Recteur Gérard-François DUMONT, professeur à l’Université Paris-Sorbonne
COLLOQUE : LAICITE & ISLAMS
Actes du colloque-Conference proceedings
Jeudi 04 juin 2015
Assemblée Nationale
National Assembly
S’interroger sur l’utilité éventuelle d’un concordat avec l’islam en France me parait très important. En réalité, j’ai publié en 1987 un article où je proposais la mise en place d’un concordat en France avec l’islam. Si je rappelle cette date c’est parce qu’elle est importante dans la mesure où nous étions dans une époque où il n’y avait pas les tensions qui existent aujourd’hui et il n’y avait pas non plus cette présence médiatique un peu exacerbée de l’islam qui a démarré en Europe deux ans après, en 1989, d’une part en France avec l’affaire du voile de Creil et d’autre part, au Royaume-Uni avec ces manifestations de britanniques demandant à Mme Thatcher de censurer les Versets sataniques de Salman Rushdi. C’est donc vraiment à ce moment là qu’on a eu cette intrusion médiatique d’une tension liée à certains visages de l’islam.
Cette proposition était de sagesse qu’il aurait fallu d’ailleurs appliquer avant que les choses s’enveniment. Ce qui a été le cas depuis ! Pourquoi cette proposition?
D’une part, en raison des réalités constatées à l’époque déjà qui allaient se déployer par la suite, en raison d’autre part de la connaissance de l’Histoire de France, parce que tout pays s’appuie sur une longue Histoire qu’il est absolument nécessaire de connaitre si l’on veut pérenniser cette concorde sociale. Il était clair qu’en 1987 les changements fondamentaux étaient apparus dans la géographie des religions en France dans la mesure où des vagues de migrations résidentielles avaient remplacé les vagues des périodes précédentes, même s’il est vrai que les premières personnes de culture musulmane qui se sont installées en France mais de façon périodique sont arrivées à la fin du 19e siècle appelées par les grands travaux et venant essentiellement de Kabylie. La plupart de ces personnes étaient vouées à rester temporairement sur le territoire de l’hexagone avant de souhaiter elles même retourner dans leurs pays d’origine.
Ce n’est qu’a compter du milieu des années 1970 que nous avons un changement significatif même si ce changement a été précédé par les vagues de Harkis en 1962 qui installent des personnes de culture musulmane sur le territoire de la République Française.
Après ce milieu des années 1974, pour simplifier, nous pouvons dire qu’il va y avoir deux vagues :
La première va concerner plutôt des maghrébins dont l’arrivée à l’hexagone est plus liée d’ailleurs aux insuccès du développement dans les pays d’Afrique du nord et puis ensuite des vagues d’Afrique Subsaharienne. Le résultat c’est une présence de musulmans sur le territoire français. Ce changement purement quantitatif se complète d’un autre élément c’est qu’auparavant même s’il y avait des musulmans e France c’était essentiellement des musulmans de nationalité étrangère. Le changement qui s’effectue à compter des années 1970, c’est que nous entrons dans une phase post migratoire, la majorité des musulmans en France sont des personnes de nationalité Française soit, parce qu’elles ont acquis la nationalité française, soit parce que la nationalité française leur est attribuée en fonction du code d’attribution de la nationalité ou bien tout simplement parce que ce sont des enfants de France dès la naissance. Dans ce contexte là ; il est intéressant de s’interroger à comment pérenniser la concorde sociale avec des français issus d’une culture nouvellement présente sur le territoire de la république. J’ai donc revisité notre Histoire de France.
Il faut tout d’abord souligner que penser que la séparation de l’Eglise et de l’Etat en France date de la loi de1905 est une profonde erreur. L’histoire de France est remplie de tensions permanentes entre les dirigeants de France donc les rois, et les dirigeants religieux. Il suffit pour cela de rappeler ce qui s’est passé en temps de François 1er et de Louis XIV…
C’est donc absolument une erreur de croire que cette histoire de dualité entre le religieux et le temporel n’aurait fait l’objet d’un règlement qu’en 1905 alors qu’elle a fait l’objet de consensus au fil des disputes périodiques et au fil des siècles.
Donc dans ce contexte la France a été amenée en 1801 à signer un concordat après toutes les tensions qui se sont déployées surtout dans la phase révolutionnaire de la révolution à savoir en 1793. Ce concordat de 1801 organise des relations apaisées entre d’une part l’Etat et d’autre part les trois confessions présentes en France à cette époque là, c’est à dire : le culte catholique, le culte protestant luthérien et le culte protestant réformé.
Ce concordat fonde une façon d’apaiser et de mettre en œuvre la liberté religieuse qui va d’ailleurs non pas être pérennisé sur la totalité du territoire puisqu’il y aura ensuite la loi de 1905, mais qui sera pérennisé en Alsace Moselle. Il est important de noter que lorsque les allemands s’emparent de l’Alsace Moselle en 1870 – 1871, ils n’appliquent pas en matière religieuse, les lois du Reich allemand mais ils laissent la règle du concordat de 1801 en Alsace Moselle.
Au fil des années la France réalise qu’il y a une autre religion présente sur son territoire, c’est la religion israélite. Et pour cette religion, l’idée est de trouver une solution concordataire et ceci est assez difficile car ce culte israélite est très diversifié puisque issu de diaspora différente et donc on ne peut pas le qualifier d’unifié. Le pouvoir parisien, en l’espèce Napoléon, puisque nous sommes sous le 1e Empire, décide d’organiser une assemblée des juifs de France pour discuter de comment parvenir à une solution concordataire. Dans ce dessin, il est décidé que les juifs seront représentés de façon territoriale, donc nous avons 111 député de 111 circonscriptions territoriales qui correspondent aux départements, parce qu’il ne faut pas oublier les départements français d’Italie puisqu’à cette époque là l’Empire français s’étend jusque dans l’Italie actuelle. et vont être réunis a paris en 1806 111 députés juifs dans la chapelle Saint Jean , disparue aujourd’hui.
L’Etat de son coté, considère que l’apaisement des relations avec l’ensemble des personnes présentes sur le territoire suppose que cette assemblée représentative des juifs de France réponde à 12 question qui sont mises à l’ordre du jour de cette réunion, nous sommes en 1806 mais il y a des thèmes qui méritent toujours notre réflexion :
1° est il licite aux juifs d’épouser plusieurs femmes ?
2° le divorce est il permis par la religion juive ? sachant qu’à l’époque le divorce était interdit dans le code civil français.
3° une juive peut elle se marier avec un chrétien et une chrétienne avec un juif ?
4° aux yeux des juifs, les français sont-ils leurs frères ou sont-ils des étrangers ?
5° dans l’un et l’autre camp, quels sont les rapports que leur loi leur présente avec les français qui ne sont pas de leur religion ?
6° les juifs nés en France et traités par la loi comme citoyens français regardent- ils la France comme leur partie? Ont ils l’obligation de la défendre ? sont-ils obligés d’obéir aux lois et de suivre les dispositions du code civil ?
7° qui nomme les rabbins?
8° quelle juridiction de police exercent les rabbins parmi les juifs ? quelle police judiciaire ?
9° ces formes d’élection, cette juridiction de police judiciaire sont-elles voulues par leurs lois ou simplement consacrées par l’usage ?
10° est-il des professions que la loi leur défend ?
11° la loi des juifs leur défend-elle de faire l’usure à leur frère ? parce qu’on est dans une ambiance qui compte tenu du contexte de l’époque, les juifs participent de manière assez importante aux prêts d’argent, ce qui soulève beaucoup de débats.
12° la loi des juifs leur défend-elle ou leur permet-elle de faire l’usure aux étrangers ?
Les 111 députés vont discuter sur ces questions pendant des mois et vont donc s’étaler jusqu’en 1807 et vont être amenés à apporter des réponses qui ne sont pas simples, parce que ces députés viennent de régions différentes avec parfois des particularités qui leur sont propres. Finalement les conclusions de cette réunion vont déboucher sur les décrets du 18 mars 1808 qui vont étendre le concordat de 1801 au culte israélite qui va s’ajouter aux trois cultes évoqués plus haut.
Certes, l’histoire ne se répète pas, 2015 n’est ni 1801 ni 1808. Ces enseignements de l’histoire sont tout de même instructifs, c’est à dire que parvenir à la concorde sociale suppose nécessairement de clarifier les relations entre l’Etat et les différents cultes.
Bien sur, on peut penser que parvenir à un concordat avec l’islam en France est difficile compte tenu de la diversité des représentants de l’islam mais en même temps, et j’insiste, c’était absolument le cas du culte israélite au début du 19e siècle et donc le fait que l’islam en France soit aux multiples visages ne doit pas être considéré comme un obstacle pour aller vers cet objectif qui parait indispensable pour construire une société apaisée où règne la liberté religieuse.
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