David MASCRÉ
Docteur en mathématiques, Docteur en philosophie et histoire des sciences, Chargé de cours en géopolitique en école d’ingénieur.
Décembre 2014
La crise entre la Russie et l’Ukraine relèvent du long terme et son aspect énergétique, et plus spécifiquement gazier, s’enracine dans la longue durée et déborde par ses enjeux autant que par ses conséquences le seul cadre géographique ukrainien en s’inscrivant dans un horizon large, celui de l’Europe continentale et de sa partition artificielle en deux blocs antagonistes. En ce qui concerne l’Union européenne (UE), la dégradation tendancielle des relations Est-Ouest depuis 2003 s’est traduite au final par un clivage de plus en plus marqué entre les « deux » Europe, occidentale et orientale, cette dernière volontiers opposée à l’UE (comme la République tchèque ou la Pologne qui reconnaissent cependant les généreux bienfaits de la manne européenne), et résolument alignée sur les États-Unis dont des enjeux inavoués mais majeurs pour les États-Unis sont en cause : la question ukrainienne intéresse les Américains à au moins trois titres : Géopolitiques, commerciaux et énergétiques.
Un conflit ancré dans la longue durée
Il serait vain ou naïf de ne voir dans l’affrontement récent entre la Russie et l’Ukraine que l’effet direct d’une crise surgie comme par magie en 2013 à la suite des événements survenus sur la place Maïdan, de la répression violente des manifestations de masse du 18 au 21 février 2014 et de la destitution forcée, dans la foulée de ces événements, du président Ianoukovitch.
Les tensions entre la Russie et l’Ukraine ne datent pas d’hier. Et lorsque l’on veut bien se donner la peine d’analyser le dossier sous son aspect énergétique, et plus spécifiquement gazier, on s’aperçoit que le conflit entre la Russie et l’Ukraine s’enracine dans la longue durée. En réalité, cela fait plus de 10 ans que le feu couve entre Kiev et Moscou sur ce dossier clé.
Pour nous faire une idée de cette lente incubation, rappelons pour commencer quelques dates.
2006
Le 1er janvier 2006, le géant russe Gazprom cesse ses livraisons à l’Ukraine après plusieurs mois de contentieux portant sur le prix du gaz vendu à Kiev que Gazprom souhaitait faire passer de 50 dollars par 1 000 m3 à 230 dollars.
La coupure perturbe l’approvisionnement de plusieurs pays européens, en pleine vague de froid. Gazprom accuse l’Ukraine d’avoir « prélevé illégalement » du gaz destiné à l’Europe, ce qu’elle dément.
Le 4 janvier, un accord entre Gazprom et la société ukrainienne Naftogaz fixe le prix à 230 dollars, mais permet à l’Ukraine de le payer 95 dollars en le mélangeant à du gaz d’Asie centrale transitant par la Russie.
Le 30 mars 2006, l’ex-chancelier Gerhard Schrôder est coopté à la présidence de la North-European Gas Compagny chargé de la construction d’un gazoduc reliant la Russie à l’Allemagne en évitant l’Ukraine, la Lituanie et la Pologne. Quelques mois auparavant, le gouvernement de Gerhard Schrôder s’était porté garant d’un crédit d’un milliard d’euros proposé par les banques Deutsche Bank et KfW au profit de Gazprom.
2007
Début octobre 2007, Gazprom créé la surprise en annonçant brutalement qu’il pourrait réduire ses livraisons de gaz à l’Ukraine si Kiev n’honore pas une dette de 1,3 milliard de dollars. Le contentieux est réglé quelques jours plus tard, mais cette menace, intervenue au lendemain des législatives ukrainiennes, est interprétée par des experts comme une tentative d’empêcher la formation d’un gouvernement prooccidental à Kiev.
2008
En février 2008, de vives tensions ressurgissent, culminant le 4 mars par une réduction de moitié des livraisons de gaz par la Russie à l’Ukraine, au grand dam des Européens situés en bout de gazoduc. Neuf jours plus tard, Moscou et Kiev signent un accord censé venir à bout du conflit. Il concerne la dette de l’Ukraine pour le gaz russe reçu en janvier-février, le prix que Naftogaz pourra désormais acquérir sans intermédiaire (179,5 dollars les 1 000 mètres cubes), et surtout le futur schéma de livraison du gaz à l’Ukraine, que celle-ci exige de simplifier considérablement.
Le 8 août 2008, profitant de ce que les grandes puissances ont les yeux tournés vers Pékin où viennent de s’ouvrir quelques heures plus tôt les jeux olympiques, la Géorgie attaque violemment l’Abkhazie. Dans l’esprit du président géorgien, Saakashvili, l’intervention doit n’être qu’une formalité et permettre, au terme d’une brève guerre éclair, de mater les opposants armés et de briser les velléités sécessionnistes de la majeure partie de la population. Adossé aux États-Unis, conseillé par ses conseillers militaires américains, le président géorgien est sûr de son fait, persuadé que les Russes, trop affairés à reconstruire leur image à l’international, n’interviendront pas.
Erreur d’analyse manifeste, le jour même les Russes ripostent. La contre-attaque russe qui conduit les chars russes à quelques kilomètres de Tbilissi porte un coup d’arrêt définitif à l’offensive géorgienne sur Tchinkvali, capitale de l’Ossétie du Sud. En trois jours, les Russes parviennent à renverser la situation, à garantir à l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud indépendance et liberté de circulation avec la Russie et à porter un coup d’arrêt pour la première fois depuis vingt ans au processus d’expansion de l’OTAN vers l’Est.
2009
Le 1er janvier 2009, la Russie stoppe de nouveau ses livraisons de gaz à l’Ukraine pour non paiement de dettes et interrompt, le 7, la totalité de ses envois à l’Europe via le territoire ukrainien. Kiev, accusée par Moscou de « voler » du gaz, refuse également un prix de 250 dollars proposé par Gazprom. Durant deux semaines, les réserves énergétiques des pays d’Europe centrale et des Balkans fondent et des centaines de milliers d’Européens grelottent.
Le 20 janvier, Gazprom rouvre ses robinets et les livraisons vers les pays européens reprennent au lendemain de la signature d’un accord sur le prix du gaz russe et des coûts de son acheminement en Europe.
La crise est directement liée à la crise géorgienne. Après l’affaire d’Ossétie du Sud, l’Europe centrale et orientale – y compris Berlin, attentiste jusque-là – réclamait à cor et à cris l’adhésion de la Géorgie et de l’Ukraine à l’OTAN ; après le dur avertissement gazier, la question a aussitôt été renvoyée aux calendes grecques.
2014
Le 16 juin, Gazprom annonce « réduire à zéro » les livraisons de gaz à l’Ukraine après l’échec de ses négociations avec Kiev dont la dette gazière atteint 4,5 milliards de dollars, que l’ex-république soviétique refuse de régler.
Celle-ci proteste contre la hausse des prix décidée par Moscou, de 268 dollars à 485 dollars les 1 000 m3 de gaz – un prix sans équivalent en Europe – après la destitution du président Viktor Ianoukovitch et l’arrivée au pouvoir de dirigeants pro-occidentaux fin février.
Une crise européenne
Cette crise apparaît comme fondamentalement européenne et renvoie in fine aux racines mêmes de la construction européenne et à la gestion bâclée de l’après-guerre froide. Le rappel précédent le montre. La crise gazière entre la Russie et l’Ukraine ne date pas d’hier. Elle s’enracine au contraire dans une durée longue et déborde par ses enjeux autant que par ses conséquences le seul cadre géographique ukrainien.
On ne peut donc comprendre la crise gazière russo-ukrainienne sans l’inscrire dans un horizon large, celui de l’Europe continentale et de sa partition artificielle en deux blocs antagonistes au lendemain de la conférence de Yalta. Fondamentalement, la crise gazière nous renvoie à la question même des frontières de l’UE. Parce qu’elle met en présence deux blocs antagonistes et hier encore ennemis, parce qu’elle trouve son épicentre aux marches de deux anciens empires – l’empire russe d’un côté, l’empire austro-hongrois de l’autre – parce qu’elle trouve son point d’expression dans un pays lui-même de création récente, démographiquement et culturellement composite, soumis depuis longtemps à des forces centrifuges extrêmement importantes et de surcroît désormais objet d’ingérences tous azimuts, elle apparaît comme une question fondamentalement géopolitique et géostratégique. Raison pour laquelle son traitement mérite autant d’attention mais aussi autant de précaution et de circonspection.
Théâtre de nombreuses tragédies tout au long du xxe siècle, l’Ukraine pourrait à nouveau le devenir au cours des mois ou des années à venir, si l’on ne prête pas à ce pays et aux difficultés qu’il rencontre devant l’appétit vorace de puissances extérieures et la force des pressions centrifuges qui s’exercent sur lui toute l’attention qu’il mérite.
Or, force est de constater que cette région du monde a depuis deux décennies trop peu fait l’attention des diplomates, des géostratèges et – ce qui est plus grave -des politiques eux-mêmes. Dans l’euphorie de l’élargissement de 2004 – erreur stratégique majeure qui, non seulement affaiblit durablement l’UE, mais qui donna en outre aux Européens un sentiment erroné de toute puissance et de nécessaire inscription dans le camp du bien – et dans l’illusion autoentretenue de voguer sur la vague infinie d’une mondialisation complaisamment présentée par les agences de renseignement occidentales et les mass médias européennes comme par définition heureuse, les Européens ont oublié que l’histoire est par nature tragique et que c’est bien souvent dans les zones grises et autres périphéries de la modernité que fermentent les décompositions et révolutions qui viendront engendrer les grands bouleversements de demain.
Des pans entiers de la périphérie européenne sont ainsi entrés en décomposition sans que les instances politiques s’en inquiètent. À la logique de la paix et de la coopération qui aurait encore pu s’imposer jusqu’en 2003, notamment après la main tendue des Russes aux Américains au lendemain des attentats du 11 septembre, a ainsi succédé – par arrogance ou par bêtise – une logique de défiance et de mépris qui n’a cessé, depuis une décennie, de laisser se développer ses fruits vénéneux. En ce qui concerne l’UE, la dégradation tendancielle des relations Est-Ouest depuis 2003 s’est traduite au final par un clivage de plus en plus marqué entre les « deux » Europe, occidentale et orientale, cette dernière volontiers opposée à l’UE (comme la République tchèque ou la Pologne qui reconnaissent cependant les généreux bienfaits de la manne européenne), et résolument alignée sur les États-Unis.
Comme le note justement Jean-Michel Vernochet « l’Europe orientale, entrée massivement dans l’UE en 2004, demeure en effet habitée par un fort ressentiment à l’égard de la Russie, ressentiment contracté durant les décennies de satellisation au sein de l’Union soviétique. Clients par vocation de l’Amérique, perçue par eux comme la Terre promise, havre d’abondance et de liberté, les pays d’Europe orientale ont vu dans le déclenchement des hostilités entre la Russie et la Géorgie une occasion propice de réactiver une opposition outrancière à la nouvelle Russie, cela jusqu’à adopter des postures passionnelles les conduisant à surenchérir sur celles de Washington. Alors même que la présidence française cherchait judicieusement des apaisements et une sortie de crise honorable, les capitales de l’Est plaidaient a contrario pour la plus grande fermeté à l’égard de Moscou… Bien leur en a pris, puisque les approvisionnements de gaz russe cessèrent presque trois semaines durant cet hiver 2008 pour leur rappeler opportunément qu’il ne suffit pas d’aboyer, que l’Amérique est loin et que les conseilleurs ne sont pas les payeurs. Une crise sévère largement occultée à l’Ouest par les événements de la Bande de Gaza, mais qui mit tout autant l’accent sur l’absence cruelle de politique énergétique commune de l’UE que sur l’absence de solidarité réelle de part et d’autre de la ligne Oder-Neisse »[1].
La crise de 2013-2014 n’est venue que confirmer cette tendance lourde. En mettant clairement en évidence le jusqu’au-boutisme américain, elle a mis en évidence la faiblesse d’un système économique et financier qui ne peut à terme se survivre à lui-même qu’en propageant partout le trouble et le chaos.
Comme le souligne l’ancien conseiller du Président Carter, Zbigniew Brzezinski: « . Dès 1994, Washington accorde la priorité aux relations américano-ukrainiennes. Sa détermination à soutenir l’indépendance du pays est généralement perçue à Moscou – y compris par les « modernisateurs » – comme une intrusion dirigée contre les intérêts vitaux de la Russie »[2]. Quatorze ans plus tard, le même, démontrant une fois de plus la rigoureuse continuité de pensée géostratégique animant les cercles dirigeants américains, insiste sur la nécessité pour les États-Unis « de saisir l’occasion du « moment unipolaire » né de l’effondrement de l’Union soviétique »[3].
Une crise politique et géostratégique majeure aux enjeux multiples
Des enjeux considérables pour l’Europe
Pour comprendre l’importance de l’enjeu gazier dans la crise ukrainienne, il est nécessaire de commencer par rappeler quelques chiffres. Ceux-ci permettent en effet de dresser une sorte de tableau des forces en présence et de mesurer avec précision les rapports de dépendance énergétiques – et en l’occurrence gazières -subsistant entre États.
- 39 % des importations gazières de l’Union (163 milliards de m[4] en 2013) proviennent de Russie. Le reste du gaz consommé dans l’UE provient d’Algérie, de Norvège, des Pays-Bas, du Nigeria.
- 50 % des exportations de gaz russe à destination de l’UE (63 milliards de m[5]) transitent par l’Ukraine.
- Après avoir traversé le territoire ukrainien, le gaz russe est acheminé vers la Pologne, la Slovaquie, la Hongrie et la Roumanie, puis vers la République Tchèque, l’Autriche, la Slovénie, l’Italie et la Bulgarie.
Selon les statistiques d’Eurostat, la part des importations de gaz russe dans la consommation brute de gaz naturel des pays de l’UE était, en 2011, la suivante :
- six pays dépassaient 100 % : les trois pays baltes, la Finlande, la République tchèque et la Slovaquie (ces dépassements peuvent s’expliquer par des variations de stocks ou des consommations extérieures telles que les soutes) ;
- deux pays proches de 100 % : Autriche (98,3 %) et Bulgarie (95,7 %) ;
- trois autres pays au-dessus de 50 % : Grèce (65,5 %), Slovénie (53,2 %) et Hongrie (51 %) ;
- quatre pays entre 20 et 50 % : Allemagne (41,6 %), Italie (28,2 %), Luxembourg
(26,6 %) et Roumanie (21,2 %) ;
- deux pays peu dépendants (<20 %) : France (16,9 %) et Pays-Bas (4,7 %) ;
- dix pays non dépendants (0 % ou <1 %) : Belgique, Royaume-Uni, Suède, Pologne, Danemark, Irlande, Espagne, Portugal, Croatie, Chypre.
En 2013, l’Italie a été le deuxième plus gros acheteur de gaz russe à Gazprom avec 25,3 milliards de m3 (18,3 % des importations) derrière l’Allemagne (40 milliards de m3, soit 29,6 % des importations). Ces deux pays, à eux seuls, reçoivent donc 48 % du gaz russe importé par l’UE.
Gazprom domine également le réseau de gazoducs russe4 : dix grands gazoducs, dont huit gazoducs d’exportation : Yamal-Europe I, Northern Lights, Soyouz et Bratrstvo acheminent le gaz vers l’Europe à travers l’Ukraine et le Belarus (capacité totale : 4 Tcf) et Nord Stream, inauguré en 2011, à travers la Baltique ; Blue Stream, North Caucasus et Mozdok-Gazi-Magomed desservent la Turquie et les ex-républiques soviétiques de l’Est. La Russie exporte aussi du GNL par méthaniers : en 2011, l’usine de gazéification de Sakhalin Energy (10 millions de tonnes de capacité), inaugurée en 2009, a exporté du GNL vers le Japon (69,5 %), la Corée du Sud (25,7 %), la Chine (2,4 %), Taïwan (1,7 %) et la Thaïlande (0,6 %) ; plusieurs projets de terminaux méthaniers sont en cours : Yamal LNG, Shtokman LNG, Vladivostok.
Le lancement de North Stream a permis de réduire la part du gaz russe transitant par l’Ukraine de 80 % à 50 %.
Au premier semestre 2014, les exportations de gaz russe se sont élevées à 82,88 milliards de mètres cubes, soit 2,8 % de plus qu’un an plus tôt. Cette hausse a été enregistrée « alors que 2013 était une année record », a rappelé le directeur de Gazprom, Alexeï Miller au mois de juin 1014, avant d’ajouter, malicieusement : « Cela démontre que les consommateurs étrangers continuent de choisir le gaz russe »5.
- Sur l’histoire du développement de Gazprom, sa stratégie de conquête économique, sa structuration financière et sa politique de développement des réseaux de gazoducs, voir notamment Alain Guillemoles, Alla Lazareva, Le nouvel empire, Paris, Les Petits Matins, 2008.
- AFP, « Les exportations de gaz russe vers l’Europe augmentent malgré l’Ukraine (Gazprom) », 1er Juillet 2014.
29 Selon plusieurs spécialistes du gaz, dont le directeur de la stratégie de Gazprom, Dmitri Liougaï, l’Europe ne devrait pas être en mesure de couvrir plus de 10 % de ses besoins en gaz grâce aux gaz de schiste d’ici 2030.
Ces chiffres soulignent à eux seuls combien l’UE est dépendante du gaz russe. Tant pour des raisons économiques que pour des raisons techniques, l’affranchissement de l’UE à l’égard du gaz russe apparaît constituer une tâche compliquée pour ne pas dire impossible.
Mais bien avant l’UE, c’est en réalité l’Ukraine qui, du point de vue énergétique et gazier, dépend de la Russie.
Une dépendance réelle pour l’Ukraine
L’Ukraine a consommé, en 2013, 50 milliards de m3 de gaz, dont 30 milliards de m3 achetés à Gazprom (60 %), les 20 milliards de m3 restants (40 %) étant produits sur son territoire.
Les principales branches industrielles concernées par l’approvisionnement en gaz sont la sidérurgie, l’agro-alimentaire, les constructions mécaniques et l’industrie chimique. Toutes dépendent de manière vitale des quantités et du prix de vente du gaz fourni. Tant que le gaz russe était vendu à l’Ukraine à un prix relativement avantageux, les entreprises de ces secteurs pouvaient encore dégager quelques bénéfices. Mais depuis que le cours du gaz vendu à Kiev par Gazprom a été ramené au tarif normal de 485 dollars pour 1000 mètres cubes, nombre de ces entreprises produisent désormais à perte. Sans soutien de l’Etat central, il est probable qu’un certain nombre d’entre elles seront obligées de licencier, voire de stopper toute production.
La sidérurgie, tournée à 80 % vers l’exportation, est un des principaux secteurs consommateurs du gaz. Le montant global de la consommation des entreprises du secteur s’est élevé en 2013 à près de 4 milliards de mètres cubes par an. Quant à la part du gaz dans le prix de revient global des produits fournis, elle avoisinait en 2013 les 10 %. Une hausse du prix du gaz – et a fortiori une rupture des approvisionnements russes – aurait un impact direct sur ce secteur.
Après la sidérurgie, l’autre secteur fortement consommateur de gaz est l’industrie chimique. En 2011, l’Union des chimistes d’Ukraine a évalué les besoins de la branche, en phase d’utilisation pleine des capacités de production, à 8,3 milliards de mètres cubes par an.
Enfin dans le secteur agro-alimentaire, la dépendance au gaz est également forte. Le coût des engrais minéraux entre en effet jusqu’à hauteur de 70 % dans le prix de revient des produits alimentaires de sorte qu’une hausse du prix du gaz entraînerait immanquablement, via la hausse du coût de production des engrais minéraux, une hausse corrélative des biens alimentaires. Avec les conséquences sociales que l’on peut imaginer pour une population déjà largement exaspérée par la corruption économique du système politique et la multiplication des pénuries en tous genres.
Si l’on revient aux chiffres globaux, on note que le taux de dépendance de l’Ukraine à l’égard de la Russie en matière d’importation gazière s’élève à 60 %. C’est certes moins que les trois pays baltes (Lituanie, Lettonie, Estonie), la Slovaquie, la Finlande et la Bulgarie – dépendantes à 100 % des importations russes – et moins que la Roumanie et la Pologne – dépendantes à plus de 90 % des importations russes – mais c’est bien davantage que l’Allemagne – 41,6 % -, l’Italie – 28,2 %, – la France – 16,9 % – et les Pays-Bas – 4,7 %.
Surtout dans un contexte d’effondrement de l’Etat ukrainien désormais incapable de faire rentrer l’impôt du fait de la sécession en cours des provinces de l’Est, paralysé par la multiplication des mécontentements intérieurs, privé des ressources minières du Donbass et réduit à quémander des aides européennes ou américaines après la dégradation des relations diplomatiques et économiques avec Moscou.
Cet état de fait constitue évidemment une arme entre les mains de Moscou, dont le Kremlin ne tardera pas à se servir le moment venu, soit en cas de perpétuation du conflit entre les autorités centrales de Kiev et les forces sécessionnistes de l’Est ukrainien, la Nouvelle Russie, soit en cas de persistance des tensions entre Kiev et Moscou.
Des enjeux inavoués mais majeurs pour les États-Unis
Bien que situé à plus de 8000 km du théâtre d’opération ukrainien[6], les États-Unis sont loin de se désintéresser du conflit qui s’y déroule. Et pour cause : la question ukrainienne intéresse les Américains à au moins trois titres : Géopolitiques, commerciaux, énergétiques.
Géopolitiques
L’enjeu est ici clair : la crise ukrainienne fournit aux États-Unis une occasion rêvée de proroger la partition de l’Europe engagée dès 1944, à l’aube de la victoire alliée sur les forces de l’Axe. Dès le congrès de Potsdam (17 juillet – 2 août 1945), les Américains étaient en effet arrivés à la table des négociations avec en tête un plan de partage bien précis de l’Europe destiné, au plan économique, à empêcher tout redressement durable hors de la sphère dollar et au plan stratégique, à interdire la reconstitution d’un axe Berlin-Moscou, sur le mode de celui qui s’était constitué en 1922 après le congrès de Rapallo[7] ou après 1939 et la signature de l’accord germano-soviétique.
Le « pistolet atomique » pointé par Truman sur la tempe de Staline – quatre jours après la clôture du Congrès explosait la première bombe atomique américaine, à Hiroshima – fut l’un des arguments qui ruina la confiance entre alliés et acheva de convaincre Staline de constituer un glacis autour de l’URSS afin de parer à tout risque d’attaque armée occidentale – option violente – et de freiner les tentatives d’expansion à l’Est du système capitaliste – option sournoise.
Ce coup de force initial allait figer pour quarante ans les positions et rendre impossible toute unification politique des pays du continent européen. Le même scénario s’est reproduit – sans menace atomique cette fois – en 2004, lorsque les anciens pays membres du pacte de Varsovie ont intégré l’UE. Ce qui aurait pu ou dû être pour l’Europe une occasion de se rapprocher de la Russie, en fêtant l’unité retrouvée du continent européen, a au contraire été un moyen pour les dirigeants de l’UE de fermer la porte à la Russie et de refuser la main tendue par les Russes, dans un premier temps par Eltsine, après sa victoire à la présidentielle de 19968, et plus encore par Poutine, après les attentats du 11 septembre 2001 et la mise sur la table d’un certain nombre d’accords de coopération – économiques, industriels et commerciaux – destinés à permettre de nouveaux rapprochements industriels, scientifiques et techniques entre États de l’Europe occidentale et Russie9.
« L’extension de l’UE aux anciens satellites d’Europe de l’Est a totalement détruit toute possibilité de consensus profond entre les pays de la Communauté économique d’origine : France, Allemagne, Italie et les pays du Benelux. La Pologne et les pays baltes voient l’adhésion à l’UE comme utile, mais leurs cœurs sont en Amérique – où beaucoup de leurs dirigeants les plus influents ont été éduqués et formés. Washington est en mesure d’exploiter l’anti-communisme, les sentiments
- David E. Hofman, « The Oligarchs: Wealth and Power in the New Russia », Public Affairs, 2002.
- Notre analyse rejoint ici celle développée par René Girard dans Le Figaro ainsi que par Jean Varoujan dans le Huffington Post. Dans un article paru le 3 septembre 2014, ce dernier note « Dans un excellent article du Figaro du 2 septembre, Renaud Girard souligne l’ancienneté de la crise actuelle et le mauvais tournant pris par les occidentalistes -suivant la terminologie d’Hubert Védrine- au moment de la décomposition de l’Union soviétique. Au lieu de dissoudre l’OTAN comme les Russes le firent unilatéralement avec le Pacte de Varsovie, l’Organisation atlantique se fit le vecteur d’une géopolitique invasive relevant d’une vision du monde dépassée à l’heure des grandes recompositions planétaires. Une imagerie héritée du père de la géopolitique, l’anglais John Mackinder [1861/1947], remise au goût du jour à la fin de la guerre froide en 1997 par Zbigniew Brzezinski, et selon laquelle l’empire mondial passe par la contention de l’espace continental eurasiatique ».
Jean Varoujan, « Ukraine: de la «guerre tiède» à la guerre réelle? », Huffington Post, 03.09.2014. http:// www.huffingtonpost.fr/jan-varoujan/ukraine-de-la-guerre-tiede-guerre-reelle_b_5757770.html
33 anti-russes[8] et même la nostalgie pro-nazie de certains groupes d’activistes de l’Europe du nord-est pour lancer la fausse alarme « les Russes arrivent ! » afin de gêner le partenariat économique grandissant entre l’ancienne UE, notamment l’Allemagne, et la Russie
Ainsi, ce qui devait être une occasion unique et incomparable de réaliser l’unité du continent européen s’est-il mué, avec la complicité d’une partie des élites de Bruxelles, en un simple transfert de frontière. Au terme de l’élargissement de 2004, le limes du rideau de fer, jadis censé marquer la ligne de séparation entre l’Est et l’Ouest, fut ainsi déplacé de 1200 kilomètres vers l’Est. Malgré la politique de voisinage, une nouvelle ligne de démarcation se forma entre l’UE et un ensemble incertain de territoires constitué de zones grises – Transnistrie, Moldavie – et d’États fragiles – Ukraine, Biélorussie – sans que personne ne s’avise même de son existence[9].
11. Diana Johnstone, « Ukraine, nouveau Rideau de Fer pour resserrer l’emprise des États-Unis sur l’Europe », traduction de l’article paru sous le titre « Tightening the U.S. Grip on Western Europe: Washington’s Iron Curtain in Ukraine »,http://www.internationalnews.fr/article-pour-resserrer-l-emprise-des-etats-unis-sur-l-europe-ukraine-nouveau-rideau-de-fer-123883695.html |
Cette situation de fait finit par être acceptée de tous, sans même que l’on se rende compte des effets induits par une telle forme de pourrissement. Seuls quels criminologues avertis pointèrent à l’époque du doigt les risques induits par le basculement progressif de l’Ukraine dans l’anarchie et la prédation exercée par un certain nombre de groupes mafieux toujours plus puissants[10] sur les ressources stratégiques et les conglomérats industriels de ce pays[11].
Pour les géostratèges américains, cette situation était même pain béni. Elle affaiblissait la Russie, en multipliant à ses marches un certain nombre de zones de non droit, tout en évitant un conflit frontal qui les aurait obligés à intervenir directement. Ainsi semblait se réaliser l’objectif énoncé en 1997 par Zbigniew Brzezinski dans Le grand échiquier : garder le continent eurasien divisé afin de perpétuer l’hégémonie mondiale des États-Unis.
Cette stratégie globale, pensée et assumée depuis longtemps, s’inscrit dans la droite ligne des thèses développées dès le début du xxe siècle par Harold Mac-Kinder. Alors que l’Empire britannique dominait encore le monde, le géographe anglais écrivait en effet : « Qui contrôle l’est de l’Europe commande le Heartland, qui contrôle le Heartland commande l’Ile-Monde, qui contrôle L’Ile-Monde commande le monde ». Vue sous cet angle, l’intrusion américaine dans les affaires ukrainiennes, loin de constituer un simple bricolage improvisé, apparaît au contraire comme un geste pensé et prémédité, enraciné dans une vision stratégique définie et assumée comme salutaire pour la suprématie américaine dès la première moitié du xxe siècle.
Comme le souligne à juste titre Diana Johnstone « l’ancienne guerre froide a servi à cela, en cimentant la présence militaire des États-Unis et leur influence politique en Europe occidentale. Une nouvelle guerre froide peut empêcher l’influence américaine d’être diluée par de bonnes relations entre l’Europe occidentale et la Russie.
Obama est venu en Europe en brandissant la promesse de « protéger » l’Europe, en installant des troupes dans des régions aussi proches que possible de la Russie, tout en ordonnant en même temps à la Russie de retirer ses propres troupes, sur son propre territoire, encore plus loin de l’Ukraine troublée »[12].
Cette logique interventionniste ne vise pas seulement à briser l’unité linguistique et culturelle instituée depuis des siècles entre les différentes régions du Don, mais aussi à casser les tentatives de rapprochement géopolitique et géoéconomique[13] mises sur pied par Moscou sous l’égide de Vladimir Poutine, notamment via le renforcement de l’Organisation de coopération de Shanghaï[14].
Comme l’explique justement Alexandre Latsa, « il s’agit – de l’aveu même de Dimitry Iaroch dirigeant de Pravy Sector (secteur de droite) – de créer un axe stratégique de la Baltique à la mer Noire, avec la participation des États baltes, la Biélorussie, la Pologne et l’Ukraine, contre l’impérialisme russe… ». C’est à la lettre le programme du plan américain de « Nouvelle Europe » déjà engagé depuis des années et dans lequel ces États doivent l’un après l’autre entrer dans l’anneau périphérique de l’Otan. Un plan qui, s’il venait à être mis à exécution en Ukraine ou en Biélorussie, « permettrait aux États-Unis de disposer d’une base militaire à une heure d’avion de Moscou[15]. »
L’aspect sécuritaire n’est d’ailleurs que le pendant militaire d’un plan de plus grande ampleur visant à casser la puissance géopolitique et géoéconomique de la Russie. Après la réintégration de la Crimée à la Russie, « les politiques américains veulent frapper au cœur du plus grand patrimoine géopolitique du Président russe Vladimir Poutine. Si les États-Unis fournissaient à l’Europe une quantité importante de carburant, cela réduirait de fait la dépendance du Vieux Continent vis-à-vis de la Russie, privant ainsi Poutine d’entrées financières si nécessaires. Les parlementaires des deux bords utilisent également ces auditions pour inciter l’administration Obama à accélérer les exportations de gaz naturel, comme une protection contre la menace de coupures d’approvisionnement en gaz russe vers l’Ukraine et d’autres pays »[16].
Réelle ou fantasmée, la menace est donc bien réelle de voir ressurgir une authentique guerre froide. À cette différence près que l’enjeu n’en serait plus désormais idéologique et moral mais énergétique et géopolitique. Les responsables russes ne s’y trompent du reste pas qui parlent d’un nouveau « rideau de fer ». Aussi convient-il de ne pas prendre à la légère les déclarations des autorités russes dénonçant la résurrection de l’ancienne politique de « containment »[17].
Commerciaux
Ici c’est la question de la libéralisation des échanges avec l’UE qui est en jeu. Comme au temps de la guerre froide, l’arme commerciale vient en effet doubler l’arme économique tout en visant à parvenir au même but. Couper la Russie de l’Europe occidentale tout en renforçant la dépendance de cette dernière à l’égard des États-Unis.
Les négociations autour du TIPP sont une illustration directe de cet intérêt américain accru pour un nouvel abaissement des barrières douanières. Et sans doute n’est-ce pas un hasard si cette question des exportations de gaz est venue s’inviter avec insistance au débat, en plein sommet UE-États-Unis, alors même que la crise ukrainienne gagnait en intensité.
« À l’issue du sommet du 21 mars consacré en partie à la question, la chance-lière allemande Angela Merkel avait déjà appelé Washington à lever les restrictions pesant sur les exportations de gaz. Cet assouplissement pourrait s’inscrire dans le cadre du Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (PTCI -TTIP en anglais), l’ambitieux accord de libre-échange en cours de négociations entre les États-Unis et l’UE. Les promoteurs du TTIP assurent qu’un tel accord aurait un effet très bénéfique sur l’activité économique et l’emploi des deux côtés de l’Atlantique, mais celui-ci n’en suscite pas moins de nombreuses réticences. Les révélations sur l’espionnage de la National Security Agency (NSA) en Europe et les soupçons selon lesquels un tel pacte profiterait essentiellement aux grandes entreprises multinationales ont ainsi freiné les négociations »[18].
Les enjeux sont d’autant plus importants qu’ils ne portent pas seulement sur le gaz, mais également sur les pétroles non conventionnels : « Lors de la conférence de presse suivant le déjeuner, Barack Obama et Manuel Barroso ont insisté sur le gaz de schiste, et sur les possibilités pour l’Europe d’avoir recours au gaz américain. Une hypothèse qui reste très théorique, tant les équipements sont à la traîne. Le transport de gaz dans des volumes importants suppose de le liquéfier, et de disposer de terminaux au départ comme à l’arrivée qui puissent traiter le gaz. Alors même que le président américain prêchait la bonne parole aux journalistes européens réunis à Bruxelles, l’Energy Information Agency publiait les dernières statistiques portant sur le pétrole non conventionnel. Selon ces statistiques, un baril de pétrole sur 10 produits dans le monde au dernier trimestre 2013 provenait des États-Unis. Un signe d’indépendance énergétique qui est aussi synonyme de puissance »[19].
Énergétiques
– Via l’augmentation des capacités d’exportation
C’est un autre aspect caché – et de ce fait souvent méconnu – de la crise ukrainienne. Celle-ci pourrait en effet à terme permettre à l’industrie américaine d’augmenter sensiblement ses capacités d’exportation de gaz naturel.
Depuis quelques années en effet la production américaine de gaz naturel ne cesse de croître. Les investissements considérables consentis depuis 2006 dans le secteur – on parle de plus de 120 milliards de dollars dans des projets d’exportation en Amérique du Nord – ont pesé sur les bilans des entreprises et conduit à un renchérissement du prix du gaz domestique.
« C’est une course pour saisir une part du marché mondial du gaz naturel liquéfié (GNL) en plein essor et qui a doublé de volume dans la dernière décennie, selon l’analyse de la semaine par Lux Research, une firme de recherche technologique basée à Boston. Malgré cette augmentation, la soif de GNL a dépassé la production, entraînant une hausse des prix et un bond de sept fois la valeur de ce commerce depuis 2002, jusqu’à 170 milliards de dollars en 2012. Aux États-Unis, seulement 31 établissements ont demandé l’approbation de l’État fédéral pour construire des installations d’exportation qui liquéfient le gaz naturel avant qu’il ne soit expédié vers l’étranger par des méthaniers. Depuis mai 2011, six d’entre eux ont reçu une approbation sous conditions. Un seul, le terminal de liquéfaction de Sabine Pass de Cheniere Energy dans la paroisse de Cameron, a reçu le feu vert pour la construction finale et doit entrer en service l’année prochaine. L’impact potentiel pourrait être énorme. Bien que l’ensemble de ces projets ne va probablement pas se concrétiser, l’analyste de Lux, Daniel Choi, souligne que l’ensemble de la capacité installée pourrait exporter près de 30 % du gaz produit aux États-Unis vers 2020. Une grande partie de ce gaz est extraite des gisements de schiste par forage horizontal et fracturation hydraulique (fracking) : « Ce qui permettrait d’éliminer les prix de gaz très bas en Amérique du Nord, aux dépens de certains utilisateurs locaux, mais serait bénéfique pour l’économie internationale globale », explique Choi, principal auteur du rapport. Il prévoit que les prix de l’essence aux États-Unis devraient augmenter, mais la hausse serait « mineure ».
Le rapport de l’US Energy Information Administration indique qu’aujourd’hui la Norvège est le troisième plus gros exportateur de gaz naturel au monde, après la Russie et le Qatar. Il indique que la Norvège fournit 21 % du gaz naturel de l’Europe, la plupart du temps par des canalisations. Le pays scandinave liquéfie seulement une petite partie qui est exportée par des méthaniers. Le rapport Lux ajoute que l’Australie sera la plus grande menace pour les exportations américaines. Selon ce document, l’Australie a injecté 180 milliards de dollars d’investissements dans l’exportation de GNL et devrait bientôt rivaliser avec le Qatar comme le plus grand exportateur de GNL d’ici 2017. En outre, il observe que la Chine dispose d’importantes réserves de gaz de schiste, et que l’Argentine a des réserves qui sont cinq fois plus grandes »23.
- Wendy Koch, « Gaz de schiste américain : 120 milliards de dollars dans des projets d’exportation de GNL », 22 mai 2014, Matières premières et énergie, cit. in Contrepoints, http://www.contrepoints. org/2014/05/22/166717-gaz-de-schiste-americain-120-milliards-de-dollars-dans-des-projets-dexportation-de-gnl
L’enjeu est ici pour les États-Unis de renforcer leur position sur le marché des hydrocarbures en se positionnant désormais comme une puissance exportatrice de gaz et non plus simplement comme une puissance importatrice, statut qu’ils avaient conservé des années durant. Cette approche risque d’être d’autant plus payante que la demande en gaz ne cesse de croître. Quatre nations d’Europe centrale, la Hongrie, la Pologne, la Slovaquie et la République tchèque, ont ainsi déjà adressé une requête formelle afin de pouvoir bénéficier d’éventuelles exportations américaines.
Certes celles-ci demeurent encore pour l’heure très faibles. « Les exportations de gaz n’ont représenté en 2013 que 42 millions de mètres cubes par jour, selon l’Agence américaine d’information sur l’énergie (EIA), à comparer avec une consommation intérieure de 736 millions de mètres cubes par jour. Mais grâce au gaz de schiste, qui devrait représenter 50 % de la production de gaz d’ici à 2035, selon l’EIA, les États-Unis ont aujourd’hui le potentiel pour devenir un gros exportateur de gaz naturel liquéfié (GNL) »[20]. La croissance continue de la production aux États-Unis devrait soutenir ce mouvement. Celle-ci se poursuit, malgré l’épuisement des gisements conventionnels, essentiellement grâce à l’exploitation des gaz de schiste. En quatre ans, la production de gaz depuis le sol américain est ainsi passée de 603,6 milliards de m3 par an (2010) à 687,6 milliards de m3 (2013), soit une hausse de plus de 13 %.
Pour autant, rien n’est acquis en la matière et il semble bien que de fortes dissensions existent au sein même de l’administration américaine. Des avis divergents se font jour quant à l’opportunité d’un réalignement de la politique énergétique américaine en direction d’une hausse des exportations, voire même quant à la capacité des États-Unis à engager cette politique d’exportation.
À ceux qui la jugent souhaitable sinon nécessaire s’opposent ceux qui la jugent illusoire, voire impossible. D’un côté, des législateurs influents comme le président de la Chambre des représentants John Boehner sont partisans d’une accélération des exportations de gaz naturel liquéfié (GNL) et de la fin de l’interdiction des exportations de pétrole brut américain.
De l’autre, les opposants à la libéralisation des exportations de gaz, menés par Dow Chemical, soulignent que la livraison de volumes trop importants de gaz à l’étranger pourrait provoquer une hausse des prix aux États-Unis, risquant ainsi de freiner la reprise de la croissance après la récente récession.
Plus sceptiques encore, certains analystes soulignent l’incapacité des États-Unis à engager dans la durée une quelconque politique d’exportation du gaz naturel. Richard Heinberg par exemple insiste sur le fait qu’aujourd’hui encore « les États-Unis sont encore des importateurs nets de pétrole et de gaz naturel. En 2013, les États-Unis ont produit environ 7,5 millions de barils de brut par jour, mais en ont importé tout autant. Même si le rythme de la production nationale continue à augmenter, il est probable que viendront s’y ajouter environ 1,5 million de barils par jour avant de commencer à diminuer. La probable rapidité du déclin est une question relativement controversée : XEnergy Information Administration prévoit un long « plateau » suivi d’une lente diminution, tandis que notre analyse produite par le Post Carbon Institute indique une chute bien plus rapide. Dans les deux cas, il est extrêmement improbable que l’Amérique ne puisse jamais redevenir un exportateur net de pétrole. L’an dernier, les États-Unis ont produit 680 milliards de m3 de gaz naturel, une quantité record. Pourtant, nous avons encore importé 71 milliards de m3 de gaz (11 % du total) »[21].
Ces éléments montrent bien la complexité du dossier et la nécessité de ne pas se laisser impressionner par les effets d’annonce. En matière gazière, les enjeux sont tels que les effets d’annonce peuvent à eux seuls tenir lieu de politique, au moins provisoirement. Ce qui semble certain néanmoins, c’est qu’une politique de relance des exportations, si elle devait réellement avoir lieu, serait par nature limitée dans l’espace et dans la durée.
– Via l’exploitation de nouveaux gisements
C’est un des aspects méconnus mais néanmoins non négligeables de la crise ukrainienne : la course aux matières premières. Dans une logique très voisine de celle déjà observée sur nombre de théâtres africains, le conflit ukrainien – a fortiori s’il se pérennise – semble devoir fournir à un certain nombre d’acteurs économiques occidentaux l’occasion de tirer parti des richesses contenues dans le sous-sol ukrainien. Sans devenir le moteur même du conflit, la prédation sur les ressources naturelles – comme au Libéria entre 1989 et 2003, en Sierra-Leone entre 1991 et 2002 ou en Angola entre 1975 et 2002 – pourrait ainsi devenir un facteur d’intensification et de perpétuation de ce dernier[22].
Même s’il est difficile de faire ici la part du vrai et du faux, tout indique que des opérations de ce type sont d’ores et déjà en cours. Les témoignages des ukrainiens eux-mêmes sont ici explicites. Nombreux sont les habitants qui dénoncent dès à présent les tentatives américaines de prédation sur certains gisements ukrainiens. Ainsi de cet habitant de Slaviansk, Andreï Khartchenko, garagiste de son état, qui témoigne sans ambages de la vie quotidienne dans la ville assiégée par l’armée ukrainienne :
Il y a une compagnie américaine qui veut extraire du gaz de schiste dans la région, mais nous, nous sommes contre, nous ne voulons pas que nos terres soient abîmées, que nos eaux soient souillées, que les Américains nous prennent nos gisements. Nous ne voulons pas non plus que l’Ukraine signe un accord d’association avec l’UE, nous ne voulons pas refaire tous nos chemins de fer selon leurs normes, fermer nos usines parce qu’elles ne seront pas conformes à leurs standards. S’ils signent, il n’y aura plus de travail en Ukraine, mais moi, je suis ukrainien, je veux que l’Ukraine soit florissante, qu’elle se développe, mais je veux vivre et travailler ici, sur cette terre, je ne veux pas partir travailler en Espagne, par exemple, comme le font beaucoup de mes compatriotes. Les Européens n’ont pas besoin de nous, c’est ridicule de croire le contraire. Je veux que l’Ukraine décide elle-même de son sort. Et nous, avec nos armes, nous sommes le dernier rempart, nous sommes comme un os dans la gorge de tous ces gens qui veulent que l’Ukraine cesse d’exister, qu’elle devienne une colonie américaine. Ils veulent nous anéantir pour, ensuite, faire ici tout ce qui leur chantera[23].
Outre ces témoignages individuels, la signature ces derniers mois d’un certain nombre de contrats et d’accords de prospection viennent corroborer cette idée d’une prédation en cours sur les ressources minières ukrainiennes. C’est tout particulièrement du gaz de schiste qui semble faire l’objet d’une attention toute particulière du côté des majors américains. En 2013, deux contrats de prospection ont ainsi été conclus dans le domaine du gaz de schiste, l’un avec Shell à l’Est en janvier 2013 sur le champ gazier de Yuzivska et l’autre avec Chevron à l’Ouest (zone d’Oleska) en novembre 2013 : « Lors de l’accord signé avec Shell (PSA – Production Sharing Agreemen – sur une durée de 50 ans) en janvier 2013, l’Ukraine espérait un début de commercialisation de ce gaz de schiste en 2017 ! L’accord opérationnel fut, lui, signé en septembre 2013 »28.
S’il est trop tôt pour déterminer la qualité de ces champs gaziers ukrainiens et dire si l’opération se relèvera finalement rentable, il est clair que la démarche en elle-même souligne l’intérêt porté par les majors anglo-saxonnes pour les ressources stratégiques ukrainiennes. Celles-ci pourront toujours arguer de l’avantage ainsi fourni à l’État ukrainien dans sa stratégie d’affranchissement énergétique par rapport à Gazprom, quiconque connaît les stratégies de conquêtes de marché et de prédations minières menées par ces multinationales américaines sera convaincu que l’essentiel du bénéfice de l’opération n’ira pas au peuple ukrainien.
Ainsi de Luanda à Kiev en passant par Bagdad et Tripoli, c’est bien à une même politique de prédation sur les ressources naturelles et plus particulièrement sur les ressources stratégiques -pétrole, gaz, uranium – que l’on assiste aujourd’hui dans un processus de déstabilisation voulue théorisé par les courants néoconservateurs sous le nom de chaos constructif. Même si le phénomène demeure pour l’heure circonscrit, et sans commune mesure avec ce que l’on observe depuis des années en Afrique centrale, il n’en demeure pas moins que le phénomène est là, traduisant la pression de plus en plus forte qu’exercent les entreprises américaines pour obtenir de nouveaux contrats de prospection et exploiter de nouveaux gisements.
Conclusion
La crise ukrainienne aura eu au moins un mérite. Celle de faire clairement apparaître les lignes de clivage entre blocs politiquement et/ou économiquement antagonistes dans le monde de l’après-2008. Loin des discours triomphants sur la vertu autodiffusive du bien et l’attraction prétendument universelle du modèle politique européen, elle aura permis de mettre sur la table un certain nombre de dossier stratégiques lourds et de cerner les nouveaux rapports de force entre États et la nouvelle reconfiguration d’alliances entre blocs dans le monde multipolaire en voie de formation. Dans ce monde d’après-guerre froide, le temps où l’hyperpuissance américaine semblait pouvoir imposer sans résistance son hégémon sur l’ensemble du globe est bel et bien fini. Après la Syrie – premier coup d’arrêt porté à la politique de
- Aymeric de Villaret, « Gaz de schiste ukrainien : et s’il était développé ? », Les échos, 22.05.2014, www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-98377-gaz-de-schiste-ukrainien-et-sil-etait-developpe-1005970.php?Hw44Q2B30vLxbssE.99
43 domination globale par la déstabilisation structurelle engagée depuis 1991 par l’ancien « champion du monde libre » – le conflit ukrainien marque un nouveau coup d’arrêt à la politique de domination sans partage des États-Unis sur les affaires du monde et l’accélération du processus de recomposition multipolaire voulu et conçu de concert depuis plus d’une décennie par Moscou, Pékin et New-Dehli. Symbole de ce grand basculement en cours, la politique de reconquête et de contre-endi-guement engagée depuis plus d’une décennie par Moscou sous l’égide de Vladimir Poutine semble aujourd’hui en passe de porter ses fruits.
Dans cette affaire, le gaz aura servi de révélateur des nouvelles lignes de force aussi bien que d’arme permettant de faire pression sur l’adversaire et de faire in fine basculer la situation. La politique de sanction engagée par les États-Unis et l’UE à l’encontre de Gazprom et des principaux dirigeants russes du secteur de l’énergie en est une illustration. Elle montre clairement une volonté de frapper le système poutinien en son cœur et de casser la nasse gazière constituée par Moscou autour de l’Europe via notamment le développement des réseaux de gazoducs North Stream et South Stream. Le fait que le secteur ait été le principal visé par le premier train de sanctions voté par l’UE et les États-Unis le 17 avril 2014 souligne si besoin était combien ce secteur joue un rôle stratégique et déterminant dans l’évolution du conflit. La remise en cause en juin 2014 du projet South Stream est venu ajouter une deuxième couche à cette logique d’isolement diplomatique et de désencer-clement énergétique, montrant au passage à quel point les États-Unis craignaient de voir l’Europe accroître à long terme sa dépendance énergétique à l’égard de la Russie.
À côté des sanctions proprement politiques – le 17 mars 2014, l’UE adopte des sanctions contre 21 personnalités russes et ukrainiennes (dont Vladimir Ianoukovitch) jugées responsables de « l’annexion » de la Crimée par la Russie sous la forme de restrictions de visas et de gels d’avoirs ; le 27 avril 2014, l’UE adopte un nouveau train de sanctions visant des responsables russes ou ukrainiens prorusses, frappés d’un gel d’avoirs dans l’UE et d’une interdiction de voyage dans l’espace communautaire – la multiplication des sanctions à caractère économique illustre à quel point l’arrière-plan énergétique et gazier est décisif dans ce dossier. Et sans doute n’est-ce pas un hasard si le dernier train de sanction adopté – celui du 29 juillet 2014 – est venu encore un peu plus resserrer l’étau autour du complexe industriel et financier construit par le Kremlin autour de ce secteur. « Aujourd’hui, les États-Unis imposent de nouvelles sanctions sur des secteurs clés de l’économie russe: l’énergie, l’armement, la finance », a déclaré Barack Obama depuis la Maison Blanche, quelques heures après l’annonce, à Bruxelles, d’une série de mesures pour bloquer l’accès aux marchés financiers européens des entreprises et banques russes et interdire toute nouvelle vente d’armes et de technologies sensibles dans le domaine de l’énergie29.
C’est peu de dire que cette politique de sanction s’inscrit dans une logique d’escalade. Côté russe, elle est vécue comme une authentique injustice en même temps que comme une véritable provocation. D’autant que les effets attendus commencent déjà à se faire sentir. À l’annonce de la promulgation d’un nouveau train de représailles économiques, le 28 juin, le ministre russe de l’Economie, Alexeï Oulioukaev, avouait ainsi sans détour que celles-ci auraient indubitablement des conséquences « graves » sur la croissance de la Russie déjà atone.
Dans cette nouvelle et très révélatrice manifestation du grand jeu diplomatique, ce qui se joue est rien moins que la question même de l’avenir de l’Europe, de sa vassalisation définitive vis-à-vis des États-Unis d’un côté, ou de son émancipation progressive d’une tutelle castratrice qui a fini par la vider de sa substance démographique, la spolier de ses découvertes scientifiques, la priver de sa créativité artistique, la couper de ses sources historiques, l’éloigner de sa vocation propre et lui faire prendre goût aux principes de la servitude volontaire et de l’avilissement consenti. Pour les stratèges américains, le gain est double. On utilise South Stream pour amener la Russie à faire des concessions sur la crise en Ukraine en général et notamment sur le gaz. On vassalise un peu plus l’Europe en faisant clairement comprendre à ses dirigeants qu’ils ne disposent en réalité d’aucune marge de manœuvre en matière énergétique et que toute tentative d’émancipation – via un rapprochement même provisoire et ténu avec le voisin russe – sera sévèrement puni. Quant aux dirigeants européens, il n’est pas sûr qu’ils sortent gagnants d’une partie dans laquelle ils auront joué de bout en bout le rôle de pompiers pyromanes en même temps que de faire-valoir d’intérêts qui les dépassent de mille coudées et dont ils ne maîtrisent visiblement ni les tenants ni les aboutissants.
- http://www.huffingtonpost.fr/2014/07/30/russie-sanctions–europeens-americains_n_5632596.html.
45 [1]Jean-Michel Vernochet, Europe, chronique d’une mort annoncée, Reims, éd. de l’Infini, 2010. Voir également du même auteur « Union européenne & fédération de Russie. Des relations ambiguës ou des rapports à risque ? » Géostratégique, IXe année, n° 24, 2009-I, dossier La géostratégie de la Russie, Paris, Institut international d’études stratégiques (IIES).
[2]Zbigniew Brzezinski, « Le Grand échiquier », Paris, Bayard, 1997, p. 140.
[3]Z. Brzezinski, The Washington Post, 30 mars 2008
[4]Z. Brzezinski, The Washington Post, 30 mars 2008
[5]Z. Brzezinski, The Washington Post, 30 mars 2008
[6]La distance exacte entre Kiev et Washington est de 7861.9 km. Une distance à peu près voisine de celle qui sépare Moscou de Toronto (7479 km) ou Moscou de La Havane (9598 km). Si l’on symétrise le conflit dans une optique guerre-froide, l’ingérence américaine sur le théâtre ukrainien représente pour Moscou ce que représenterait pour Washington une ingérence russe dans la vie politique et économique du Canada avec toutes les implications que cela comporte : rupture de l’alliance historique et stratégique du Canada avec les États-Unis, sortie du Canada des accords de libre-échange avec les États-Unis conclus dans le cadre de l’ALENA, arrivée d’instructeurs militaires russes auprès du gouvernement canadien pour former des troupes armées hostiles au gouvernement des États-Unis d’Amérique, libération de crédits économiques considérables afin d’ancrer le Canada dans une nouvelle alliance politique, économique et stratégique avec la Russie dans le cadre de l’OCS, multiplication des provocations militaires canadiennes à la frontière Nord des États-Unis,
développement sur les médias canadiens de campagnes de presse résolument hostiles aux États-Unis d’Amérique, à leur histoire, à leurs symboles, à leurs traditions… Il n’est pas certain que face à ces types de basculement, les États-Unis resteraient les bras croisés sans réagir. Rappelons que pour moins que cela, John Fitzerald Kennedy fut à deux doigts de déclencher des frappes atomiques contre la Russie après que Khrouchtchev eût eu la mauvaise idée d’installer des rampes de lancement de missiles pointées sur les États-Unis (le 14 octobre 1962, un avion espion U-2 piloté par le commandant Rudolf Anderson Jr. (en) photographie les sites d’installation des missiles. Le lendemain, la lecture des films révèle aux États-Unis que l’URSS est en train d’installer des missiles SS-4 à tête nucléaire à Cuba. Rampes de lancement, missiles, bombardiers, fusées et conseillers soviétiques sont repérés à Cuba. On identifie également 26 navires soviétiques transportant des ogives nucléaires (opérationnelles en 10 jours) en route vers l’île).
[7]Notamment dans les articles 3, 4 et 5 qui disposaient alors :
Article 3 : Les relations diplomatiques et consulaires entre le Reich allemand et la République fédérative socialiste soviétique de Russie doivent être reprises immédiatement. Les conditions d’admission des consuls des deux parties doit être déterminées au moyen d’un accord spécial. Article 4 : Les deux gouvernements ont en outre convenu que la création du statut juridique des ressortissants d’une Partie, qui vivent sur le territoire de l’autre Partie, et le règlement général des relations mutuelles, commerciales et économiques, doit être effectué sur le principe de la nation la plus favorisée. Ce principe doit, cependant, ne s’applique pas aux privilèges et aux installations dont la République fédérative socialiste soviétique de Russie peut accorder à une République soviétique ou à tout État qui dans le passé a fait partie de l’ancien Empire russe.
Article 5 : Les deux gouvernements doivent coopérer dans un esprit de bonne volonté mutuelle pour répondre aux besoins économiques des deux pays. Dans le cas d’un règlement fondamental de la question ci-dessus sur une base internationale, un échange d’opinions doit préalablement avoir lieu entre les deux Gouvernements. Le gouvernement allemand, après avoir été récemment informé des accords proposés par des entreprises privées, se déclare prêt à donner tout le soutien possible à ces dispositions et de faciliter leur entrée en vigueur.
[8]Il existe dans certains anciens pays du bloc soviétique une authentique russophobie qui n’a eu de cesse d’être soutenue, encouragée et relayée par un certain nombre d’ONG et d’associations -souvent soutenus et encouragés par les États-Unis d’Amérique – qui n’a pas joué pour peu dans la dégradation des relations Est-Ouest depuis l’arrivée de Vladimir Poutine au pouvoir en décembre 2000. Cf. à ce sujet l’entretien de Aïnar Komarovskis par Lev Parchine, juin 2009, La Gazette. Revue de la presse russe éditée par Le Centre de Langue et Culture Russe, n° 202, http://www.clcr.fr/wp-content/uploads/2013/08/202F.pdf.
[9]L’idée selon laquelle le mur de Berlin n’aurait pas été ouvert puis détruit au soir du 9 novembre 1989 mais seulement transféré vers l’Est a pris une nouvelle consistance avec les récentes déclarations du premier ministre ukrainien Iatseniouk. Ce dernier annonçait en effet le 3 septembre 2014 que les autorités ukrainiennes étaient prêtes à entamer la construction d’installations à la frontière avec la Fédération de Russie dans le cadre d’un projet symboliquement nommé « The Wall ». « Nous commençons le projet « The Wall». Cette construction qui vise à cimenter l’état réel de la frontière entre l’Ukraine et la Fédération de Russie» » déclarait alors le Premier ministre lors de la réunion du Cabinet ». Que cette déclaration soit ou non suivie d’effet importe peu pour l’heure. Ce qui nous semble ici révélateur, c’est l’état d’esprit dont elle témoigne. http://rusvesna.su/news/1409741500.
[10]Cf. Vladimir Gel’man (Editor), Anton Steen (Editor), Elites and Democratic Development in Russia (Routledge Studies of Societies in Transition 24), London & New-York, Routlegde, 2003.
[11]Cf. Xavier Raufer, L’explosion criminelle, Paris, éditions Valmonde et Cie, 2002 ; Le Grand réveil des mafias, Paris, éd. Jean-Claude Lattès, 2003 ; les nouveaux Dangers planétaires, chaos mondial, décèlement précoce, Paris, CNRS 2ditions, 2010.
[12]Diana Johnstone, « Ukraine, nouveau Rideau de Fer pour resserrer l’emprise des États-Unis sur l’Europe », traduction de l’article paru sous le titre « Tightening the U.S. Grip on Western Europe: Washington’s Iron Curtain in Ukraine »,
http://www.internationalnews.fr/article-pour-resserrer-l-emprise-des-etats-unis-sur-l-europe-ukraine-nouveau-rideau-de-fer-123883695.html.
35 [13]Ces politiques ont pris corps dès le milieu des années 90, alors même que la Russie était au plus mal économiquement et que personne ne donnait un kopeck sur la reconstitution possible d’un espace soviétique après l’effondrement en 1991 de l’URSS. Elles se sont traduites par la mise sur pied d’un certain nombre de partenariats avec les pays limitrophes de l’ancien espace soviétique, au premier rang desquels les anciennes républiques d’Asie centrale. Dès 2002 celles-ci commencent à regarder avec inquiétude les signes d’expansion de plus en plus manifeste de la puissance américaine notamment après l’ouverture forcée des bases tadjiks et kirghizes aux forces armées américaines au lendemain du déclenchement de l’opération Enduring freedom en Afghanistan. Trois ans plus tard, le divorce est consommé avec l’hyperpuissance américaine et c’est sans regret que ces Républiques rentrent se mettent à nouveau sous la protection de Moscou et acceptent résolument de nouer de nouveaux partenariats avec l’ancien grand-frère russe. Preuve, s’il en était besoin, qu’il n’y a pas de fatalité en histoire et que lorsque le courage et la lucidité se conjuguent avec la volonté politique, il est possible de redresser même les situations les plus compromises. Cf. sur ce sujet, Fedor Loukianov, « Moscou, partenaire le plus fiable des pays centrasiatiques » (Gazeta.ru), Ria Novosti, 17 Juillet 2009,
http://fr.ria.ru/defense/20090717/122378665.html.
[14]L’Organisation de coopération de Shanghai (OCS ; chinois : ^TScjf^jRIJR, pinyin : shànghâi hézuà zûzhï, ip^^ ; russe : LïïaHxaHCKaa OpraHH3aiiHa CoTpygHHHecTBa, LÏÏOC) (Shanghai cooperation organisation, fréquemment orthographié Shanghai cooperation organization) est une organisation intergouvernementale régionale asiatique qui regroupe la Russie, la Chine, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan. Elle a été créée à Shanghaï les 14 et 15 juin 2001 par les présidents de ces six pays.
[15]Alexandre Latsa, « Réflexions sur l’Ukraine « libérée » », La voix de la Russie, 9 Juin 2014, http:// french.ruvr.ru/2014 06 09/Reflexions-sur-l-Ukraine-liberee-1885/.
[16]Richard Heinberg, « gaz de schiste : les USA devraient plutôt exporter la stupidité », Mondialisation, 1er avril 2014, http://www.mondialisation.ca/gaz-de-schiste-les-usa-devraient-plutot-exporter-la-stupidite/5376182
[17]« Les États-Unis ressuscitent avec leur sanctions interdisant les transferts de technologies la politique occidentale du «Rideau de fer» à l’égard de la Russie, a déclaré aujourd’hui le vice-ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Riabkov. « Cela frappe nos entreprises et nos secteurs de hautes technologies. C’est le retour du système créé en 1949, quand les pays occidentaux avaient abaissé le Rideau de fer sur les livraisons de hautes technologies à l’URSS et à d’autres pays», a déclaré M. Riabkov, interrogé sur les nouvelles sanctions américaines sur le site », « Moscou : les États-Unis ressuscitent la politique du « Rideau de fer », Le Figaro, 29.04.2014
http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2014/04/29/97001-20140429FILWWW00113-moscou-les-etats-unis-ressuscitent-la-politique-du-rideau-de-fer.php.
[18]« Le gaz de schiste au cœur du sommet UE-USA », http://www.euractiv.fr/sections/energie/le-gaz-de-schiste-au-coeur-du-sommet-ue-usa-301163, 26 mars 2014.
[19]Ibidem.
[20]Stéphane Lauer, « Les États-Unis prudents sur l’exportation de gaz de schiste », Le Monde, 9 juin 2014. http://www.lemonde.fr/economie/article/2014/06/09/les-etats-unis-prudents-sur-l-exportation-de-gaz-de-schiste_4434692_3234.html.
40
[21]Richard Heinberg, « Gaz de schiste : les États-Unis devraient plutôt exporter la stupidité », 27 mars 2014, Resilience, http://www.resilience.org/stories/2014-03-27/export-stupidity.
[22]Cf. à ce sujet David Mascré, « Conflits et ressources : doit-on souscrire aux thèses de Paul Collier ? » Revue Géopolitique africaine, juin 2008 ainsi que David Mascré, Diamants, terrorismes, conflits, Reims, Les éditions de l’Infini, 2010.
[23]http://www.lecourrierderussie.com/2014/06/slaviansk-genocide/?utm_ campaign=twitter&utm_medium=twitter&utm_source=twitter.