Afghanistan, un couloir stratégique

André PERTUZIO

Consultant pétrolier international et ancien conseiller juridique pour FàiCTgk à la banque mondiale.

Trimestre 2010

L’AFGHANISTAN EST UN PAYS À PEU PRÈS DnNUÉ, pour l’instant, de reasources énergéti ques e t dont la consommation atteint à peine un demi million de tep (tonne équivalent pétrole) annuellement, la consommation d’électricité par habitant étant de17 kwh/an !

C’est essez dire que les problèmes d’ordre énergétipue sont très rapidement analyses. Toutefois, le ministre des Mines a annoncé dès 200u que d’importantes découvertes d’hydrocarbures avaient nté faites à Katawaz dans la province de Pakika dans le Sud-Est du pays et qu’il existerait d’autres possibilités pétrolières ou gazières dans d’autres provinces. Le président Hamid Karzaï a confirmé le 3 février dernier que des ressources pétrolières gazières et minières considérables existaient dans le pays. Cette informPtion résuiterait des recherches et études menées depms f00e pu les Américain à la suite d’un accord avec le Un Geoaogical Service et le LIS Navnt faseanh Laboratory. Aucune confirmonon à ce jour n’a œpend^t été donnée de l’erestence de gisements d’hydrocarbures mais, en revanche, le fait est que l’Afgha­nistan contient une grande quantité de minerais d’importance stratégique.

En toiit étret de cause, quelles pue soient les spéculation que l’on puiSse fure sur l’existence d’hydrocarbures en quantités eppréciables, c’est surtout le désencla-vement de FArie centrale (qui revêt une énorme importance économique et straté­gique

À cf sujet:, il est indispensable de revenir sur la stratégie mondiale des États-Unis qui commande leurs décisions politiques et militaires au Moyen-Orient, singulière­ment à Tégard de l’Agh^ristan. Les opinions divergent certes à cet égard et il existe une tendance qui impute aux seuls intérêts pétroliers l’orientation de la politique de

Afghanistan, un couloir stratégique

Washington. Celle-ci consiste en effet à faire de la sécurité des approvisionnements en énergie une priorité absolue et, notamment à contrôler la région du Moyen-Orient où sont concentrés près des deux tiers des réserves mondiales de pétrole et pas loin de la moitié des réserves gazières. Il s’agit aussi, et peut-être même surtout, de contrôler les voies d’évacuation et d’acheminement, notamment à partir des régions productrices enclavées d’Asie centrale en évitant la Russie et l’Iran et en tenant compte également des avancées de la politique de la Chine.

C’est dans ce contexte géostratégique qui déborde le terrain des hydrocarbures que s’inscrit la politique de Washington.

Il convient d’abord de rappeler qu’avant l’implosion de l’Union soviétique ou­vrant la voie à l’indépendance des républiques d’Asie centrale, tous les oléoducs et gazoducs de la région, bien moins productrice qu’aujourd’hui cependant, étaient orientés vers la Russie et non vers l’extérieur. Il s’agit désormais, alors que l’Asie centrale est une région productrice majeure, d’orienter cette production vers l’ex­portation extérieure et d’éviter de dépendre de la Russie, attitude ouvertement secondée par les États-Unis (f Géostratégiques, n° 12. « Géosociologie de l’Asie centrale »). C’est ainsi que, sous la pression de Washington, sera construit l’oléoduc BTC (Bakou-Tbilissi-Ceyhan) pour acheminer le brut d’Azerbaïdjan mais aussi du Kazakhstan vers la Méditerranée et non vers la mer Noire. Ajoutons enfin l’arrivée d’un nouveau venu, la Chine et l’oléoduc en construction Kazakhstan-Sinkiang.

En ce qui concerne l’Afghanistan, dès 1993 la société UNOCAL (Union Oilof California) a eu le projet d’un gazoduc (TAP) vers le Pakistan, à travers l’Afghanis­tan, pour acheminer le gaz naturel du Turkménistan, qui en possède des réserves importantes et produit annuellement 70 milliards de m3, et son voisin l’Ouzbé­kistan, environ 60 milliards. C’est ainsi qu’UNOCAL négocie avec le président du Turkménistan Saparmurat Nyazov, et ses dirigeants apportent leur soutien aux talibans en vue d’un accord pour passer le gazoduc en Afghanistan. Dans le même temps, la société argentine Bridas propose, notamment au Pakistan, un projet rival. En décembre 1997, UNOCAL renonce en raison de l’hostilité nouvelle des talibans avec lesquels cependant Washington négocie, notamment par l’intermédiaire de Laila Helms, Américaine d’origine afghane et nièce de l’ancien patron de la CIA Richard Helms.

C’est ainsi que le 5 février 2001, peu après l’investiture de George W. Bush, les talibans acceptent de négocier, notamment pour obtenir une reconnaissance officielle. Ils viendront même à Washington en juillet 2001. Aucun accord ne se fera et, le 11 septembre, l’attentat contre le WTC ouvrira la voie aux opérations militaires en Afghanistan mais aussi en Irak pour faire rentrer ce dernier pays dans la mouvance américaine alors que, depuis trois décennies, les sociétés pétrolières anglo-saxonnes en étaient exclues.

Avec l’arrivée au pouvoir de Hamid Karzaï (qui avait été consultant à UNOCAL), le projet de gazoduc TAP renaît avec le soutien de Washington mais avec un financement de la Banque asiatique de développement. Les dirigeants des trois pays concernés se mettent ainsi d’accord sur la construction d’un gazoduc re­liant les champs de gaz naturel du Sud-Est du Turkménistan passant par Kandahar et Herat et aboutissant à Multan au Pakistan. Le gazoduc aurait une capacité de 30 milliards de m3/an sur une distance de 1 700 km pour un coût évalué à l’époque à 3,3 milliards de dollars.

Mais déjà les problèmes s’annoncent. Outre, bien entendu, la guerre avec les talibans dont le bastion se trouve précisément dans la partie sud-ouest de l’Afgha­nistan, le problème essentiel est celui des réserves de gaz naturel du Turkménistan dont la plus grande partie de la production est achetée par Gazprom à des prix avantageux pour cette dernière. Ce pays négocie aussi activement avec la Chine pour alimenter un gazoduc reliant les deux pays. Ajoutons à cela ses exportations de gaz en Iran dont les réserves ne sont pas vraiment développées et qui se concentrent surtout sur l’immense gisement offshore de South Pars dont les phases de mise en exploitation s’étendent jusqu’en 2030 pour produire essentiellement du GNL (gaz naturel liquéfié).

Ces difficultés et naturellement la guerre retardent le projet qui est repris en 2008. Il s’appellera désormais TAPI car l’Inde s’est jointe à l’accord des trois autres pays le 25 avril 2008. C’est en 2010 qu’il est, en principe, décidé d’entreprendre les travaux pour une mise en exploitation vers 2015 avec une capacité annuelle de 33 milliards de m3, et un investissement de 7,6 milliards de dollars. Il est toutefois certain que les problèmes qui entravent une réalisation effective du projet n’ont pas disparu, non seulement celui des réserves compte tenu des autres négociations en cours auxquelles s’ajoute le projet Nabucco qui compte aussi sur le gaz naturel du Turkménistan sans savoir s’il sera possible de l’acheminer vers Bakou car cela suppose un gazoduc à travers la mer Caspienne pour lequel l’accord de la Russie est indispensable. Or, elle n’a aucun intérêt à le faire, non seulement car elle entend réaliser son projet Southstream vers l’Autriche et l’Italie mais aussi parce qu’elle est acheteuse de gaz naturel du Turkménistan.

Il est certain que, d’un strict point de vue économique et, plus largement éner­gétique, ce projet de gazoduc d’Asie centrale, car il ne faut pas oublier l’Ouzbékis­tan, vers le Pakistan et surtout l’Inde, grand consommateur d’énergie (540 millions de tonnes/an) est parfaitement logique. L’Afghanistan constitue indiscutablement un couloir énergétique évident pour la mise en valeur et l’acheminement des hy­drocarbures des pays d’Asie centrale. Mais il faut placer le problème dans son cadre géopolitique et géostratégique. Passons sur les opérations militaires qui ne peuvent que retarder la construction des ouvrages et surtout leur financement. Il reste qu’en dehors de son aspect économique, le carrefour stratégique afghan ne peut être dis­socié de la politique et de la stratégie américaines dans cette région du monde. Sans aller jusqu’à attribuer aux seuls hydrocarbures la responsabilité des guerres menées par Washington, force est de reconnaître les enjeux colossaux de ce que d’aucuns appellent le « Grand Jeu ». Pour les États-Unis, il s’agit évidemment non seule­ment d’assurer la sécurité des approvisionnements mais aussi de saper l’influence déterminante jusqu’à ce jour de la Russie en désenclavant l’Asie centrale vers la Méditerranée et l’océan Indien sans passer par elle ni par l’Iran et en gagnant de vitesse la Chine.

La stratégie gazière de Gazprom est également visée car l’expansion des expor­tations russes dépend en partie de l’utilisation du gaz naturel par cette dernière, notamment celui du Turkménistan (à noter également l’accord entre Gazprom et l’Azerbaïdjan pour l’achat d’une partie de la production du champ géant de Shah Deniz). Un autre objectif est également de contrer la réalisation d’un éventuel ga­zoduc transportant du gaz iranien vers le Pakistan et l’Inde. Ces deux pays sont évidemment intéressés par ce projet au cas où la guerre en Afghanistan enliserait le projet TAPI.

La réalisation de ce couloir énergétique afghan aurait aussi des conséquences politiques en favorisant une véritable émancipation des anciennes républiques so­viétiques d’Asie centrale et même en ébranlant la domination russe dans les pays de la Caspienne et du Caucase.

Le choc et l’entrelacs constitués par les intérêts politiques, économiques et stratégiques des États-Unis, certes, mais aussi des puissances émergentes comme la Chine et l’Inde, de la Russie ainsi que des ambitions iraniennes font de l’Afgha­nistan un acteur incontournable, quoique passif, du « Grand Jeu » énergétique et stratégique.

Article précédentL’Afghanistan : une situation sans issue
Article suivantÉchec soviétique en Afghanistan

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.