Par Olivier de MAISON ROUGE
Avocat (cabinet Lex-Squared) – Docteur en droit
Enseignant à l’Ecole de guerre économique (EGE)
Auteur de « Penser la guerre économique. Bréviaire stratégique », Va Edition, 2018
LA MACHINE DE GUERRE JURIDIQUE
AMÉRICAINE : CONTRE-MESURES ?
Dans l’économie mondiale très agitée et en pleines mutations assez souvent hasardeuses, on chercherait même à camoufler – sous le titre d’extra-territorialité – les abus et excès des uns et des autres, tout en défavorisant excessivement et sans le besoin les civilisations « sous-développées » voire « émergeantes ».
Les Etats-Unis d’Amérique sont passés maître dans cet art de domination arbitraire au-delà de leurs frontières étatiques : c’est ce qu’il convient de nommer « l’extra-territorialité vicieuse du droit américain », qui pourtant se veut universellement motivée de bons sentiments humains.
La réalité a depuis lors démontré que le droit américain, érigé selon des idéaux messianiques où la logique cachée, c’est d’écraser malicieusement les entreprises étrangères déjà en position d’infériorité par rapport à la concurrence américaine qui s’avère écrasante.
Les droits de l’homme doivent-ils céder aux lois mystiques des dominants, dans un contexte d’effacement progressif du droit international (ONU, OMC, traités internationaux, etc.) ?
THE AMERICAN JURIDICAL WAR MACHINE … COUNTER-MEASURES?
In the world economy, very agitated and in full and oftimes hazardous mutations, some would even seek to camouflage – under the title of extraterritoriality – the abuses and excesses of one or another, thereby unnecessarily disadvantaging excessively “underdeveloped” or “emerging” civilizations.
The United States of America are unsurpassed masters of this art of arbitrary domination beyond their State frontiers: this can conveniently be named « the vicious extraterritoriality of American law » that claims to be universally motivated by good human feelings.
Today’s reality is establishing that American law, drawn up to further Messianic ideals in which the hidden logic is to maliciously crush foreign enterprise that is already in a position of inferiority with respect to American competition, is proving to be crushing.
Must human rights yield to a dominant party’s mystical laws, in a context of the progressive dissipation of international law (U.N., C.M.O., international treaties, etc.)?
Dans la guerre économique mondiale, le rôle du droit est devenu un levier majeur de soumission que certains pays utilisent désormais sans retenue, à leur avantage exclusif, dans un contexte d’effacement progressif du droit international (ONU, OMC, traités internationaux, etc).
L’affaire Alstom-General Electric[1], fut un exemple particulièrement emblématique de la manière avec laquelle la loi américaine a été utilisée contre une entreprise française. Cette affaire a très largement participé à un éveil des consciences, à tel point qu’une enquête parlementaire a été déclenchée.[2]. Cette action d’ingérence juridique s’était vu précédée par le cas BNP Paribas, qui a fait succomber la banque, dans le cadre d’un chantage judiciaire.
Les Etats-Unis d’Amérique sont passés maître dans cet art de domination juridique, au-delà de leurs frontières étatiques : c’est ce qu’il convient de nommer « l’extraterritorialité du droit américain ».
La puissance des États-Unis s’appuie sur la lutte contre la corruption
Ce faisant, les Etats-Unis, depuis l’ère du Président Bill Clinton, ont pris soin d’avancer masqués sous couvert de bons sentiments. Mais la réalité a depuis lors démontré que ce n’était qu’une façade, érigée selon des idéaux messianiques, où la logique cachée est de placer les entreprises étrangères en position d’infériorité par rapport à la concurrence américaine.
La lutte contre la corruption aux États-Unis est régie par le Foreign Corrupt and Practices Act, de 1977. Ce texte fédéral n’a pas de portée extraterritoriale de principe. Pour l’appliquer, le departement of justice (DOJ) procède par interprétation extensive. Cette loi va en effet trouver indirectement une portée internationale en 1998, lorsque les États-Unis vont ratifier la “Convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales”, adoptée par l’OCDE en décembre 1997. Cette convention, largement influencée par les États-Unis[3], leur permet en conséquence de développer une hégémonie juridique en matière de lutte anticorruption dans le monde dont le modèle a depuis lors servi dans l’élaboration de la loi française du 9 décembre 2016, dite « Sapin 2 ».
Sur le fondement du FCPA, le rapport parlementaire des députés Berger-Lelouche[4] a fait apparaître plus de 6 milliards de dollars de pénalités payés par des entreprises européennes depuis 2008.
Entreprises | Pays du siège social de la société de tête au moment des faits incriminés | Montant global (DoJ et/ou SEC) des pénalités versées aux États-Unis (millions de dollars) | Pénalités versées à des juridictions non-américaines pour les mêmes faits (millions de dollars) | Année de la transaction |
Telia | Suède | 965 | 2017 | |
Siemens | Allemagne | 800 | 856 | 2008 |
Alstom | France | 772 | 2014 | |
Olympus (America) | Japon/États-Unis (1) | 646 | 2016 | |
KBR/Halliburton | États-Unis | 579 | 2009 | |
Och-Ziff Capital Management Group | États-Unis | 412 | 2016 | |
BAE Systems | Royaume-Uni | 400 | 2010 | |
Total | France | 398 | 2013 | |
Vimpelcom | Pays-Bas | 398 | environ 398 | 2016 |
Alcoa | États-Unis | 384 | 2014 | |
Snamprogetti/ENI | Italie/Pays-Bas | 365 | 2010 | |
Technip | France | 338 | 2010 | |
Weatherford International | États-Unis | 252 | 2013 | |
Panalpina | Italie | 237 | 2010 | |
JGC | Japon | 219 | 2011 | |
Daimler | Allemagne | 185 | 2010 | |
Alcatel-Lucent | France | 137 | 2010 | |
Avon | États-Unis | 135 | 2014 | |
Hewlett-Packard | États-Unis | 108 | 2014 |
Tableau récapitulatif des plus gros montants des sanctions payées au titre de l’application du FCPA (mis à jour en 2017)
Les lois d’embargos, nouvelles frontières commerciales
Une autre affirmation de puissance normative s’illustre en matière d’embargos, mise en évidence par l’affaire de la BNP PARIBAS, laquelle banque française a été amenée à payer à elle seule une amende record de 9 milliards de Dollars US à l’administration américaine[5]. Le prétexte était une opération libellée en dollars pour un investissement réalisé en Iran (mais aussi le Soudan et Cuba), pays que les Etats-Unis ont mis au ban en application de leur doctrine des « rogue states » (états voyous). Or, la compensation a été opérée par des comptes américains, seul et unique lien de rattachement « territorial » de l’affaire, en dehors de tout acte passé sur le sol américain.
Pour les mêmes raisons, et dans un contexte similaire, le CREDIT AGRICOLE a été contraint de s’acquitter d’une amende de 787 millions de Dollars US, en raison des opérations passées – et compensées en billets verts – avec l’Iran, le Soudan, le Myanmar et Cuba entre 2003 et 2008[6].
Ainsi, les américains tentent ouvertement, par le biais du chantage judiciaire, d’obtenir la soumission des acteurs économiques. En d’autres termes, les Etats-Unis s’érigent en organe de régulation des transactions internationales et s’arrogent le rôle de gendarme économique du monde.
La riposte : la refonte de la loi de blocage
Le député Raphaël Gauvain a remis au Premier ministre, en mars 2019, un rapport destiné à « Rétablir la souveraineté de la France et de l’Europe et protéger nos entreprises des lois et mesures à portée extraterritoriale ». Il doit conduire à l’adoption d’une loi de « sécurité économique ».
Précisément, pour faire obstacle aux collectes illicites d’informations, destinées à être recueillies par les autorités américaines en vertu notamment du Cloud act de mars 2018 (mais encore le Patriot act ou le traité TISA offrant la faculté aux agences de renseignement de se faire communiquer par les opérateurs numériques tout renseignement à usage de preuve judiciaire), il s’agit désormais de faire coïncider davantage frontières étatiques (et judiciaires) et frontières numériques ; à tout le moins de les rendre moins poreuses.
A titre de précédent, la France avait adopté la loi n° 68-678 du 26 juillet 1968 relative à la communication de documents et renseignements d’ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique à des personnes physiques ou morales étrangères, dite « loi de blocage ». Cet objectif n’avait toutefois pas été atteint. En effet, les qualifications des renseignements économiques étant très larges, une approche aussi étendue vidait par conséquent le texte de sa substance et de sa portée effective. En outre, les juridictions américaines avaient estimé que la loi française n’était pas opposable et que les sanctions étaient trop faibles.
L’objectif de sa refonte à venir est de rendre réellement opposable les dispositions françaises en matière de demande, de transmission et de collecte de preuves, notamment à l’égard des opérateurs numériques (fournisseurs de services numériques soumis au Cloud act) et de renforcer l’efficacité de la règlementation française de gouvernance des données.
Cela institue en conséquence un nouveau régime d’autorisation préalable, comme en matière d’investissement étranger en France, récemment réformé par la loi relative à la croissance et à la transformation des entreprises, dite loi PACTE du 22 mai 2019.
Une approche largement inspirée du RGPD (règlement général de protection des données personnelles, avril 2016) serait d’ailleurs susceptible d’être retenue en créant un double régime de sanctions, à savoir des sanctions pénales pour les personnes qui auraient communiqué sans autorisation ou sans avoir préalablement saisi le ministère de l’Economie et des fiances, qui ferait office de « guichet unique », mais également des sanctions administratives (pécuniaires), pour les opérateurs numériques, à l’instar du régime des violations et sanctions prévues par le RGPD (amende forfaitaire ou calculée le pourcentage du chiffre d’affaires mondial).
Dans un rapport de force juridique institué
voici deux décennies par les américains, la France n’a d’autre alternative,
avec l’appui parfois de l’Union européenne, que d’établir un bras de fer afin
de mettre en échec les effets de l’extraterritorialité du droit américain.
[1] Voir le documentaire « la guerre fantôme » https://www.guerrefantome.com/ et récemment encore deux ouvrages de référence : Frédéric PIERRUCI, « Le Pièce américain », JC Lattès, 2019, LAïDI Ali, « le droit, arme de guerre économique », Actes Sud, 2019
[2]Rapport AN de la commission d’enquête chargée d’examiner les décisions de l’État en matière de politique industrielle, au regard des fusions d’entreprises intervenues récemment, notamment dans les cas d’Alstom, d’Alcatel et de STX, ainsi que les moyens susceptibles de protéger nos fleurons industriels nationaux dans un contexte commercial mondialisé, dépôt du 18 avril 2018
[3] E. Breen, FCPA. La France face au droit américain de la lutte anti-corruption, coll. « Pratique des affaires », Joly éditions, 2017
[4] http://www.assemblee-nationale.fr/14/rap-info/i4082.asp
[5] « BNP Paribas tremble et implore la clémence des Américains » in Le Figaro, 13/05/2014, « La chambre de compensation, la clé de l’amende BNP » in Le Monde 03/06/2014
[6] « Amende de près de 700 millions d’Euros pour le Crédit Agricole », Le Figaro, 20/10/2015