A.E. SNESSAREV ET LA PHILOSOPHIE DE LA GUERRE EN RUSSIE

A.E. SNESSAREV ET LA PHILOSOPHIE DE LA GUERRE EN RUSSIE

Alexeï   SOLOVIEV

PhD, maître de conférence à la chaire de la philosophie politique et du droit à la faculté de philosophie de l’Universite d’Etat de Moscou M.V. Lomonossov

Key words: philosophy of war, world war, national tradition, law of continuity of wars, phenomenon of war, state, « Russian diaspora « , philosophy of politics.

Abstract. The article is devoted to the role of A. E. Snessarev  in the development of the war philosophy basis in Russia. The object of research in the article is a way to cognize war as a social phenomenon, and the subject is the theoretical and methodological approaches of the philosophy of war, applied by A.E. Snessarev  for its study. The article tells about A. E. Snessarev ‘s personal contribution to the development of the war philosophy. It contains arguments that make it possible to consider him a representative of the national war philosophy. The author uses philosophical, historical, comparative and other methods to study the chosen topic. The article reveals the gnosiological and social roots of the philosophy of war, its evolution. It refers to the names of the founders of this direction: the officer of the Napoleonic army Marquis de Chambray, the Prussian commander C. von Clausewitz and other Western representatives of this direction. The author shows the scale of the war philosophy spread in Western Europe and in Russia, as well as the modern direction of the philosophical paradigm return for studying this phenomenon. The novelty of the findings is the justification of A. E. Snessarev ‘s affiliation with Russian representatives of the war philosophy, the fact of creating an appropriate educational discipline and direction in the national philosophy, being developed among in the « Russian émigré ».

Andreï Evguenievich SNESSAREV (1865-1937) a laissé une trace significative dans la pensée militaire russe. Sa position civique et le patriotisme profondément conscient, multiplié par le talent d’un penseur exceptionnel, l’ont aidé à prendre une place digne parmi les commandants russes, qui ont contribué au développement de la science de la guerre.

Parmi ses nombreux travaux deux œuvres occupent une place particulière, ce qui permet de le qualifier comme philosophe. Ce sont «Philosophie de la guerre» et «Vie et œuvres de Clausewitz». La science militaire était le domaine qui representait pour lui le but de la vie. Parfois, quand le savant atteint un certain niveau de pénétration dans le sujet de son étude il éprouve un besoin d’y trouver des lois qui expliqueraient profondément les principes du phénomène. Pour  A.Snessarev  la « philosophie de la guerre » est devnue un paradigme qui expliquait la guerre dans son entité. Il le  percevait comme une approche théorique et méthodologique adéquate pour résoudre le problème. La Philosophie de la guerre a cette époque était une branche particulière de la philosophie politique et s’occupait de l’étude de la guerre non en termes de stratégie et de tactique, mais en ceux de la philosophie plutôt sociale. Il a écrit dans son œuvre «Philosophie de la guerre» : «Il y avait beaucoup de contenu purement militaire et philosophique dans nos manuels de Stratégie chez Leer, Mikhnevich; enfin, il est difficile de trouver un essai militaire plus ou moins connu, dans lequel il n’y avait pas aucune référence à la philosophie de la guerre, à commencer par l’ancienne œuvre classique de C. von Clausewitz «Vom Kriege» et à finir par le livre du général Kessler «La Guerre» [А.Снесарев, 2013, с. 56-57].

L’œuvre  de A. Snessarev «Philosophie de la guerre» fut le résultat d’une reflection philosophique basée sur l’expérience accumulée et sur l’étude des écrits philosophiques de ses prédécesseurs au sujet de la guerre. D’après les témoignages de ses biographes, le livre devait paraître à la fin du 1929 peu de temps avant son arrestation. Les conférences lus par le général aux auditeurs de l’Académie de l’état-major de l’Armée rouge pendant la période de 1919 à 1921quand il etait chef de l’Académie ont constitué le noyau de son manuscrit.

On peut affirmer que A. Snessarev a créé la « philosophie de la guerre » comme matière d’étude et à la fois comme direction scientifique de recherche sur la guerre. En tant que philosophe et militaire Snessarev a réussi à surmonter l’approche étroitement militaire dans la compréhension de la guerre. Les ouvrages de penseurs et de philosophes étrangers et russes dont il fait mention dans ses écrits ont influé la formation de son concept de la guerre. Il montre la complexité de l’approche axiologique de la guerre et de ses conséquences. Il le fait en énumérant les noms des adversaires et des partisans de la guerre. En tant qu’adversaires, il cite les noms d’Aristophane, Platon, M. de Montaigne, B. Pascal, J.-J. Rousseau, I. Kant, A. de Lamartine, V. Hugo, R. Cobden, J. Bright, L. Tolstoï, J. Jaurès et d’autres.

En pensant à l’objet de la « philosophie de la guerre » Snessarev l’a formulé comme suit : « J’appelle l’objet de la philosophie de la guerre par analogie avec la philosophie de droit. La guerre, en tant que concept, est la source et la cause première de toutes les  sciences militaires appliquées aussi bien que de celles théoriques, si elle disparaît disparaissent toutes ces sciences» [A. Снесарев, 2013, c. 66].

L’apparition de la branche  » Philosophie de la guerre»

Le général d’artillerie marquis Georges de Chambray, membre de la campagne napoléonienne de 1812, dans un de ses ouvrages intitulé «Philosophie de la guerre» publié en 1828 [1829, 2 e édition] pour la première fois a utilisé le terme «philosophie de la guerre».

La philosophie de la guerre s’était répandue à la fin du XIXe-début du XXe siècle. Les points de vue des représentants de cette branche de philosophie ont été très différents, ce qui a contribué à l’examen varié du sujet et à la création d’un discours propre à ce domaine.

La fin du XIXe siècle se caractérisait par la prédominance de l’opinion selon laquelle les guerres devaient se retirer de la vie de l’humanité et céder la place à un développement sans conflits militaire. Les arguments semblaient tout à fait convaincants, mais la vie a prouvé le contraire. Les événements ont montré que le procedé militaire de résoudre les contradictions économiques et politiques n’a pas disparu de l’arène internationale. La première guerre mondiale, qui avait impliqué dans son orbite des dizaines de pays, a montré la profondeur des contradictions qui sont devenus la véritable cause du cataclysme. Une fois terminé, tout le monde pensait que c’était la dernière guerre dans l’histoire, parce que après les atrocités connus par l’humanité une nouvelle guerre semblait tout à fait impossible. Cependant seulement vingt ans écoulés, le monde fut immergé dans la deuxième guerre mondiale, qui a dépassé celle première sur maints points : le nombre d’États participants, la quantité d’armements, l’ampleur des combats, l’envergure des destructions, le rapport entre les pertes parmi les militaires et les civils, le degré d’atrocité pendant la guerre. L’examen de la guerre sous l’angle des différents paradigmes a conduit à des points de vue différents sur cette question et a contribué à faire avancer la compréhension des relations de cause à effet entre les différents éléments du processus.

Les représentants de la «philosophie de la guerre» ont examiné la guerre dans le cadre d’un paradigme philosophique, bien que leurs œuvres étaient souvent des recueils de citations de diverses personnalités (philosophes, politiciens, généraux, écrivains, etc.) sur la guerre et ses manifestations dans divers domaines de l’activité humaine. Un exemple de ce genre d’ouvrages est le livre de l’auteur français, le capitaine R. Henri, publié à Paris à la fin du XIX-e siècle [R. Henry, 1879]. Cependant, dans cet essai il y a des pensées originales qui suggèrent que ce livre a contribué au développement et à l’affirmation de la vue sur la guerre, autre que l’étude purement militaire de ce phénomène. On peut le comparer dans une certaine mesure avec l’œuvre de  Clausewitz « De la guerre », où la réflexion philosophique et politique sur la guerre est entrecoupée de genéralisations, militaires et stratégiques.

La philosophie de la guerre a été une tentative de s’élever au-dessus du niveau appliquée de compréhension de la guerre. L’auteur français a écrit que la guerre « … se rattache à la politique et aux sciences sociales par ses causes et ses résultats ; elle combine tous les éléments accumulés par les sciences mathématiques, phisiques, naturelles, pour centupler la force de l’homme et accroître l’intensité de son action collective ; enfin elle donne naissance a une véritable philosophie par la concidération des principes simples et des lois naturelles auxquels le pensrur peut rapporter toutes les questions sociales, morales et techniques que mettenten jeu ces conflits où viennent périodiquement se retremper l’intelligence et la vitalité de l’espèce humaine » [R. Henry, 1879, P. 21].

Il y avait d’autres auteurs qui ont soulevé le problème de la réflexion philosophique sur la guerre. Par exemple, Emile Olivier qui a donné dans son livre l’analyse philosophique d’une guerre [Olivier E., 1911]. L’auteur  hollandais S.R. Steinmetz dans son traité intitulé « Philosophie de la guerre » a mentionné les noms des collègues français et russes qui travaillaient dans ce domaine – Lagorgette, Lavisse, Létourneau, Rambaud, Dragomirov, Novikov, Tolstoï et al. [S. R. Steinmetz, 1907].

Pour avoir un tableau plus détallé de l’étude philosophique de la guerre au XIX – XX-e siècles, il faut mentionner les travaux des intellectuels russes entre deux siècles. Les premiers en Russie, qui ont parlé de la possibilité et même de l’inéluctabilité de la guerre, étaient Fiodor Dostoïevski et et Vladimir Soloviev [Ф.М. Достоевский, 2005, c. 11-17, 18-24; В.С. Соловьев, 1988,т. 2]. []Leur conviction de l’inéluctabilité de la guerre a donné à certains auteurs un prétexte de la qualifier comme une apologie de la guerre. Mais cette « apologie » a été remplie d’idées enracinées dans l’héritage du passé qui anticipaient certaines constructions théoriques de la modernité. Ainsi dans les « Aveux d’un slavofile » F. Dostoïevski pose la question qui occupe jusqu’à présent les esprits des stratèges, des historiens, des psychologues, des politiciens. C’est la question du « mystérieux caractère russe », autrement dit du manque de compréhension de la nation russe, de ses objectifs et de ses aptitudes, c’est la peur de la nation « arrierée, brutale et non éclairé », qui a conduit à une attitude agressive envers elle. Ainsi, toute action menée par la Russie qui n’est pas pour son propre profit direct, parait à l’Europe « inhabituel, non conforme aux coutumes internationales » et donc est perçue comme un fait immoral, dangereux pour l’Europe et menaçant sa grande civilisation. Les essais de V. Soloviev « le Sens de la guerre » et «  Trois entretiens sur la guerre » sont aussi remarquables.

La contribution de A. Snessarev au développement

de la « philosophie de la guerre »

A la fin du XIX – début XX-e siècle les ouvrages scientifiques où de nombreux phénomènes etaient considérés à travers le prisme de la philosophie, était très répendus. Par exemple, en Allemagne, il y avait une série « Natur-und Kulturphilosofische Bibliothek », qui publiait des écrits philosophiques concernant les différents domaines de la connaissance. C’est ce que disait A. Snessarev : «…le mot lui-même – philosophie, si répandue maintenant dans d’autres sciences – est  clair, facile à comprendre et plus aisément que les autres prédétermine par le volume et la nature du contenu sous-jacent » [А.Снесарев, 2013, с. 66-67].

Parmi les philosophes russes de ladite période qui s’intéressaient à la guerre, nous pouvons également citer les noms de E. Troubetzkoï, N. Berdiaev, S. Boulgakov, S. Frank, V. Ern et al.

Ce qui faisait la différence entre A. Snessarev et les philosophes cités ci-dessus, c’est qu’il était un militaire professionnel, familier avec le côté pratique de ce phenomène. Dans un sens, cela représentait une difficulté considérable : s’éloigner des propriétés spécifiques du phénomène et passer à la forme la plus abstraite de sa perception. Il a réussi à le faire dans l’esprit de C. Clausewitz. Mais le philosophe russe, contrairement à son prédécesseur, essayait délibérément d’approfondire la compréhension de l’essence de la guerre par les moyens de la philosophie. La  structure de son ouvrage en témoigne. Il a ainsi formulé la tâche de la «Philosophie de la guerre» : «Nous devons d’abord attirer notre attention sur ce phénomène dans la vie des peuples : un phénomène menaçant-spontané, qui crée et détruit des royaumes et des peuples, le fléau de la terre et la source de la démographie, selon les uns – un phénomène biologique, selon les autres – celui historique ; un phénomène qui porte le nom de la guerre. Nous devons le comprendre dans toute la largeur et la profondeur de son contenu, voir comment il est perçu par les gens éminents du monde, comment il se reflète sur l’écran de l’histoire, quel est le rapport de ce phénomène à l’existence étatique, comment il est perçu dans la compréhension humaine du bien ou du mal et, combien longtemps, enfin, ce phénomène va régner sur le sort de notre planète » [А.Снесарев, 2013, с. 67].

A. E. Sanesarev croyait à la liaison indissoluble de la guerre et de l’Etat, de la guerre et de la paix. Il comprenait l’interaction contradictoire de ces phénomènes et cherchait à y pénétrer profondément. L’étude de l’histoire des guerres a beaucoup contribué à cela. Déjà au début du XX-e siècle, il a accordé une attention à la composante culturelle du processus. A. Snessarev attachait une grande importance à la relation entre la migration et la guerre. La tentative de classification des guerres selon des critères essentiels fut une importante contribution à l’examen philosophique de la guerre.

L’abondance de sources multilingues que l’auteur a sollicitées pour analyser le problème en question mérite une attention particuliaire. Par exemple, Snessarev a  recouru à l’œuvre de J. Novicow (1849-1912), ecrivain russe qui publiait ses œuvres principalement en français, c’est pourquoi ses œuvres sont restées peu connues dans la science russe. Ses réflexions sur le rapport de la révolution, de la guerre et de la politique basées sur les exemples de l’époque napoléonienne sont remarquables. En fait, nous comprenons évidemment que la philosophie de la guerre est une branche de la philosophie politique qui a des racines profondes. Nous trouvons la confirmation de cette pensée chez l’auteur de la « Philosophie de la guerre» : «L’analyse de l’objectif de l’Etat a seulement expliqué et approfondi l’idée dont nous avons déjà parlé, que l’Etat est le bien, et non le mal, et donc chaqun en raison de la nécessité éthique doit se donner à l’Etat. Et, par conséquent, tous les efforts, les travaux ou les privations d’une personne, un groupe de personnes ou de tout un peuple, visant à la protection de l’Etat et la garantie de son calme, même dans le sens de sa croissance et de l’expansion légitimes, sont des actes justes, raisonnables et moraux. D’où la guerre, du point de vue des réalisations de l’Etat raisonnablement compris, trouve pour elle dans cette appreciation de l’Etat la plus haute et la plus brillante excuse » [А.Снесарев, 2013, с. 244-245].

En décrivant les cas de violence au cours de la guerre chez les différents peuples, le philosophe militaire se rapproche du paradigme, que nous appelons aujourd’hui anthropologie philosophique.

Un point important dans la réflexion de  Snessarev au sujet de la guerre est le problème des pertes durant le conflit et leur évaluation : « Si nous nous arrêtons sur le fait de l’exagération des pertes militaires, ce n’est pas bien sûr dans le but de justifier la guerre dont sa philosophie ne s’occupe pas, mais pour identifier sous la vraie lumière la nature de très nombreuses opinions et d’épreuves liées à l’essence de la guerre… » [А.Снесарев, 2013, с. 168-169].

En analysant l’état de recherches sur la guerre en Russie de l’époque, A. Snessarev a examiné « l’enseignement supérieur de la guerre » de N. Golovine, qu’ il considérait comme une variante de la « Philosophie de la guerre ». Dans sa critique du concept de  Golovine, un des premiers sociologues militaires russes qui voulait créer une « sociologie de la guerre », se reflètent les contradictions entre l’approche philosophique et celle sociologique de la guerre, dont Golovine était un adepte fervent. [А.Снесарев, 2013, с. 61-64].  Dans l’avenir, déjà après la seconde guerre mondiale « « la sociologie de la guerre» ou » polémologie» comme une nouvelle science de la guerre etait institutionnalisée par le sociologue français G. Bouthoul.

 A. Snessarev a justifié la loi de la continuité des guerres, ainsi que il a formulé la loi de la réduction des pertes militaires, qui est remis en question par certains auteurs modernes. Il est évident que ce philosophe militaire n’avait pas de données suffisantes qui sont devenus disponibles aux successeurs pour faire des prévisions plus précises.

Le philosophe était conscient du caractere contradictoire de la guerre et de l’ambiguïté de son estimations: «Nous avons vu que les questions les plus fondamentales de l’essence de la guerre, c’est-à-dire si elle est naturelle ou non, et si elle répond aux exigences morales de l’humanité ou elle les contredit, ces questions n’ont pas trouvé une reponse précise. La décision collective de penseurs, de chercheurs et d’artistes s’est avéré fragmentée et incohérente, elle a suivi deux lignes différentes et elle n’a pas prononcé un verdict determiné au grand phénomène de la vie des peuples» [A. Снесарев, 2013, s. 97].

Malheureusement, l’arrestation soudaine, l’enquête préconçue et la condamnation sévère ont conduit à ce que son ouvrage «Philosophie de la guerre» n’a pas vu le jour et oublié  pour longtemps.

Le développement ultérieur de la philosophie de la guerre après Snessarev

Le marxisme a apporté une contribution considerable au développement de la Philosophie de la guerre. Il a repensé de façon critique l’héritage des prédécesseurs et a mis de nouveaux accents dans la compréhension des prémisses, des causes, du rôle de la guerre, de ses conséquences. Reconnaissant le rôle de la guerre dans l’histoire comme d’une forme de violence, les fondateurs du marxisme n’ont pas absolutisé celui-là. Certains travaux de F. Engels ont été consacrés aux questions militaires. Là il a démontré l’applicabilité des postulats de la dialectique matérialiste dans le domaine militaire. Ces principes ont trouve leur application en Russie soviétique.

Une nouvelle étape dans le développement de la pensée sur la guerre en Russie a commencé après la victoire de la révolution d’octobre 1917 — elle a pris la forme de la « doctrine marxiste-léniniste de la guerre et de l’armée », en d’autres termes, elle s’est transformée en philosophie de la guerre de la période des révolutions prolétaires. La spécificité de cette période consistait en l’influence dominante du marxisme-léninisme sur le développement de la théorie militaire et des opinions sociopolitiques sur la guerre. Toutefois, il convient de noter que les théoriciens éminents de la Russie Soviétique ont apporté une contribution significative au développement de la science de la guerre. L’idéologie a imposé une empreinte sérieuse sur les vues des chefs militaires soviétiques de cette période, mais ne pouvait pas maîtriser pleinement la pensée théorique militaire, qui s’appuiait sur les processus réels de la lutte armée. La compréhension du caractère social de la guerre était inhérente à de nombreux théoriciens militaires. Ces chefs militaires et et théoriciens comme M. Frounze, M. Toukhatchevski, B. Chapochnikov, I. Unshlikht, A. Toporkov S. Béitski et al. ont analysé les changements dans la guerre causés par sa nature socio-politique, les facteurs démographiques et techniques. Ils ont anticipe de nombreux traits de la future guerre : son ampleur jusque-là invisible, le déploiement des combats sur des théâtres différentes, sur d’immenses espaces, la suppression de la profonde différence entre la ligne de front et les arrières, le rôle croissant de l’industrie et de la logistique au cours de la guerre. Certains  théoriciens posaient le problème du rapport entre la guerre et la lutte armée (M. Toukhatchevski, A. C. Golubev, C. Botcharov ) en affirmant que la guerre ne se borne pas par des opérations militaires, mais se déploie aussi dans d’autres sphères – idéologique, diplomatique, économique etc. M. Frounzé[, V. Blücher et  al. soulignaient le rôle crucial de l’homme dans la guerre, en attachant une grande importance au rôle de la science, non seulement pour la victoire dans la lutte armée, mais aussi pour l’éducation politique du personnel et la formation du cadre de commandement pour les forces armées.

La seconde guerre mondiale a marqué le début d’une nouvelle étape dans le développement de la philosophie de la guerre. La pratique politico-militaire a donné de nombreux exemples aux généralisations théoriques, à l’émergence de nouveaux points de vue sur les processus politico-militaires. Les années de la guerre ont montré comment la politique réelle est capable de réfuter les dogmes idéologiques. De tangibles progrès ont été réalisés dans le domaine de la théorie au cours de cette période.

La fin de la seconde guerre mondiale marquée par  l’utilisation d’ une arme fondamentalement nouvelle a conduit les théoriciens à une nouvelle optique sur les perspectives de l’émergence de futures guerres. La possession de l’arme nucléaire par les parties concurrentes a contribué à la formation d’un système bipolaire et à la situation paradoxale de l’équilibre nucléaire, qui a assuré la prévisibilité à long terme des processus mondiaux. Avec la création par l’Union Soviétique d’armes nucléaire et thermonucléaire, ainsi que de leurs vecteurs, qui ont rendu les États-Unis vulnérables, les conceptions géopolitiques et géostratégiques des dirigeants soviétiques ont changé. La problématique de la philosophie de la guerre a été enrichie par un nouveau thème, celui de la parité militaire et stratégique. Après la seconde guerre mondiale, une nouvelle pléiade d’auteurs a contribué au developpement de la polémique sur le problème de rapport entre la guerre et la paix : D. Volkogonov, M. Garéev, I. Groudinine, I. Danilenko, A. Dyrine, P. Giline, T. Condratkov, A. Migolatïev, A.Milovidov, G. Mirskï, E. Rybkine, V. Sékistov, V. Sérébrïannikov, S. Tuchkévitch, M. Yassukov et al.

Parmi les chercheurs qui ont apporté une contribution remarquable à l’évolution de la réflexion sur les aspects techniques et militaires, socio-philosophiques, sociologiques et politiques de la guerre, il convient de noter I. Danilenko, V.Sliptchenko, I. Gobozov, I. Obraztsov, S. Soloviev, P. Tsygankov, V. Tcheban et al.

A. Skvortsov dans son livre « L’éthique religieuse Russe de la guerre du XX-e siècle » parle de l’état moderne de la Philosophie de la guerre dans notre pays: «Avec tous les efforts des savants modernes, il faut reconnaître que la philosophie russe de la guerre ne fait que commencer à se développer. Le manque de grande recherche dans ce domaine est en partie compensé par un énorme nombre de livres sur l’histoire militaire, apparus récemment  » [А.А. Скворцов, 2002, с. 21].

Aussi l’on peut ajouter à ce jugement que le nombre de thèses consacrées à ce problème [A.Skvortsov, 2000; E. K. Mamina, 2006; L.Soutïagina, 2007] au cours des dernières décennies a été faible et ne répondait pas aux besoins de la société dans ce genre de recherches. Cependant, à notre avis, nous ne pouvons pas accepter l’affirmation que la philosophie russe de la guerre ne fait que commencer. On ne peut pas ignorer la riche contribution que nos prédécesseurs ont apporté au développement de la réflexion philosophique nationale sur la guerre, dont Snessarev parle dans son livre, et de ceux qui sont mentionnés dans cet article. Malheureusement, pour diverses raisons, y compris celles de caractère idéologique, la contribution créative de A. Snessarev dans le développement de la pensée philosophique russe de la guerre, est resté longtemps inutile. Les éditions posthumes de son œuvre principale sur la philosophie de la guerre datent de 2001, 2003 et 2013. Comme le constate Danilenko[1], l’un des meilleurs travaux novateurs n’était pas mentionné pendant 80 ans dans la litterature scientifique à cause de quoi la pensée philosophique militaire a beaucoup perdu.

Après un long moratoire sur les écrits des penseurs russes en exil, les lecteurs russes pendant la période post-soviétique ont eu l’occasion de s’adresser aux publications peu connues de nos compatriotes qui ont vécu à l’étranger. Nous  trouvons une compréhension philosophique de la guerre dans les travaux des représentants de la « diaspora russe », publiés dans le recueil intitulé « la Philosophie de la guerre » [Философия войны, 1995], où sont entrés les travaux d’auteurs célèbres à leur époque : A. Kersnovsky, N. Golovine, A. Marïuchkine, A.Bayov. Ces travaux montrent à quel point  la compréhension philosophique de la guerre et de tout ce qu’elle implique était réclamé pendant cette période historique [A. A. Керсновский, 1932-1939].

Il convient de noter séparément les travaux De E. Messner [Месснер Е.Э.,1959, 1960, 1961, 1971], qui ont influencé le développement des conceptions d’ auteurs occidentaux sur des nouveaux procédés de mener la guerre (par exemple, l’émergence de la notion «guerre hybride»).

Le besoin de la communauté scientifique dans les généralisations profondes concernant la guerre, déplace aujourd’hui les accents dans l’étude de la guerre vers le domaine de la recherche philosophique. En général, nous pouvons constater que les études de la guerre se développent dans les pays différents en directions similaires. Cela se reflète dans les thèmes/sujets de la recherche, dans les problèmes méthodologiques communs rencontrés par les chercheurs de ces pays. Les sujets à discuter sont d’habitude les suivants: l’appareil conceptuel du problème, les transformations de la guerre, la guerre en réseau, la guerre asymétrique, la guerre d’information, cyberguerre, celle hybride etc.

La philosophie de la guerre est-elle nécessaire de nos jours?

La question se pose: est-ce que la philosophie de la guerre est utile? La vie elle-même donne la réponse à la question posée. La Philosophie restera toujours un moyen de comprendre la réalité, capable de remplir la fonction prédictive, qui est pour les activités militaires d’une valeur particulière. En outre, la philosophie est un moyen de former l’avenir par le biais de modèles virtuels des phénomènes de nature différente.

Le fait que la philosophie affecte le monde réel ne fait aucun doute. Si nous parlons de la guerre, elle s’est constituée en grande partie sous l’influence de la philosophie qui prévalait à une époque donnée. D’après nous, à l’heure actuelle, le monde traverse la periode où les contradictions entre les pays sont très prononcées. Mais tôt ou tard cette situation connaitra son déclin. A ce moment une philosophie de la guerre qui donnerait un tableau systematisé et coordonné de la réalité politico-militaire serait opprtune.

À cet égard, il semble que la philosophie de la guerre peut être demandée comme une branche de la philosophie politique pour élaborer des concepts de développement de la théorie et de la pratique militaires, pour analyser les relations de cause à effet dans les activités politico-militaires aux niveaux national et international, pour créer des perspectives positives à long terme.

Dans ce contexte, l’œuvre de A. Snessarev représente un bagage précieux de  connaissances, utiles à la fois aux philosophes, aux savants, aux militaires, bref, à tous ceux qui sont intéressés par le phénomène-guerre. Dans les travaux de ce philosophe militaire nous pouvons trouver des idées qui restent de valeur et peuvent nous servir d’une boussole pour résoudre de nombreux problèmes d’importance capitale dans l’avenir.

Au début du XXI-e siècle, cent ans plus tard, nous retrouvons sa « Philosophie de la guerre ». Apparemment, il est temps de « recueillir les pierres ». Nous sommes confrontés à un problème important de la prise de conscience de la voie du développement du monde futur et de la formation du nouveau système de relations mondiales.

Dans cette situation, nous devons nous tourner vers la philosophie  politique et sa branche importante – la philosophie de la guerre. La doctrine militaire, la stratégie, la sécurité sont les parties les plus importantes de l’existence d’un Etat qui prétend être un participant souverain au processus international. Sans la réflexion philosophique de ces moments importants il est difficile de s’attendre à obtenir des résultats réels dans ce domaine. De nos jours, comme au siècle dernier, les questions relatives au sens de la guerre ne perdent pas leurs importance.

Liste de références

  1. Достоевский Ф.М. Парадоксалист; Признания славянофила // Русские философы о войне. М. – Жуковский: Кучково поле, 2005.
  2. Керсновский А.А. Философия войны. М.: Изд-во Московской Патриархии, 2010.
  3. Мамина Е.К. Проблема смысла войны в философии Ф.М. Достоевского и В.С. Соловьева: Дисс. … кандидата философских наук: 09.00.03. М., 2006;
  4. Месснер Е.Э. «Лик современной войны». Буэнос-Айрес,1959; «Мятеж — имя Третьей Всемирной». Буэнос-Айрес, 1960; «Современные офицеры». Буэнос-Айрес, 1961; «Всемирная Мятежевойна». Буэнос-Айрес, 1971.
  5. Скворцов А.А. Нравственные проблемы войны в русской религиозной философии ХХ века: Дисс. … кандидата философских наук: 09.00.05. М., 2000.
  6. Скворцов А.А. Русская религиозная этика войны ХХ века. М.: МАКС-Пресс, 2002. С. 21.
  7. Снесарев А. «Философия войны». М.: Ломоносов, 2013. С. 56-57.
  8. Соловьев В.С. Смысл войны. Три разговора о войне, прогрессе и конце всемирной истории // Соловьев В.С. Соч. в 2-х тт. Т. 2.М.: Мысль, 1988.
  9. Сутягина Л.Э. Проблема войны и мира в русской религиозно-философской и богословской мысли рубежа XIX–XX столетий: Дисс. … кандидата философских наук: 09.00.13. СПб., 2007.
  10.  Философия войны. М.: АНКИЛ-ВОИН, 1995.
  11.  Chambray G,. de. Philosophie de la guerre. Paris, Pillet aîné, 1829. 2-e édition.
  12.  Henry R. Essai d’un abrégé de la philosophie de la guerre. Paris, Librairie militaire de J. Dumaine, 1879.
  13.  Landsberg P.-L.Réflexion sur une philosopie de la guerre // Esprit. 1939. Octobre.
  14.  Novicow J. La guerre et ses prétendus bienfaits. Paris, Colin, 1894.

15.                        Olivier E. Philosophie d’une guerre: 1870. Paris, Flammarion, 1911.

  1.  Philonenko A. Essai sur la philosophie de la guerre. Paris, Vrin, 1976.
  2.  Steinmetz S.R. Die Philosophie des Krieges. Lpzg., J.A. Barth, 1907.

[1] DANILENKO Ighnat Sémïonovich – maître émérite de la science de la Fédération de Russie, Professeur, Major-général à la retraite, chargé de recherches en chef du Centre de recherche scientifique de l’Université Militaire du Ministère de la défense de la Fédération de Russie, rédacteur en chef de la revue « Messager militaire et philosophique ».

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1 commentaire

  1. Bravo à mon ami Alexeï Soloviev pour ce travail de recherche et d’application. Je reconnais bien là son travail, et dans son interprétation de la langue française

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