symbole du patriotisme et de la fierté nationale malgache. Autoritaire, elle combat toute influence étrangère et a lutté contre l’expansionnisme militaire et religieux européen. Mais elle n’était pas la seule femme malagasy ayant rayonné dans la grande île, voire jusqu’en Afrique. Ne citons que Bao Andriamanjato, qui a été la première femme ingénieur de Madagascar et en Afrique, femme politique et militante des droits des femmes.
Devenue une société patriarcale depuis le retour de l’indépendance en 1960, les femmes malagasy n’ont jamais cessé d’être présente dans tous les secteurs (politique, économie, sport, littérature, etc.), et cela jusqu’à présent. Sur les 25.680.342 habitants (en 2018), 13.013.390 de la population sont des femmes. Elles sont donc plus nombreuses par rapport aux nombres de population de sexe masculine. Le développement de Madagascar dépend de la femme, car la femme est l’origine de toute existence humaine, mais aussi la construction d’une Nation, d’un pays. Ce qui est confirmé dans le mot malagasy « Firenena » (ayant comme radical: Reny = Mère) qui désigne une Nation, la Mère Patrie puise donc son origine dees Femmes, des Mères.
Malgré cette place que détiennent les femmes dans la société malagasy, elles sont encore généralement marginalisées dans quelques régions de Madagascar (victimes de discrimination, de violences, de certaines pratiques culturelles, etc.). Plusieurs facteurs empêchent l’épanouissement des femmes, tels: le droit coutumier, les trafics en haut lieu entravent leur droit, la lourdeur des tâches domestiques,… De nombreuses jeunes filles quittent prématurément l’école et ont moins de capacité à assumer leurs responsabilités. Pourtant, elles sont généralement des femmes responsables et actives dans son foyer, dans sa vie sociale, souvent même plus que les hommes, et essayent de rayonner dans le monde politique et aussi entrepreneuriale.
Deuxième débat