Patrick Dombrowsky
Géopoliticien, directeur du Centre européen de recherches sur l’Asie médiane
Trimestre 2010
Dès novembre 2001, une fois acquise, dans des délais particulièrement brefs, la chute politique du régime des taleban, la priorité des États-Unis en Afghanistan a été la réorganisation institutionnelle du pays. Avant la reconstruction des infrastructures, avant même la création d’un système économique digne de ce nom, tâches urgentes mais de long terme, l’administration américaine s’attacha à doter le pays de nouveaux dirigeants, puis d’une Constitution. Le retour de l’Afghanistan dans le concert des nations devait être prioritairement marqué par la mise en place d’un pouvoir légitime, censé incarner les aspirations de la population libérée de la dictature théologico-politique des taleban. S’appuyant dans un premier temps sur les réseaux traditionnels du pouvoir en Afghanistan, solennellement réunis en Loya Jirga[1] dès le début de 2002, les protecteurs américains du nouvel Afghanistan trouvèrent en la personne d’Hamid Karzaï l’une des rares personnalités afghanes susceptibles de correspondre au complexe portrait robot qu’ils avaient élaboré.
Huit ans plus tard, le président Karzaï a été doté, en plus de sa légitimité afghane initiale, d’une légitimité occidentale grâce à l’onction du suffrage universel : il fut élu en 2004 puis réélu en 2009, mais au terme de processus électoraux organisés dans des conditions trop difficiles pour déboucher sur des situations réellement satisfaisantes. Le scrutin d’août 2009, notamment, a vu se multiplier les fraudes et les contestations, et a abouti à la suppression du deuxième tour, par désistement de tous les candidats susceptibles de se maintenir face au président sortant. Incontestablement mal réélu, ne pouvant guère se targuer de succès probants, ni dans la reconstruction du pays, ni dans la pacification militaire des provinces insurgées de l’Est et du Sud, Hamid Karzaï semble concentrer sur lui toute la responsabilité des échecs de son régime. Pourtant, c’est l’ensemble de la classe politique afghane qui est ici à incriminer. Bientôt neuf ans après la chute des taleban, aucun système politique cohérent n’est parvenu à se mettre en place en Afghanistan. Dans un État qui a été doté d’une organisation constitutionnelle très inspirée des modèles occidentaux, les élites politiques ont été, jusqu’à présent, incapables de se rassembler et de se structurer en réels partis politiques. Or, les systèmes occidentaux sont indissociables de l’existence de tels partis, seuls instruments capables de former les élites, d’alimenter le débat politique et de faire vivre les élections.
Le relatif échec institutionnel de la reconstruction afghane est largement imputable à cette lacune : l’absence de structures partisanes de type occidental, dans un paysage constitutionnel tout entier bâti sur les fondements de la démocratie élective, précisément occidentale. Depuis 2001, les groupes d’allégeance qui existent au sein du Parlement afghan échappent en effet à une logique de fonctionnement de type partisan[2]. C’est en méconnaissant durablement cette réalité que les soutiens occidentaux aux dirigeants afghans font fausse route et attendent de leurs protégés (ainsi que de leurs adversaires, insurgés ou non) une attitude et un comportement politiques qu’ils ne sont pas à même d’avoir. Dans un pays qui a toujours, au cours de son histoire, rejeté la présence politique extérieure, l’espoir de résoudre l’instabilité actuelle passe par une meilleure compréhension des modes de fonctionnement de la société politique afghane et par une meilleure connaissance de ce que l’on s’obstine à appeler le système de partis participant à la vie politique. Celui-ci répond en effet à trois caractéristiques, constantes dans l’histoire récente du pays : le morcellement, la légitimité clanique et l’absence de base idéologique de gouvernement.
Le morcellement des structures politiques
C’est une caractéristique constante des diverses assemblées parlementaires qui se sont succédé dans l’histoire du pays. Le dernier quart du xxe siècle, durant lequel l’Afghanistan a été déchiré par des guerres intestines continues, a fait oublier le fait qu’un système de type parlementaire y a été instauré il y a presque un siècle. La Constitution de 1923, la première dans l’histoire du pays, fut aussi la seule à mettre en place un système monocaméral. Mais seuls des chefs locaux désignés par le roi pouvaient en faire partie. Il fallut attendre la Constitution de 1931 pour voir la naissance d’une assemblée élue, et celle de 1964 pour que soit mise en place une réelle séparation des pouvoirs exécutif et législatif. En même temps, le suffrage universel (mixte) fit son apparition, même si ce brusque progrès démocratique ne résista guère aux années : ni le niveau considérable de l’analphabétisme, ni les structures de la société afghane n’y étaient suffisamment préparés[3]. La monarchie parlementaire qu’avaient imaginée les constitutionnalistes français, consultés par le roi Zaher en 1964, fonctionna la plupart du temps à vide, avec deux assemblées dont les membres ne se regroupaient qu’en fonction de leurs appartenances ethniques, régionales et familiales. Nul système de partis ne parvint à se superposer aux allégeances de type féodal qui conditionnaient l’élection. La proclamation de la République, en 1973, puis la prise du pouvoir sanglante des communistes, en 1978, auraient pu modifier en profondeur ces comportements politiques ; il n’en fut rien. La république dura en effet trop peu de temps pour laisser une trace durable dans le fonctionnement des institutions. Par ailleurs, ses dirigeants se recrutaient principalement dans l’élite politique de la défunte monarchie constitutionnelle. Quant aux communistes, malgré tous les efforts de l’Union soviétique (avant même son intervention militaire de 1979), ils demeuraient profondément divisés entre Khalqis et Parchamis^. Les premiers, s’appuyant sur leur influence dans l’armée, dominèrent largement le gouvernement après le coup d’État du 27 avril 1978. Mais ils étaient traversés par d’importantes scissions et rivalités entre dirigeants, dont les origines dépassaient largement le cadre idéologique propre aux luttes d’influence à l’intérieur d’un parti politique. L’histoire du régime khalqi est donc faite de purges, de coups de force, d’assassinats, qui décimèrent la nouvelle classe politique bien plus que l’insurrection anticommuniste qui agita rapidement les campagnes afghanes. Après leur intervention, en décembre 1979, les Soviétiques confièrent le pouvoir au Parcham, plus urbain dans son recrutement, plus instruit en marxisme aussi. Mais si les luttes de factions semblèrent s’être calmées, ce fut surtout en raison du contrôle strict opéré par le commandement soviétique sur le régime afghan.
Face à ce dernier, les mouvements de résistance n’étaient pas moins morcelés[4]. Malgré leur objectif commun de lutte contre l’occupant soviétique, malgré leur exil identique dans le Pakistan voisin (essentiellement à Peshawar), malgré enfin leur proximité islamiste depuis le début des années 1970, jamais les mouvements réfugiés hors du territoire afghan ne réussirent à se rassembler autrement que dans une vague coordination dont l’autorité ne dépassait pas les limites des camps de réfugiés qui essaimaient autour de Peshawar. La séparation resta permanente entre ceux qui affrontaient les Soviétiques sur le sol afghan, tel Massoud, et ceux qui se trouvaient au Pakistan, tels Rabbani ou Hekmatyar. Leur unité, proclamée inlassablement par leurs soutiens occidentaux, n’était qu’une pure fiction. Le monde s’en aperçut en 1992, lorsqu’il suffit de trois jours après le départ des communistes du pouvoir pour que les onze « partis » de la résistance afghane plongent dans une impitoyable et interminable guerre civile de lutte pour le pouvoir. Dans cet affrontement, sans cesse plus meurtrier, aucune des éphémères tentatives de gouvernement d’union nationale ne parvint à s’imposer, les retournements d’alliance entre clans, régulièrement instrumentalisés par les acteurs extérieurs, bouleversant sans arrêt les rapports de force politiques entre « partis ».
Dans ce contexte, la période du gouvernement par les taleban pourrait apparaître comme différente. Rejetant toute organisation politique de type occidental, les fidèles du mollah Omar ne pouvaient pas a priori être soupçonnés de se livrer aux divisions qui étaient monnaie courante durant les années précédentes. Pourtant, le mouvement taleb était loin d’être aussi homogène que le totalitarisme de son règne le laissait penser. Si la prééminence politique d’Omar ne fait aucun doute pendant toute la période, les observateurs s’accordent à distinguer au moins trois groupes au sein du mouvement : les « radicaux », exclusivement préoccupés des orientations de pureté islamique à donner à la société afghane ; les « modérés », conscients que l’organisation étatique ne pouvait pas être totalement abandonnée ; les « étrangers », partisans surtout après 1998 d’une allégeance sans cesse renforcée à al-Qaida[5]. Ces tendances demeurent encore perceptibles aujourd’hui, avec quelques variantes, même si le mouvement a profondément évolué dans son organisation.
Soigneusement planifiées et organisées par les protecteurs américains, les élections législatives de septembre 2005, les premières depuis trente-six ans, n’ont pas dérogé à la règle du morcellement politique : plus de 2 700 candidats s’affrontèrent pour se partager 249 sièges. Un système électoral particulièrement complexe, où l’élection s’obtenait par liste régionale, mais où le vote était uninominal (!), aboutit à l’élimination de fait de toute structure partisane : il suffisait à chaque chef local de rassembler sa propre clientèle autour de son nom et dans sa région pour être élu, sans avoir le moindre souci de mener campagne au-delà de son fief, et encore moins dans les régions voisines. Le résultat en est une assemblée très hétéroclite, où les parlementaires représentent un nombre extrêmement variable de suffrages qui se sont portés sur eux, et où ils ne tiennent leur pouvoir que de la volonté de quelques « Seigneurs de guerre » locaux de les maintenir en place lors du prochain scrutin, en principe fixé au 18 septembre 2010[6].
La légitimité clanique
En l’absence de matrice idéologique pertinente à l’échelle de l’ensemble du pays, c’est en effet l’affiliation clanique qui constitue la base des regroupements politiques en Afghanistan. Ce dernier est pourtant, depuis sa création par le rassemblement de multiples tribus, en 1747, un État unitaire, que jamais les crises ni les menaces extérieures n’ont réussi à disloquer. Mais il est aussi d’évidence un assemblage très composite et très fragile de dizaines d’ethnies et de clans quasi ethniques, séparés toujours par la géographie, souvent par l’histoire, parfois par la religion. La séparation bilatérale la plus connue, entre Pachtouns et Tadjiks, n’est que la partie la plus aisément perceptible de ce kaléidoscope humain. Elle concerne en effet les deux ensembles les plus nombreux, représentant respectivement environ 40 % et 25 % de la population afghane[7]. Mais à côté de ces deux groupes, les Ouzbeks, les Turkmènes, les Nouristanis, les Hazaras, les Baloutches et bien d’autres encore ne doivent pas être négligés dans leur rôle politique. Par ailleurs, à l’exception peut-être des Hazaras, perpétuels opprimés de l’histoire afghane, ou de quelques isolats très faiblement peuplés, chacun de ces groupes est loin d’être homogène et de représenter à lui seul une entité susceptible de participer en tant que telle au jeu politique. Mis à part leur ethnicité commune, en effet, quel rapport entre un Tadjik de Herat, tourné vers l’Iran voisin, et un Tadjik du Badakhshan, au nord-est, replié dans ses vallées de très haute montagne ? Quelle vision commune entre les Pachtouns ruraux et traditionalistes de la région de Kandahar, ceux de Kaboul, plus urbanisés et en contact avec les représentants du monde extérieur, et ceux de l’Est du pays qui regardent plutôt vers les zones tribales pakistanaises voisines ? Vouloir gouverner à Kaboul, c’est aussi devoir trouver entre ces différentes composantes de la société afghane un minimum d’accord et de projet communs. Mais c’est une tâche d’autant plus périlleuse que la fragmentation clanique a été exacerbée par les années de guerre du dernier quart du xxe siècle. Pour encore bien des années, probablement, tous les dirigeants afghans seront considérés avant tout comme les porte-parole des intérêts exclusifs de l’ethnie, du clan, voire de la famille dont ils sont issus.
Ceci n’est guère compatible avec le développement harmonieux d’un parlementarisme fondé sur des partis qui échapperaient au clientélisme régionaliste. Bien plus que l’opposition entre deux projets gouvernementaux, et malgré la relative modération verbale des deux candidats à ce sujet, la dernière élection présidentielle, en août 2009, a vu s’opposer avant tout le candidat de la minorité tadjike et celui de la majorité (relative) pachtoune, qui à eux deux ont attiré sur leurs noms environ 80 % des votes. Les fraudes, parfois massives et dans les deux camps, n’ont fait qu’accentuer un phénomène parfaitement prévisible de rassemblement autour du candidat de son clan, comme le montre l’échec de M. Bashardost, arrivé troisième des trente-huit candidats (!), mais qui n’a pu rassembler guère plus de 10 % des électeurs autour de sa candidature, ethniquement transverse. Même les mouvements islamistes insurgés de l’Est et du Sud du pays ne parviennent pas vraiment à échapper à cette logique clanique. Omnipotents dans leurs fiefs locaux, des chefs de guerre comme Gulbuddin Hekmatyar, Sirajuddin Haqqani et même le mollah Omar ne parviennent guère à se constituer une assise politique solide au-delà de leurs frontières traditionnelles[8].
Ce régionalisme clanique, fortement imprégné de clientélisme et de népotisme, explique également une autre caractéristique de l’Afghanistan post-taleban. La chute de leur régime, grâce aux forces armées occidentales et singulièrement américaines, avait provoqué une vague de retour au pays d’une partie de la diaspora qui l’avait quitté, parfois dès le début des troubles des années 1970. Cette population éduquée, polyglotte, formée dans les universités étrangères, souvent relativement aisée, maîtrisant les règles de fonctionnement du monde, de l’économie et des sociétés contemporaines, n’a malgré tout pas réussi à s’implanter dans le paysage politique afghan, au contraire de certains dirigeants des républiques post-soviétiques[9]. La pauvreté extrême du pays, l’insécurité grandissante, menaçant avant tout ces symboles de la « domination » occidentale du monde, sont certes des explications pertinentes. Mais la principale raison de cet échec, particulièrement dommageable pour l’avenir du pays lorsqu’il s’est accompagné d’une deuxième émigration, fut leur incapacité à se fondre dans l’inextricable réseau des allégeances claniques, d’autant plus hermétique pour eux que leur départ d’Afghanistan était ancien. En ce sens, la perpétuation du primat ethnique comme référent principal de la politique afghane constitue encore de nos jours le plus lourd frein à la reconstruction du pays.
L’absence de programmation gouvernementale
Elle induit aussi la troisième caractéristique de la politique afghane contemporaine : l’absence de programme de gouvernement dans les stratégies des différents acteurs de celle-ci. La science politique a depuis longtemps érigé l’ambition d’accéder au gouvernement, ou d’y participer par l’intermédiaire d’une alliance, comme l’une des conditions nécessaires distinguant un simple groupe d’affinité d’un réel parti politique. Il est frappant de constater que, en Afghanistan, les forces qui luttent pour la prééminence au sein du pays ne présentent aucun programme dans la perspective de leur accession au pouvoir. Cela fut particulièrement sensible lors du scrutin présidentiel de 2009 et se confirme à nouveau avec l’atonie du débat politique à l’approche des élections législatives de 2010. Non que les discours soient vides, comme ils peuvent l’être dans certains régimes dictatoriaux qui se livrent à des parodies de scrutin ; mais ils sont constitués d’objectifs extrêmement généraux, à propos desquels il est difficile d’une part de ne pas s’accorder et d’autre part de leur donner un contenu précis. Tous les candidats présidentiels de 2009 ont affiché comme objectifs la lutte contre la corruption, la reconstruction des infrastructures, la pacification des régions insurgées et l’élimination de l’économie de la drogue… Aucun n’a précisé quelles mesures concrètes il comptait prendre pour y parvenir. Avant tout, bien sûr, parce que ces problèmes sont tellement vastes après bientôt quarante années de destructions que personne ne peut prétendre sérieusement détenir le moyen d’y apporter des solutions. Mais aussi parce que la lutte politique en Afghanistan n’est pas liée au désir de conquérir le pouvoir afin de mener à bien un programme précis. Il s’agit plutôt d’assurer à son ethnie, son clan, son réseau d’affidés la visibilité nécessaire pour pouvoir prendre sa part des postes administratifs, des situations économiques et des contrôles sur les pouvoirs locaux. On touche là au paradoxe de la démocratie élective, dans des sociétés qui ne possèdent pas, ou pas encore, les relais partisans nécessaires à une réelle confrontation de projet politique pour le gouvernement du pays. Le résultat des élections est en fait assez largement connu à l’avance. Pas uniquement à cause des fraudes, réelles, mais essentiellement en raison de l’omnipotence des réseaux clientélistes fondés sur la solidarité clanique. Dès lors que la minorité sait que, pour des raisons démographiques, elle sera toujours la minorité à l’échelle de l’ensemble du pays, elle n’a guère intérêt à chercher à développer partout son audience. En revanche, il est essentiel pour elle de renforcer son hégémonie dans ses fiefs. D’où des discours de plus en plus radicalisés autour de ses propres intérêts et de moins en moins susceptibles d’être intégrés dans des alliances électorales, dont le nombre de candidats lors des différents scrutins montre de façon éloquente l’inutilité politique.
La même absence de perspective gouvernementale se manifeste du côté des mouvements islamistes insurgés, pour des raisons très différentes[10]. L’analyse de leur stratégie militaire montre aisément que l’ambition des différents groupes que l’on appelle par commodité taleban n’est pas de s’emparer du pouvoir à Kaboul. Elle est plutôt, s’inscrivant là dans une logique bien plus mondiale que spécifiquement afghane, de maintenir un niveau de conflictualité suffisant pour empêcher les troupes occidentales de quitter le pays, sauf à accepter l’idée qu’il replonge aussitôt dans la guerre civile. Quitte à ce que les pertes de plus en plus lourdes subies par ces mêmes troupes fragilisent les dirigeants politiques occidentaux dans le face-à-face « moral » engagé au lendemain des attentats du 11 septembre 2001. Aucun dirigeant islamiste opérant en Afghanistan ne prend la peine de se fixer un autre objectif que celui, purement rhétorique, de libérer le territoire de la présence des troupes étrangères. Aucun d’eux ne prend non plus la peine d’évoquer la politique (gouvernementale, économique, judiciaire, diplomatique.) qu’il mettrait en œuvre dans l’hypothèse du renversement du régime de M. Karzaï. En partie parce qu’ils n’en ont pas la moindre idée, en partie aussi parce que cela n’est pas nécessaire à la continuation et au développement de leur insurrection.
En guise de conclusion…
Omniprésents dans les discours des pays qui se sont portés au chevet de l’Afghanistan à partir de 2001, les partis politiques s’avèrent singulièrement absents de la réalité institutionnelle du pays. De façon récurrente, les observateurs et les dirigeants mondiaux refusent de voir la scène politique afghane telle qu’elle est, à savoir un entrelacs de liens d’allégeance de type féodal, profondément personnels, impliquant tous les acteurs, insurgés ou non, et aux motivations essentiellement prédatrices sur l’économie du pays. Ce paysage politique particulier, aggravé par des décennies de conflits internes, est peu propice à l’émergence de ces structures sophistiquées que sont finalement les partis. Leur apparition marquerait certes aux yeux de la communauté internationale l’achèvement de la reconstruction politique impulsée en 2001. Vouloir hâter le processus conduit néanmoins à des contresens d’autant plus regrettables et contreproductifs qu’ils aboutissent finalement à prolonger l’instabilité dans laquelle ce pays est plongé depuis le début des années 1970. Or, la stabilité et la pacification du territoire afghan sont le préalable nécessaire à sa normalisation politique.
[1]Assemblée traditionnelle réunissant plusieurs centaines de dignitaires tribaux, religieux, militaires et politiques, qui constitue la source de la légitimité politique principale en Afghanistan.
[2]Il n’existe d’ailleurs pas de groupes politiques au sein du Parlement afghan.
[3]Toutes choses égales par ailleurs, la même accélération institutionnelle voulue par le régime impérial iranien dans les années 1970 se termina par le même échec avec la Révolution islamique de 1978-1979.
[4]Olivier Roy, L’Afghanistan, Islam et modernité politique, Seuil, 1985.
[5]La meilleure analyse en langue française du mouvement taleb est celle d’Ahmed Rashid, L’ombre des talibans, Autrement, 2001.
[6]Initialement programmées pour mai 2010, les élections ont été repoussées par la Commission électorale à la demande du gouvernement, qui invoquait l’insuffisante préparation technique du scrutin.
[7]Si tant est que ces données chiffrées aient un sens dans un État qui a procédé à son dernier recensement de population en… 1973 !
[8]En dehors même du fait qu’ils s’abstiennent bien évidemment de participer au jeu électoral.
[9]Dont l’exemple le plus spectaculaire est celui de Valdas Adamkus, président de la Lituanie (1998-2003 et 2004-2009) après une carrière brillante au sein de l’administration américaine, y compris dans le renseignement militaire.
[10]Patrick Dombrowsky, Géopolitique du nouvel Afghanistan, Ellipses, 2005.