Enseignant de Relations Internationales et Stratégiques, Faculté des Sciences Juridiques et Politiques, Chargé de Cours, Université de Maroua. Chercheur au Centre Africain d’Études Stratégiques pour la Promotion de la Paix et du Développement (CAPED).
Tchetchoua Tchokonte Sévérin[1]
Résumé :
La création de la CPI a suscité beaucoup d’enthousiasme au sein des populations africaines victimes d’une gestion chaotique des affaires publiques et engluées dans l’analphabétisme stratégique. Ces dernières ont pensé que la CPI devait happer les leaders politiques africains responsables de crimes divers relevant de sa compétence. Pourtant, à la suite des précédentes juridictions pénales internationales, la CPI ne constitue en réalité qu’un instrument de politique étrangère dont se servent les grandes puissances à la mesure de la défense de leurs intérêts. En effet, l’ouverture des enquêtes par le procureur et le renvoi des situations africaines à la CPI par le Conseil de Sécurité des Nations-Unies sont l’expression de la capacité des grandes puissances à faire de la CPI un véritable « cheval de Troie ».
Mots clés : Diplomatie pénale, grandes puissances, Afrique.
Abstract :
The creation of ICC has provoked a lot of enthousiasm among Africans victims of a chaotic management of public affairs and stuck in strategic literacy. Africans thought that the ICC would snap up Africans political leaders responsible for various crimes within its juridiction. However, following the previous international criminal juridictions, the ICC is in fact only o foreign policy tool used by the great powers to defend their interets. The opening of investigations by the prosecutor and the referal of African situations to the ICC by the United Nations Security Council, indeed, are clear expressions of the capacity of the great powers to make the ICC a real « trojan horse ».
Key Words : Criminal diplomacy, great powers, Africa.
Introduction :
Corollaire de la fin de la guerre froide et de la tutelle stratégique européenne, la guerre économique[2] et secrète que livrent les grandes puissances, occidentales et émergentes, pour un accès privilégié aux ressources naturelles participe à la reconfiguration du jeu de puissance en Afrique. L’intérêt des grandes puissances pour les matières premières[3] africaines constitue en effet l’expression du désir de ces dernières de s’arrimer à la rude compétition géoéconomique qui structure l’histoire des relations internationales post-guerre froide. Eu égard à leur importance dans la construction de leur puissance industrielle, économique, militaire et politique, ces dernières mettent à contribution l’ensemble de leur dispositif de puissance. La gestion cafouilleuse des affaires publiques et la quasi-institutionnalisation des démocratures[4] servent de tremplin à la mise en œuvre de la politique africaine de ces dernières. L’influence que leur confère leur statut puissances régulatrices du système international leur permet de protéger les « régimes africains amis » ou de châtier les responsables politiques hostiles à la préservation de leurs intérêts. Dans cette dernière optique, entre autres ressources géostratégiques, les grandes puissances font de la CPI un véritable instrument de politique étrangère. Il ne s’agit aucunement de minorer l’action de la CPI comme outil de régulation ou pacification du jeu politique[5] en Afrique, encore moins de conspuer l’action salutaire d’une justice internationale qui, telle une « épée de Damoclès », a contribué à l’arrimage progressif des systèmes politiques africains à la modernité démocratique. Il s’agit plutôt d’analyser les usages géostratégiques de la CPI[6] dans les procès à charge initiés contre les leaders africains hostiles aux assauts néocoloniaux des grandes puissances. Mieux, ce travail vise à démontrer que l’ouverture des enquêtes par le procureur de la CPI et le renvoi des situations africaines par le Conseil de Sécurité devant le procureur de la CPI sont matinées de considérations politiques[7] et stratégiques.
Le procureur de la CPI au chevet des intérêts des grandes puissances en Afrique
L’article 15 du Statut de Rome prévoit que le Procureur de la CPI peut ouvrir une enquête sur une situation déférée par un Etat partie ou par le Conseil de sécurité des Nations Unies[8]. Il peut également décider de le faire de sa propre initiative s’il venait à recevoir de la part de certaines personnes ou organisations – intergouvernementales ou non – des renseignements concernant des crimes relevant de la compétence de la Cour[9]. Cette compétence dévolue au procureur fait de ce dernier un des maillons essentiels de la justice pénale internationale.
Cependant, l’action du procureur n’est pas insusceptible d’instrumentalisation, « elle résulte des intérêts stratégiques et géopolitiques des Etats et reste influencée par des pressions dictées par ces intérêts »[10]. En effet, si pour certains le procureur de la CPI n’enquête que sur les situations africaines[11], il reste que plusieurs crimes relevant de la compétence de la Cour sont régulièrement commis en Afrique. De ce fait, dans la mise en œuvre de leur politique africaine, les grandes puissances instrumentalisent, à la mesure de la défense de leurs intérêts, l’action du procureur de la CPI relative aux enquêtes ouvertes contre certains responsables politiques africains. En effet, l’autorisation donnée par les Chambres préliminaires II et III au procureur de la CPI d’ouvrir une enquête de sa propre initiative dans le cadre des situations congolaise et ivoirienne ne relève pas exclusivement de la volonté de cette institution de réprimer les divers crimes commis dans ces pays, elle est plutôt l’expression de sa politisation.
Les incohérences juridiques du procès Gbagbo et Blé Goudé devant la CPI
Modalité de sortie de crise, la justice fait partie des instruments couramment utilisés pour neutraliser et humilier des responsables politiques des régimes sortants[12]. La mauvaise gestion de l’élection présidentielle d’Octobre et Novembre 2010 a en effet plongé la Cote d’Ivoire dans une profonde crise politique qui s’est soldée par la traduction querellée de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé devant la CPI. Fortement ancrée dans une logique de puissance, l’enquête et les poursuites ouvertes par le procureur Fatou Bensouda contre Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé traduisent le bégaiement de la justice pénale internationale. En effet, les enquêtes et poursuites exercées par la CPI en Côte d’Ivoire l’ont été à la demande expresse et même insistante du gouvernement de cet État avant qu’il ne ratifie le Statut de Rome[13]. Seules les motivations d’ordre stratégique peuvent permettre de comprendre le procès à charge, initié par le bureau du procureur de la CPI contre Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé. Ces responsables politiques sont poursuivis pour des crimes également commis par leurs adversaires triomphants au pouvoir[14]. Soutenu par Paris le président Alassane Dramane Ouattara semble bénéficier d’un « véritable parapluie juridique et stratégique » relatif aux crimes commis par les troupes se revendiquant de sa mouvance durant la crise post-électorale d’Octobre et Novembre 2010. Bien plus, l’acquittement de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé le 15 janvier 2019[15] dans la perspective de l’élection présidentielle de2020est un indicateur supplémentaire de l’instrumentalisation de la CPI dont la création avait pourtant suscité tant d’espoirs.
Le contrôle des matières premières et la position hautement stratégique qu’occupe la Cote d’Ivoire dans le Golfe de Guinée sont autant d’enjeux géopolitiques qui structurent l’opposition stratégique entre les grandes puissances dans ce pays et dont l’arrestation, le procès et l’acquittement de Laurent Gbagbo et de Charles Blé Goudé constituent des illustrations. Cette saga judiciaire est au cœur de la lutte de puissance que se livrent les Etats-Unis, la France et la Chine[16] dans ce pays hautement stratégique. En effet, la fin de la guerre froide et de la tutelle stratégique de Paris sont marquées par le retour des grandes puissances et la rare détermination de Paris à éloigner tout potentiel concurrent de sa sphère d’influence africaine. Compte tenu de l’importance stratégique qu’occupe la Cote d’Ivoire pour la préservation de son influence en Afrique de l’Ouest, face aux assauts géostratégiques des Etats-Unis et de la Chine, Paris oppose une détermination à conserver son joug sur ce pays stratégique utile.
Expression d’une « justice aux ordres », l’instrumentalisation des enquêtes du procureur de la CPI s’observe également dans le cadre des enquêtes ouvertes contre Jean Pierre Bemba au sujet des exactions commises par sa milice (ALC) entre 2002 et 2003 en République Centrafricaine.
Les incohérences juridiques du procès Jean Pierre Mbemba devant la CPI
Leader du Mouvement de Libération du Congo (MLC) et l’Armée de Libération du Congo (ALC)[17], Jean Pierre Mbemba a représenté une des menaces les plus importantes à la conservation du pouvoir de l’ex-président congolais Joseph Kabila et la préservation des acquis stratégiques des grandes puissances engluées dans une collusion d’intérêts, mieux dans une alliance hégémonique avec ce dernier. Ainsi, par l’entremise d’une répression politique et d’une saga judiciaire devant la CPI, soutenue par des considérations géostratégiques, l’épuration politique de Jean Pierre Mbemba est l’expression des multiples pannes du processus de démocratisation en RDC et de la détermination des grandes puissances à écarter tout obstacle susceptible d’entraver leur accès aux nombreuses matières premières stratégiques que regorge le pays.
La répression massive des forces de défense et de sécurité congolaises sur les militants et sympathisants du MLC et plus généralement sur les ressortissants de l’Equateur, province d’origine de Mbemba, en mars 2007 est la matérialisation du désir de l’ancien président Joseph Kabila d’éliminer son principal rival politique. Suite à ces événements, Jean Pierre Mbemba s’est exilé au Portugal et a par la suite été arrêté par la Belgique en application d’un mandat d’arrêt international émis par la Cour Pénale Internationale (CPI) pour des accusations de pillage, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité supposés commis par l’ALC venue aider le président Ange Félix Patassé à contrer un coup d’Etat entre 2002 et 2003[18]. En vertu de l’article 28 du traité de Rome, Jean Pierre Mbemba a été poursuivi pour sa responsabilité pénale en sa qualité de chef militaire et de supérieur hiérarchique. Le jugement du 21 Mars 2016 a donc eu le mérite de permettre à la Cour, pour la toute première fois de son histoire ; de faire application de l’article 28 du Statut[19].
Cependant, l’arrestation de Jean Pierre Mbemba et sa traduction devant la CPI aux lendemains de l’élection présidentielle de Juillet 2006 et son acquittement le 08 Juin 2018 dans la perspective des élections présidentielles de Décembre 2018 constituent des indices supplémentaires de la politisation de la CPI. En effet, l’acquittement passe pour un verdict politique. Pour expliquer ce revirement spectaculaire, les juges ont estimé que l’ex-chef de guerre n’était pas lui-même présent en Centrafrique lors des faits et n’aurait pas pu contrôler à distance les agissements de sa milice. Seules les logiques politiques et stratégiques peuvent expliquer les incohérences et autres albuties juridiques qui ont émaillé l’arrestation, le procès et l’acquittement de Jean Pierre Mbemba. Ces incohérentes juridiques de la CPI dans l’affaire Mbemba ne constituent en réalité qu’une des nombreuses illustrations de la guerre économique que se livrent la Belgique, la France, les Etats-Unis et la chine pour les matières premières congolaises, qui font de ce pays un véritable « scandale géologique »[20].
Outre les enquêtes ouvertes par le procureur, le renvoi des situations africaines par le Conseil de Sécurité au procureur de la CPI participe également de l’instrumentalisation de cette juridiction internationale à des fins politiques et politiques.
Le Conseil de Sécurité « cheval de Troie » de la politique africaine des grandes puissances
L’article 13 du statut de Rome permet au Conseil de Sécurité de déférer une situation au procureur de la CPI[21]. En effet, lorsque la situation est déférée par le Conseil de Sécurité, la Cour peut exercer sa compétence quand bien même l’Etat sur le territoire duquel le comportement en cause a eu lieu et/ou l’Etat dont la personne accusée du crime est un ressortissant ne serait pas partie au Statut de Rome.
Cette particularité s’explique en raison des pouvoirs contraignants du Conseil de Sécurité lorsqu’il agit en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations-Unies. Cependant, l’interprétation à géométrie variable de la « menace à la paix et à la sécurité internationales » permet au Conseil de Sécurité faire de la Cour un simple outil de politique étrangère visant à assouvir les aspirations de puissance de ses Etats membres. Ainsi, les intérêts des membres permanents guident, en effet, la pratique de cette possibilité de saisine par le Conseil de Sécurité. C’est du moins le constat qui peut être dressé relativement aux situations au Soudan et en Libye qui ne sont pas des Etats parties au Statut de Rome.
Le Conseil de Sécurité au service des intérêts de la France en Libye
Le renvoi de la situation en libyenne au procureur de la CPI par le Conseil de Sécurité et le vote, à l’unanimité, de la résolution 1970 le 26 février 2011 contre le régime de Mouammar Kadhafi, accusé d’user des armes mortelles contre les manifestants à son régime lors de la crise libyenne, est l’expression de la capacité de la France à s’inscrire dans la dialectique des intelligences. En effet, face à la rude concurrence à laquelle elle est désormais confrontée, la France oppose une rare détermination dans la défense et la promotion de ses intérêts en Afrique. Elle initie des stratégies visant à contenir les assauts géostratégiques des autres puissances industrielles, occidentales et émergentes, et à châtier les responsables politiques africains hostiles à la préservation de ses intérêts sur le continent. Pour y parvenir, elle instrumentalise, entre autres, le Conseil de Sécurité dont elle est un des membres les plus influents et qui, à la mesure de la défense de ses intérêts, se transforme en outil de sa nouvelle politique africaine.
Ainsi, eu égard à l’importance du pétrole[22] libyen enjeu d’une intense bataille géoéconomique et des tensions diplomatiques qui amenuisent les chances des multinationales pétrolières françaises de participer à l’exploitation de cette ressource stratégique, Paris instrumentalise la demande pressante des populations libyennes pour plus de démocratie et de transparence dans la gestion des affaires publiques. Pour la circonstance, il donne l’impression d’être un modèle de rectitude en matière de gouvernance dans sa politique africaine[23]. C’est sur la base de ces considérations que sera fait le procès du régime Kadhafi et a soutenu le vote de la résolution 1970, à travers laquelle le Conseil de Sécurité a renvoyé la situation libyenne au procureur de la CPI. Votée à l’unanimité, cette résolution a donné lieu à la délivrance d’un mandat d’arrêt à l’encontre de Mouammar Kadhafi pour crimes contre l’humanité. Bien plus, faisant suite à la résolution 1970, soutenue par la France, la résolution 1973 est adoptée le 17 Mars 2011 permet aux pays qui le souhaitent de participer à une zone d’exclusion aérienne au-dessus de la Libye pour protéger les populations civiles.
Ces résolutions (1970 et 1973) qui autorisent le déploiement des forces internationales en vue de protéger les populations libyennes victimes des assauts des forces de défense et de sécurité, sert de tremplin à la mise en œuvre du projet de puissance de la France en Libye. Après avoir poussé à l’adoption desdites résolutions au Conseil de Sécurité, la France a joué le rôle de « navire amiral » de l’action militaire de la communauté internationale en Libye. La première frappe aérienne sur la Libye a été l’œuvre des avions de chasse français Rafale et Mirage 2000[24], quelques heures après la fin du sommet organisé dans la capitale française et qui réunissait des dirigeants arabes, européens et nord-américains. Seuls les calculs géostratégiques peuvent expliquer cette opération militaire française qui visait uniquement à mettre sous le contrôle des firmes pétrolières françaises les richesses pétrolières et gazières du peuple libyen. Ainsi, contrairement au discours angélique et philanthropique tenu par le président Sarkozy selon lequel Paris n’aurait qu’un seul objectif : « venir en Aide à un peuple libyen en danger de mort (…), au nom de la conscience universelle qui ne peut tolérer de tels crimes (…) », les rebelles libyens avaient promis d’accorder 35%[25] du brut libyen aux français.
La lutte pour les matières premières constitue également l’enjeu stratégique majeur du renvoi de la situation soudanaise par le Conseil de Sécurité au procureur de la CPI et de la délivrance d’un mandat d’arrêt international contre Omar Hassan El Béchir le 04 Mars 2009.
Le Conseil de Sécurité au service des intérêts des Etats-Unis au Soudan
Dans la lutte pour la puissance décisive[26] qui oppose les Etats-Unis à la Chine sur les divers points stratégiques de la planète, Washington met à contribution l’ensemble de son dispositif de puissance. De ce fait, la guerre secrète américano-chinoise qui a opposé ces deux puissances au Soudan ne constituait en réalité qu’un des théâtres de cette « nouvelle guerre froide » autour des matières premières stratégiques. Pour comprendre les raisons de cet affrontement, il est nécessaire d’interroger les enjeux géopolitiques et géoéconomiques de la nouvelle politique africaine de la Chine et des Etats-Unis[27]. Etat non partie au Statut de Rome, le renvoi de la situation du Soudan au procureur de la CPI s’est fait par l’entremise de l’adoption de la résolution 1593 par le Conseil de Sécurité, inspirée et soutenue par les Etats-Unis, membres permanents et très influents dudit conseil. Aussi, en Janvier 2007, le rapport de la mission d’évaluation du conseil de sécurité accuse-t-il Khartoum d’avoir « orchestré et participé » à des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité au Darfour. C’est dans cette logique qu’un mandat d’arrêt international est délivré par la cour pénale internationale contre le président Béchir et deux de ses acolytes pour crime de guerre et crime contre l’humanité, le 04 mars 2009. Cette décision est la première que la CPI prononce à l’encontre d’un chef d’Etat en fonctions. Celle-ci est appuyée par les Etats-Unis et applaudie par les autres puissances occidentales et les victimes des exactions du régime de Khartoum au Darfour. Loin d’être l’expression du désir de la CPI de réprimer les crimes relevant de sa compétence, commis au Darfour par la milice pro-gouvernementale, les jenjawids, l’action de cette juridiction pénale internationale est matinée de considérations de puissance. Elle est
l’expression de la capacité des Etats-Unis à s’arrimer à la nouvelle « guerre économique » et à susciter une redistribution des cartes de puissance en Afrique depuis la fin de la guerre froide.
Au-delà de la menace que représente le Soudan pour la sécurité des Etats-Unis, la détermination du gouvernement américain à fragiliser, voire à disloquer le soudan est l’expression du conflit d’intérêt qui l’oppose à la Chine pour le contrôle et l’exploitation des ressources pétrolières soudanaises. Le contrôle des côtes maritimes soudanaises est un enjeu stratégique majeur dans cette opposition stratégique. Il y a, en effet, une volonté de faire de Port-Soudan une « pompe à essence » pour l’armée américaine et d’essayer de récupérer le Soudan dans sa sphère d’influence. L’enjeu du référendum de 2011 fut également très important, Washington voulait renforcer sa position au Sud, face aux appétits chinois. Le soutien des États-Unis au gouvernement du Sud-Soudan vise, depuis la proclamation de l’indépendance du Sud le 9 juillet 2011, à mettre sous le contrôle de ses firmes multinationales les réserves pétrolières sud-soudanaises (80% des réserves pétrolières du pays).
Par ailleurs, la chute du régime soudanais en Avril 2019 et l’arrestation du président Béchir pourraient déboucher sur sa traduction à la CPI, sur la base du mandat d’arrêt délivré contre lui le 04 Mars 2009.
Conclusion :
L’âpreté de la compétition géoéconomique qui oppose les grandes puissances autour du contrôle et de l’exploitation des matières premières[28] africaines contraint ces dernières à faire preuve d’inventivité et à multiplier les stratégies leur permettant de parvenir à leur fin. De ce fait, après les coups d’Etat, les prises de position opportunistes au sujet de la nécessaire institutionnalisation des principes et des pratiques démocratiques visant à déstabiliser et/ou à renverser les responsables politiques africains hostiles à la préservation de leurs intérêts, les grandes puissances font de la CPI un nouvel instrument de politique étrangère catalysant la mise en œuvre de leur projet de domination en Afrique. En effet, les enquêtes ouvertes et le procès à charge du procureur[29] de la CPI contre Laurent Gbagbo, Blé Goudé et Jean Pierre Mbemba ne constituent aucunement l’expression du désir de ce dernier de juger ces responsables politiques pour des crimes commis durant leur gestion cahoteuse des affaires publiques dans leurs pays respectifs. Ces sagas judiciaires constituent la matérialisation des pressions politiques et stratégiques exercées sur le procureur par les acteurs les plus influents du système international. Bien plus, leurs acquittements à la veille des échéances électorales sont l’expression de considérations géostratégiques. Davantage, le renvoi des situations du Soudan et de la Libye par le Conseil de Sécurité au procureur de la CPI et la délivrance des mandats d’arrêt à l’encontre d’Omar Hassan El Béchir et Mouammar Kadhafi relèvent du désir de la France et des Etats-Unis, membres permanents du Conseil de Sécurité, de participer à l’exploitation des importantes richesses pétrolières de ces pays. Au demeurant, le silence assourdissant de la CPI sur des crimes relevant de sa compétence et le sursis à enquêter ou à poursuivre que l’article 16 du Statut de Rome[i][30] confère au Conseil de Sécurité constituent autant d’indicateurs de la politisation de cette juridiction qui participe activement à la mise en œuvre de la politique africaine des grandes puissances.
Notes
- Enseignant de Relations Internationales et Stratégiques, Faculté des Sciences Juridiques et Politiques, Chargé de Cours, Université de Maroua. Chercheur au Centre Africain d’Études Stratégiques pour la Promotion de la Paix et du Développement (CAPED).
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- En Afrique, on est passé d’un léger vent démocratique dans les années 1990 à la formation de puissantes démocratures qui s’enkystent au pouvoir, entourées de premiers cercles familiaux et claniques. A la chute du mur de Berlin, les autocrates africains, soutenus par les anciennes puissances coloniales, tout particulièrement la France, ont su se réinventer pour se maintenir au pouvoir. Glaser (A), « De la démocratie à la démocrature familiale en Afrique », Pouvoirs, 2019/2, N° 169, P.P.107-116.
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- La RDC possède des gisements contenant une cinquantaine de minerais recensés, mais seulement une douzaine de ces derniers est exploitée: le cuivre, le cobalt, l’argent, l’uranium, le plomb, le zinc, le cadmium, le diamant, l’or, l’étain, le tungstène, le manganèse et quelques métaux rares comme le coltan. Le pays recèle plus de la moitié des réserves mondiales de cobalt, 10% de celles de cuivre, 30% de celles de diamant et plus de 70% des réserves de coltan (3/4 des réserves mondiales), un minerai qui entre dans la composition de produits de haute technologie. En plus de réserves de minerais stratégiques, dont le germanium, la RDC dispose aussi de gisements significatifs encore inexploités d’or, de manganèse, de bauxite et de minerai de fer. Voir, « Les potentialités minières de la RDC évaluées à 24 mille milliards de dollars », www.Gomafocus.org, consulté le 21 Mai 2019.
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- Selon les estimations, la Libye possède 44 milliards de barils de réserves de pétrole, loin devant le Nigeria (37.2 milliards de barils) et de l’Algérie (12.2 milliards de barils). Voir, Eugène Zagrebnov, 2019, « Le pétrole libyen de nouveau convoité », www.lefigaro.fr, consulté le 28 Mai 2019.
- Cette duplicité française, expression de la maturité stratégique des responsables politiques français s’est observée à travers les prises de positions antagonistes du président français Nicolas Sarkozy au sujet de la démocratie en Libye. Les insubmersibles intérêts économiques et stratégiques de la France en Afrique prendront le pas sur les « prétendues considérations morales et éthiques » du président Sarkozy. Comme la plupart de ses prédécesseurs, Nicolas Sarkozy, contrairement à ses promesses de campagne apporte son soutien à des régimes africains, pas particulièrement attachés à la pratique de la démocratie. En effet, Lors de la visite officielle du colonel Kadhafi en décembre 2007, pas un mot n’a été prononcé sur les tortures, les centaines de prisonniers politiques, la liberté d’expression muselée, la peine de mort en vigueur en Libye ; quelques mois plus tôt, alors que la France venait de signer avec ce pays des contrats de ventes d’armes et de matériel nucléaire pour plusieurs centaines de millions d’euros, Nicolas Sarkozy renonçait à ses promesses d’un capitalisme moralisé, rétorquant aux critiques, non sans cynisme : « Les Libyens vont dépenser quelques centaines de millions d’euros pour faire marcher les usines en France et je devrais m’en excuser ? ».
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