Maître Elie HATEM, Avocat à la Cour, enseignant à la Faculté Libre de Droit et d’Economie de Paris.
Le terrorisme, œuvre de groupes et de mouvements révolutionnaires qui instrumentalisent la religion à des fins politiques, n’est autre qu’un moyen parmi d’autres utilisé pour réaliser un projet politique qui a pour objectif la déstabilisation voire l’anéantissement des structures étatiques, la destruction et l’effritement des entités et des identités nationales, la provocation d’un déséquilibre démographique par le dépeuplement, la déportation et le repeuplement des espaces géographiques. Cela ne pourra alors que conduire vers des heurts (« clashes ») : conflits sociaux sous couvertures religieuses ou communautaires dans un chaos mondial. Cette conséquence est illustrée par la théorie du « choc des civilisations » (« clash of civilizations »).
Cette ingénierie politique, qui a recours à des opérations terroristes spectaculaires pour allumer la mèche des conflits, tisse une toile de fond en expérimentant des facteurs politiques mais aussi sociologiques et religieux par l’intermédiaire de la propagande, la désinformation, le conditionnement de l’opinion publique, les campagnes effectuées par des groupes de pression (« lobbying »). Cela suppose la participation de plusieurs acteurs : services secrets, acteurs politiques et financiers, groupes de réflexion (« think tanks »), sociétés secrètes…
L’argent est le nerf de cette guerre insidieuse. Par conséquent, les moyens et les sources de financement de cette guerre doivent rester confidentiels, discrets et donc diversifiés.
A ce sujet, nous nous tiendrons, à titre d’illustration, à l’évocation des moyens et des sources de financement de certains services secrets, notamment la CIA américaine en évoquant ses liens avec le Qatar.
Le rôle de la CIA dans la déstabilisation des régimes et des Etats n’est plus un secret de polichinelle : opération Ajax en Iran, opération Cyclone en Afghanistan, diverses opérations en Amérique latine… Par ailleurs, depuis quelques années, les Etats-Unis ont eu recours aux méthodes dites du « softpower » nécessitant la contribution financière voire la collaboration de leurs services avec des institutions chargées de ces méthodes. Parmi ces institutions, citons les différentes Fondations Soros qui ont contribué à la déstabilisation d’un bon nombre de pays de l’est de l’Europe, y compris l’Ukraine, et les Balkans. Elles ont également joué un rôle lors du « Printemps arabe », notamment en Tunisie et en Egypte. Ces institutions bénéficient d’un financement propre mais aussi de largesses financières des services.
Traditionnellement, les services secrets, en particulier la CIA américaine, dispose de deux sources de financement : un budget officiel (octroyé par le Gouvernement et ou par le Congres) et des sources confidentielles plus importantes.
S’agissant du budget officiel, il arrivait à la CIA de contourner les règles pour obtenir des sommes plus importantes, notamment de la part du Congrès, comme elle l’avait fait depuis les années 90 à l’occasion des tentatives de déstabilisation de l’Irak et de la Syrie. Ainsi, elle approchait des personnes instrumentalisées afin de déclencher ce phénomène. Elle leur promettait un financement de leurs institutions et s’adressait au Congrès en lui demandant de voter un budget à ces dernières d’un montant 20 fois plus important : 80 millions de dollars par an pour la Syrie (en rétribuant ces institutions à hauteur de 3 millions).
Par ailleurs, la CIA dispose de sources de financements occultes, hors du budget officiel : financements privés mais aussi le commerce de la drogue connu depuis la guerre du Vietnâm avec les méthodes du syndicat Lansky. Cette source procure des sommes exorbitantes à l’agence américaine. Elle l’a développé au cours de son intervention en Afghanistan, dans cette région du monde connue sous le nom de « croissant fertile » qui rapporte entre 100 et 200 milliards de dollars par an (soit le quart du chiffre d’affaire du commerce mondial de la drogue estimé à 500 milliards de dollars). En effet, la région de l’Asie centrale constitue, parallèlement à ses réserves de pétrole, une plate-forme stratégique pour le commerce de la drogue, notamment de l’opium dont la production a augmenté de 15 fois, depuis le début de la guerre d’Afghanistan en 1979. Cette production n’a cessé de s’accroître, bénéficiant de l’aide aussi bien des Talibans (avant qu’ils interdisent sa plantation en 2000, un an avant les attaques aux Etats-Unis) que celle des combattants d’Oussama Ben Laden, dans une zone chaotique de non-droit.
Les bénéfices de vente de la drogue sont ensuite blanchis dans des comptes bancaires secrets. Certaines liquidités sont déposées dans des coffres. D’autres sont placées à la bourse de New York avec la complicité de certaines institutions financières. Une cascade de sociétés écrans, dont le siège social est situé notamment à Delaware, appartenant à la CIA, bénéficient de ces placements à la fois pour blanchir l’argent sale et pour gagner encore plus de dividendes d’une manière totalement légale et transparente.
Les sommes provenant de ces montages servent à alimenter les « budgets noirs » des services, en dehors des circuits légaux institutionnels, pour échapper ainsi aux regards des parlementaires et des politiques, et assurer à leurs opérations le secret et la plus stricte discrétion.
Par ailleurs, les services secrets bénéficient de la complicité de certains politiques et de personnalités haut placées pour faciliter le transport, la distribution et la collecte des bénéfices de vente du commerce de la drogue. Ces opérations ont été révélées à l’occasion d’enquêtes judiciaires à l’instar d’un rapport d’inspection générale de la CIA rédigé par Frederick Hits en 1998. Ce rapport a révélé les connexions entre la CIA et des institutions de l’appareil d’Etat américain facilitant ces opérations, notamment les liens avec des fabricants de la drogue en Amérique du sud, associant également des organisations humanitaires pour camoufler ce trafic.
Disposant de moyens financiers gigantesques, la CIA américaine investit son argent, par l’intermédiaire de sociétés écrans voire des sociétés dont les parts sont détenues par des porteurs (nominees) dans des banques de pays qui bénéficient de liens privilégiés avec les Etats – Unis.
Il convient de développer et de révéler les méthodes de dépôt de ces sommes dans les banques qataries, détenues par des sociétés en apparence du Qatar et servant à des opérations secrètes aussi bien dans le monde arabe qu’en Occident. En effet, nos recherches nous ont permis de constater que les sommes investies, au nom du Qatar dans le monde, dépassent de loin le PIB de ce pays.
Des enjeux politiques, économiques et sécuritaires ont permis d’occulter ces éléments. Ils méritent d’être examinés afin de comprendre ce dossier.