Robert Charvin, Professeur émérite de l’Université de Nice, Sophia-Antipolis.
Adda Bekkouche, Docteur d’État en droit, chargé d’enseignement à l’université Paris 1, Panthéon-Sorbonne.
Pour le juriste, la sanction doit ajuster et régulariser ; pour la civilisation, c’est la sanction provoquée, proportionnelle et ponctuelle qui rend légitime la règle de droit. Mais … la sanction sans y être provoqué, sans proportionnalité ni ponctualité, c’est donc une version moderne de la briganderie d’antan, un terrorisme d’aujourd’hui.
Or les actes extraterritoriaux américains sont réalisés en style flamboyant impérial pour ne pas dire dictatorial, et toujours au nom de … démocratie, et des … droits de l’homme, et en s’exemptant le plus souvent ! Tout bonnement : l’enfer du diable, dont la faute est attribuable à tous ceux qui ont dollarisé l’économie mondiale sans sécuriser suffisamment leur mise.
De nombreux exemples fondent l’exploitation abusive américaine du principe sacré et honorable de l’extraterritorialité, cela empoisonne actuellement trop la paix dans le monde.
American extraterritoriality: imperial or abusive?
For the jurist, the sanction must adjust and regularize; for civilization, the sanction that is provoked, proportional and punctual renders legitimate the rule of law. But … the sanction that is unprovoked, disproportionate and anachronistic must therefore just be a modern brigandry of yore, a form of today’s terrorism.
However, American extraterritorial acts are performed in flamboyant imperial – not to say dictatorial style, and always in the name of … democracy, and of … human rights, whilst most often exempting themselves! Quite simply: a devil’s hell, for which can be blamed all those who dollarized the world economy without sufficiently securing their investment.
Numerous examples found abusive American exploitation of the sacred and honourable principle of extraterritoriality, and this is currently poisoning excessively world peace.
Pour le juriste, la sanction clôture le système juridique. Elle semble assurer l’efficacité de la règle de droit. Mais le droit, c’est du « politique qui a réussi » ! La sanction est l’œuvre de ceux qui ont les moyens d’imposer des normes, dont ils s’en exemptent le plus souvent. La doctrine a essentiellement servi à justifier les pratiques impériales depuis les « fondateurs » du droit international, Vittoria et Suarez, jusqu’aux laudateurs des lois étasuniennes, du style Helms-Burton et Damato de 1996 et des autres dispositions qui ont suivi, qui soutiennent « l’américanisation » d’un droit de moins en moins « international » !
L’extraterritorialité selon les États-Unis, un mode impérial d’application de leur droit interne au monde
Les représailles pratiquées par les grands États ne sont que des actes de guerre visant à faire respecter ce qui était à chaque époque interprété comme une obligation de droit. La France du XVIIIe siècle vivait de l’embargo contre les navires des villes hanséatiques et contre la jeune Amérique ; la Russie impériale de Catherine II faisait de même contre les navires suédois ainsi que la puissante Grande-Bretagne contre le Royaume des Deux Siciles. Les États-Unis, dès le XIXe siècle, devenus grands, l’imposent au Nicaragua ou à Haïti, tout comme plus tard en 1923 l’Italie mussolinienne à Corfou !
Dans la période contemporaine où les droits de l’Homme sont si souvent invoqués, les sanctions n’ont jamais réussi à sauvegarder les droits humains. Au contraire. Elles perturbent la société internationale davantage que l’infraction (prétendue telle) qu’elles sont supposées « punir » ! Divers indices montrent que les sanctions sont d’un usage équivoque : leurs authentiques motivations sont occultées afin de rallier l’opinion. L’inégalité de traitement des auteurs des mêmes « infractions » constitue en elle-même une illégalité majeure, destructrice de l’ordre juridique. C’est ainsi qu’il y a patience et indulgence pour certaines violations de la légalité et précipitation pour d’autres.
Les rapports de force dans la société internationale sont toujours inégaux. Cette fracture permet aux dominants d’imposer des sanctions à tout ce qui perturbe cette domination, qu’il s’agit de pérenniser. Ce phénomène est permanent : seule la justification de ses fonctions varie.
L’expansion de l’Europe occidentale de la renaissance à la fin du XIXe siècle était fondée sur « la nécessaire » punition des peuples dits « barbares » ou « sauvages », au nom de la Civilisation dont découlait le droit de conquête, consacré par l’autorité pontificale et élevé au rang de principe juridique fondamental. Les populations, proches de simples humanoïdes, occupant des « territoires sans maître », étaient sanctionnées pour n’être pas chrétiennes : leurs éventuelles rébellions n’étaient pas prises en compte par le droit.
Tout a été bouleversé par les deux guerres suicidaires du XXe siècle entre les puissances européennes, la première étant conclue par la création de la SDN et l’irruption dans les relations internationales de la Russie soviétique, la seconde par celle de l’ONU puis de la naissance des « États nouveaux » issus du mouvement de libération nationale mettant fin à la colonisation. Le principe de « l’égale souveraineté des États » devient alors le cœur du droit international.
En cas de différend entre États s’impose la recherche d’une solution pacifique par la voie de la négociation (Chapitre VI de la Charte des Nations unies) et ce n’est qu’en cas d’échec que la voie peut être ouverte à des sanctions diplomatiques, économiques et éventuellement militaires, décidées par le seul Conseil de sécurité (Chapitre VII).
Ces sanctions onusiennes présentent des caractères précis : elles sont de nature collective[1], elles obéissent à un principe de progressivité et leur objectif est le maintien ou le rétablissement de la paix selon les méthodes les moins dommageables pour les populations civiles et les États tiers. C’en est légalement fini des sanctions prises par les puissances qui en ont les moyens sous couvert de valeur morale de circonstances comme celles invoquées par les grands États européens contre leurs adversaires jusqu’au XIXe siècle (par exemple le « droit d’intervention » en faveur des chrétiens d’Orient contre les Ottomans ou la « liberté civilisatrice » du commerce à l’encontre des pays s’y refusant, comme la Chine ou la Corée) !
Cependant, après la disparition de l’URSS, et avec le creusement des inégalités entre les États réapparaît l’unilatéralisme : les États-Unis, pour légitimer la remise en cause des normes juridiques fondamentales handicapant leurs intérêts, stimulent le retour d’une morale internationale utilitaire, inspirée par les courants néoconservateurs : le droit est ainsi cantonné et menacé de déconstruction. C’est le retour à un droit international inégalitaire, pour des motifs essentiellement économiques[2].
L’essentiel, en effet est de réduire à néant la souveraineté des États et le principe de non-ingérence, garantis par la Charte des Nations unies. La souveraineté n’est valide que pour les Grands, c’est-à-dire pour ceux qui ont les moyens d’assurer son effectivité pour eux-mêmes ! Pour le monde occidental, cette tentative de rejet de l’éligibilité universelle au droit international représenterait un progrès dans les relations internationales et serait l’expression d’un humanisme sans frontières ! Elle s’accompagne d’inventions juridico-politiques à prétention éthique comme « la responsabilité de protéger » les civils contre leur propre État au nom d’une philanthropie inédite !
Au cœur de ce processus idéologique, la responsabilité des juristes occidentaux est engagée. Ceux qui ont admis le droit d’ingérence en particulier. Ils ont, pour certains, doublé ce soutien d’une accusation morale contre ceux qui la récusent et qui négligeraient ainsi la souffrance des peuples ! Ce courant doctrinal euraméricain et occidentalo-centriste plaçant le droit hors-sol, au-delà des conflits d’intérêts, exprime en réalité une « barbarie de la réflexion », selon la formule de Vico. Il confine le monde non occidental dans un rôle subalterne et légitime l’usage des sanctions et de la force contre les plus faibles dans le processus de mondialisation[3]. Ces juristes, en nombre, ne sont, très banalement, que les laudateurs de « l’excellence » de la société à laquelle ils appartiennent, niant les faits qui caractérisent la société contemporaine et « l’ordre de la misère » qui prédomine. Le bouleversement au nom du droit international classique « proche d’une décomposition entraînant sa dilution », selon Mireille Delmas-Marty, est l’œuvre « d’un monde de carnivores où la puissance se concentre entre les mains de quelques superpuissances politiques et/ou économiques ». Le risque est « un retour à un état de nature »[4].
Le régime étasunien des sanctions économiques : un mode de traitement impérial et global du monde
La gamme des sanctions internationales est large : les États-Unis les utilisent toutes mais privilégient, en tant que première puissance économique et financière du monde, les sanctions économiques.
Le président des États-Unis, par la voix voie de décrets (Executives Orders), en a la maîtrise essentielle. Le Congrès en votant des lois spécifiques renforce les mesures prises par l’exécutif[5]. Ces sanctions sont ainsi imposées aux personnes (de toutes nationalités), aux entreprises et aux États au gré de ce que les autorités politiques des États-Unis considèrent comme nocif à leurs intérêts.
Elles se multiplient depuis 1977, sous couvert de la lutte contre la corruption et la pratique (nouvelle) des pots-de-vin versés par les entreprises pour gagner des marchés, puis sous prétexte de combat contre le terrorisme (malgré les relations établies entre les États-Unis, les Frères musulmans et les Saoudiens). En réalité l’objectif essentiel est d’imposer un leadership sur l’économie mondiale, y compris au détriment des alliés européens. La politique étasunienne est loin des rêves d’Adam Smith, malgré l’apologie officielle de la libre concurrence et des lois du marché. La généralisation des accords de libre-échange et leur abandon par les États-Unis ces dernières décennies en est la preuve. Tricher, y compris en usant de normes juridiques, est pour les néolibéraux étasuniens, une nécessaire source « d’efficacité» pour leurs grandes firmes. La plupart des pays, particulièrement ceux du Sud, n’y peuvent rien et leur économie, en permanence menacée, est subordonnée aux mesures fluctuantes des grands groupes nord-américains et des autorités de Washington qui les assistent. Ceux qui résistent en payent le prix !
Le président des États-Unis, qu’il soit républicain ou démocrate poursuit une politique de sanctions analogue[6] : c’est le président Clinton qui en 1996, par exemple, a signé la loi Helms-Burton qui a confirmé l’extraterritorialité de la loi Torricelli[7] adopté adoptée sous le président Bush père. Le président Obama a normalisé les relations avec Cuba, mais n’a pas modifié radicalement les échanges commerciaux, tandis que le président Trump a renforcé les sanctions…
On constate que dans le cadre du néolibéralisme, l’État n’est pas l’ennemi du marché. Il en est au contraire son protecteur et son accélérateur dans l’édification d’une globalisation où les oligopoles étasuniens occupent une place prépondérante[8]. Quant aux États européens, ils font preuve d’une faiblesse proche de la complicité : ils sont en effet prisonniers d’une contradiction difficile à dépasser entre les besoins d’émancipation économique vis-à-vis des intérêts étasuniens et l’inféodation politique, idéologique et militaire.
En 1996, par exemple l’Union européenne a déposé une plainte devant l’OMC contre des lois américaines sanctionnant toute firme faisant du commerce avec Cuba, l’Iran et la Libye. Devant les pressions de Washington, et en échange d’une promesse du président Clinton de ne pas poursuivre les entreprises européennes, la plainte a été immédiatement retirée.
Selon un rapport parlementaire français, les firmes européennes auraient perdu, en 10 ans, 40 milliards de dollars souvent après avoir reconnu leur culpabilité selon le droit étasunien, afin d’éviter un procès et après avoir accepté un « muzzle clause » interdisant toute contestation ultérieure !
Le cas de la société Alstom est tout aussi exemplaire. Pour sanctionner en 2013 la société française en infraction avec la loi étasunienne, certains de ses cadres ont été poursuivis en justice[9]. Face aux menaces diverses, la présidence et le gouvernement français ont fait preuve d’une inefficacité proche de la passivité, pour accepter en définitive fin 2014 le règlement de l’amende réclamée par les États-Unis et la vente à General Electric de la branche énergie d’Alstom, constitutive d’une atteinte à la souveraineté nucléaire de la France[10].
Dans ces conditions, les entreprises en contentieux avec les États-Unis ne s’aventurent pas à introduire des recours devant la justice de ce pays ou les institutions économiques internationales : elles risquent, en effet, d’être bannies de leur marché[11], ce qui est plus coûteux que les amendes à régler et les pertes subies en fournissant les informations souvent réclamées[12].
Plus surprenant encore, les États-Unis ne veulent aucune réciprocité dans les échanges commerciaux et économiques, comme le montre les négociations des nouveaux traités de libre-échange, y compris avec leurs alliés privilégiés. Ainsi, après plusieurs années de négociations entre les États-Unis et l’UE, sur le projet de traité transatlantique (TAFTA), dès son arrivée au pouvoir, le président Trump a décidé de tout arrêter, alors que le projet favorisait nettement les premiers, sur les plans sanitaire, des services et des normes au détriment de l’Union européenne[13], allant même jusqu’à remettre en cause certaines prérogatives de souveraineté en érigeant en principe l’arbitrage en matière de règlement des différends commerciaux et économiques[14].
De surcroît, cette imposition de la loi des États-Unis à une grande partie du monde n’est pas stable : elle varie au gré des problèmes internes à la vie économique américaine et des intérêts électoraux des présidents candidats à la reconduction. Le président Trump, par exemple a pris à contre-pied les États européens dans ses relations avec la Corée-du-Nord : en cas de levée des sanctions imposées depuis près de 70 ans à Pyongyang, il ferait la démonstration que ses alliés européens sont aussi des vassaux[15] !
L’Iran est aussi dans le viseur des États-Unis : Washington a quitté l’accord multilatéral, conclu en 2015, et, en mai 2018, a abrogé les dérogations accordées à huit pays pour acheter le pétrole iranien. L’INSTEX, entité créée par la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne pour permettre à leurs entreprises de faire du troc avec l’Iran malgré l’embargo imposé par les États-Unis, a été largement annihilée, faisant apparaître aux autorités de Téhéran[16], comme au reste du monde, l’extrême faiblesse de la « résistance » européenne à l’unilatéralisme étasunien.
Les sanctions contre le Venezuela, de même nature, prive l’économie nationale de l’essentiel de ses revenus avec, à la différence des mesures contre l’Iran, le soutien de l’Union européenne, hostile au régime bolivarien de Caracas. La question illustre clairement la collusion du politique et de l’économique, les États européens ayant une pratique des sanctions peu cohérente, tandis que les États-Unis poursuivent le rétablissement, dans toute l’Amérique latine, de l’ordre inspiré de la très ancienne doctrine Monroe, conjuguée avec la récupération des ressources (pétrolières en l’occurrence) pour le compte des grands groupes étasuniens.
Les institutions financières sont également fragilisées par le rôle central joué par la finance étasunienne et par l’extraterritorialité. Aucune banque ne peut facilement s’exclure du marché financier des États-Unis : ces dernières années, l’affaire de la Deutsche Bank, par exemple, mise en cause pour violation du droit étasunien des sanctions, en témoigne. Une puissance comme la Russie fait elle-même objet de sanctions. Les États-Unis ne tolèrent pas que la Russie redevienne une force politique et économique en mesure de compter dans les relations internationales. Si l’industrie gazière est essentiellement visée, les États-Unis sont cependant limités par certains intérêts financiers : l’extraterritorialité appliquée aux finances russes a un impact sur les banques étasuniennes, parmi lesquelles certaines sont engagées en Russie et dont des capitaux ont dû être gelés[17].
La volonté des États-Unis d’hégémonie mondiale par la menace ou l’application de sanctions fondée sur l’extraterritorialité instaure un climat défavorable au développement des échanges internationaux et crée les conditions d’affrontement dangereux pour le maintien de la paix.
Les principales victimes directes des sanctions sont les populations. Elles sont frappées par la réduction des dépenses publiques qu’elles imposent au pays sanctionné. La chute de la monnaie nationale pénalise le pouvoir d’achat et favorise l’inflation. Elle entraîne une dégradation profonde des acquis démocratiques[18]. Elle favorise le développement d’une instabilité frappant les relations entre les peuples et non seulement entre les autorités politiques. Le paradoxe est que cette politique impériale de sanctions se légitime en se fondant presqu’exclusivement sur l’humanitaire !
L’humanitaire, légitimation des sanctions et dilution du droit international
Les rapports de force matériels ne sont jamais suffisants. Ils ont besoin d’une légitimation idéologique. Dans le monde occidental de vieille tradition juridique, il y a assimilation de l’idéologie, de la morale et du droit. L’humanitaire et les droits de l’Homme sont donc systématiquement invoqués pour justifier l’interventionnisme occidental contre la souveraineté des États et pour donner aux sanctions les plus illicites une forme juridique les justifiant.
Les Etats-Unis qui se revendiquent de la démocratie la plus avancée, ne peuvent se priver d’un argumentaire juridico-humaniste en faveur de leurs actes. Ils ne peuvent cependant échapper à des contradictions flagrantes. Ils n’invoquent le droit humanitaire que lorsqu’ils y trouvent un avantage. C’est ainsi que durant 70 ans il n’a jamais été pris en considération au profit des Palestiniens ; il ne l’a pas été non plus pour les civils russophones de l’Est de l’Ukraine en 2014. Le droit humanitaire a, par contre, été instrumentalisé, pour la Libye et la Syrie lorsque il s’est agi de détruire des régimes jugés non fiables ou faillis[19].
Pour la doctrine dominante occidentale, de surcroît, les droits de l’Homme ne sont que « civils et politiques », les droits économiques et sociaux, indissociables de la souveraineté populaire au sein de chaque pays, et le plus souvent maltraités, ne fondent aucune « ingérence ». Les conditions matérielles de l’exercice de la démocratie ne sont pas prises en compte. Néanmoins, les droits de l’Homme, au sens le plus étroit, tel que l’entendent les États-Unis, déterminent la licéité de leurs interventions. Dans le cadre de cet impérialisme humanitaire[20], les sanctions prises au nom de valeurs universelles[21] bien qu’affectant profondément les conditions de vie des populations ne constitueraient pas une violation du droit humanitaire. La misère à l’échelle mondiale n’est que l’ordre naturel des choses et seule la croissance, imposée ou pas, dans une économie de marché globale, peut à la longue la faire reculer.
Le caractère collectif de l’impact des sanctions économiques prises unilatéralement ne suscite pas de réaction bien que tout le progrès du droit pénal soit l’individualisation des peines, les crimes de masse et le génocide relevant de la Cour Pénale Internationale, à laquelle les États-Unis ont pris soin d’ailleurs de ne pas adhérer.
La pensée juridique académique – qui n’a manifesté que peu d’intérêt pour la légalité de l’extraterritorialité étasunienne – tend à admettre, dans le sillage des gouvernements occidentaux, la notion de « guerre juste »[22], y compris la guerre économique, conjuguant le rejet du multilatéralisme en matière de sécurité, le devoir d’ingérence et les sanctions. S’ajoute à cet amalgame, le silence sur l’interventionnisme militaire, les intérêts des grandes firmes, le pillage des ressources[23] et la paupérisation des peuples sanctionnés (au Yémen, par exemple, où selon les Nations unies, 17 millions de Yéménites sont menacés de mort).
Nombre de juristes s’alignent de facto sur les politistes anglo-saxons distinguant, selon des typologies variées, les démocraties libérales de marché, qui ont pris la suite de la Chrétienté, de la Raison, de la Civilisation et les autres entités, dont les « États voyous », nouveaux « barbares »[24] ou les « États faillis ».
Pour certains, l’Union européenne est le modèle le plus achevé de « monde postmoderne », ayant dépassé les intérêts nationaux et les frontières, alors que le « Deuxième monde » est composé d’États comme la Russie et la Chine, « prêts à faire usage de la force les uns contre les autres », survivance anachronique du « système interétatique classique » ; enfin, un « monde prémoderne », composé des États du Sud, relève de la « jungle ». Il faut, vis-à-vis de ces deux dernières catégories d’États, s’habituer à ce qu’il y ait deux poids, deux mesures en matière de normes, et les Européens doivent recourir à des méthodes d’une époque antérieure, c’est-à-dire appliquer les lois de la jungle, dans leurs relations avec eux[25].
John Rawls, référence majeure pour les juristes occidentaux, souligne, qu’en cas d’échec des sanctions imposées aux « États hors-la-loi », en raison de leurs atteintes aux droits de l’Homme, l’intervention armée est « acceptable et nécessaire »[26]. Selon M. Doyle, la sécurité des démocraties est menacée par des « États non républicains qui ne respectent pas de façon authentique les droits des individus, et ne sauraient donc se voir appliquer le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures[27]. »
Dans le sillage de telles conceptions, le droit ne pouvait subir que de profonds bouleversements : la disparition de l’URSS et la fin d’un monde essentiellement bipolaire ont ouvert une phase de déconstruction[28] active du droit international dont l’issue est encore inconnue. Divers « produits » juridiques non identifiés circulent au sein de la doctrine et dans les pratiques des États dénaturant le droit international et le droit humanitaire, en leur faisant perdre leur cohérence, lentement édifiée[29]. Émerge en effet un « droit mou », dont la dimension contraignante est de plus en plus incertaine, ce qui est lourd de conséquences lorsqu’il s’agit de dispositions de la Charte des Nations unies. Les sources du droit se diversifient, échappant de plus en plus aux États, au profit des acteurs du monde des affaires peu préoccupés de l’intérêt général.
Certaines grandes puissances osent déclarer inéligibles les États dont est contesté le régime politique parce qu’il s’oppose à leurs intérêts. Le droit international tend ainsi à perdre son universalité : c’est une régression rétablissant un ordre qui s’était imposé jusqu’à la fin de la colonisation. Le creusement des inégalités entre États et les pesanteurs introduites dans la société internationale par les pouvoirs privés, toujours plus concentrés rétablissent les hégémonies, mises en cause après la seconde Guerre mondiale, sur les petits États et sur les peuples sans État.
Le multilatéralisme onusien en matière de sécurité, les conventions internationales, comme celles portant sur le climat ou sur le nucléaire iranien, se disloquent : l’unilatéralisme étasunien remet en cause la méthode de régulation juridique ayant favorisé le maintien de la paix durant le XXe siècle.
Ainsi, au gré des intérêts en cause, le droit devient constitutif de la « réalité » ou négateur de cette même réalité politique : les fictions se substituent aux faits et créent une profonde insécurité juridique. Les principes fondamentaux de la Charte des Nations unies subissent des interprétations de mauvaise foi qui les vident de leur sens. C’est ainsi que la légitime défense est travestie en son contraire avec l’adhésion des États-Unis et Israël, en particulier, à la notion de « légitime défense préventive », synonyme en réalité de l’agression, par ailleurs condamnée[30].
L’agression, qui n’a plus rien à voir avec la notion adoptée par l’AG des Nations unies, s’identifie à une simple menace éloignée dans le temps ou l’espace, conception toujours instrumentalisable. L’interdiction de l’ingérence n’exclut pas « l’ingérence humanitaire » et la souveraineté n’empêche pas la responsabilité de protéger les populations civiles contre leur propre État de la part des États tiers : la révolution et la contre-révolution sont désormais l’affaire de tous contre tous ![31] La position du représentant de la France au Conseil de sécurité, le 12 janvier 1979 à propos du Cambodge suite à l’intervention vietnamienne contre le régime Khmer Rouge, montre le chemin parcouru et les risques que fait courir cette responsabilité préfabriquée : « l’idée selon laquelle l’existence d’un régime détestable pourrait donner un fondement à une intervention extérieure et légitimer son renversement par la force est extrêmement dangereuse, car elle aboutirait à la limite à remettre en cause l’existence même d’un ordre international en faisant dépendre du jugement de ses voisins le maintien de tout régime »[32].
Les règles qui s’imposent aux belligérants dans les conflits armés, malgré la place politique ou médiatique accordée au droit humanitaire sont aussi remises en cause. Les États-Unis ont ainsi inventé pour leurs armées les « Règles d’Engagement » qui constituent un bouclier protecteur pour leurs militaires dont les actes violeraient les obligations de la légalité international[33].
Le droit étasunien des sanctions fondé sur l’extraterritorialité est une composante de cette déconstruction généralisée du droit des relations internationales, qui n’est pas sans avoir quelques ressemblances avec la « germanisation » du droit, que les juristes allemands des années 30 voulaient promouvoir. En effet, les juristes proches de l’État national socialiste dénonçaient le droit de la SDN « parce qu’il n’était pas dynamique » alors que « le monde n’est pas statique ». Carl Schmitt, éminent juriste allemand, précisait que l’Allemagne défendait, pour le compte de toute l’Europe, la même doctrine que celle de Monroe pour les Amériques. Comme la doctrine anglo-saxonne d’aujourd’hui, il considérait que les contentieux devaient être résolus au cas par cas et non en vertu de grands principes « abstraits » souvent « inappropriés ». L’intérêt national de l’Allemagne s’identifiait à l’intérêt de la Civilisation occidentale comme l’intérêt des États-Unis est aussi celui -bien compris- de la planète entière ! L’extraterritorialité des sanctions, selon les États-Unis, poursuit l’intérêt du marché mondial. À défaut de la soumission au droit étasunien « universalisé », la punition n’est que la légitime réplique à une faute ! Il y a atteinte aux règles s’imposant dans « le sain principe international du grand espace », selon la formule de de Carl Schmitt ! L’espace, c’est-à-dire le marché ainsi américanisé, est disponible prioritairement aux intérêts étasuniens, car ils incarnent un intérêt global, y compris au détriment des alliés européens qui sont ainsi traités légitimement en simples concurrents dangereux[34].
Cet espace n’a pas de frontières établies en raison de la mondialisation de la présence financière étasunienne[35]. Les gardes-frontières de cette espace vital sont les bases de l’armée étasunienne, installées dans la majorité des pays du monde. À l’interventionnisme permanent, y compris par la force armée, les autorités de Washington ajoutent systématiquement, particulièrement depuis le début du XXIe siècle, des programmes de sanctions, devenus instruments usuels de leur politique étrangère. Au-delà de la promotion de leurs intérêts financiers, les États-Unis veulent imposer leurs normes, leur conception du monde et leur mode de vie. La diversité des sociétés humaines, source d’une richesse irremplaçable, ainsi que l’a consacrée l’UNESCO, est en crise. La complaisance de la Grande-Bretagne et de l’Allemagne, ainsi que la prudence craintive des gouvernements français successifs facilitent une décadence globale programmée. L’OTAN fournit de surcroît le ciment d’une alliance étroitement hiérarchisée au profit des seuls États-Unis : l’organisation atlantique, dont le champ de compétence ne cesse de s’élargir, est en voie de supplanter l’ONU qui a perdu la maîtrise de la sécurité collective.
L’histoire montre que l’hégémonie d’un empire unique n’est pas favorable au maintien de la paix et nuit au développement de tous. Elle apporte aussi la certitude que les peuples ne supportent pas durablement leur subordination et que tous les empires sont mortels.
Résumé :
L’extraterritorialité peut prendre de nombreuses formes. Si l’on considère cette pratique, comme, entre autres, l’extension unilatérale de la compétence d’un État sur le territoire d’un ou d’autres États, les États-Unis sont devenus en quelques décennies ceux qui mettent en œuvre le plus cette notion. Toutefois, loin d’être en conformité avec le droit international, selon la Charte des Nations unies et les résolutions de l’ONU, surtout celles de l’Assemblée générale, les États-Unis appliquent cette notion selon exclusivement leurs intérêts économiques et stratégiques. Depuis la disparition du « monde bipolaire » cette tendance s’est accentuée, faisant des États-Unis, l’État qui fait de l’extraterritorialité, un instrument impérial d’application de leur droit interne pour leurs intérêts quasi-exclusifs à l’ensemble du monde. De nombreux exemples montrent cette tendance grandissante, contraire au droit international et qui met en péril la paix dans le monde.
Abstract :
Extraterritoriality can take many forms. If we consider this practice, as, among other things, the unilateral extension of the jurisdiction of a State in the territory of one or other States, the United States has become within a few decades those who implement the more this notion. However, far from being in conformity with international law, according to the United Nations Charter and UN resolutions, especially those of the General Assembly, the United States applies this notion exclusively according to their economic and strategic interests. Since the disappearance of the « bipolar world » this tendency has become more pronounced, making the United States, the state that makes extraterritoriality, an imperial instrument of application of their domestic law for their quasi-exclusive interests to the whole world. Many examples show this growing trend, contrary to international law and endangering peace in the world.
Robert Charvin, Professeur émérite de l’Université de Nice, Sophia-Antipolis.
Adda Bekkouche, Docteur d’État en droit, chargé
d’enseignement à l’université Paris 1, Panthéon-Sorbonne.
[1]Cf. D. Bondia Garcia, « Quelques réflexions théoriques à propos de la progressivité dans l’adoption de mesures pour donner effet aux décisions du Conseil de sécurité : des sanctions économiques au recours à la force», in Mélanges M. Benchikh, Pédone, 2011 pages 209 et s.
[2]Cf. A. Bekkouche, « Méfaits des institutions économiques libérales », La Pensée, n° 377, 2014, pp. 24 et s.
[3]Cf. La revue Noesis, n° 18, 2011, consacrée à « La Barbarie ».
[4]Cf. M. Delmas Marty. « Où va le droit ? Entre pot noir et pilotage automatique, le droit peut-il nous guider vers une mondialité apaisée ? » Lexinis. La semaine juridique. Édition générale, n° 14, avril 2018, page 677 et s.
[5]Le Département d’État est chargé de mettre en œuvre les sanctions militaires décidées par le Président, tandis que le Trésor, et plus particulièrement l’Office of Foreign Assets Control OFAC), gère les sanctions économiques et financières. L’OFAC, créée en 1962, est devenu l’une des agences ayant le plus de pouvoirs dans l’administration étasunienne, particulièrement depuis la présidence de W. Bush. En 2017, cet office gère 37 programmes de sanctions. La Specially Designated National List (1020 pages dans son édition 2017 recense des milliers de personnes et de firmes, cible les transactions commerciales et financières « interdites » par le droit étasunien et les personnes physiques et morales avec lesquelles tout échange est passible de sanctions. Le droit étasunien s’impose ainsi sur toute la planète de manière unilatérale, en dépit, par exemple, de 27 résolutions de l’AG des Nations unies, exigeant la levée du blocus de Cuba : l’ONU ne fait, à cette occasion que condamner la violation flagrante par les États-Unis du droit international. La résolution du 1er novembre 2018 a été adoptée par 189 voix contre 2 (États-Unis, Israël) les premières sanctions contre Cuba remontent au 3 février 1962 !
[6]L’activisme agressif du parti démocrate sous la direction de son aile conservatrice allant à l’encontre des principes du libéralisme économique dans l’ordre international, est l’une des causes de l’hostilité rencontrée de la part de la Russie pour la candidature d’Hillary Clinton lors des élections présidentielles. Les États européens malgré les dommages subis en raison de la politique des États-Unis, ont manifesté leur hostilité modérée à Trump en soutenant Hillary Clinton. Un second mandat de Trump tendrait à modifier vraisemblablement les comportements européens.
[7]En 1992, le Congrès des États-Unis adopte la loi Torricelli, qui intensifie les sanctions contre la population cubaine au prétexte de promouvoir les droits humains.
[8]Cf. Les réflexions de Claude-Albert Michalet in Qu’est-ce que la mondialisation ? La découverte 2002 démontrant que l’État américain est à la fois juge et partie dans la régulation de l’économie mondiale et que les contre-pouvoirs à cette globalisation sont introuvables (pp. 174-175). Malgré la puissance américaine qui demeure, elle décline vis-à-vis de la Chine mais aussi de la Russie : un indice parmi d’autres de cet affaiblissement relatif est l’augmentation de ses dépenses militaires et une agressivité politique tous azimuts se voulant « compensatrices ».
[9]Il s’agit de F. Pierucci, de nationalité française, arrêté à sa descente d’avion à New York. L. Hoskins, cadre britannique, a obtenu par une cour d’appel l’annulation d’une procédure contre lui, mais ce que peut oser –exceptionnellement- une personne physique, une entreprise ne s’y risque pas.
[10]On peut s’interroger (en pure théorie !) sur l’éventuelle qualification de haute trahison (nullement définie avec rigueur) de cette cession pouvant fonder une poursuite du chef de l’Etat français concernant le démantèlement de la puissance nucléaire française au profit d’une puissance étrangère.
[11]L’un des cas les plus récents est celui de la société française Pernod-Ricard qui, en coopération avec Cuba détient la marque Havana Club. Les États-Unis entendent récupérer les outils productifs, mais aussi des « dédommagements » avec intérêts sur les 60 dernières années ! À défaut de s’acquitter de ces demandes, Pernod-Ricard, second groupe mondial de spiritueux et de champagne, sera interdit du marché des États-Unis. Voir L’Humanité 10, 11 et 12 mai 2019.
[12]L’administration étasunienne, à l’occasion des contentieux avec les firmes étrangères, récupère des données stratégiques qui se cumulent avec l’espionnage économique hyper développé de ses services, en violation flagrante des lois nationales des États européens et du reste du monde.
[13] Cf. Revue Les Possibles, n° 4, Été 2014, Dossier : Les accords de « libre-échange », consultable sur : https://france.attac.org/nos-publications/les-possibles/numero-4-ete-2014/
[14] A. Bekkouche, « Traité transatlantique, une régression des droits fondamentaux et démocratiques », Revue Les Possibles, op. cit.
[15]Les médias et les forces politiques européennes ont rencontré quelques difficultés pour suivre le virage de la politique coréenne des États-Unis, derrière laquelle ils se plaçaient traditionnellement jusque-là. Pour échapper au ridicule, ils ont modérément atténué la critique, virulente jusque-là, du régime de Pyongyang, tout en occultant le fait que le désarmement nucléaire et la levée des sanctions étasuniennes étaient indissociables.
[16]Les sanctions portent lourdement préjudice à l’économie iranienne pour la plus grande satisfaction d’Israël et de l’Arabie Saoudite : depuis 2011 la réduction des exportations de pétrole a été très forte. Pour la seule année 2018, la monnaie nationale a perdu 70 % de sa valeur et le taux d’inflation a atteint presque 50 %. Le taux de chômage se situe entre 15 et 20 %.
[17]La Russie a aussi été victime de sanctions politiques, culturelles et sportives dans les fondements sont incertains. S’y ajoutent, en permanence de la part des médias occidentaux et de certaines forces politiques des campagnes de dénigrement quasi-systématique, comme durant la guerre froide. Ce ne sont pas seulement les autorités russes qui sont attaquées, c’est aussi la Russie elle-même dans toutes ses dimensions historiques et civilisationnelles, y compris sa contribution décisive à la victoire contre le nazisme (cf. R. Charvin, « Faut-il détester la Russie ? » Investig’Action, 2017.
[18]L’extraterritorialité est au service des grands groupes privés étasuniens qui eux-mêmes procurent aux forces politiques qui les servent les moyens financiers assurant leur victoire électorale. Le coût financier des élections aux États-Unis atteint un tel niveau qu’il fait perdre au suffrage universel une large part de sa signification démocratique, plaçant les partis et leurs différents candidats dans des positions très inégales. C’est ainsi la notion de démocratie représentative qui se dilue dans la pratique des sanctions à « l’américaine » aussi bien dans les pays sanctionnés qu’aux États-Unis.
[19]Sans se prononcer sur la légitimité des pouvoirs politiques ayant subi les foudres de l’OTAN et de ses alliés, le chaos qui règne en Libye depuis 2011, frappant toute la population, ne suscite aucune réaction humanitaire de la part des États responsables de la situation, en particulier des États membres de l’OTAN qui sont militairement intervenus à l’occasion de la rébellion de Benghazi en 2011. L’intervention saoudienne au Bahreïn puis au Yémen, via une coalition dont font partie indirectement les États occidentaux avec les États-Unis et la France, semble relever selon certains juristes de la « guerre juste ». Les bombardements étasuniens sur les villes irakiennes (Mossoul par exemple) auraient épargné des populations civiles, tandis que celles des villes syriennes (Alep par exemple) auraient subi des bombardements aveugles, particulièrement meurtriers de l’aviation russe et syrienne… Nombre de juristes admettent sans vérification les positions de certains organismes, comme par exemple l’Observatoire syrien des droits de l’Homme, basé à Londres).
[20]Cf. J. Bricmont, Impérialisme humanitaire. Droits de l’Homme, droit d’ingérence, droit du plus fort ? Aden 2005.
[21]La doctrine dominante chez les juristes occidentaux adopte explicitement ou implicitement la thèse de Georges Scelle, éminent juriste français des années 30-40, dite du « dédoublement fonctionnel ». À défaut d’un gouvernement mondial institutionnalisé, les Puissances civilisées s’y substituent pour assurer l’ordre et le progrès dans l’ensemble du monde.
[22]Cf. R. Kherad, « Du droit d’ingérence à la responsabilité de protéger », In colloque de Tunis. Direction Rafâa Ben Achour et Slim Laghma. Les droits de l’Homme. Une nouvelle cohérence pour le droit international ? Pédone, 2008.
[23]Le groupe Halliburton, premier groupe américain de service pétrolier dont le PDG, entre 1995 et 2000, était Dick Cheney, vice-président de G W Bush, s’est vu attribuer avant même la fin des opérations militaires contre l’Irak, les principaux contrats de remise en état de marche du réseau et de la distribution du pétrole irakien. Ont bénéficié des mêmes privilèges la firme Bechtel dont l’un des vice-présidents siégeait au Pentagone aux côtés de D. Rumsfeld, dans le domaine de la reconstruction, de même que le président G W Bush lui-même, lié aux industries d’armement d’United Defense Industries dont le principal actionnaire est le groupe Carlyle pour lequel ont travaillé les Bush, père et fils, ainsi que Colin Powell.
[24]Les responsables politiques occidentaux, suivis par leurs juristes, sont parfois très clairs : le ministère des Affaires étrangères, Joschka Fischer, sans considération pour le droit international entraine, en 1999, l’Allemagne dans le conflit du Kosovo au nom de « Plus jamais Auschwitz ». Pour G W Bush,, en 2003, Saddam Hussein est « un élève de Staline ». Cf. Dario Battistella, Paix et guerre au XXIe siècle, Éditions sciences humaines 2011.
[25] Voir, par exemple, R. Cooper, qui a été conseiller diplomatique de Tony Blair, avant d’intégrer l’appareil bureaucratique de l’Union européenne. La fracture des nations. Ordre et chaos au XXIe siècle. Denoël 2004, pp. 35, 82, 84.
[26]Cf. John Rawls. Paix et démocratie. Le droit des peuples et la raison publique. La Découverte, 1999, 2003 p. 116.
[27]Cf. M. Doyle. « Liberalism and World Politics Revisited ». in C. Kegley, International Relations Theory. Realism and Neoliberal Challenge, New York, St Martins, 1995, pp. 86-106. Voir aussi R. Kagan. La puissance et la faiblesse. Les États-Unis et l’Europe dans le nouvel ordre mondial. Plon, 2003.
[28]Cf. Robert Charvin, « « L’interventionnisme occidental et le processus de déconstruction du droit international politique », in N. Andersson et D. Lagot (sous la direction), Droit international et conflits armés, L’Harmattan, 2013, p. 33 et s.
[29]Cette dénaturation progresse à l’occasion de chaque crise internationale grâce à une « communication » très sophistiquée occultant les faits et permettant de vendre à l’opinion internationale ce qui n’est politiquement rentable qu’à certains. Elle est soutenue, outre des juristes médiatisés, par des O.N.G. et des fondations bien dotées financièrement, travaillant souvent auprès de l’ONU et des institutions spécialisées, comme le font les lobbies auprès de l’UE. La philanthropie des États-Unis et du monde occidental est ainsi rendue crédible. De nombreux gouvernements des États du Sud acceptent d’être manipulés, en échange de quelques prébendes et surtout de leur stabilité vis-à-vis de leur peuple : ils se font ainsi les complices d’intérêt qui ne sont pas les leurs, en supportant des propositions juridiques qui leur sont pourtant défavorables.
[30]Les États-Unis ont adopté une définition de la légitime défense très éloignée de celle de l’article 51 de la Charte des Nations unies : elle va jusqu’à « la défense de la Nation contre les actes ou intentions menaçant les intérêts américains ».
[31]Dans les cas de la Libye ou de la Syrie, par exemple, la notion même de civils prête à confusion : qu’est-ce notamment un « civil » armé, financé par des forces étrangères ?
[32]Cf. Conseil de sécurité des Nations unies S/PV 2109,12. 1979 & 36.
[33]La légalité internationale interdit les armes à sous munitions …, mais il est prévu dans les « Règles d’engagement » que la responsabilité du militaire étasunien ne peut être engagée pour cette utilisation !
[34]Cf. Ali Aïdi avec D. Lanvaux, Les secrets de la guerre économique, Seuil, 2004et Ali Aïdi, Histoire mondiale de la guerre économique, Perrin, 2016.
[35]Le dollar représente plus de 60 % des ressources des banques centrales et 80 % des échanges sont libellés en cette monnaie.