Lina Murr Nehmé, Quand les Anglais livraient le Levant à l’État islamique.
Or, corruption et politique étrangère britannique, Paris, Éditions Salvator, 2016, 254 p.
Lina Murr Nehmé est bien connue de nos lecteurs, notamment pour son avant dernier ouvrage, Fatwas et caricatures, publié aux mêmes éditions. Franco-libanaise, elle est professeur à l’université libanaise à Beyrouth et s’est intéressée dans son nouvel ouvrage à la stratégie anglaise au moment de quatre évolutions essentielles de la déstabilisation des proche et Moyen-Orients : vis-à-vis du califat ottoman au XIXe siècle ; vis-à-vis du califat arabe souhaité par chérif Hussein, maître de La Mecque au début du XXe siècle (1915) ; vis-à-vis de la politique sanglante du bédouin Ibn Saoud en 1924, massacrant les arabes installé en Arabie pour pouvoir instaurer « son » Arabie Saoudite ; et, bien sûr, la politique anglaise à l’origine du conflit israélo-palestinien. Lina Murr Nehmé explique combien les intérêts stratégiques commandent la politique anglaise, la protection de la route de l’Inde et la concurrence sur le terrain colonial avec les autres puissances européennes France, Autriche-Hongrie, Russie et Prusse, notamment. Pour Londres, la fin justifiera les moyens. Ainsi au Liban, en 1840, où suivant des objectifs territoriaux, les Anglais vont susciter une guerre civile, bombarder Beyrouth et offrir le Levant à l’Empire ottoman. Lina Murr Nehmé est comme à son habitude à la fois très précise dans les faits restitués et très proche de la terrible réalité des massacres (par des Druzes, comme Saïd Joumblatt, au service de l’occupant ottoman, lui-même soutenu et encouragé pa
r les Anglais), notamment de Chrétiens en 1861, illustrés dans le livre par les photographies des sérails beyrouthins de Deir-el-Kamar et de Hasbaya. Les Anglais auront favorisé la politique génocidaire des Turcs notamment contre les Chrétiens à plusieurs reprises et, après 1860-1861, en 1915-1918, les jumeaux génocidaires Enver Pacha pour les Arméniens (Les Jeunes Turcs sont bien les responsables de ce génocide dans l’Empire ottoman, concernant les Arméniens, les Assyriens, les Chaldéens et les Syriaques), et Jamal Pacha (le ministre de la Marine, un des trois hommes les plus puissants de l’Empire turc et commandant la IVe armée turque en Syrie) pour les Libanais, par l’organisation d’une famine atroce, la destruction du vieux Beyrouth. Comme on le verra plus tard avec les Américains, la stratégie anglaise fut d’empêcher la paix et l’indépendance des pays de la zone en créant une sorte d’Etat islamique au Levant soumettant les nations arabes au joug de la charia, au racisme et au totalitarisme confessionnel ottomans. L’auteur rappelle que la protection de la route du pétrole et de l’Inde reste l’objectif ultime de Londres et justifie l’addition des conflits, des massacres et des haines au Liban, en Syrie, en Irak puis en Palestine au Liban-Sud, et en Terre Sainte. Le Califat promis par les Anglais à chérif Hussein et à son fils Fayçal ne verra pas le jour cette fois-ci en raison de la France qui avait chassé Fayçal de Damas le 24 Juillet 1920 et rétablit le Grand-Liban. Cependant, l’auteur dans son chapitre conclusif, rappelle qu’en Palestine, Herbert Samuel, un Anglais sioniste offrait à Hajj Amine Husseini l’autorité sur les musulmans de Palestine créant une succession de massacres de Juifs avec Izzeddine Al-Qassam, Hassan Al-Banna, Saïd Ramadan, père de Tariq Ramadan, puis ouvrant la voie à la condamnation des Palestiniens non-juifs à devenir apatrides par la réalisation du projet sioniste de création d’un Etat juif in situ, la partition. Lina Murr Nehmé nous offre à nouveau un ouvrage qui, s’appuyant sur de nombreux documents factuels et circonstanciés, brosse une fresque historique se déploiyant sur le temps long, et nous fait comprendre combien l’objectif d’un califat de l’Etat islamique du Levant à l’Orient est fondé sur l’histoire instrumentalisée de cette région.
Roland Pipet
Pierre-Alexandre Bouclay, Katharine Cooper, Peuples persé
cutés d’Orient. Carnet de voyage de Palmyre au chant des Merles, Préf. Richard Millet, Postf. Jacques Hogard, Paris, éditions du Rocher, 2016, 160 p.
Sur la photo de couverture, on découvre Lina telle que décrite par la photographe : « Lorsque je l’ai vu, elle souriait pleinement. Je pensais faire une jolie image, simplement. Il me restait une vue sur ma pellicule ; pas le droit de me rater… En ce court moment, à mon insu, la vérité de son âme s’est figée sur la pellicule. Un presque sourire mi-chemin entre beauté et tragédie, révélé en sels d’argent. Lina, aux yeux bleus ». Pierre-Alexandre Bouclay est journaliste international à Valeurs actuelles. Depuis 2004, il suit l’actualité (Tchétchénie, Kosovo, Ukraine, Syrie.) et les questions de sécurité. Il a réalisé plusieurs reportages au Proche-Orient et notamment rencontré le président syrien Bachar el-Assad. Photographe réputée d’origine sud-africaine, Katharine Cooper est laur éate en 2012 du grand prix de photographie de l’institut de France. Ses œuvres font partie de collections privées internationales et elle expose dans les plus prestigieuses galeries européennes. Ce très bel ouvrage, réalisé avec le soutien des associations SOS chrétiens d’Orient et Solidarité Kosovo, explore la réalité humaine des populations touchées par la force destructrice des conflits modernes. Il emmène le lecteur sur les différents théâtres des guerres du XXIe siècle dont la plupart tirent leurs origines dans le siècle précédent voire dans l’histoire immémoriale de leur région. Syrie, Kurdistan Irak, Kosovo : les deux auteurs, l’une photographe, l’autre rédacteur, décrivent le malheur, la haine dont sont victimes des populations parce qu’elles sont chrétiennes, yézidis ou kurdes. Katharine Cooper et Pierre-Alexandre Bouclay décrivent également combien est palpable sur place l’incohérence occidentale, voire le mépris dans lequel les gouvernements américains, anglais, français, bien souvent à l’encontre de l’opinion de leur propre population, traitent toutes ces communautés grandes perdantes de l’affrontement des intérêts le plus souvent financiers et inavouables comme la dépendance vis-à-vis des monarchies pétrolières et l’incapacité de définir une géopolitique dans laquelle la défense de la civilisation devrait primer. Ce beau livre démontre combien l’image vient remarquablement compléter la description précise des développements écrits qu’il s’agisse des Amazones du Kurdistan irakien (Kirkouk) en première ligne, la jeune Nishtman ou Ahou et ses filles adolescentes en armes, des Yézidis de Qaraqosh, réfugiés à Ankawa, quartier chrétien d’Erbil et soutenus par les humanitaires de SOS chrétiens d’Orient, des Syriaques, des Chaldéens, des enfants de Ma’aloula en Syrie, l’un des derniers endroits où les habitants parlent encore l’Araméen, la langue du Christ, la citadelle Qalat Ibn Maan surplombant Palmyre libérée, du petit garçon de Velika Hoca au Kosovo et l’action de l’organisation humanitaire Solidarité Kosovo pour que les enclaves chrétiennes conquièrent à terme leur autonomie alimentaire face au pouvoir central mafieux installé par les Occidentaux. Comme le dit le colonel Jacques Hogard, les auteurs ont su très bien comprendre et raconter, « par la photo et par le verbe, cet « orage de fer » qui a sévi et sévit encore sur ces peuples héroïques qui sont tout simplement nos frères ». Un bel ouvrage à s’offrir et à offrir pour que la parole et le regard des témoins durent toujours.
Roger Pontus
Nicolas Werth, Les révolutions russes, coll. « Que sais-je ? », Paris, PUF, 2017, 125 p.
Ancien élève de l’Ecole normale supérieure de Saint-Cloud et agrégé d’histoire, Nicolas Werth est directeur de recherche à l’Institut d’histoire du temps présent et spécialiste de l’histoire soviétique sur laquelle il a publié de nombreux travaux. Son nouvel ouvrage est tout à fait remarquable en ce qu’il remet en quelque sorte en ordre le processus historique « des » révolutions russes de 1917. Ce renouvellement de l’approche historique nous fait appréhender ce bouleversement comme une multiplicité de révolutions sociales et nationales, une « multiplicité des formes décentralisées d’action révolutionnaire qui se sont déployées dans l’Empire russe tout au long de 1917 ». C’est pourquoi, Nicolas Werth vient compléter ou se distancer des seules interprétations libérales ou soviétiques de ce mouvement de fond lui-même bien soumis aux aléas des multiples liens qui tissent la trame d’une rupture historique. L’auteur nous fait constamment prendre en compte une réalité confuse où se côtoient les deux formes de pouvoir, soviets, libéraux et bolcheviks, les transformations d’une armée tsariste en pleine décomposition mais encore structurée par le haut et son corps d’officiers, l’attente de la constituante, la destruction des institutions traditionnelles de l’ancien régime et de l’économie faite d’archaïsmes et de tentatives de modernisation, l’arrivée de l’étranger des révolutionnaires « professionnels », la particularité de l’autonomie paysanne vis-à-vis des mouvements de rues provoqués par les soldats unis aux ouvriers et des bolcheviks contraints un temps de lâcher la nationalisation pour le programme socialiste-révolutionnaire de redistribution des terres aux paysans, l’ambivalence du gouvernement entre la nécessité de rassurer les alliés sur le maintien du front oriental et la contestation populaire d’une stratégie non pacifiste, le retournement du gouvernement vis-à-vis des tensions nationales, d’abord favorable au desserrement du pouvoir central (Congrès pan-musulman de Kazan, demande de la Rada Ukrainienne et de la diète finlandaise) puis à nouveau aux tendances centralisatrices sous l’emprise des Bolcheviks lesquels vont lier guerre civile à la « reconquête des nationalités qui s’étaient émancipées au cours de l’année 1917 ». Nicolas Werth consacre tout un chapitre au bouillonnement historiographique récent et choisit trois exemples de thématiques qui illustrent la confrontation des écoles soviétique, libérale et « révisionniste ». Citant François Furet, l’auteur évoque le « charme universel d’Octobre » qui vient écraser de son mythe révolutionnaire de « faiseur de paix » toute appréhension de l’histoire complexe et notamment la place véritable de Février dans l’événement révolutionnaire. Avec cet ouvrage, Nicolas Werth fait partie des historiens qui rééquilibrent l’approche historiographique trop longtemps fermée à l’idée d’une multiplicité de révolutions sociales et nationales, et à celle de l’affirmation d’une nouvelle Russie dès les prémisses du processus révolutionnaire.
Christophe Réveillard
Jean-Paul Gourévitch, Les véritables enjeux des migrations, Paris, éditions du rocher, 2017, 220 p.
Jean-Paul Gourévitch, universitaire à Paris XII Créteil, est l’un des grands spécialistes de l’immigration et des migrations, de l’Afrique et de l’islamisme radical, qui ne s’embarrasse ni de la langue de bois ni du politiquement correct. La très grande richesse de ses contributions aux débats sur ces sujets est reconnue largement au-delà des seules frontières françaises et européennes. Il suffit de rappeler l’écho considérable obtenu par ses derniers ouvrages tels que Les Migrations pour les Nuls (First, 2014), Les migrations méditerranéennes en 2015 (Contribuables Associés, 2016), ou encore le récent L’islamo-business vivier du terrorisme (Pierre-Guillaume de Roux, 2016). Dans son combat contre les préjugés, le silence le plus souvent, à propos de ces sujets tabous, l’auteur ramène aux questions étonnamment peu traitées lors de la campagne des élections présidentielles françaises. Or, force est de constater que le devenir des nombreux immigrants arrivant en France (100 par jour à Paris selon le maire Anne Hidalgo), l’extrême difficulté de contrôler le flux en augmentation exponentielle d’immigrants réguliers et irréguliers, la confrontation de la politique française d’immigration avec les directives européennes, l’expatriation de nombreux français et bien d’autres questions tout aussi fondamentales pour l’avenir du pays, ne font l’objet que de réponses imprécises et peu approfondies. C’est pourquoi Jean-Paul Gourévitch offre à nouveau un état des lieux documenté de ces migrations, avec force statistiques, tableaux et références, mais aussi analyses des éléments culturels, sociaux et politique nécessaires à la bonne compréhension d’un problème qui occupe tout le spectre d’un phénomène de société. L’un des points forts de l’ouvrage est son extrême pédagogie ; en effet, l’auteur consacre de nombreuses pages à définir des notions souvent utilisées mais peu définies et explorées dans l’ensemble de leurs conséquences réelles ce qui contribue à la déconnexion entre gouvernants et ceux qui subissent au jour le jour les effets d’une politique laxiste en matière migratoire. Qu’il s’agisse en effet, des marges d’erreur dans la comptabilité de l’immigration en France, de l’absence de statistiques ethniques, de la réalité des naturalisations, de l’expatriation, du solde migratoire, Jean-Paul Gourévitch redresse les idées reçues fournit des fourchettes crédibles approchant plus près de la réalité des chiffres et décrit enfin le tableau le plus exact de la réalité vécue. Le livre présente cette particularité de bien prendre en compte la motivation des immigrés et des migrants, la question des pays d’origine et les itinéraires et les grandes trajectoires migratoires, mais également la problématique sociétale des migrations telle quel la délinquance, le chômage, le travail illégal, la contrefaçon, la prostitution. Un des sujets particulièrement importants abordés, est celui du coût de l’immigration pour le pays d’accueil et l’auteur répond précisément à rebours du discours dominant, en indiquant le déficit de la balance dépenses/recettes auquel il ajoute le surcoût dû à l’immigration irrégulière ainsi que les investissements de l’État. Jean-Paul Gourévitch a fourni un travail considérable sur l’ensemble des textes officiels les différents ministères concernés par le phénomène migratoire ainsi que sur les positions des partis politiques impliqués, par le biais d’un questionnaire reproduit dans les annexes, pour dégager l’approche politique de l’immigration qui se décline en trois scenarii : assimilation, intégration ou multiculturalisme. L’ouvrage ouvre également un très grand nombre de pistes concernant un traitement plus réaliste de réduction des coûts de l’immigration, tel que l’augmentation du nombre d’immigrés actifs et la diminution du nombre d’immigrés inactifs, la limitation du regroupement familial, l’encadrement des migrations maritales et une politique d’arrêt en amont, pendant et en aval des migrations irrégulières. Réponses au questionnaire, ouvrages, monographies et rapports internationaux rédigés par l’auteur ainsi qu’un appareillage de notes en bas de page, viennent appuyer l’expérience et l’investissement jamais démentis de Jean-Paul Gourévitch sur ce sujet depuis au moins trente ans. Le résultat en est un livre dense, fiable, original dans la façon de présenter un sujet sensible et projeté dans l’avenir. Ce travail devrait rester longtemps une référence sur le sujet.
Régis Poupard
Patrice Franceschi, Combattre ! Comment les Etats-Unis d’Europe peuvent sauver la France, Paris, éditions de la Martinière, 248 p.
« Vermoulue », « moribonde », l’auteur n’a pas de mots assez tranchés pour qualifier l’actuelle Union européenne, « mime ridicule et sans élévation de ce qu’elle aurait dû être ». Ce que propose cet ouvrage est justement de construire une Europe politique allant de l’Atlantique à l’Oural. Contre la technocratie, le fonctionnalisme, la destruction de la culture européenne par un matérialisme universaliste, Patrice Franceschi propose le rêve de la reprise en main de l’avenir des Européens par eux-mêmes. C’est la culture qui doit forger le projet de société européenne. La culture est une substance identitaire quasi intemporelle qui nourrit les sociétés contrairement aux programmes politiques lesquels sacrifient à l’instantané et aux considérations secondaires. L’auteur explique, non sans volontarisme parfois, que les conditions de mise en œuvre de ce projet, impliquent de faire table rase de l’édifice institutionnel et monétaire de l’actuelle Union européenne pour tout rebâtir sur de nouvelles fondations, culturelles et non économiques, politiques et non financières : « une société substantielle améliorée utilisant un socle d’homogénéité culturelle issu de l’identité civilisationnelle de l’Europe pour assurer sa cohésion d’ensemble en même temps que l’expression des identités locales, régionales et nationales ». Le livre définit clairement quels sont les huit défis existentiels que le projet devra combattre, qu’il s’agisse du primat de l’économie, de la société de surveillance généralisée, du mouvement transhumaniste, du crime devenue globalisé, de la guerre elle-même mondialisée, du totalitarisme islamique, etc. Son auteur, homme de terrain et philosophe politique, Patrice Franceschi, a été lauréat du prix Goncourt de la nouvelle 2015, mais il est aussi aviateur et marin. Aventurier, il s’est engagé dans les rangs de la résistance afghane combattant l’armée soviétique, et soutient activement les Kurdes de Syrie depuis le début de leur combat contre l’Etat islamique ; c’est au combat pour un nouveau pacte de solidarité fédérale pour l’Europe auquel il confie son lecteur dans ce livre.
Roland Pipet
Olivier Lacoste, La fin de l’Europe ? L’Union au défi du Brexit, Paris, Eyrolles, 2016, 210 p.
Les Français en particulier et les Européens en général sont assommés d’ouvrages sur l’Union européenne (tel, pris au hasard, que le récent Sylvie Goulard, Goodbye Europe, Paris, Café Voltaire, 2016) dont l’orientation et le plan argumentaire sont pratiquement toujours les mêmes : 1/ l’union européenne va mal 2/ il n’existe pas d’alternative crédible et légitime 3/ la vraie raison de la crise est qu’il n’y a pas assez d’intégration 4/ il faut « toujours plus d’Europe » pour atteindre un fédéralisme politique et économique dans lequel régneront prospérité et démocratie. Cette avalanche, ressortant d’une authentique pratique propagandiste, est suffisamment pénible pour ne pas avoir à s’y attarder, sauf peut-être du point de vue de l’analyse anthropologique. Il est cependant intéressant de revenir sur un autre point au moins, et nous prendrons l’ouvrage d’Olivier Lacoste, lui-même totalement inséré dans le dispositif (HEC, Sciences Po, ENA, économiste, journaliste, maitre de conférences à Sciences po, conseiller au cabinet du secrétaire d’État en charge de la prospective et dont la préface du livre est assurée par Catherine Lalumière) pour l’illustrer. Comme dans tous les autres ouvrages de son genre, il va très loin, en effet, tant dans le constat de la crise que dans l’analyse de l’impuissance des institutions européennes. Certes, la conclusion sera toujours la même : il y a un problème de pédagogie à régler, les médias ne parlent pas assez les bienfaits de l’UE, il faut « plus d’Europe », plus d’intégration, plus de fédéralisme ; il reprend d’ailleurs la confusion instrumentalisée entre « Union européenne » et « Europe » alors que les deux notions sont foncièrement différentes. Mais pour faire avaler cette potion, Olivier Lacoste, comme les auteurs respectueux de la doxa, sont obligés d’approfondir de plus en plus la critique du mode de fonctionnement des institutions jusqu’à effleurer la remise en cause de la nature même du processus d’intégration. Ceci est remarquable, parce que cela nous dit que la vacuité du système, ainsi quasi-reconnue par ses thuriféraires, ne les fait cependant pas dévier de l’idéal téléologique européiste ; nous sommes donc dans une sorte de reconnaissance par ses défenseurs, ses militants, du caractère foncièrement idéologique du processus d’intégration, et ceci dans son sens premier : ce ne sont pas les idées qui doivent prendre en compte le réel mais bien les faits qui doivent s’adapter à l’utopie fusionniste. Or, la prise en compte de la nature idéologique de ce système, largement développée depuis des années dans ces colonnes, permet d’éclairer les motivations profondes de ses vrais concepteurs, l’objectif ultime poursuivi et les raisons du déterminisme historique dont est entaché le projet supranational européen.
CR
Barak Obama, You Are Europe, Paris, éditions de La Martinière, 2016, 84 p.
Ce livre publie le discours prononcé par Barack Obama à Hanovre en Allemagne le 25 Avril 2016 et il est préfacé par Nicole Bacharan, laquelle enfonce le clou : « Une magnifique déclaration d’amour à l’Europe, une exaltation de nos valeurs démocratiques, celles des Lumières ». Il se voulait une sorte de testament du point de vue américain concernant l’organisation de l’Union européenne et de l’unification de l’Europe occidentale. De façon étonnante et sûrement involontaire, la préface de Nicole Bacharan apporte préalablement à la lecture du discours, une clef de compréhension sur les véritables intentions des Etats-Unis. Ainsi, sous couvert de la nécessité de rétablir les « valeurs » de l’Europe occidentale, se révèle surtout la protection des intérêts américains, sur les thématiques que ceux-ci ont toujours fixés, à l’époque « faire bloc pour lutter contre les extrémismes, les populismes et le terrorisme ». Les deux mandats de l’ancien président américain avaient plutôt été marqués par un désintérêt vis-à-vis de l’UE, laquelle jouait son rôle d’objet plutôt que de sujet géopolitique, conformément aux souhaits de Washington depuis le début de la « construction européenne » largement inspirée par eux-mêmes. Or, l’analyse d’un Barak Obama, au moment de ce discours, puis de celui de soutien in situ, à Londres, au « remain » dans l’UE contre le Brexit, est que les Etats-Unis ont trop à perdre dans le contexte instable de la crise si l’UE se désintègre, notamment en raison d’une politique de trop grande austérité menée sous l’autorité allemande, laquelle mine les conditions de la reprise de la croissance économique mondiale, créé les conditions d’une hétérogénéité durable au sein de la zone monétaire et pousse en retour à la contestation du modèle d’intégration. Il est notable de voir, que les éléments revendiqués par les défenseurs d’une UE indépendante voire concurrente des ÉU comme l’Euro ou la politique commerciale par exemple, sont cités par le président américain. Ces problématiques indiquent l’importance de l’Europe intégrée comme un moyen de la puissance américaine, et rendue aigüe au moment de la prise de conscience outre-Atlantique d’un déclin certain ; il ne s’agit donc pas dans l’esprit de Washington ici d’un allié à proprement parler mais d’un moyen générateur d’américanité. Il est tout à fait passionnant de constater combien les éléments du discours d’un Obama sur le départ correspondent exactement aux canons de l’argumentaire des thuriféraires de l’Europe supranationale. Tout autant, l’incongruité d’un président américain vantant l’intégration européenne pour réamorcer un enthousiasme en berne en Europe même n’a apparemment effleuré personne. Ce livre met paradoxalement en relief le véritable bouleversement provoqué par deux évènements anglo-saxons qui lui ont succédé, le Brexit outre-manche et l’élection de Donald Trump outre-Atlantique.
Renaud Ponan
Pascal Perrineau, Luc Rouban, La démocratie de l’entre-soi, Paris, Presses de SciencesPo, 2017, 217 p.
Pascal Perrineau et Luc Rouban, respectivement professeur des universités à SciencesPo, chercheur au Centre de recherches politiques (CEVIPOF), et Directeur de recherche CNRS au CEVIPOF, nous invitent, à travers les thématiques du livre collectif qu’ils ont dirigé, à une analyse originale du système politique français. La crise démocratique procèderait, selon ces auteurs, d’une sorte de privatisation de l’approche politique et du point de départ de la conception de la Cité. Cette évolution relativement récente vers une pluralité de perception des principes républicains, est la traduction d’un communautarisme qui ne dit pas son nom au regard de la multiplicité et de la transversalité de ses représentations. Les auteurs en déclinent les différentes formes au gré des chapitres : oligarchie, classe dirigeante, possédants et non-possédants, expertise, l’internet, inégalité sexuelle, l’intime, le vote de classe, l’annihilation de l’identité nationale par la pacification multiculturelle, notamment du système d’intégration européen, la désuétude du carcan culturel de la gauche au profit de la vacuité d’une social-démocratie sans âme, la relativisation des valeurs liées au libéralisme de la personnalité individuelle qui produit l’économicisme. Cette démocratie de l’entre-soi accroît naturellement et la réalité et la perception des inégalités sociales et de ses représentations. Elle est en quelque sorte la cause et la conséquence du mal ontologique qui frappe la démocratie moderne au terme d’un de ses cycles avant la grande transformation. Les différents auteurs détaillent avec pertinence les éléments créant, pour chacun des domaines dont ils ont la charge, cette élaboration d’un nouveau type de rapports tant sociaux que politiques mais largement en dehors du creuset dit « républicain ». Ainsi les fondements de la vie démocratique se sont progressivement transformés, à rebours des notions d’égalité et d’unité par exemple, mais pour l’instant sans que cette ré-volution ait créée une fracture telle qu’elle fasse vaciller le socle que l’on a du mal à qualifier encore de « commun ». C’est bien plus subrepticement, par une remise en cause des mécanismes de pouvoir, des expressions de l’espace public, notamment informationnels, que la césure, le bouleversement du système politique français se verra confirmé peut-être jusqu’à l’irréversibilité. Dans leur conclusion, les directeurs de l’ouvrage, opposant un entre-soi moniste à celui pluraliste et le constat de l’échec du projet républicain, questionnent une conception plus ouverte mais plus exigeante d’un « commun » qui fédère la diversité.
CR
Jacques Hogard, Les larmes de l’honneur. 60 jours dans la tourmente du Rwanda, (éd. revue et augmentée), préf. Hugues de Saint Vincent, Paris, Hugo et Compagnie, 2016, 200 p.
A l’heure où le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, apporte son soutien à un homme qui a insulté la France et son armée en l’accusant de « crime contre l’humanité en Algérie », il est bon de quitter les rivages des miasmes politiciens et de l’incompétence pour se plonger dans les récits homériques et tragiques des héros qui font l’histoire dans l’humilité et la discrétion de leur devoir d’état. C’est ce que s’est proposé de faire l’ancien légionnaire Jacques Hogard, ancien du 4e RE et du 2e REP, fin connaisseur de l’Afrique, officier de la Légion d’honneur, titulaire de la Croix de guerre des TOE et de la Croix de la valeur militaire, en rééditant par l’excellent éditeur Hugo et Compagnie, Les larmes de l’honneur, dans une version largement revue et augmentée. Il y insiste, tel un fil rouge tout au long de son ouvrage, au style nerveux et démonstratif, sur la désinformation, celle habituelle et de bonne guerre de nos concurrents anglo-saxons en Afrique et de leur nombreux relais médiatiques et politiques, mais aussi celle plus douloureuse de français collaborateurs des mensonges du régime rwandais et de son sanglant dictateur Paul Kagamé. La volonté de salir l’Armée française de la part de journalistes, de politiciens et d’ONG en mal de financement, révèle la faille morale que provoque leur corruption selon l’adage américain bien connu « qui peut résister à cent mille dollars ? ». La forme choisie par le grand officier français est celle, captivante malgré le drame, du témoignage qui nous fait vivre de l’intérieur, sans mensonge, sans omission et sans enjoliver, la tragédie rwandaise à travers la très forte expérience de son commandement du groupement « Sierra », l’un des trois groupements opérationnels de l’opération « Turquoise », de fin juin à fin août 1994. Le colonel Hogard raconte ce qu’il a vu, les conséquences de l’attentat frappant le 6 avril 1994 le président Habyarimana et qui est le fait du FPR, la milice de Kagamé, responsable de ce meurtre qui allait en provoquer de nombreux autres, le génocide des Tutsis, d’abord, le massacres de nombreux Hutus ensuite. C’est bien sciemment que le parti génocidaire de Kagamé venant d’Ouganda, relais américain en Afrique, va provoquer le chaos et la guerre civile. Mais c’est tout aussi sciemment que l’ONU, empêtrée dans les rêts américains et alors que Paris ne cesse de la solliciter, attendra le 22 juin pour autoriser la France à intervenir par le vote de sa résolution 929. S’il faut évoquer des responsabilités occidentales, il faut mentionner celles des forces spéciales américaines dans l’Ouganda du régime de Museveni, venues tout droit de Fort Bragg et remarquées par le journaliste du Figaro, Renaud Girard, sur le tarmac de Kampala. Il faudrait également mentionner celle de la Minuar, la force multinationale de l’ONU, commandée par le général canadien Roméo Dallaire, sous le mandat de laquelle s’est déroulé le génocide en l’absence de tout soldat français à ce moment : « il faudra bien qu’un jour toute la vérité soit faite sur cette période charnière dramatique. Il n’y avait pas de soldats français au Rwanda pendant le génocide. Je vais même plus loin, c’est justement parce qu’il n’y avait pas de soldats français au Rwanda à cette époque charnière que le génocide a pu avoir lieu. La France n’est intervenue que pour évacuer ses ressortissants, coincés dans la fournaise. Mais surtout, et c’est tout à son honneur, mesurant très vite l’ampleur de la catastrophe humaine qui se jouait là-bas, notre pays a sonné l’alarme. (…) Lorsque nous sommes enfin autorisés par l’ONU à intervenir, nous arrivons dans les derniers feux du génocide. Et c’est nous, et nous seuls, qui, par notre présence armée, allons permettre d’arrêter les derniers massacres et de sauver encore qui peut l’être ». C’est la manipulation de la mémoire du calendrier des massacres et des opérations de sauvetage français qui permet l’amalgame et la désinformation des salisseurs de mémoire. Responsabilité également de la presse dans son ensemble, sauf exception, des ONG internationales dont on connaît les vrais dirigeants dans l’ombre, qui vont créer un bruit médiatique hostile et agressif à l’intervention française. Le témoignage du colonel Hogard est fondé sur des références précises, des notes, une documentation irréfutable, au milieu desquels se dégage l’héroïsme simple et humble des soldats français dont l’aguerrissement n’a d’égal que la générosité à remplir une mission impossible. Ceux-là qui se font insulter par les petits, lesquels n’ont jamais risqué leur peau, sont l’honneur de l’armée, l’honneur de la France. Il revenait à Jacques Hogard de le rappeler par son très bel ouvrage qui fait déjà date dans le combat pour le rétablissement de la vérité historique sur le génocide du Rwanda et la responsabilité de l’actuel dictateur à la tête du régime rwandais, Paul Kagamé.
RP
Sabine Effosse, Laure Quennouëlle-Corre (Vincent Duchaussoy), « L’économie du monde depuis 1945 », Documentation photographique, Les dossiers, n° 8110 – Mars-avril 2016, Paris, La Documentation française, 64 p.
Œuvre de synthèse tout à fait remarquable, ce nouveau dossier de la Documentation photographique reprend les rubriques habituelles de la revue. « Le point sur », d’une part, constitué de développements chronologiques articulés en thématiques. Le choix très pertinent des auteurs s’est porté successivement sur la « parenthèse enchantée » de l’Occident de 1945 à 1979, puis le décentrement du monde de 1979 à 2008, la nouvelle donne mondiale, depuis 2008, enfin. La rubrique « thèmes et documents », d’autre part, commente, sous forme de double page, des documents sur des points particuliers et précis illustrant la thématique générale. L’objectif spécifique du dossier est atteint puisque le lecteur peut aborder l’économie mondiale sur la longue durée afin de mieux comprendre la complexité d’un monde devenu multipolaire. Si l’on s’en tient à la chronologie, les différentes étapes se déclinent, selon les auteurs, par la nécessaire reconstruction de l’immédiat après-guerre, impliquant le maintien d’un relatif interventionnisme d’Etat, la transformation de l’économie de guerre ; puis l’hégémonie du libéralisme sous la forme de celle promue outre-Atlantique, la puissance américaine, et, dans le cadre général d’une américanisation[1] des pays développés fondée sur la survalorisation d’un modèle de croissance, les « miracles » économiques en Allemagne, au Japon, préludant la mondialisation économique, appelée globalisation à Washington, et le passage d’économies de planification communiste au capitalisme libéral ; l’essor des pays émergents se fera concurremment à la financiarisation des économies, cette dernière contribuant à la création d’une part d’une trop grande disproportion entre le coût matériel et le coût immatériel d’un produit, facteur de déséquilibre dans le cycle de production, et, d’autre part, d’une gigantesque bulle spéculative dont les fondements étaient viciés et ne pouvaient être redressés. La crise mondiale, dont les pics récents datent de 2008 depuis l’épicentre américain et britannique, et de 2010 par l’onde de choc mondiale, est cependant systémique et attaché au modèle capitaliste libéral. A l’heure où les modèles anglo-saxons promeuvent le développement de zones de libre-échange mais dans des cadres adoptant une dose de protectionniste, une sorte de choix à la carte des partenaires avec lesquels ils ouvrent leurs marchés, dans des cadres non plus multilatéraux mais bilatéraux, les auteurs posent quelques pistes de réflexion sur un nouveau modèle de croissance. Dans le cadre des différents « focus » braqué sur les secteurs clefs de l’économie mondiale, les auteurs ont pris soin de choisir leurs productions emblématiques : automobile, agriculture, secteur tertiaire et énergie. En ce qui concerne les moteurs, les auteurs ouvrent aux lecteurs la compréhension des évolutions dues aux nouvelles technologies facteurs d’innovations favorisant la croissance, du mouvement des hommes par l’étude de leurs circulations migratoires. L’attention mise sur les lieux de l’économie par les auteurs révèle la mondialisation du marché du travail, la place des institutions internationales et le développement des coopérations régionales accélérant l’intégration mondialisée, mais aussi la déstabilisation des marchés nationaux. Les menaces auxquelles l’économie mondiale doit faire face sont connus qu’il s’agisse de la guerre des monnaies, de l’économie souterraine et du risque environnemental. Les acteurs de l’économie mondiale ne sont pas oubliés par Sabine Effosse, Laure Quennouëlle-Corre et Vincent Duchaussoy, qui évoquent dans la thématique, producteurs et consommateurs, dimensions des facteurs de production, interaction entre multinationales et start-up, question du crédit et de l’endettement privé, l’un des facteur-clefs de la crise financière américaine de 2008, et nouvelle définition du rapport entre consommateurs et consommation. Avec ce nouveau numéro de la Documentation photographique, la Documentation française enrichit considérablement les connaissances sur le sujet de l’économie du monde du deuxième XXe siècle jusqu’à nos jours avec un soutien iconographique et documentaire exceptionnel et un solide référencement statistique et bibliographique.
RP
Club des Vingt, Péchés capitaux. Les 7 impasses de la diplomatie française, coll. « Le poing sur la table », Paris, Cerf, 2016, 76 p.
Petit livre pour grande ambition. En décrivant sur une demi-douzaine de chapitres s’attachant chacun à un continent, une région, un Etat, l’état actuel de la diplomatie française et ce qu’elle devrait être pour correspondre au défi de l’ambition de la France, le Club des Vingt donne une leçon d’académisme diplomatique. Ce regroupement informel de personnalités ayant exercé d’importantes responsabilités dans le domaine des relations internationales, ministres des Affaires étrangères, ambassadeurs de France, universitaires, etc., veut susciter le débat et « formuler avis et recommandations ». Dans l’approche de la perte de son rang, dans l’analyse des défis à relever, les auteurs renouent avec ce qui a longtemps fait la force de l’école diplomatique française et du Quai d’Orsay : une démarche fondée sur les déterminants de puissance, le réalisme dans l’évaluation du rapport de force, la connaissance historique et particulièrement celle du temps long, la maîtrise de l’art et de la pratique de la négociation indissociablement liées à la volonté politique de défendre en priorité les intérêts de la France. Toutes capacités et qualités qui ont déserté les responsables de la diplomatie française depuis quinze ans dans un processus de déliquescence de nos capacités internationales qui semble s’être accéléré ces dernières années quand on mesure le degré d’imprudence, d’incompétence et d’amateurisme de responsables tels que François Hollande, Manuel Valls, Laurent Fabius ou Jean-Marc Ayrault. Laisser à Washington et à Londres le soin de décider de notre éventuelle implication militaire sur le théâtre syrien comme l’a fait François Hollande, président de la République, révélait son abyssale incompréhension de la chose diplomatique, les anglo-saxons ne s’y sont pas trompés en nous humiliant sur le champ. Plastronner sur la mise en dépendance de notre diplomatie par les contrats avec les monarchies du Golfe comme l’a fait Manuel Valls, Premier ministre, fut indigne et irresponsable. Justifier le soutien du gouvernement aux terroristes d’Al Nosra et à d’autres milices islamiques en Syrie, comme l’a réitéré Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères a fait de lui un complice des massacres avec pour principal objectif de complaire à Israël. Le placement de la diplomatie française par Jean-Marc Ayrault systématiquement aux troisième ou quatrième rangs dans tous les grands dossiers internationaux, Ukraine, Syrie, Union européenne, G20, migrants, Afrique, etc., a démontré au monde qu’il n’était vraiment pas à la hauteur de la fonction et a conséquemment créé un appel d’air pour d’autres puissances, la géopolitique ayant horreur du vide. Que disent les auteurs de l’ouvrage ? Qu’il existe un manque de perspective, seule condition d’un redémarrage d’une ambition européenne tombée dans l’expectative de la domination allemande qui n’en peut mais. Que l’alliance avec les Etats-Unis veut dire exactement le contraire que la soumission à la doxa atlantiste, si l’on veut être respecté comme partenaire à Washington. Que considérer la Russie, l’autre extrémité nationale de l’Europe continentale, à la seule aune de l’idéologie occidentiste est un contresens intellectuel grave face à la richesse considérable qu’un système d’alliance raisonné pourrait potentiellement apporter à notre pays. Qu’à l’impérialisme anglo-saxon, d’abord anglais, puis américain aux Proche et Moyen-Orient doit répondre la réaffirmation de la politique arabe de la France qui la singularise et lui donnerait capacité d’influence et puissance de pacification. Qu’à force d’avoir évacué toute géopolitique au profit du primat de l’économie en Asie, les gouvernements français passent à côté d’occasions exceptionnelles, notamment vis-à-vis du Japon, notamment vis-à-vis de l’Inde qui n’attendent que cela mais qui désespèrent d’une continuité des dispositifs français dans la région. « La France libre ! » titrent nos auteurs en conclusion d’un essai qui aura réussi à démontrer que le classicisme en diplomatie vient aussi de l’école française mais également que l’expression d’une volonté politique d’indépendance ne peut provenir que d’un homme d’Etat, pas des politiciens actuellement aux sommets de la République.
RP
[1] Vr. notamment D. Barjot, C. Réveillard, L’Américanisation de l’Europe occidentale au XXe siècle. Mythes et réalités, Paris, PUPS, 2002 ; D. Barjot (dir.), Catching Up with America. Productivity missions and the diffusion of American Economic and Technological Influence after the Second World War, Paris, PUPS, 2002.
uvre Lina telle que décrite par la photographe : « Lorsque je l’ai vu, elle souriait pleinement. Je pensais faire une jolie image, simplement. Il me restait une vue sur ma pellicule ; pas le droit de me rater… En ce court moment, à mon insu, la vérité de son âme s’est figée sur la pellicule. Un presque sourire mi-chemin entre beauté et tragédie, révélé en sels d’argent. Lina, aux yeux bleus ». Pierre-Alexandre Bouclay est journaliste international à Valeurs actuelles. Depuis 2004, il suit l’actualité (Tchétchénie, Kosovo, Ukraine, Syrie.) et les questions de sécurité. Il a réalisé plusieurs reportages au Proche-Orient et notamment rencontré le président syrien Bachar el-Assad. Photographe réputée d’origine sud-africaine, Katharine Cooper est lauréate en 2012 du grand prix de photographie de l’institut de France. Ses œuvres font partie de collections privées internationales et elle expose dans les plus prestigieuses galeries européennes. Ce très bel ouvrage, réalisé avec le soutien des associations SOS chrétiens d’Orient et Solidarité Kosovo, explore la réalité humaine des populations touchées par la force destructrice des conflits modernes. Il emmène le lecteur sur les différents théâtres des guerres du XXIe siècle dont la plupart tirent leurs origines dans le siècle précédent voire dans l’histoire immémoriale de leur région. Syrie, Kurdistan Irak, Kosovo : les deux auteurs, l’une photographe, l’autre rédacteur, décrivent le malheur, la haine dont sont victimes des populations parce qu’elles sont chrétiennes, yézidis ou kurdes. Katharine Cooper et Pierre-Alexandre Bouclay décrivent également combien est palpable sur place l’incohérence occidentale, voire le mépris dans lequel les gouvernements américains, anglais, français, bien souvent à l’encontre de l’opinion de leur propre population, traitent toutes ces communautés grandes perdantes de l’affrontement des intérêts le plus souvent financiers et inavouables comme la dépendance vis-à-vis des monarchies pétrolières et l’incapacité de définir une géopolitique dans laquelle la défense de la civilisation devrait primer. Ce beau livre démontre combien l’image vient remarquablement compléter la description précise des développements écrits qu’il s’agisse des Amazones du Kurdistan irakien (Kirkouk) en première ligne, la jeune Nishtman ou Ahou et ses filles adolescentes en armes, des Yézidis de Qaraqosh, réfugiés à Ankawa, quartier chrétien d’Erbil et soutenus par les humanitaires de SOS chrétiens d’Orient, des Syriaques, des Chaldéens, des enfants de Ma’aloula en Syrie, l’un des derniers endroits où les habitants parlent encore l’Araméen, la langue du Christ, la citadelle Qalat Ibn Maan surplombant Palmyre libérée, du petit garçon de Velika Hoca au Kosovo et l’action de l’organisation humanitaire Solidarité Kosovo pour que les enclaves chrétiennes conquièrent à terme leur autonomie alimentaire face au pouvoir central mafieux installé par les Occidentaux. Comme le dit le colonel Jacques Hogard, les auteurs ont su très bien comprendre et raconter, « par la photo et par le verbe, cet « orage de fer » qui a sévi et sévit encore sur ces peuples héroïques qui sont tout simplement nos frères ». Un bel ouvrage à s’offrir et à offrir pour que la parole et le regard des témoins durent toujours.
Roger Pontus
Lina Murr Nehmé, Quand les Anglais livraient le Levant à l’État islamique. Or, corruption et politique étrangère britannique, Paris, Éditions Salvator, 2016, 254 p.
Lina Murr Nehmé est bien connue de nos lecteurs, notamment pour son avant dernier ouvrage, Fatwas et caricatures, publié aux mêmes éditions. Franco-libanaise, elle est professeur à l’université libanaise à Beyrouth et s’est intéressée dans son nouvel ouvrage à la stratégie anglaise au moment de quatre évolutions essentielles de la déstabilisation des proche et Moyen-Orients : vis-à-vis du califat ottoman au XIXe siècle ; vis-à-vis du califat arabe souhaité par chérif Hussein, maître de La Mecque au début du XXe siècle (1915) ; vis-à-vis de la politique sanglante du bédouin Ibn Saoud en 1924, massacrant les arabes installé en Arabie pour pouvoir instaurer « son » Arabie Saoudite ; et, bien sûr, la politique anglaise à l’origine du conflit israélo-palestinien. Lina Murr Nehmé explique combien les intérêts stratégiques commandent la politique anglaise, la protection de la route de l’Inde et la concurrence sur le terrain colonial avec les autres puissances européennes France, Autriche-Hongrie, Russie et Prusse, notamment. Pour Londres, la fin justifiera les moyens. Ainsi au Liban, en 1840, où suivant des objectifs territoriaux, les Anglais vont susciter une guerre civile, bombarder Beyrouth et offrir le Levant à l’Empire ottoman. Lina Murr Nehmé est comme à son habitude à la fois très précise dans les faits restitués et très proche de la terrible réalité des massacres (par des Druzes, comme Saïd Joumblatt, au service de l’occupant ottoman, lui-même soutenu et encouragé par les Anglais), notamment de Chrétiens en 1861, illustrés dans le livre par les photographies des sérails beyrouthins de Deir-el-Kamar et de Hasbaya. Les Anglais auront favorisé la politique génocidaire des Turcs notamment contre les Chrétiens à plusieurs reprises et, après 1860-1861, en 1915-1918, les jumeaux génocidaires Enver Pacha pour les Arméniens (Les Jeunes Turcs sont bien les responsables de ce génocide dans l’Empire ottoman, concernant les Arméniens, les Assyriens, les Chaldéens et les Syriaques), et Jamal Pacha (le ministre de la Marine, un des trois hommes les plus puissants de l’Empire turc et commandant la IVe armée turque en Syrie) pour les Libanais, par l’organisation d’une famine atroce, la destruction du vieux Beyrouth. Comme on le verra plus tard avec les Américains, la stratégie anglaise fut d’empêcher la paix et l’indépendance des pays de la zone en créant une sorte d’Etat islamique au Levant soumettant les nations arabes au joug de la charia, au racisme et au totalitarisme confessionnel ottomans. L’auteur rappelle que la protection de la route du pétrole et de l’Inde reste l’objectif ultime de Londres et justifie l’addition des conflits, des massacres et des haines au Liban, en Syrie, en Irak puis en Palestine au Liban-Sud, et en Terre Sainte. Le Califat promis par les Anglais à chérif Hussein et à son fils Fayçal ne verra pas le jour cette fois-ci en raison de la France qui avait chassé Fayçal de Damas le 24 Juillet 1920 et rétablit le Grand-Liban. Cependant, l’auteur dans son chapitre conclusif, rappelle qu’en Palestine, Herbert Samuel, un Anglais sioniste offrait à Hajj Amine Husseini l’autorité sur les musulmans de Palestine créant une succession de massacres de Juifs avec Izzeddine Al-Qassam, Hassan Al-Banna, Saïd Ramadan, père de Tariq Ramadan, puis ouvrant la voie à la condamnation des Palestiniens non-juifs à devenir apatrides par la réalisation du projet sioniste de création d’un Etat juif in situ, la partition. Lina Murr Nehmé nous offre à nouveau un ouvrage qui, s’appuyant sur de nombreux documents factuels et circonstanciés, brosse une fresque historique se déploiyant sur le temps long, et nous fait comprendre combien l’objectif d’un califat de l’Etat islamique du Levant à l’Orient est fondé sur l’histoire instrumentalisée de cette région.
Roland Pipet
Nicolas Werth, Les révolutions russes, coll. « Que sais-je ? », Paris, PUF, 2017, 125 p.
Ancien élève de l’Ecole normale supérieure de Saint-Cloud et agrégé d’histoire, Nicolas Werth est directeur de recherche à l’Institut d’histoire du temps présent et spécialiste de l’histoire soviétique sur laquelle il a publié de nombreux travaux. Son nouvel ouvrage est tout à fait remarquable en ce qu’il remet en quelque sorte en ordre le processus historique « des » révolutions russes de 1917. Ce renouvellement de l’approche historique nous fait appréhender ce bouleversement comme une multiplicité de révolutions sociales et nationales, une « multiplicité des formes décentralisées d’action révolutionnaire qui se sont déployées dans l’Empire russe tout au long de 1917 ». C’est pourquoi, Nicolas Werth vient compléter ou se distancer des seules interprétations libérales ou soviétiques de ce mouvement de fond lui-même bien soumis aux aléas des multiples liens qui tissent la trame d’une rupture historique. L’auteur nous fait constamment prendre en compte une réalité confuse où se côtoient les deux formes de pouvoir, soviets, libéraux et bolcheviks, les transformations d’une armée tsariste en pleine décomposition mais encore structurée par le haut et son corps d’officiers, l’attente de la constituante, la destruction des institutions traditionnelles de l’ancien régime et de l’économie faite d’archaïsmes et de tentatives de modernisation, l’arrivée de l’étranger des révolutionnaires « professionnels », la particularité de l’autonomie paysanne vis-à-vis des mouvements de rues provoqués par les soldats unis aux ouvriers et des bolcheviks contraints un temps de lâcher la nationalisation pour le programme socialiste-révolutionnaire de redistribution des terres aux paysans, l’ambivalence du gouvernement entre la nécessité de rassurer les alliés sur le maintien du front oriental et la contestation populaire d’une stratégie non pacifiste, le retournement du gouvernement vis-à-vis des tensions nationales, d’abord favorable au desserrement du pouvoir central (Congrès pan-musulman de Kazan, demande de la Rada Ukrainienne et de la diète finlandaise) puis à nouveau aux tendances centralisatrices sous l’emprise des Bolcheviks lesquels vont lier guerre civile à la « reconquête des nationalités qui s’étaient émancipées au cours de l’année 1917 ». Nicolas Werth consacre tout un chapitre au bouillonnement historiographique récent et choisit trois exemples de thématiques qui illustrent la confrontation des écoles soviétique, libérale et « révisionniste ». Citant François Furet, l’auteur évoque le « charme universel d’Octobre » qui vient écraser de son mythe révolutionnaire de « faiseur de paix » toute appréhension de l’histoire complexe et notamment la place véritable de Février dans l’événement révolutionnaire. Avec cet ouvrage, Nicolas Werth fait partie des historiens qui rééquilibrent l’approche historiographique trop longtemps fermée à l’idée d’une multiplicité de révolutions sociales et nationales, et à celle de l’affirmation d’une nouvelle Russie dès les prémisses du processus révolutionnaire.
Christophe Réveillard
Jean-Paul Gourévitch, Les véritables enjeux des migrations, Paris, éditions du rocher, 2017, 220 p.
Jean-Paul Gourévitch, universitaire à Paris XII Créteil, est l’un des grands spécialistes de l’immigration et des migrations, de l’Afrique et de l’islamisme radical, qui ne s’embarrasse ni de la langue de bois ni du politiquement correct. La très grande richesse de ses contributions aux débats sur ces sujets est reconnue largement au-delà des seules frontières françaises et européennes. Il suffit de rappeler l’écho considérable obtenu par ses derniers ouvrages tels que Les Migrations pour les Nuls (First, 2014), Les migrations méditerranéennes en 2015 (Contribuables Associés, 2016), ou encore le récent L’islamo-business vivier du terrorisme (Pierre-Guillaume de Roux, 2016). Dans son combat contre les préjugés, le silence le plus souvent, à propos de ces sujets tabous, l’auteur ramène aux questions étonnamment peu traitées lors de la campagne des élections présidentielles françaises. Or, force est de constater que le devenir des nombreux immigrants arrivant en France (100 par jour à Paris selon le maire Anne Hidalgo), l’extrême difficulté de contrôler le flux en augmentation exponentielle d’immigrants réguliers et irréguliers, la confrontation de la politique française d’immigration avec les directives européennes, l’expatriation de nombreux français et bien d’autres questions tout aussi fondamentales pour l’avenir du pays, ne font l’objet que de réponses imprécises et peu approfondies. C’est pourquoi Jean-Paul Gourévitch offre à nouveau un état des lieux documenté de ces migrations, avec force statistiques, tableaux et références, mais aussi analyses des éléments culturels, sociaux et politique nécessaires à la bonne compréhension d’un problème qui occupe tout le spectre d’un phénomène de société. L’un des points forts de l’ouvrage est son extrême pédagogie ; en effet, l’auteur consacre de nombreuses pages à définir des notions souvent utilisées mais peu définies et explorées dans l’ensemble de leurs conséquences réelles ce qui contribue à la déconnexion entre gouvernants et ceux qui subissent au jour le jour les effets d’une politique laxiste en matière migratoire. Qu’il s’agisse en effet, des marges d’erreur dans la comptabilité de l’immigration en France, de l’absence de statistiques ethniques, de la réalité des naturalisations, de l’expatriation, du solde migratoire, Jean-Paul Gourévitch redresse les idées reçues fournit des fourchettes crédibles approchant plus près de la réalité des chiffres et décrit enfin le tableau le plus exact de la réalité vécue. Le livre présente cette particularité de bien prendre en compte la motivation des immigrés et des migrants, la question des pays d’origine et les itinéraires et les grandes trajectoires migratoires, mais également la problématique sociétale des migrations telle quel la délinquance, le chômage, le travail illégal, la contrefaçon, la prostitution. Un des sujets particulièrement importants abordés, est celui du coût de l’immigration pour le pays d’accueil et l’auteur répond précisément à rebours du discours dominant, en indiquant le déficit de la balance dépenses/recettes auquel il ajoute le surcoût dû à l’immigration irrégulière ainsi que les investissements de l’État. Jean-Paul Gourévitch a fourni un travail considérable sur l’ensemble des textes officiels les différents ministères concernés par le phénomène migratoire ainsi que sur les positions des partis politiques impliqués, par le biais d’un questionnaire reproduit dans les annexes, pour dégager l’approche politique de l’immigration qui se décline en trois scenarii : assimilation, intégration ou multiculturalisme. L’ouvrage ouvre également un très grand nombre de pistes concernant un traitement plus réaliste de réduction des coûts de l’immigration, tel que l’augmentation du nombre d’immigrés actifs et la diminution du nombre d’immigrés inactifs, la limitation du regroupement familial, l’encadrement des migrations maritales et une politique d’arrêt en amont, pendant et en aval des migrations irrégulières. Réponses au questionnaire, ouvrages, monographies et rapports internationaux rédigés par l’auteur ainsi qu’un appareillage de notes en bas de page, viennent appuyer l’expérience et l’investissement jamais démentis de Jean-Paul Gourévitch sur ce sujet depuis au moins trente ans. Le résultat en est un livre dense, fiable, original dans la façon de présenter un sujet sensible et projeté dans l’avenir. Ce travail devrait rester longtemps une référence sur le sujet.
Régis Poupard
Patrice Franceschi, Combattre ! Comment les Etats-Unis d’Europe peuvent sauver la France, Paris, éditions de la Martinière, 248 p.
« Vermoulue », « moribonde », l’auteur n’a pas de mots assez tranchés pour qualifier l’actuelle Union européenne, « mime ridicule et sans élévation de ce qu’elle aurait dû être ». Ce que propose cet ouvrage est justement de construire une Europe politique allant de l’Atlantique à l’Oural. Contre la technocratie, le fonctionnalisme, la destruction de la culture européenne par un matérialisme universaliste, Patrice Franceschi propose le rêve de la reprise en main de l’avenir des Européens par eux-mêmes. C’est la culture qui doit forger le projet de société européenne. La culture est une substance identitaire quasi intemporelle qui nourrit les sociétés contrairement aux programmes politiques lesquels sacrifient à l’instantané et aux considérations secondaires. L’auteur explique, non sans volontarisme parfois, que les conditions de mise en œuvre de ce projet, impliquent de faire table rase de l’édifice institutionnel et monétaire de l’actuelle Union européenne pour tout rebâtir sur de nouvelles fondations, culturelles et non économiques, politiques et non financières : « une société substantielle améliorée utilisant un socle d’homogénéité culturelle issu de l’identité civilisationnelle de l’Europe pour assurer sa cohésion d’ensemble en même temps que l’expression des identités locales, régionales et nationales ». Le livre définit clairement quels sont les huit défis existentiels que le projet devra combattre, qu’il s’agisse du primat de l’économie, de la société de surveillance généralisée, du mouvement transhumaniste, du crime devenue globalisé, de la guerre elle-même mondialisée, du totalitarisme islamique, etc. Son auteur, homme de terrain et philosophe politique, Patrice Franceschi, a été lauréat du prix Goncourt de la nouvelle 2015, mais il est aussi aviateur et marin. Aventurier, il s’est engagé dans les rangs de la résistance afghane combattant l’armée soviétique, et soutient activement les Kurdes de Syrie depuis le début de leur combat contre l’Etat islamique ; c’est au combat pour un nouveau pacte de solidarité fédérale pour l’Europe auquel il confie son lecteur dans ce livre.
Roland Pipet
Olivier Lacoste, La fin de l’Europe ? L’Union au défi du Brexit, Paris, Eyrolles, 2016, 210 p.
Les Français en particulier et les Européens en général sont assommés d’ouvrages sur l’Union européenne (tel, pris au hasard, que le récent Sylvie Goulard, Goodbye Europe, Paris, Café Voltaire, 2016) dont l’orientation et le plan argumentaire sont pratiquement toujours les mêmes : 1/ l’union européenne va mal 2/ il n’existe pas d’alternative crédible et légitime 3/ la vraie raison de la crise est qu’il n’y a pas assez d’intégration 4/ il faut « toujours plus d’Europe » pour atteindre un fédéralisme politique et économique dans lequel régneront prospérité et démocratie. Cette avalanche, ressortant d’une authentique pratique propagandiste, est suffisamment pénible pour ne pas avoir à s’y attarder, sauf peut-être du point de vue de l’analyse anthropologique. Il est cependant intéressant de revenir sur un autre point au moins, et nous prendrons l’ouvrage d’Olivier Lacoste, lui-même totalement inséré dans le dispositif (HEC, Sciences Po, ENA, économiste, journaliste, maitre de conférences à Sciences po, conseiller au cabinet du secrétaire d’État en charge de la prospective et dont la préface du livre est assurée par Catherine Lalumière) pour l’illustrer. Comme dans tous les autres ouvrages de son genre, il va très loin, en effet, tant dans le constat de la crise que dans l’analyse de l’impuissance des institutions européennes. Certes, la conclusion sera toujours la même : il y a un problème de pédagogie à régler, les médias ne parlent pas assez les bienfaits de l’UE, il faut « plus d’Europe », plus d’intégration, plus de fédéralisme ; il reprend d’ailleurs la confusion instrumentalisée entre « Union européenne » et « Europe » alors que les deux notions sont foncièrement différentes. Mais pour faire avaler cette potion, Olivier Lacoste, comme les auteurs respectueux de la doxa, sont obligés d’approfondir de plus en plus la critique du mode de fonctionnement des institutions jusqu’à effleurer la remise en cause de la nature même du processus d’intégration. Ceci est remarquable, parce que cela nous dit que la vacuité du système, ainsi quasi-reconnue par ses thuriféraires, ne les fait cependant pas dévier de l’idéal téléologique européiste ; nous sommes donc dans une sorte de reconnaissance par ses défenseurs, ses militants, du caractère foncièrement idéologique du processus d’intégration, et ceci dans son sens premier : ce ne sont pas les idées qui doivent prendre en compte le réel mais bien les faits qui doivent s’adapter à l’utopie fusionniste. Or, la prise en compte de la nature idéologique de ce système, largement développée depuis des années dans ces colonnes, permet d’éclairer les motivations profondes de ses vrais concepteurs, l’objectif ultime poursuivi et les raisons du déterminisme historique dont est entaché le projet supranational européen.
CR
Barak Obama, You Are Europe, Paris, éditions de La Martinière, 2016, 84 p.
Ce livre publie le discours prononcé par Barack Obama à Hanovre en Allemagne le 25 Avril 2016 et il est préfacé par Nicole Bacharan, laquelle enfonce le clou : « Une magnifique déclaration d’amour à l’Europe, une exaltation de nos valeurs démocratiques, celles des Lumières ». Il se voulait une sorte de testament du point de vue américain concernant l’organisation de l’Union européenne et de l’unification de l’Europe occidentale. De façon étonnante et sûrement involontaire, la préface de Nicole Bacharan apporte préalablement à la lecture du discours, une clef de compréhension sur les véritables intentions des Etats-Unis. Ainsi, sous couvert de la nécessité de rétablir les « valeurs » de l’Europe occidentale, se révèle surtout la protection des intérêts américains, sur les thématiques que ceux-ci ont toujours fixés, à l’époque « faire bloc pour lutter contre les extrémismes, les populismes et le terrorisme ». Les deux mandats de l’ancien président américain avaient plutôt été marqués par un désintérêt vis-à-vis de l’UE, laquelle jouait son rôle d’objet plutôt que de sujet géopolitique, conformément aux souhaits de Washington depuis le début de la « construction européenne » largement inspirée par eux-mêmes. Or, l’analyse d’un Barak Obama, au moment de ce discours, puis de celui de soutien in situ, à Londres, au « remain » dans l’UE contre le Brexit, est que les Etats-Unis ont trop à perdre dans le contexte instable de la crise si l’UE se désintègre, notamment en raison d’une politique de trop grande austérité menée sous l’autorité allemande, laquelle mine les conditions de la reprise de la croissance économique mondiale, créé les conditions d’une hétérogénéité durable au sein de la zone monétaire et pousse en retour à la contestation du modèle d’intégration. Il est notable de voir, que les éléments revendiqués par les défenseurs d’une UE indépendante voire concurrente des ÉU comme l’Euro ou la politique commerciale par exemple, sont cités par le président américain. Ces problématiques indiquent l’importance de l’Europe intégrée comme un moyen de la puissance américaine, et rendue aigüe au moment de la prise de conscience outre-Atlantique d’un déclin certain ; il ne s’agit donc pas dans l’esprit de Washington ici d’un allié à proprement parler mais d’un moyen générateur d’américanité. Il est tout à fait passionnant de constater combien les éléments du discours d’un Obama sur le départ correspondent exactement aux canons de l’argumentaire des thuriféraires de l’Europe supranationale. Tout autant, l’incongruité d’un président américain vantant l’intégration européenne pour réamorcer un enthousiasme en berne en Europe même n’a apparemment effleuré personne. Ce livre met paradoxalement en relief le véritable bouleversement provoqué par deux évènements anglo-saxons qui lui ont succédé, le Brexit outre-manche et l’élection de Donald Trump outre-Atlantique.
Renaud Ponan
Pascal Perrineau, Luc Rouban, La démocratie de l’entre-soi, Paris, Presses de SciencesPo, 2017, 217 p.
Pascal Perrineau et Luc Rouban, respectivement professeur des universités à SciencesPo, chercheur au Centre de recherches politiques (CEVIPOF), et Directeur de recherche CNRS au CEVIPOF, nous invitent, à travers les thématiques du livre collectif qu’ils ont dirigé, à une analyse originale du système politique français. La crise démocratique procèderait, selon ces auteurs, d’une sorte de privatisation de l’approche politique et du point de départ de la conception de la Cité. Cette évolution relativement récente vers une pluralité de perception des principes républicains, est la traduction d’un communautarisme qui ne dit pas son nom au regard de la multiplicité et de la transversalité de ses représentations. Les auteurs en déclinent les différentes formes au gré des chapitres : oligarchie, classe dirigeante, possédants et non-possédants, expertise, l’internet, inégalité sexuelle, l’intime, le vote de classe, l’annihilation de l’identité nationale par la pacification multiculturelle, notamment du système d’intégration européen, la désuétude du carcan culturel de la gauche au profit de la vacuité d’une social-démocratie sans âme, la relativisation des valeurs liées au libéralisme de la personnalité individuelle qui produit l’économicisme. Cette démocratie de l’entre-soi accroît naturellement et la réalité et la perception des inégalités sociales et de ses représentations. Elle est en quelque sorte la cause et la conséquence du mal ontologique qui frappe la démocratie moderne au terme d’un de ses cycles avant la grande transformation. Les différents auteurs détaillent avec pertinence les éléments créant, pour chacun des domaines dont ils ont la charge, cette élaboration d’un nouveau type de rapports tant sociaux que politiques mais largement en dehors du creuset dit « républicain ». Ainsi les fondements de la vie démocratique se sont progressivement transformés, à rebours des notions d’égalité et d’unité par exemple, mais pour l’instant sans que cette ré-volution ait créée une fracture telle qu’elle fasse vaciller le socle que l’on a du mal à qualifier encore de « commun ». C’est bien plus subrepticement, par une remise en cause des mécanismes de pouvoir, des expressions de l’espace public, notamment informationnels, que la césure, le bouleversement du système politique français se verra confirmé peut-être jusqu’à l’irréversibilité. Dans leur conclusion, les directeurs de l’ouvrage, opposant un entre-soi moniste à celui pluraliste et le constat de l’échec du projet républicain, questionnent une conception plus ouverte mais plus exigeante d’un « commun » qui fédère la diversité.
CR
Jacques Hogard, Les larmes de l’honneur. 60 jours dans la tourmente du Rwanda, (éd. revue et augmentée), préf. Hugues de Saint Vincent, Paris, Hugo et Compagnie, 2016, 200 p.
A l’heure où le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, apporte son soutien à un homme qui a insulté la France et son armée en l’accusant de « crime contre l’humanité en Algérie », il est bon de quitter les rivages des miasmes politiciens et de l’incompétence pour se plonger dans les récits homériques et tragiques des héros qui font l’histoire dans l’humilité et la discrétion de leur devoir d’état. C’est ce que s’est proposé de faire l’ancien légionnaire Jacques Hogard, ancien du 4e RE et du 2e REP, fin connaisseur de l’Afrique, officier de la Légion d’honneur, titulaire de la Croix de guerre des TOE et de la Croix de la valeur militaire, en rééditant par l’excellent éditeur Hugo et Compagnie, Les larmes de l’honneur, dans une version largement revue et augmentée. Il y insiste, tel un fil rouge tout au long de son ouvrage, au style nerveux et démonstratif, sur la désinformation, celle habituelle et de bonne guerre de nos concurrents anglo-saxons en Afrique et de leur nombreux relais médiatiques et politiques, mais aussi celle plus douloureuse de français collaborateurs des mensonges du régime rwandais et de son sanglant dictateur Paul Kagamé. La volonté de salir l’Armée française de la part de journalistes, de politiciens et d’ONG en mal de financement, révèle la faille morale que provoque leur corruption selon l’adage américain bien connu « qui peut résister à cent mille dollars ? ». La forme choisie par le grand officier français est celle, captivante malgré le drame, du témoignage qui nous fait vivre de l’intérieur, sans mensonge, sans omission et sans enjoliver, la tragédie rwandaise à travers la très forte expérience de son commandement du groupement « Sierra », l’un des trois groupements opérationnels de l’opération « Turquoise », de fin juin à fin août 1994. Le colonel Hogard raconte ce qu’il a vu, les conséquences de l’attentat frappant le 6 avril 1994 le président Habyarimana et qui est le fait du FPR, la milice de Kagamé, responsable de ce meurtre qui allait en provoquer de nombreux autres, le génocide des Tutsis, d’abord, le massacres de nombreux Hutus ensuite. C’est bien sciemment que le parti génocidaire de Kagamé venant d’Ouganda, relais américain en Afrique, va provoquer le chaos et la guerre civile. Mais c’est tout aussi sciemment que l’ONU, empêtrée dans les rêts américains et alors que Paris ne cesse de la solliciter, attendra le 22 juin pour autoriser la France à intervenir par le vote de sa résolution 929. S’il faut évoquer des responsabilités occidentales, il faut mentionner celles des forces spéciales américaines dans l’Ouganda du régime de Museveni, venues tout droit de Fort Bragg et remarquées par le journaliste du Figaro, Renaud Girard, sur le tarmac de Kampala. Il faudrait également mentionner celle de la Minuar, la force multinationale de l’ONU, commandée par le général canadien Roméo Dallaire, sous le mandat de laquelle s’est déroulé le génocide en l’absence de tout soldat français à ce moment : « il faudra bien qu’un jour toute la vérité soit faite sur cette période charnière dramatique. Il n’y avait pas de soldats français au Rwanda pendant le génocide. Je vais même plus loin, c’est justement parce qu’il n’y avait pas de soldats français au Rwanda à cette époque charnière que le génocide a pu avoir lieu. La France n’est intervenue que pour évacuer ses ressortissants, coincés dans la fournaise. Mais surtout, et c’est tout à son honneur, mesurant très vite l’ampleur de la catastrophe humaine qui se jouait là-bas, notre pays a sonné l’alarme. (…) Lorsque nous sommes enfin autorisés par l’ONU à intervenir, nous arrivons dans les derniers feux du génocide. Et c’est nous, et nous seuls, qui, par notre présence armée, allons permettre d’arrêter les derniers massacres et de sauver encore qui peut l’être ». C’est la manipulation de la mémoire du calendrier des massacres et des opérations de sauvetage français qui permet l’amalgame et la désinformation des salisseurs de mémoire. Responsabilité également de la presse dans son ensemble, sauf exception, des ONG internationales dont on connaît les vrais dirigeants dans l’ombre, qui vont créer un bruit médiatique hostile et agressif à l’intervention française. Le témoignage du colonel Hogard est fondé sur des références précises, des notes, une documentation irréfutable, au milieu desquels se dégage l’héroïsme simple et humble des soldats français dont l’aguerrissement n’a d’égal que la générosité à remplir une mission impossible. Ceux-là qui se font insulter par les petits, lesquels n’ont jamais risqué leur peau, sont l’honneur de l’armée, l’honneur de la France. Il revenait à Jacques Hogard de le rappeler par son très bel ouvrage qui fait déjà date dans le combat pour le rétablissement de la vérité historique sur le génocide du Rwanda et la responsabilité de l’actuel dictateur à la tête du régime rwandais, Paul Kagamé.
RP
Sabine Effosse, Laure Quennouëlle-Corre (Vincent Duchaussoy), « L’économie du monde depuis 1945 », Documentation photographique, Les dossiers, n° 8110 – Mars-avril 2016, Paris, La Documentation française, 64 p.
Œuvre de synthèse tout à fait remarquable, ce nouveau dossier de la Documentation photographique reprend les rubriques habituelles de la revue. « Le point sur », d’une part, constitué de développements chronologiques articulés en thématiques. Le choix très pertinent des auteurs s’est porté successivement sur la « parenthèse enchantée » de l’Occident de 1945 à 1979, puis le décentrement du monde de 1979 à 2008, la nouvelle donne mondiale, depuis 2008, enfin. La rubrique « thèmes et documents », d’autre part, commente, sous forme de double page, des documents sur des points particuliers et précis illustrant la thématique générale. L’objectif spécifique du dossier est atteint puisque le lecteur peut aborder l’économie mondiale sur la longue durée afin de mieux comprendre la complexité d’un monde devenu multipolaire. Si l’on s’en tient à la chronologie, les différentes étapes se déclinent, selon les auteurs, par la nécessaire reconstruction de l’immédiat après-guerre, impliquant le maintien d’un relatif interventionnisme d’Etat, la transformation de l’économie de guerre ; puis l’hégémonie du libéralisme sous la forme de celle promue outre-Atlantique, la puissance américaine, et, dans le cadre général d’une américanisation[1] des pays développés fondée sur la survalorisation d’un modèle de croissance, les « miracles » économiques en Allemagne, au Japon, préludant la mondialisation économique, appelée globalisation à Washington, et le passage d’économies de planification communiste au capitalisme libéral ; l’essor des pays émergents se fera concurremment à la financiarisation des économies, cette dernière contribuant à la création d’une part d’une trop grande disproportion entre le coût matériel et le coût immatériel d’un produit, facteur de déséquilibre dans le cycle de production, et, d’autre part, d’une gigantesque bulle spéculative dont les fondements étaient viciés et ne pouvaient être redressés. La crise mondiale, dont les pics récents datent de 2008 depuis l’épicentre américain et britannique, et de 2010 par l’onde de choc mondiale, est cependant systémique et attaché au modèle capitaliste libéral. A l’heure où les modèles anglo-saxons promeuvent le développement de zones de libre-échange mais dans des cadres adoptant une dose de protectionniste, une sorte de choix à la carte des partenaires avec lesquels ils ouvrent leurs marchés, dans des cadres non plus multilatéraux mais bilatéraux, les auteurs posent quelques pistes de réflexion sur un nouveau modèle de croissance. Dans le cadre des différents « focus » braqué sur les secteurs clefs de l’économie mondiale, les auteurs ont pris soin de choisir leurs productions emblématiques : automobile, agriculture, secteur tertiaire et énergie. En ce qui concerne les moteurs, les auteurs ouvrent aux lecteurs la compréhension des évolutions dues aux nouvelles technologies facteurs d’innovations favorisant la croissance, du mouvement des hommes par l’étude de leurs circulations migratoires. L’attention mise sur les lieux de l’économie par les auteurs révèle la mondialisation du marché du travail, la place des institutions internationales et le développement des coopérations régionales accélérant l’intégration mondialisée, mais aussi la déstabilisation des marchés nationaux. Les menaces auxquelles l’économie mondiale doit faire face sont connus qu’il s’agisse de la guerre des monnaies, de l’économie souterraine et du risque environnemental. Les acteurs de l’économie mondiale ne sont pas oubliés par Sabine Effosse, Laure Quennouëlle-Corre et Vincent Duchaussoy, qui évoquent dans la thématique, producteurs et consommateurs, dimensions des facteurs de production, interaction entre multinationales et start-up, question du crédit et de l’endettement privé, l’un des facteur-clefs de la crise financière américaine de 2008, et nouvelle définition du rapport entre consommateurs et consommation. Avec ce nouveau numéro de la Documentation photographique, la Documentation française enrichit considérablement les connaissances sur le sujet de l’économie du monde du deuxième XXe siècle jusqu’à nos jours avec un soutien iconographique et documentaire exceptionnel et un solide référencement statistique et bibliographique.
RP
Club des Vingt, Péchés capitaux. Les 7 impasses de la diplomatie française, coll. « Le poing sur la table », Paris, Cerf, 2016, 76 p.
Petit livre pour grande ambition. En décrivant sur une demi-douzaine de chapitres s’attachant chacun à un continent, une région, un Etat, l’état actuel de la diplomatie française et ce qu’elle devrait être pour correspondre au défi de l’ambition de la France, le Club des Vingt donne une leçon d’académisme diplomatique. Ce regroupement informel de personnalités ayant exercé d’importantes responsabilités dans le domaine des relations internationales, ministres des Affaires étrangères, ambassadeurs de France, universitaires, etc., veut susciter le débat et « formuler avis et recommandations ». Dans l’approche de la perte de son rang, dans l’analyse des défis à relever, les auteurs renouent avec ce qui a longtemps fait la force de l’école diplomatique française et du Quai d’Orsay : une démarche fondée sur les déterminants de puissance, le réalisme dans l’évaluation du rapport de force, la connaissance historique et particulièrement celle du temps long, la maîtrise de l’art et de la pratique de la négociation indissociablement liées à la volonté politique de défendre en priorité les intérêts de la France. Toutes capacités et qualités qui ont déserté les responsables de la diplomatie française depuis quinze ans dans un processus de déliquescence de nos capacités internationales qui semble s’être accéléré ces dernières années quand on mesure le degré d’imprudence, d’incompétence et d’amateurisme de responsables tels que François Hollande, Manuel Valls, Laurent Fabius ou Jean-Marc Ayrault. Laisser à Washington et à Londres le soin de décider de notre éventuelle implication militaire sur le théâtre syrien comme l’a fait François Hollande, président de la République, révélait son abyssale incompréhension de la chose diplomatique, les anglo-saxons ne s’y sont pas trompés en nous humiliant sur le champ. Plastronner sur la mise en dépendance de notre diplomatie par les contrats avec les monarchies du Golfe comme l’a fait Manuel Valls, Premier ministre, fut indigne et irresponsable. Justifier le soutien du gouvernement aux terroristes d’Al Nosra et à d’autres milices islamiques en Syrie, comme l’a réitéré Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères a fait de lui un complice des massacres avec pour principal objectif de complaire à Israël. Le placement de la diplomatie française par Jean-Marc Ayrault systématiquement aux troisième ou quatrième rangs dans tous les grands dossiers internationaux, Ukraine, Syrie, Union européenne, G20, migrants, Afrique, etc., a démontré au monde qu’il n’était vraiment pas à la hauteur de la fonction et a conséquemment créé un appel d’air pour d’autres puissances, la géopolitique ayant horreur du vide. Que disent les auteurs de l’ouvrage ? Qu’il existe un manque de perspective, seule condition d’un redémarrage d’une ambition européenne tombée dans l’expectative de la domination allemande qui n’en peut mais. Que l’alliance avec les Etats-Unis veut dire exactement le contraire que la soumission à la doxa atlantiste, si l’on veut être respecté comme partenaire à Washington. Que considérer la Russie, l’autre extrémité nationale de l’Europe continentale, à la seule aune de l’idéologie occidentiste est un contresens intellectuel grave face à la richesse considérable qu’un système d’alliance raisonné pourrait potentiellement apporter à notre pays. Qu’à l’impérialisme anglo-saxon, d’abord anglais, puis américain aux Proche et Moyen-Orient doit répondre la réaffirmation de la politique arabe de la France qui la singularise et lui donnerait capacité d’influence et puissance de pacification. Qu’à force d’avoir évacué toute géopolitique au profit du primat de l’économie en Asie, les gouvernements français passent à côté d’occasions exceptionnelles, notamment vis-à-vis du Japon, notamment vis-à-vis de l’Inde qui n’attendent que cela mais qui désespèrent d’une continuité des dispositifs français dans la région. « La France libre ! » titrent nos auteurs en conclusion d’un essai qui aura réussi à démontrer que le classicisme en diplomatie vient aussi de l’école française mais également que l’expression d’une volonté politique d’indépendance ne peut provenir que d’un homme d’Etat, pas des politiciens actuellement aux sommets de la République.
RP
[1] Vr. notamment D. Barjot, C. Réveillard, L’Américanisation de l’Europe occidentale au XXe siècle. Mythes et réalités, Paris, PUPS, 2002 ; D. Barjot (dir.), Catching Up with America. Productivity missions and the diffusion of American Economic and Technological Influence after the Second World War, Paris, PUPS, 2002.