François BELLIOT
Ecrivain et politologue
RÉSUMÉ
Les relations franco-saoudiennes sont victimes des hauts et bas fréquents et intenses des circonstances globales catalysées par les nouvelles technologies, vitesses et richesses ainsi les loyautés fondamentales bafouées qui traumatisent les identités nationalistes et les relations internationales dans un monde dont l’environnement universel est de plus en plus souvent et violemment ravagé, assez fréquemment par l’homme lui-même.
La dimension la moins sécurisante c’est le domaine de la sécurité démographique ; et le domaine de la défense se fonde sur les principes séparatistes de soupçon et d’agression. Les relations franco-saoudiennes ne sont plus ni explicites, ni stables, et se mesurent en termes d’assurance, comme pour se se conforter mutuellement et réciproquement, quitte à avoir des relations plus difficiles avec d’autres pays : l’opportunisme brutal est à l’honneur, or il y a plus d’opportunisme que d’honneur
Préambule : Etat des lieux des relations commerciales franco saoudiennes
Pour schématiser, les relations franco-saoudiennes sous le mandat de François Hollande peuvent être comparées aux relations franco-qataries sous le mandat de Nicolas Sarkozy. Dans les deux cas, le rapprochement a été spectaculaire, se concrétisant par des alignements diplomatiques, et un accroissement des échanges commerciaux, notamment dans le domaine militaire. Il s’agit, pour reprendre les propres termes de l’Elysée lors de la visite du président Hollande à Riyad en novembre 2012, dans la foulée de son élection : « de faire autant avec le Qatar, et plus avec l’Arabie Saoudite ».
Alors que nous approchons du terme du quinquennat de Hollande les relations sont plus qu’au beau fixe entre les deux pays. La France est le 9ème investisseur en Arabie Saoudite, et celle-ci est devenue, supplantant la Russie, le premier fournisseur de pétrole de la France. La France exporte dans des domaines nombreux et variés (volailles, céréales, tuyaux, avions, produits cosmétiques, aéronautique et spatial, transports et électricité).
Les premiers accords de coopération entre la France et l’Arabie Saoudite datent de 1963, sous la présidence du général de Gaulle, mais c’est à partir de 2005 (date à laquelle l’Arabie Saoudite est admise à l’OMC) que l’on assiste à une progression spectaculaire des échanges commerciaux entre ces deux pays, qui va de pair avec un rapprochement diplomatique et militaire de plus en plus étroit, dans le cadre de ce que l’on pourrait appeler, pour reprendre l’intitulé de ce colloque international, la « nouvelle diplomatie française au Moyen-Orient ».
Un premier train d’accord a été partiellement manqué par la France dans un premier temps. C’est l’époque (janvier 2008) où le roi Fahd qualifiait Nicolas Sarkozy de « cheval fougueux qui doit subir l’épreuve des rênes ».
La relation franco saoudienne prend donc son envol, dans tous les domaines, sous le mandat de François Hollande, avec en point d’orgue, fin 2015, la signature d’un méga-contrat de 10 milliards portant sur les secteurs les plus variés. C’est à cette occasion que Manuel Valls enverra un tweet : « France-Arabie saoudite: dix milliards d’euros de contrats! Le gouvernement mobilisé pour nos entreprises et l’emploi. » Cocorico auquel nous sommes de moins en moins habitués et qui se comprend fort bien dans le contexte de crise économique grave à deux ans de l’élection présidentielle.
Une phrase de conclusion du « bilan 2013 des relations commerciales franco saoudiennes » est on ne peut plus enthousiaste : « Aussi bien le niveau excellent de la relation bilatérale que le nombre de grands projets, la stabilité du pays et les grands indicateurs macroéconomiques, presque tous dans le vert, devraient inciter les entreprises françaises à s’intéresser davantage au marché saoudien[1] ». Le bilan de 2014 est encore plus positif[2].
Les ventes d’armes de la France à l’Arabie Saoudite sous le mandat de François Hollande
La France fournit des équipements militaires à l’Arabie Saoudite. Citons par exemple l’entrée en vigueur le 7 octobre 2013 du contrat Lex (Life Extension Sawari 1), pour rénover quatre frégates et deux pétroliers ravitailleurs de la flotte saoudienne. Son montant est de 1,1 milliards d’euros[3].
Après signature de ce contrat, le ministère de la défense français se félicite : « une étape majeure dans les relations franco-saoudiennes en matière de défense navale. Il témoigne du niveau élevé de confiance mutuelle et de coopération qu’entretiennent l’Arabie Saoudite et la France »[4].
Le ministère de la Défense cite par ailleurs en cette occasion les dossiers sur lesquels les deux pays sont au diapason. Les entretiens entre les deux pays, lit-on, « doivent permettre de conforter notre convergence de vues sur les grandes crises régionales, au premier rang desquelles figurent la crise nucléaire iranienne et la crise syrienne ».
L’alignement des deux pays s’est confirmé avec l’accord tripartite Liban/France/Arabie Saoudite de décembre 2013. Selon l’accord l’Arabie Saoudite doit verser 3 milliards de dollars au Liban (l’équivalent de trois fois le budget militaire annuel de ce pays) afin de permettre à ce dernier d’acheter des armes à la France. Achat prévu de missiles Milan, de véhicules blindés VAB mk3, de 7 hélicoptères Cougar, de systèmes d’artillerie Caesar, et de quatre corvettes. En février 2016, cet accord est annulé par l’Arabie Saoudite en raison de la trop grande influence du Hezbollah, allié de l’ennemi iranien, sur le gouvernement libanais[5]. Finalement, l’accord n’est pas annulé, mais les armes seront achetées par l’Arabie Saoudite.
C’est de manière comparable que s’est conclue l’affaire des Mistral que les autorités françaises ont finalement refusé de livrer à la Russie en septembre 2014 : ils seront finalement vendus en octobre 2015 à l’Egypte, grâce à un apport financier significatif de l’Arabie Saoudite[6].
Ces deux derniers exemples montrent l’étroitesse des liens de confiance entre les deux pays.
La France, en outre envoie régulièrement des formateurs dans le domaine de la sécurité (gestion « démocratique » des foules[7], gestion des accidents de transports en commun[8], formation de formateurs au tir[9]), et des policiers et militaires saoudiens viennent régulièrement faire des stages dans l’hexagone (par exemple étude du fonctionnement des commissariats de police[10]).
Plus généralement, la France, depuis le mandat de Nicolas Sarkozy, qui a vu la mise en place de la nouvelle diplomatie française au Moyen-Orient, se rapproche militairement et diplomatiquement de tous les pays du Conseil de Coopération du Golfe, qui sont tous hostiles à la Syrie et à l’Iran. Symbole de ce rapprochement : en 2008, l’établissement d’une nouvelle base militaire à Abu Dhabi[11], près du détroit stratégique d’Ormuz, face à l’Iran.
L’alliance franco-saoudienne dans la guerre en Syrie
Les relations entre la France et l’Arabie Saoudite sont renforcées, au niveau militaire, par leur engagement commun et résolu dans la guerre en Syrie (avec les autres pays « amis de la Syrie » comme la Turquie, les Etats-Unis, le Qatar, etc). La convergence de vues est totale et en toutes occasions depuis cinq ans. Rappelons quatre dates clefs :
– 24 février 2012 : rencontre de Tunis avec le Conseil National Syrien et les autres pays « amis de la Syrie ». En cette occasion aurait été décidée l’opération « Volcan de Damas et Séisme sur la Syrie » de juillet 2012, un coup d’état manqué contre le gouvernement syrien, dont une partie de l’état major a été décapité en cette occasion.
– fin mai 2012, accusations radicales contre le « régime syrien » pour le massacre de Houla et appel à une intervention militaire internationale pour un « changement de régime ».
– 6 septembre 2013, en marge du G20 de Saint Petersbourg, la France et l’Arabie Saoudite avec 12 autres pays se déclarent prêts à intervenir en Syrie sans l’aval de l’ONU[12].
– 20 septembre 2014, la France et l’Arabie Saoudite avec d’autres « amis de la Syrie » intègrent la coalition internationale contre l’organisation EI.
Les deux pays sont également adeptes des déclarations les plus fermes et les plus belliqueuses contre l’Iran, en particulier sur le dossier du nucléaire iranien.
Une relation renforcée par le refroidissement des relations entre les États-Unis et l’Arabie Saoudite
Un dernier facteur plus récent explique la « lune de miel » franco-saoudienne : le très net refroidissement, depuis un an, des relations étatsuno-saoudiennes.
Les Saoudiens reprochent aux États-Unis l’accord nucléaire avec l’Iran de juillet 2015, accord que le gouvernement français, au contraire, a jusqu’au bout essayé de faire capoter.
Fin 2015 une série de rapports d’ONG[13]/[14] paraissent qui accusent l’armée saoudienne de crimes de guerre dans sa guerre contre le Yémen commencée en mars 2015. En mai 2016, les États-Unis, en écho à ces inquiétudes, cessent de livrer à l’Arabie Saoudite des bombes à fragmentation[15].
En avril/mai 2016, une grave polémique naît d’un projet de loi, qui vise à permettre à des familles de victimes des attentats du 11 septembre 2001 d’attaquer en justice des dirigeants saoudiens pour responsabilité dans leur mise en œuvre et leur organisation. L’ancien chef des services de renseignement saoudiens, le Prince Turki Al-Faisal déclare en cette occasion : « Les jours heureux entre l’Arabie Saoudite et les Etats-Unis sont terminés à jamais. Nous avons changé et l’Amérique aussi. Obama a le mérite d’avoir réveillé tout le monde chez nous sur le changement dont il nous faut désormais tenir compte. Il faut réévaluer nos intérêts communs[16]. »
La presse saoudienne tire unanimement à boulets rouges sur les États-Unis qu’elle accuse d’avoir eux-mêmes organisé les attentats afin de justifier le lancement d’une guerre sans fin contre le terrorisme.
Ainsi par exemple le journal al Hayat, basé à Londres, publie-t-il le 28 avril 2016, le rapport du juriste saoudien Al-Shammari dans lequel on peut lire[17] : « Le 11 Septembre est l’une des cartes gagnantes dans les archives américaines, parce que tous les gens avisés de par le monde qui sont des experts en politique américaine et qui analysent les images et les vidéos [du 9/11], conviennent à l’unanimité que ce qui est arrivé aux deux tours était une action purement américaine, planifiée et exécutée par les États-Unis. La preuve en est la séquence d’explosions continues qui a découpé de façon spectaculaire les deux bâtiments […] les ingénieurs en démolition contrôlée les ont détruites avec des explosifs, tandis que les avions s’y écrasant ne donnaient que le feu vert pour la détonation – ils ne sont pas la raison de l’effondrement. Mais aux États-Unis se propage toujours le blâme dans toutes les directions. [Cette politique] peut être surnommée « la victoire au moyen des archives ».
Tout débat public sur la version officielle de ces événements étant pour ainsi dire interdite en France, on peut s’étonner que les autorités françaises n’aient eu aucune réaction face à ces graves accusations « conspirationnistes[18] » et que les médias aient complètement passé cette information sous silence.
Dans ce contexte de dégradation de ses relations avec les Etats-Unis, l’Arabie Saoudite cherche à diversifier ses soutiens, et la France se pose comme un partenaire encore plus privilégié.
La remise de la légion d’honneur, le 7 mars 2016, par François Hollande en personne, du prince Mohammed bin Nayef bin Abdelaziz Al Saoud, qui a suscité une belle polémique, se comprend beaucoup mieux si l’on a à l’esprit ce contexte de « lune de miel » à tous les niveaux entre la France et l’Arabie Saoudite. L’argument des emplois créés et des points de croissance sauvés par les méga-contrats signés avec l’Arabie Saoudite invoqués par les dirigeants français a pu choquer l’opinion mais n’est pas dépourvu de sens si l’on considère l’ampleur des contrats, et la situation économique désastreuse de la France en raison de ses gouvernants actuels. Rappelons au passage que Nicolas Sarkozy avait été décoré, lors de son voyage de janvier 2008 à Riyad, du grand cordon du roi Abdel Aziz, l’équivalent de la légion d’honneur en Arabie Saoudite.
Problèmes que pose cette alliance
Cohérente jusqu’à un certain point la relation franco-saoudienne pose néanmoins un certain nombre de problèmes plus sérieux qu’une légion d’honneur, surtout si on l’envisage du point de vue des grands principes, et du point vue militaire et de la sécurité.
1) les grands principes
Nous connaissons l’adage de la realpolitik : « dans les relations diplomatiques il n’y a pas d’amis et d’ennemis, il n’y a que des forts et des faibles ». Cela ne poserait pas de problème si les grands principes n’étaient pas mensongèrement invoqués, par les médias et les politiques français, pour faire tomber d’autres « régimes » comme la Libye, la Tunisie, et la Syrie, l’Irak.
Or l’Arabie Saoudite bafoue presque tous les principes invoqués incessamment depuis cinq ans pour justifier le renversement de Bachar el-Assad en Syrie. Rappelons-en quelques uns.
– C’est le nom de la famille régnante qui donne son nom au pays « Saoud », difficile d’aller plus loin dans l’autoritarisme clanique.
– une centaine d’exécutions par an y sont pratiquées, la plupart par décapitation.
– le statut de la femme y est rétrograde : le rapport mondial sur l’inégalité des sexes publié par le forum économique mondial en 2012 place l’Arabie Saoudite au 131ème rang sur 135.
– l’Arabie Saoudite est l’un des quatre pays arabes où l’homosexualité est non seulement interdite, mais punissable de mort. En France les centres LGBT sont financés par les pouvoirs publics et les opposants au « mariage pour tous » son unanimement désignés dans les médias comme des « fachos » et des arriérés « d’extrême-droite ».
– aucun parti politique n’y est autorisé
– l’Arabie Saoudite est accusée depuis fin 2015 par des ONG, comme on l’a vu, de commettre des crimes de guerre au Yémen. Les rapports de ces ONG (HRW et Amnesty) sont très semblables dans le fond et dans la forme à ceux brandis par les grands médias ces dernières années pour justifier une ingérence militaire internationale en Syrie.
– Rappelons enfin que l’Arabie Saoudite a participé militairement à la répression du « Printemps Arabe » au Bahreïn en février 2011, répression dont aucun média ni aucun politique français ne s’est ému à l’époque.
2) la parenté idéologique entre les dirigeants saoudiens et les dirigeants de l’EI
Le second problème, est la parenté idéologique entre les dirigeants saoudiens et les chefs de l’organisation EI, l’ennemi que prétendent combattre la France et l’Arabie Saoudite au Moyen-Orient dans le cadre d’une coalition internationale mise en place en septembre 2014. Ces deux entités partagent exactement le même logiciel, le wahhabisme, qui prône la destruction des monuments religieux et des tombeaux de saints[19], qui érige cette branche de l’Islam, très majoritairement considérée comme une hérésie dans le monde musulman, au rang de seul Islam véritable, légitimant les meurtres et les massacres de non musulmans et de musulmans suivant d’autres traditions, en particulier les chiites.
3) la libre diffusion de l’idéologie wahhabite sur le sol français
Non seulement il existe de nombreuses preuves[20] du soutien de l’Arabie Saoudite aux groupes armés semant la désolation en Irak et en Syrie (la même remarque pourrait certes être faite concernant la France[21]), mais l’Arabie Saoudite se permet d’exporter, avec le Qatar, son idéologie mortifère sur le sol français. L’Arabie Saoudite participe donc à la radicalisation de jeunes des « territoires perdus de la République », qui iront au Moyen-Orient rejoindre des groupes armés, ou qui iront commettre des attentats comme ceux du journal Charlie Hebdo en janvier 2015 et du Bataclan en novembre 2016.
L’éventualité du retour de milliers « français wahhabisés » et aguerris sur les théâtres de guerre au Maghreb et aux Proche et Moyen-Orient, à terme est susceptible de poser un énorme problème de sécurité nationale.
La pénétration du wahhabisme en France est un peu plus ancienne et remonte aux années 1980. Quelques faits :
– la construction de la grande mosquée de Lyon est financée en 1990 sur la cassette personnelle du roi Fahd[22].
– En 1997, le fils du roi Fahd, le prince Abdelaziz ben Fahd ben Abdelaziz vient officialiser une mise sous influence saoudienne définitive de la mosquée de Mantes-la-Jolie[23].
– en 2014, la mosquée de Cannes reçoit un chèque de deux millions d’euros la part d’un mécène de Djeddah : Saleh Abdoullah Kamel, milliardaire président de la multinationale Dallah el Baraka[24].
Plus généralement, on apprend en novembre 2015, par une note de DGSI qu’une soixantaine de mosquées françaises seraient sous influence wahhabite, 25 en Île de France, 20 dans la région lyonnaise, 12 dans les environs de Marseille, une dizaine dans le Nord entre Lille et Roubaix[25]. Le chiffre aurait doublé en cinq ans.
Ces lieux de culte seraient fréquentés par 15 à 30 000 personnes et le mouvement serait en pleine expansion.
Signalons que cette pénétration du wahhabisme, via la prédication et la construction de mosquées, n’est pas propre à la France. Il s’agit d’un mouvement mondial. Prenons l’exemple de l’Allemagne. Ainsi, en décembre 2015, le vice chancelier allemand Sigmar Gabriel, également ministre de l’Économie appelle à agir contre les mosquées salafistes en Allemagne, et leur financement par l’Arabie Saoudite, non seulement en Allemagne mais dans le monde entier[26]. Il dénonce également le fait que le wahhabisme d’Arabie Saoudite est l’idéologie de l’organisation EI.
Il n’est pas inutile de rappeler que dans le même temps la construction de lieux de culte autres que wahhabites est interdite en Arabie Saoudite, de même que le prosélytisme religieux. Les dirigeants français, massivement et fanatiquement anticatholiques, n’en ont peut-être cure, mais ce deux poids deux mesures mérite d’être souligné.
4) la gestion des « migrants »
L’Arabie saoudite jusqu’à présent refuse d’accueillir des « migrants » sur son sol, alors qu’elle pourrait mettre à disposition le site de Mina, qui ne fonctionne que 5 jours par an à l’occasion du pèlerinage, vaste de 20 km², qui peut accueillir jusqu’à 4 millions de personnes dans des conditions plus qu’acceptables. A comparer avec le Liban voisin qui accueille plus d’un million de réfugiés, pour une population de 6 millions d’habitants.
Alors que médias et politiques dans de nombreux pays d’Europe tentent de convaincre leurs populations d’accepter d’accueillir en masse les « migrants », avec une rhétorique culpabilisatrice, et de massives opérations de propagande comme l’exploitation du cadavre du petit Aylan début septembre 2015, pourquoi l’Arabie Saoudite refuse-t-elle absolument, avec les autres pays du Golfe, d’en accueillir sa part, alors qu’elle en a largement les moyens ?
Une des raisons avancées par les autorités saoudienne est la crainte d’importation d’idées subversives, et que leur pays soit victime d’un scénario à la Libanaise, quand un soudain afflux de réfugiés palestiniens avait été l’étincelle du déclenchement de la guerre civile en 1975… Comme si ce problème de sécurité par excellence ne se posait pas pour des pays comme la France et l’Allemagne, dont la culture et les traditions sont encore plus différentes…
A défaut d’accueillir sa part de migrants, l’Arabie Saoudite propose à l’Allemagne, en septembre 2015, de financer la construction de 200 mosquées pour les besoins des migrants[27].
Conclusion
Je souhaiterais citer les propos du waqf chiite que nous avons rencontré à Bagdad il y a près d’un mois et qui a spontanément exposé devant nous les graves problèmes de sécurité que posent à terme la lune de miel franco-saoudienne[28]. Tous les éléments évoqués dans cet exposé s’y trouvent résumés, de la part d’un éminent représentant d’une communauté qui a payé un tribut extrêmement lourd dans sa guerre contre l’EI, suite à l’invasion de l’Irak par ce dernier en juin 2014, et l’appel au jihad contre l’EI lancé en réponse par la plus haute autorité chiite d’Irak, l’ayatollah al-Sistani[29].
« Le wahhabisme est un problème qui se pose pour le monde entier. Avec tristesse nous constatons que les Etats européens se sont trompés sur le sens de Daech ; ils se sont attardés jusqu’à ce qu’ils fassent à leur tour l’épreuve du terrorisme que nous subissons. L’erreur des Européens, c’est qu’ils ont ouvert leurs pays, et leurs villes, aux grands centres religieux wahhabites et aux grandes mosquées. Ils ont laissé des gens faire jusqu’au recrutement des gens qu’ils envoient pour combattre avec Daech et qui reviennent par la suite semer le désordre parmi les populations civiles et paisibles en Europe. Jusqu’à présent, on le remarque, malgré ce désastre, en Europe et spécialement en France les autorités agissent timidement avec ces gens et avec cette pensée qui est destructrice. Et je pense particulièrement que la cause de cet aveuglement vient beaucoup plus de considérations économiques et financières qui sont imposées par ceux qu’on connaît : l’Arabie Saoudite et ses moyens financiers énormes. Nous constatons avec tristesse que le gouvernement français préfère l’argent sale des pays qui exportent le wahhabisme, à la sécurité et à la valeur du sang de leurs citoyens. (…) Ce qui est étrange c’est que ces pays européens imposent des embargos sur des États moins dangereux, alors qu’ils savent que l’Arabie Saoudite est plus dangereuse pour la sécurité du monde que ces pays-là ; pourtant ils laissent faire. S’il y a bien une liste d’états terroristes, et une liste noire au Conseil de Sécurité pour les pays européens, normalement la première place devrait revenir à l’Arabie Saoudite. Je vous dis cela avec connaissance et certitude parce que les méthodes d’enseignement en Arabie Saoudite, ce qui se remarque dans les manuels scolaires, vise à imprimer dans l’esprit des élèves, du primaire jusqu’à l’université, que celui ne pense pas comme eux n’a pas droit à la vie. Toutes les mosquées en Arabie Saoudite sont sous l’autorité des wahhabites, et la portée et les principes du wahhabite, c’est qu’eux-seuls sont les vrais croyants et que seuls parlent au nom de Dieu. Tous les moyens des médias, tous les écrits comme les livres, les journaux, et autres, ils axent leurs articles et leurs moyens d’information sur ce point : takfiri. Takfir c’est : « tu ne crois pas comme moi, donc tu n’as pas le droit à la vie ». Nous savons que tout l’argent des hommes d’affaire saoudiens dont les fortunes sont énormes, quand ils donnent ce qu’ils appellent Zaket ou les dons, l’aumône, tout cet argent qu’ils réunissent est envoyé à ces terroristes. Je ne pense pas que les politiciens en France ignorent cela, et ils savent exactement ce qui se passe en Arabie Saoudite (…), mais ils ferment les yeux pour des intérêts économiques. »
[1] « Les échanges commerciaux entre la France et l’Arabie Saoudite en 2013 », ambassade de France en Arabie Saoudite, service économique, diplomatie.gouv
[2]http://www.ambafrance-sa.org/les-echanges-commerciaux-entre-la
[3]« Défense : l’Arabie Saoudite confirme un contrat de plus d’un milliard pour la France », Michel Cabirol, latribune.fr, 07/10/2013
[4]« Déplacement du ministre de la Défense en Arabie Saoudite », defense.gouv.fr, 07/10/2013
[5]« L’Arabie Saoudite annule trois milliards de subventions à l’aide militaire au Liban », Kumaran Ira, wsws.org, 23/02/2016
[6]« Mistral : la France a signé la vente à l’Egypte des navires refusés à la Russie », 20minutes.fr avec AFP, 10/10/2015. « Une source gouvernementale française avait ajouté que l’Arabie saoudite devait participer à l’achat par l’Egypte de ces deux navires à un niveau « significatif ». »
[7]« Stage de formation de formateurs à la gestion démocratique des foules », ambafrance-sa.org, 13/04/2016
[8]« Stage de gestion d’accident de transport en commun, ambafrance-sa.org, 02/03/2016
[9]« Coopération franco saoudienne – stage de formation de formateurs au tir », ambafrance-sa.org, 03/12/2015
[10]« Stage de découverte du rôle et de l’organisation des commissariats de police en France en partenariat avec l’université Nayef des sciences de la sécurité », ambafrance-sa.org, 28/04/2016
[11]« La France puissance du Golfe », Philippe Leymarie, monde-diplomatique.fr, 17/01/2008
[12]Voici par exemple ce qu’a déclaré François Hollande en cette occasion : « Sur l’intervention, si elle devrait avoir lieu dans le cadre de l’ONU ou hors du cadre de l’ONU si le conseil de sécurité était bloqué, la France serait prête à prendre cette responsabilité. La France s’associerait à une coalition qui va se former dans cette perspective. » Nous ne pouvons manquer de relever par ailleurs les propos tenus deux jours plus tôt par le secrétaire d’état John Kerry lors de son audition au Sénat quant aux modalités d’une intervention militaire en Syrie : « Quant aux pays arabes proposant de supporter les coûts et l’assistance [d’une intervention militaire en Syrie], la réponse est profondément oui, ils y sont disposés. Cette offre est sur la table (…). Et bien, nous ne savons pas dans quelle action nous sommes engagés en ce moment, mais ils ont été assez explicites, je veux dire, très explicites. En fait, certains d’entre eux ont dit que si les Etats-Unis sont prêts à aller faire le boulot, de la façon dont nous l’avons fait par le passé en d’autres endroits, ils supporteront le financement ». Les pays à même de financer une intervention militaire en Syrie ne sont pas nommés, mais si l’on considère le jeu d’alliance dans la région, il ne peut s’agir que de pays comme le Qatar, l’Arabie Saoudite, ou le Koweït. Étonnante déclaration de John Kerry qui explique publiquement, et sans la moindre ambiguïté que les forces armées de son pays, seront éventuellement employées comme mercenaires de pays qui sont dirigés par des « régimes » autocratiques et sectaires, voire dictatoriaux.
[13]« Au Yémen, l’organisation Amnesty International demande une enquête de l’ONU pour crimes de guerre », Morgane Bona, lemonde.fr, 18/082015
[14]« L’organisation Human Rights Watch accuse Riyad d’utiliser des munitions à fragmentation au Yémen », lemonde.fr avec AFP, 03/05/2015
[15]« Washington suspend ses livraisons de bombes à fragmentation à l’Arabie Saoudite », francais.rt.com, 28/05/2016
[16]« Les jours heureux entre l’Arabie Saoudite et l’Amérique sont terminés », Hala Kodmani, liberation.fr, 21/04/2016
[17]« Article in Saudi Daily: U.S. Planned, Carried Out 9/11 Attacks – But Blames Others For Them », memri.org, 19/05/2016
[18]Cette expression péjorative est apparue dans le débat public précisément après les attentats du 11 septembre 2001, pour désigner ceux qui en remettent en cause la version officielle ces événements. Procédé qui participe de toute une batterie de moyens déloyaux pour interdire tout débat à ce sujet. Nous estimons quant à nous que l’hypothèse avancée par le rapport d’al Shammari tient parfaitement la route, même si l’on peut discuter de l’identité réelle du maître d’oeuvre de la conspiration.
[19]« Destructions wahhabites : les lieux saints de l’Islam en péril », Corinne Auttey-Roussel, Les-crises.fr, 02/02/2016
[20] Voir par exemple The Guardian, 21/06/2012 : « Saudi Arabia plans to fund Syria rebel army » ; New York Times, 21/06/2012 : « CIA Sait to Aid in Steering Arms to Syrian Opposition »
[21]Passé sous silence les deux premières années de la guerre en Syrie, ce soutien militaire est à présent reconnu par les grands médias. Lire exemple : « Comment et pourquoi la France a livré des armes aux rebelles en Syrie », Benjamin Barthe, lemonde.fr, 21/08/2014
[22]« La deuxième grande mosquée de France ouvre ses portes à Lyon », Marie-Annick Dépagneux, lesechos.fr, 30/09/1994. « D’après les chiffres donnés par l’ACLIF, le chantier a coûté 29 millions de francs (2 millions de moins que l’enveloppe prévisionnelle) et a été financé à hauteur de 19,5 millions de francs par le roi Fahd d’Arabie Saoudite. »
[23]« Les Saoudiens s’affichent à Mantes-la-Jolie », Nidam Abdi, Liberation.fr, 20/09/1997
[24]« Qui sont les salafistes de France ? », Beaudouin Eschappasse, lepoint.fr, 15/12/2015. « C’est ainsi que la mosquée de Cannes a reçu l’an dernier un chèque de deux millions d’euros de la part d’un généreux mécène de Jeddah : Saleh Abdoullah Kamel, président du groupe bancaire Al Baraka et qui chaperonne des dizaines de programmes d’actions de par le monde. Traditionnellement placées dans le giron des pays d’origine des communautés qui les fréquentent (Maroc, Algérie, Turquie…), les mosquées de France sont de plus en plus nombreuses à solliciter les faveurs de Riyad sous le couvert de l’une des nombreuses ONG qui y ont fleuri depuis cinquante ans. À commencer par la plus célèbre d’entre elles : la Ligue islamique mondiale, fondée par le prince Fayçal en 1962. »
[25]« Hausse du nombre de mosquées salafistes en France », Thomas Prouteau, rtl.fr, 17/02/2015
[26]« Le financement des mosquées par l’Arabie Saoudite pointé du doigt », Les échos, avec AFP, 06/12/2015
[27]« Amid Muslim Refugee Crisis, Saudi Arabia Vows To Build 200 mosques in Germany », Elisabeth Whitman, ibtimes.com, 09/10/2015
[28]« Entretien avec le waqf chiite de Bagdad, Saïd al Moussaoui, le 9 mai 2016 », entretien réalisé à Bagdad par Maria Poumier, François Belliot, Gérard Lazare, et Smaïn Bedrouni, Observatoire des Mensonges d’État.
[29]« Les milices chiites irakienne, ces autres acteurs de la lutte contre l’EI », Jean-Baptiste Assouad, L’Orient le Jour, juin 2014