« QUEL AVENIR POUR LA PALESTINE ? » Mardi 7 mai 2024

Le Conseil scientifique de l’Académie de Géopolitique de Paris et l’Institute for Political and International Studies, Iran (IPIS) ont organisé un colloque international au sujet de « l’avenir de la Palestine », mardi 7 mai 2024. Ce colloque a permis de passer en revue l’ensemble des perspectives géopolitiques et diplomatiques ouvertes par la crise actuelle : les observateurs ont déjà fait le constat de la violence de l’armée israélienne à Gaza, avec plus de 35 000 morts dont une majorité de femmes et d’enfants, une famines organisée, destruction massive des bâtiments, hôpitaux, écoles et bureaux de l’ONU y compris… Partant de l’analyse de la permanence des enjeux de pouvoir liés aux stratégies respectives des parties en présence, ainsi que de la nécessité de préparer l’avenir de la région, l’Académie de Géopolitique de Paris a entendu s’intéresser aux nouvelles perspectives possibles, sur le terrain comme au sein de la communauté internationale et dans les institutions internationales saisies de la question du règlement de ce conflit. Plusieurs pistes se présentent aux chercheurs et analystes : rapprochement des différentes organisations et institutions palestiniennes entre elles ; création d’un État palestinien sur les frontières de 1967 ; solution à deux États (« la terre contre la paix »), etc. Surtout, les massacres à Gaza ont changé la donne géopolitique et poussent une large partie de la communauté internationale à rendre possible une véritable politique de sanctions internationales contre l’expansion des colonies, la captation des terres arabes et la progression juive dans les quartiers de Jérusalem-Est, et enfin le soutien d’un nombre beaucoup plus important de pays, jusque-là attentistes, pour protéger la naissance et le développement d’un État palestinien, ses futures institutions, son armée et sa diplomatie.   La première table-ronde a été ouverte par le Dr. Khalil SHIRGOLAMI, Directeur Général de l’IPIS, qui a présenté l’IPIS et remercié l’AGP, rappelé l’importance des développements à Gaza dans un contexte géopolitique en pleine évolution, ainsi que l’importance d’échanger les points de vue, notamment français et iraniens, sur la question. Il a ensuite évoqué les racines historiques du conflit, la déshumanisation des palestiniens et ses trois conséquences : le changement de la densité de population ; la partition du territoire ; la neutralisation de la souveraineté (les trois éléments nécessaires pour constituer un État). La réaction occidentale fut celle du double-standard, n’appliquant pas à Israël la politique prétendument défendue dans d’autres parties du monde. Si les palestiniens ont dû pratiquer la résistance, c’est d’abord à cause de l’échec des initiatives pacifiques devant la fermeté de Tel-Aviv. Monsieur Alireza KHODAGOLIPOUR, Vice-Directeur de l’IPIS, a précisé que nous nous trouvons face à des défis radicaux (danger d’extrémisme et de terrorisme dans la région, situation catastrophique pour les palestiniens nécessitant une aide humanitaire, cessez-le-feu durable qui permettrait l’aide, destructions et déplacés…). Il a expliqué que l’Iran se serait comporté en acteur responsable, visant à prévenir toute exacerbation du conflit et extension géographique, ce qui l’amène à multiplier les appels à consultations pour que les palestiniens cessent d’être les otages de la politique de Netanyahou. Il a souligné l’échec de la communauté internationale, la situation à Rafah qui pourrait empirer. La solution des deux États est possible en théorie, mais Tel-Aviv l’aurait rendue impossible à cause de ses politiques extrémistes. Le Dr. Nabi SONBOLI, chercheur à l’IPIS, a évoqué la question des mouvements de résistance palestiniens et la genèse de leurs créations, et rappelé qu’ils sont des mouvements défensifs, de réaction. Les seuls gagnants des quarante dernières années d’instabilité sont les exportateurs d’armes dans la région, qui a beaucoup souffert. Le narratif médiatique occidental, mais aussi le contexte ethnique, religieux, culturel ou encore des systèmes politiques inefficaces exacerbent les conflits régionaux. Toutes les pensées et les cerveaux des politiciens de la région sont sur des problèmes de sécurité, et donc pas assez sur l’économie, les problèmes environnementaux, sociaux, l’éducation… ce qui constitue un cercle vicieux. Il y a besoin de mécanismes régionaux pour la sécurité, et on peut encourager les systèmes inclusifs, plutôt que des démocraties, car il est selon lui déjà difficile d’en bâtir dans les régions stables. L’ « inclusivité » des systèmes serait une constante des plans de paix iraniens pour la région, ces 3-4 dernières décennies. Le contenu de ces interventions sera publié ultérieurement.
La deuxième table-ronde a été ouverte par Monsieur Jacques MYARD, Membre honoraire du Parlement, Maire de Maisons-Laffitte. Son intervention est intitulée « Palestine, comment sortir de l’impasse ? ». Depuis 80 ans et même davantage, la terre du Proche-Orient, la Palestine pour la désigner, est une terre de passions, de toutes les passions :
  • Passions religieuses, terre qui portent les trois religions monothéistes ;
  • Passions du terroir, terre des Ancêtres ou supposés tels ;
  • Passions d’identité politique, de possession, pour un projet politique.
Toutes ces passions sont interactives. Tel un sortilège maléfique, elles animent trois peuples, trois cultures : 1/ Les arabes palestiniens 2/ Les juifs 3/ Les arabes chrétiens et les chrétiens venant de multiples ethnies avec autant d’églises souvent rivales. Tout cela embrase cette région dans une dimension holistique, totalitaire, avec des tensions incompatibles les unes avec les autres. Comment en sortir ? Comment faire admettre, comment tolérer l’autre, alors qu’il est considéré comme l’ennemi à abattre depuis des temps immémoriaux ? Certains vont me dire : « c’est impossible, cela tiendrait du miracle pour réconcilier ces peuples entre eux, ces religions entre elles ». En d’autres termes, un miracle est-il possible ? Étant laïc je laisserai le concept de miracle aux hommes de foi. Ce qu’il faut, c’est une révolution culturelle entre les Israéliens et les Palestiniens. Facile à dire me direz-vous. Ce ne sera pas facile, je vous l’accorde. Un peu de réflexion : les Allemands vaincus à plat de couture en 1945 ont vécu et réalisé cette révolution culturelle, à la différence de 1918. Ils ont pris conscience qu’ils seraient dans leurs intérêts bien compris de vivre en paix avec les Gaulois plutôt que de vouloir une nouvelle revanche. Vous allez me dire : « ce sont les Américains et les Russes qui ont vaincu l’Allemagne nazie. » C’est exact. On connaît la suite : Staline a directement facilité la prise de conscience des Allemands de l’ouest et des autres occidentaux, les États européens craignent d’être envahis par les Soviétiques. Il fallait s’y préparer, d’où la Constitution des armées secrètes de l’OTAN ou intitulées Gladio et Stay-behind, en cas d’invasion de l’Europe par les Soviétiques. Alors comment créer une solution politique ? Comment engager le processus alors qu’il y a des fanatiques des deux côtés ? Je rappelle que la solution diplomatique revenue sur la scène politique et celle des deux États. Deux États, c’est le plan de partage voté par l’Assemblée Générale des Nations-Unies le 29 novembre 1947 : Un état juif ; Un état arabe ; Une zone sous régime international particulier, Jérusalem. 14 mai 1948 : David BEN GOURION proclame l’État d’Israël. 15 mai 1948 : les Armées des États arabes refusent le partage et pénètrent en Palestine. 11 mai 1949 : Israël devient membre de l’ONU. Depuis, la situation a beaucoup évolué. Pour faire avancer la solution des deux États, comment agir ? Premier acte : la France doit reconnaître la Palestine comme État et convaincre les principales puissances de construire cet état avec les Palestiniens. Territoire de Gaza + Cisjordanie. L’Assemblée Nationale a adopté le 2 décembre 2014 une résolution invitant le gouvernement à reconnaître l’État de Palestine ; elle fut sans suite. Deuxième acte : soutenir les forces démocratiques d’Israël : Agir et convaincre les associations juives que c’est leur intérêt pour Israël. C’est là un rôle déterminant à accomplir avec l’American Israel Public Affairs Commitee (AIPAC). L’Objectif doit être la fin du Gouvernement de Netanyahou et des juifs ultras, ainsi que des chrétiens évangéliques ultras.
  • Le plus dur sera la question des colonies en Cisjordanie ;
Petit à petit, prendre en compte les multiples autres enjeux ;
  • Établissements de relations diplomatiques entre les deux États ;
  • Comment réconcilier Israël avec l’Iran?
  • Recherche de nouveaux Accords d’Abraham ; les Accords d’Abraham furent annoncés par Trump le 13 août 2020 ;
  • Il y a de très nombreux enjeux à prendre en compte, cela ressemble à une équation avec des entrées multiples, un peu comme la matrice de LEONTIEF ;
  • Le pari que l’on doit faire est simple si on entame le processus par un point, en l’occurrence la reconnaissance de la Palestine comme État et son entrée à l’ONU, cela peut permettre de tirer le fil de l’écheveau.
Le fait que 143 pays de l’Assemblée Générale se soient prononcés le 10 mai 2024 pour l’intégration de la Palestine comme membre à part entière de l’ONU, en dépit de l’opposition des États-Unis, est un pas déterminant. Conclusion : Il n’y a pas de solution à la date d’aujourd’hui. La Révolution culturelle que j’appelle de mes vœux est un projet d’avenir qui risque de durer longtemps. J’ai une seule certitude : la France doit s’engager fermement, quitte à être seule. J’ai toujours pensé qu’un discours à la PHNOM-PENH comme le fit de Gaulle le 1er septembre 1966 pourrait lancer le processus. Mais pour cela, il faut retrouver notre indépendance diplomatique, militaire, politique et Notre Souveraineté. C’est-à-dire sortir de la Vassalisation !
Monsieur le recteur Gérard-François DUMONT, Professeur à la Sorbonne, Vice-Président de l’Académie de Géopolitique de Paris. Après avoir remercié les intervenants, Monsieur le recteur Gérard-François Dumont a rappelé deux postulats géopolitiques. D’abord, que la géopolitique ne peut aborder le droit international qu’avec un sens critique, citant la France comme exemple d’un pays ne respectant pas toujours ce droit. Ensuite, il affirme que la géopolitique n’est pas un narratif de western avec des bons et des méchants, mais une analyse des rapports de force et des intérêts des différents acteurs. Il propose ensuite un diagnostic de la situation géopolitique au Proche-Orient depuis le 7 octobre, marquée par 13 novations, qui sont des changements géopolitiques majeurs :
  1. Israël n’a pas réussi à assurer la sécurité de sa population. 2. Le massacre de 1200 personnes, inédit depuis la Seconde Guerre mondiale. 3. Une prise d’otages massive (environ 240 personnes), sans précédent dans la région. 4. La montée de l’antisémitisme avant même la riposte d’Israël. 5. Israël mène une guerre totale à Gaza, une première. 6. Existence de réfugiés des deux côtés : environ 300 000 en Israël et de nombreux déplacés à Gaza. 7. Tirs de Houthis du Yémen, indiquant une implication iranienne. 8. Attaque directe de l’Iran sur Israël avec 300 drones et missiles. 9. Attitude complexe de certains pays arabes, comme l’Égypte et l’Arabie Saoudite. 10. Mobilisation sans précédent dans les universités occidentales contre le conflit. 11. Isolement des Nations Unies et de l’administration Biden. 12. Changement d’attitude de la Russie, moins pro-israélienne. 13. Réactions variées du Sud Global, avec des pays ayant des intérêts économiques et technologiques en Israël.
Ensuite, l’auteur propose des scénarios prospectifs pour l’avenir :
  1. La solution à deux États, bien que souhaitée par de nombreux acteurs, semble difficile à réaliser. 2. Une guerre longue, différente des guerres précédentes, susceptible de durer en raison des objectifs ambitieux d’Israël et de l’implication de l’Iran. 3. Une guerre élargie à plusieurs continents, avec une implication accrue de pays étrangers et une escalade des violences.
Enfin, l’auteur propose une solution utopique : une cohabitation inévitable entre Juifs et Arabes dans un État unitaire, avec des droits égaux pour tous, ce qui pourrait être une alternative réaliste face à la solution à deux États. En conclusion, a été soulignée l’importance de réfléchir à des solutions utopiques pour éviter la prolongation de la guerre, compte tenu des antagonismes géopolitiques à toutes les échelles.
Christophe OBERLIN, Professeur de Médecine. Après expression de ses appréciations quant aux interventions humanitaires précédentes a Gaza, Christophe Oberlin se concentre sur la crise humanitaire à Gaza, soulignant que les chiffres sont provisoires et évoluent chaque jour. Il explique que la situation sanitaire à Gaza avant le 7 octobre était souvent mal comprise par le grand public. Contrairement à la croyance populaire, Gaza disposait d’infrastructures médicales relativement avancées. Depuis 23 ans, Gaza possède une faculté de médecine, et ses médecins sont bien formés, notamment en anglais, avec un accès à la littérature médicale internationale. L’auteur mentionne l’exemple symbolique de la première femme chirurgienne formée à Gaza, qui a dû fuir sous les bombardements. L’auteur explique que Gaza avait des indicateurs de santé comparables à ceux de pays moyennement ou hautement développés avant le 7 octobre, malgré le blocus israélien. Par exemple, l’espérance de vie des femmes était de 78 ans et la couverture vaccinale était de 100 %. Il note que le principal problème de santé à Gaza est le cancer, en partie parce que la radiothérapie est bloquée par Israël depuis toujours. Il décrit les attaques sur le système de santé depuis le 7 octobre, mentionnant un rapport détaillé de Gilles Devers et d’autres collaborateurs qui documente ces attaques. L’auteur souligne que ces attaques ont commencé dès le 7 octobre avec le bombardement de l’hôpital indonésien. Christophe Oberlin critique également l’approche de l’aide humanitaire, comparant la situation à un « Far West » humanitaire. Il note que les hôpitaux de campagne, bien que nécessaires, ont siphonné des ressources humaines locales, déstabilisant les structures existantes.  Il plaide pour la reconstruction des infrastructures de santé locales après la fin des hostilités, soulignant la capacité de la population gazaouie à reconstruire rapidement et efficacement. Il donne l’exemple de l’hôpital Al-Shifa, rénové en six semaines par des architectes et ouvriers locaux. L’auteur conclut en appelant à une coopération avec les structures médicales gazaouies existantes et recommande aux donateurs de passer par les réseaux d’approvisionnement locaux, principalement depuis l’Égypte, une fois que la situation se stabilisera. Il conseille aux municipalités et aux donateurs de conserver leurs fonds pour l’instant et de faire pression sur leurs gouvernements pour une position digne et respectueuse des besoins des Gazaouis.
Ali RASTBEEN, Président de l’Académie de Géopolitique de Paris. Quel avenir pour Gaza ? L’invasion de la bande de Gaza par l’armée israélienne en réplique aux attentats perpétrés par les groupes armés du Hamas le 7 octobre 2023 ont remis sur le devant de la scène un conflit vieux de plus de 75 ans qui paraît aujourd’hui plus que jamais sans solution. La question gazaouie et plus globalement de la question israélo-palestinienne conduit nécessairement à s’interroger sur le devenir à long terme de la Bande de Gaza. Contrairement à une idée reçue, plusieurs schémas pourraient à moyen terme, offrir aux habitants de Gaza un avenir prospère. La bande de Gaza dispose de plusieurs atouts qui, sous réserve que la politique de destruction engagée par le gouvernement Netanyahou soit définitivement stoppée ou abandonnée, pourraient lui permettre de sortir de la misère et du sous-développement. Tous ces scénarii ne pourront prendre corps qu’à la condition que soit reconnu le fait que le blocus est illégal, puisqu’il résulte d’une décision unilatérale prise en dehors de tout cadre légal par un État qui se soustrait depuis 70 ans à toutes les résolutions des Nations Unies adoptées en vue de faire respecter le droit international dans la région. Ce blocus finira bien un jour par cesser. Dans cette hypothèse, les atouts de la bande de gaza sont d’au moins trois ordres : géographique, économique et énergétique. L’atout géographique de Gaza : elle est une bande de terre de 42 km de long située à l’interface de trois zones hautement stratégiques de l’Afrique, du Proche Orient et de la péninsule arabique. Cette position géographique unique permettrait de faire de Gaza un hub international qui aurait des effets positifs pour l’économie gazaouie et l’insertion de Gaza dans les grands circuits d’échange internationaux ; elle aurait aussi des effets très positifs au plan écologique et sanitaire. La construction d’un aéroport de standing international à Gaza permettrait de fait de désengorger ceux, largement saturés, du Caire, d’Alexandrie et de Beyrouth et de répondre à l’augmentation attendue du trafic aérien international dans toute cette région. Au regard du nombre exponentiellement croissant des touristes venus d’Asie qui voudront visiter les pyramides d’Égypte, les splendeurs de la vallée du Nil, les temples de la Phénicie ou les théâtres et palais de l’Empire romain. Doté de tous les commerces traditionnellement intégrés aux structures aéroportuaires de standing international, l’aéroport de Gaza pourrait servir de point de départ au développement de toute la ville de Gaza – à l’instar de l’émirat de Dubaï. Des projets aux atours futuristes ont déjà été conçus notamment aux Qatar et aux EAU. Dans ces deux pétromonarchies très en pointe dans la préparation de l’après-pétrole, on envisage avec beaucoup de sérieux de mettre sur pied de tels projets. Ce n’est pas un hasard si les autorités qataries proposent, pendant ou au terme de chaque campagne de bombardement israélienne, des plans de financement aux montants colossaux destinés à rebâtir les infrastructures de Gaza. Depuis 2006, année du retrait israélien de la bande de Gaza cette politique de soutien actif ne s’est jamais démentie. Les campagnes successives de 2008, 2010, 2011 et 2012 et 2020 n’ont nullement découragé les intentions du Qatar en ce domaine. Le 23 octobre 2012, quelques semaines après une campagne extrêmement violente ayant engendré de très importantes destructions dans Gaza, l’émir Tamin ben Hamad Al Thani venait à Gaza, dans le cadre d’une quasi-visite d’État avec en poche un plan d’aide de plus de 250 millions de dollars. Étaient notamment prévus, dans le cadre de ce plan : 1) La reconstruction de la route du littoral reliant du nord au sud l’ensemble des localités de la bande de Gaza. 2) La construction d’un hôpital flambant neuf à Han-Yunnes. 3) La construction de 1000 logements dans Gaza city. En 2023, quelques mois seulement après une nouvelle campagne hautement destructrice l’émir al Thani proposait encore une aide de 500 millions de dollars pour la reconstruction de Gaza. Désireux de ne pas avoir à réengager éternellement, l’émir a assorti sa proposition d’aide et de médiation de conditions strictes dont la première est l’établissement d’un cessez-le feu durable dans la bande de Gaza et le rétablissement d’une pleine liberté de circulation pour le gazaouis. Comme le résume bien le chef de l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens l’UNRWA, Philippe Lazzarini : « Il n’est pas question de se placer simplement dans une logique de reconstruction Nous devons avoir une approche globale et de long terme, fondée sur le développement de l’humain ». Le second atout est économique. Il s’appuie sur ses atouts géographiques. Avec une population jeune, nombreuse et éduquée, Gaza dispose des conditions sine qua non du décollage d’un territoire. Grace à son littoral, – la bande de Gaza pourrait assez aisément devenir un nouveau centre de développement du tourisme de luxe grâce à l’image de celui qui s’est récemment développé à Dubaï, en Oman ou en Égypte avec Charm el Cheikh). Si elle était dotée d’un réseau routier et ferroviaire entièrement rénové et moderne (air conditionné, vidéosurveillance permettant un suivi individualisé des voyageurs et une biosurveillance des touristes), cela permettrait une accumulation rapide de devises, Gaza pouvant ensuite développer une activité bancaire et financière propre, respectant les critères de la finance islamique mais interconnectée aux autres grands centres de gestion des flux financiers de Dubaï, Doha, Hong-Kong, Shanghai. L’avenir de Gaza est aujourd’hui ouvert à bien des scénarii possibles. Décrire ces scénarii suppose de connaître les atouts et les handicaps géographiques, de cerner la nature et l’accessibilité des ressources. Le troisième atout clé est la présence de réserves de gaz considérables au large des côtes de Gaza, l’une des zones urbaines les plus densément peuplées au monde. Cette ressource abondante et aisément disponible pourrait constituer pour les populations gazaouies constituer une bénédiction ou une malédiction économique. Les réserves estimées en hydrocarbures de ces fonds marins jusqu’ici peu prospectés sont impressionnantes. Elles sont estimées à 38 milliards de m3 pour une capacité annuelle de production de 1,5 milliards de m3 sur une période de 12 ans. Les investissements pour en développer l’exploitation représentent environ 1,4 milliards de dollars. La présence en abondance de cette ressource a attisé les appétits du puissant voisin israélien qui, en violation avec toutes les règles du droit, a décidé de s’approprier ces ressources et de les exploiter directement pour son compte. L’invasion militaire de la Bande de Gaza par les forces israéliennes, est de fait en relation directe avec le contrôle et la possession de réserves stratégiques de gaz offshore. Les autorités de défense israéliennes veulent que les Palestiniens soient payés en biens et en services, et insistent sur le fait qu´aucun argent ne doit aller au gouvernement contrôlé par le Hamas. L’objectif était de rendre caduc le contrat signé en 1999 sous Yasser Arafat entre BG Group et l’Autorité Palestinienne.

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Les possibilités de sortie de crise et d’engagement dans une logique de développement à long terme de la Bande de Gaza dépendent d’une multitude de facteurs. Il serait en effet vain de croire que le sort des 2 millions de gazaouis dépendra du seul bon ou mauvais vouloir du Hamas. À fortiori si ce dernier est chassé de ses bases et traqué. La clé d’une sortie de crise réside dans la mise en place d’un plan général de paix et de sécurité régionales – passant par un rapprochement, sous pression forte et simultanée de Washington de Moscou et de Pékin sur Israël, et de l’Iran sur le Hamas, afin de permettre d’envisager la question gazaouie sous un angle nouveau  et constructif. Un tel rapprochement forcé ne pourrait exister qu’à la condition que ces deux États acceptent de donner véritablement corps à cette sécurisation régionale. Israël et l’Iran sont deux blocs culturels dont les peuples se connaissent, se côtoient et se fréquentent depuis plus de 2600 ans et qui vivaient sans hostilité réciproque il y a encore 70 ans de cela. En attendant c’est le schéma inverse qui semble s’imposer. En plus d’une nouvelle guerre israélo-palestinienne, prête à se muer en nouvelle guerre israélo-arabe (avec l’ouverture possible de nouveaux fronts au nord et à l’est, et une déstabilisation simultanée de la Jordanie, de la Syrie et du Liban), de nouveaux fronts risquent de s’ouvrir, qui sont bien plus préoccupants pour l’équilibre de la région et la sécurité globale de l’Europe (notamment en termes d’approvisionnements marchands en bien manufacturiers (Asie du Sud Est), pétroliers (Golfe persique) et gaziers (Qatar et EAU)) :
  • Au sud avec le Yémen dans le cadre d’une lutte sans fin contre les Houthis,
  • Au nord avec la Turquie, dans le cadre d’une solidarité frériste d’Erdogan et de l’AKP avec les dirigeants du Hamas et dans le cadre d’une réactivation des vives tensions qui s’étaient déjà faites jour en 2009 entre Israël et la Turquie à propos du blocus de Gaza,
  • Au nord-est, en Syrie, dans le contexte d’une guerre civile non-réglée et dont les braises sont encore chaudes.
– Au sud-ouest, avec l’Égypte encore instable et qui sera confrontée à un problème de positionnement stratégique pour faire face à ses énormes besoins d’importation en biens alimentaires et en produits agricoles (ce qui la conduit à se rapprocher de Moscou comme au temps de Nasser), – Dans le grand Moyen-Orient enfin, avec l’avancée probable des mouvements djihadistes (Al-Qaeda, EI, talibans) vers la péninsule arabique et la déstabilisation inéluctable des États du Golfe qui s’ensuivrait. Tout cela dans un contexte de réactivation globale des discours bellicistes et extrémistes formulés depuis Washington par des clans néoconservateurs toujours convaincus que la démocratie ne peut avancer et s’exporter qu’à coup de bombes nucléaires larguées sur les pays régis et dirigés par une dictature.
Michel RAIMBAUD, Ancien Ambassadeur de France. Un plan de partage revisité : mission impossible ? Les évènements déclenchés à Gaza le 7 octobre dernier par une douzaine d’organisations de la résistance palestinienne ont bouleversé par surprise la donne sur le Grand Echiquier. Incluant deux formations marxistes et des mouvements laïcs, en coordination depuis plusieurs années avec le Hamas, l’opération, symboliquement nommée Tufan Al Aqsa (« Le déluge d’Al Aqsa », en référence à la grande Mosquée de Jérusalem, l’un des Lieux Saints les plus emblématiques de l’Islam), a redonné soudain toute sa centralité à une cause palestinienne que beaucoup croyaient enterrée. Le jour n’avait pas été laissé au hasard, coïncidant avec la veille du 50ème anniversaire de la guerre de Kippour-Ramadan 1973. On se rappellera peut-être que le 6 octobre 1973 était le jour du jeûne du Yom Kippour, férié en Israël, qui cette année-là coïncidait avec le début du Ramadan) : ce serait la dernière opération conjointe de l’Egypte et de la Syrie engagée pour compenser les pertes de la désastreuse guerre des Six jours de juin 1967. Quoi qu’il en soit, nombreux sont ceux qui ont paru mal à l’aise quant à la posture à adopter face à cet imprévu. Dans les monarchies pro-occidentales de la Ligue Arabe, qu’elles aient fait ou non le choix abrahamique, le « virage » du Hamas, parti en 2011 à l’assaut de « la proie syrienne » et devenu douze ans plus tard fer de lance de la résistance palestinienne, aura pu dérouter. Que dire de l’Occident, où nos « élites » ont volontiers un problème d’approche ou d’accroche avec les Arabes et les musulmans ? D’autant plus que le contexte mondial n’est plus à la sérénité : le conflit opposant depuis le 22 février 2022 la Russie à l’Ukraine de Zelenski soutenue par l’OTAN ne polarise-t-il pas radicalement la confrontation géopolitique entre « l’Occident collectif » et l’axe russo-chinois chef de file de l’Eurasie, porteuse des espérances d’un Sud Global soucieux d’échapper à la tutelle atlantique ? Du côté d’Israël et de l’Occident collectif, on a vite perçu le danger et l’on s’est hâté d’en circonscrire l’ampleur par une manipulation et une guerre de l’info sans précédent, selon la vieille technique du « saucissonnage » qui consiste à isoler totalement un problème qui dérange, c’est-à-dire n’importe lequel pour les « grandes démocraties » autoproclamées. Il suffit d’en déterminer la date de déclenchement (pour éliminer les causes) et de faire abstraction de tout le contexte (afin d’éviter toute explication dérangeante). C’est simple, simpliste même, mais ça fonctionne. Le mainstream et nos autorités de l’Axe du Bien n’y voient que des avantages pour brider l’opinion par le lavage de cerveau et l’omerta, divisant le monde entre bons et méchants. Jusqu’à aujourd’hui, il est flagrant qu’à la différence de la guerre d’Ukraine où chacun a fini par trouver ses marques, la guerre en Palestine n’est abordée qu’avec gêne et l’on veille à ne pas prendre de risque dans l’expression : les « grandes démocraties », France en tête, apportent un soutien absolu à Israël et nos gouvernants n’hésitent pas à porter atteinte aux libertés de pensée et d’expression, par le biais de poursuites judiciaires sans précédent tant elles sont iniques et liberticides. Dans ce contexte, les commentateurs restent laconiques, y compris dans leur approche de l’avenir : on propose le plus souvent une nouvelle version de la solution à deux Etats, redevenue la tarte à la crème au menu du jour : mais comment la réaliser, en l’absence de continuité de l’espace résiduel disponible, les 8 ou 9% de Palestine qui ont échappé à la colonisation ou à l’annexion étant constitués de confetti qui ne sauraient servir de base à un Etat quel qu’il soit. Il faudrait que soient expulsés manu militari plusieurs centaines de milliers de « colons » illégaux. Imagine-t-on une minute qu’un succès soit possible dans les conditions présentes ? On se refuse par principe à évoquer le fond du problème, c’est-à-dire l’usurpation des terres palestiniennes, il y a 75 ans, les Arabes autochtones ayant été priés de partir sans droit de retour et de laisser la place aux émigrants juifs venus de toutes parts vers le « foyer national » octroyé par la « communauté internationale ». Dans les médias occidentaux (français notamment, passés maîtres en falsification), la guerre a été présentée comme une simple émeute née de nulle part à Gaza : pas un seul mot de la « nakba » (la catastrophe ou l’exode forcé de 1948, lors de la création de l’Etat d’Israël), la prudence commandant de ne pas revenir sur une tragédie vieille de soixante-quinze ans, aussi tragique que les massacres en cours aujourd’hui, bien que l’ensevelissement de la Palestine sous l’Etat d’Israël ait été accompli sans témoin. Il est pourtant instructif de rappeler ce qui s’est alors passé. Le 29 novembre 1947, le plan de partage de la Palestine élaboré par le Comité spécial des Nations-Unies, créé par l’Assemblée Générale (AGNU), est approuvé par celle-ci dans sa résolution 181. Jacques Baud, éminent spécialiste et brillant analyste, qui a décortiqué l’épisode et ses supports juridiques, fait remarquer que ce Plan, adopté par l’Assemblée Générale et non pas par le Conseil de Sécurité, n’a en conséquence pas de valeur juridique contraignante. Le document « recommande » seulement la partition de la Palestine mandataire en trois entités distinctes : un Etat juif sur 56% du territoire et un Etat arabe sur 42%, la ville de Jérusalem et sa banlieue (2% du territoire) étant placées sous contrôle international. Sans préjudice de l’usurpation qui est infligée aux Arabes palestiniens, la répartition est donc injuste, d’autant plus que ceux-ci représentent alors 70% de la population. La fin du mandat est fixée au 1er août 1948, et le partage doit être effectif au 1er octobre 1948. Le plan est alors accepté par les dirigeants de la communauté juive de Palestine (Yichouv) par le biais de l’Agence juive (hormis les extrémistes de l’Irgoun et du Lehi). Pour des leaders tels que Ben Gourion, ce n’est qu’un hors-d’œuvre, en attendant de s’emparer de la totalité de la Palestine. Mais le Plan « recommandé » est rejeté par la plupart des dirigeants de la communauté arabe, y compris le Haut Comité soutenu par la Ligue Arabe, laquelle se dit résolue à prendre toutes les mesures de nature à empêcher l’application de ladite résolution 181. Plusieurs Etats se disent prêts à prendre les armes, refusant la division du territoire, qu’ils jugent contraire au droit à l’autodétermination. En conséquence, le Plan de partage ne sera pas appliqué. Il est déclaré nul et est abandonné. Tout ce qui en résultera sera en quelque sorte illégal ou dépourvu de légalité. Israël profitera de ce vide juridique pour prendre des libertés avec le droit international, au point de l’ignorer, ayant vite réalisé qu’il peut mettre à profit la gêne des Européens responsables à des titres divers de l’Holocauste pour s’octroyer une impunité totale. Par dizaines, les résolutions onusiennes, du Conseil de Sécurité ou de l’Assemblée Générale, seront ignorées et violées par l’Etat hébreu, comme elles le sont aujourd’hui… Comment imaginer dans ces conditions la reprise des accords d’Oslo, qui s’étaient déjà soldés par un échec ? Comment même y songer après le génocide actuel, sinon pour berner une fois de plus les Arabes ? Comment croire une seconde qu’Israël respectera des engagements qu’ils n’a jamais tenus par le passé, le soutien aveugle de l’Occident, Etats-Unis en tête lui permettant d’ignorer des dizaines de résolutions, de multiplier les déclarations provocantes jusqu’à aujourd’hui, avec un aplomb insolent…. La condamnation de l’Etat sioniste par la Cour Internationale de Justice de La Haye, organe judiciaire suprême de l’Organisation des Nations-Unies, est totalement passée sous silence. Saisie par l’Afrique du Sud, la CIJ dénonce dans les faits un génocide en puissance, enjoignant à l’Etat d’Israël d’en cesser la mise en œuvre. Silence radio également sur la saisine de la Cour Pénale Internationale (CPI) dans le cadre d’une démarche pilotée par l’avocat lyonnais Me Gilles Devers, soutenu par 600 ou 700 collègues internationaux et près de 200 ONG ou associations. Mais Israël est loin d’avoir gagné. Avec l’armée la plus puissante de la région et son potentiel nucléaire, il n’a pas atteint ses objectifs : beaucoup de stratèges militaires en concluent qu’il a donc perdu. Les groupes résistants continuent à résister et à infliger des pertes : ils auraient donc « gagné », profitant de leur résilience pour élargir régionalement le conflit : le champ de bataille s’étend désormais vers le Liban, ou s’active le Hezbollah, vers l’Irak où les milices chiites du Hashd Al Shaabi sont sur le pied de guerre, tandis que la Syrie, frappée par des raids endémiques, veille au grain. Il y a aussi les Houthites du Yémen qui créent des soucis aux navires desservant Israël, et l’Iran, touché récemment à Damas par quinze assassinats ciblés dans sa représentation diplomatique et à la résidence de son ambassadeur, vient de riposter en frappant directement Israël. Une grande première, et un réel succès malgré les efforts déployés pour masquer la réalité. Téhéran a même reçu un appui sans réserves de la Chine, développement nouveau. Israël n’aurait-il pas provoqué l’Iran pour faire oublier le génocide qu’il poursuit ou pour provoquer l’implication directe des Etats-Unis dans une guerre contre la République Islamique, et amener l’Occident à réaffirmer son soutien inconditionnel. Pour M. Macron, les Allemands, les Polonais, et les autres, c’est déjà chose faite et pour Joe Biden, les déclarations d’attachement à Israël appartiennent à la routine des jours. Le Congrès vient de voter à une écrasante majorité (républicains et démocrates) une loi dégageant 95 milliards de dollars pour les « aides » à l’Ukraine, Israël et Taïwan : 60,8 milliards de dollars pour Zélenski, 26,4 milliards pour Natanyahou et 8,1 milliards pour Taïwan. Le président de la commission compétente du Sénat, le républicain Mike Rogers, a déclaré, dans un style plus américain que nature, que « la Chine, la Russie et l’Iran sont en train de travailler ensemble dans un nouvel Axe du Mal pour porter préjudice à nos alliances et miner notre sécurité nationale ». Biden a immédiatement signé : « C’est un bon jour pour l’Amérique, c’est un bon jour pour l’Europe et c’est un bon jour pour la paix dans le monde. Il rendra l’Amérique plus sûre. Il rendra le monde plus sûr et continuera le leadership de l’Amérique dans le monde ». Il a ensuite ajouté concernant Israël : “Mon engagement à l’égard d’Israël, je veux le clarifier. une fois de plus, est de fer. La sécurité d’Israël est fondamentale. Je garantirai toujours qu’Israël aie ce qui lui sert pour se défendre de l’Iran et des terroristes qu’il soutient”. Qui en aurait douté ? Israël ne fera donc pas de concession. La solution à deux Etats apparaissant de plus en plus pour ce qu’elle est en réalité, c’est-à-dire un attrape-nigaud, pourquoi alors ne pas prendre le taureau par les cornes en visant une solution d’ailleurs de plus en plus souvent évoquée, car elle semble la mieux adaptée aux aléas de l’avenir. L’Afrique du Sud, si proche de la cause des Palestiniens, ne s’était-elle pas libérée de l’apartheid en misant sur le mot d’ordre « Un homme une voix », afin de créer un Etat où seraient respectés les droits et libertés hors de toute discrimination raciale ou ethnique ou religieuse. La solution la plus acceptable et la plus raisonnable semble bien être celle à un seul Etat, qui intègrerait les Arabes et les Juifs acceptant la règle du jeu démocratique. L’idée est à nouveau évoquée et semble recueillir la faveur de nombreux membres de la communauté juive, notamment parmi les jeunes générations et les militants d’organismes non-sionistes. Il convient au passage de leur rendre hommage. Une Palestine, disent les uns. Deux c’est mieux, disent les autres. Rendez-vous dans dix ans ?
Fayçal JALLOUL, Écrivain, Spécialiste du Moyen-Orient. Après avoir rappelé la nécessité d’examiner rapidement les solutions possibles au conflit israélo-palestinien, Fayçal Jalloul commence par rejeter la solution militaire, notant qu’Israël l’a essayée plusieurs fois, sans succès, en raison de la résistance persistante des Palestiniens. Il rejette également la normalisation des relations entre Israël et les États arabes, citant l’exemple des accords avec l’Égypte qui n’ont pas apporté de résultats tangibles en termes de rapprochement culturel ou social. Il aborde ensuite la possibilité d’un État binational, mais la rejette également, en soulignant les difficultés historiques de cohabitation entre Juifs et Arabes, notamment en raison de leurs identités religieuses et culturelles distinctes. Selon lui, la Bible est vue comme un titre de propriété des Juifs sur la terre palestinienne, ce qui rend une cohabitation dans un État laïque impossible. Il en vient à la solution des deux États, qu’il considère comme la seule voie viable malgré les obstacles. Il note des signes encourageants, comme la reconnaissance de l’État palestinien par l’Assemblée générale de l’ONU et les lignes rouges imposées par Joe Biden à Benjamin Netanyahou concernant Gaza. Il mentionne également le soutien de la Ligue Arabe à cette solution. Il conclut en affirmant que, malgré les défis, la solution des deux États est la plus plausible, tout en critiquant l’urbanisme israélien qui crée des colonies « de peur », limitant la possibilité de cohabitation et faisant d’Israël, une « citadelle ». Il souligne aussi l’importance de prendre en compte les réalités démographiques et les considérations internationales dans la poursuite de cette solution. Enfin, il a abordé la question des fourniture d’armes au Yémen par l’Iran (évoquée par le Recteur Dumont) et a terminé en insistant sur l’importance de reconnaître les pertes humaines importantes subies par les Palestiniens dans le conflit, ce qui devrait selon lui constituer la quatorzième des novations de cette guerre évoquées par le Recteur Dumont.
Débat / Questions du public Mme Jihane RAIMBAUD Professeur Oberlin est parti, donc en fait il n’y aura plus de questions, parce que je voulais lui poser la question sur le pont maritime qu’on est en train de construire à l’heure actuelle, puisqu’il apprenait lui surtout qu’on continue à construire parce que les dons arrivent à travers Rafah. Donc, il n’est plus là, il ne peut plus répondre. Pour Fayçal Jalloul : sur quel territoire peut-on construire la Palestine ? Sur quel territoire ? Continuer, cela suppose expulser une quantité phénoménale d’Israéliens, c’est sûr, autrement il n’y a plus de territoire. Et aussi, pour le professeur Dumont : vous avez parlé d’antisémitisme. À ma connaissance, je ne sais pas qui est sémite et qui ne l’est pas, puisqu’on parle de langue sémite : l’arabe et l’hébreu appartiennent tous les deux à des langues sémites. C’est un terme purement occidental, et en réalité, le massacre des Juifs a eu lieu en Occident, il n’a pas eu lieu en Orient. Ma question est : en quoi un Juif roumain, ukrainien, polonais ou n’importe quel autre est-il plus sémite qu’un Palestinien qui a toujours habité cette terre, qui ne l’a jamais quittée et qui existe depuis la nuit des temps ? Mohamed Larbi HAOUAT, Chercheur associé à l’Académie de Géopolitique de Paris. Oui, vous avez proposé une solution utopique, mais quel est l’intitulé de cette solution ? Est-ce le Grand Israël ou bien la Palestine ? Une solution utopique reste utopique. Pierre LORRAIN, Journaliste, écrivain indépendant. En ce qui me concerne, c’est plutôt un commentaire. Il y a, je crois, une autre possibilité ou un autre scénario, celui du blocage, du statu quo. Il n’y a pas de solution immédiate. Il se trouve que tous les acteurs de la région ont des intérêts contradictoires : la Turquie et l’Égypte se divisent sur les Frères musulmans, la Turquie les soutient, l’Égypte les considère comme ennemis. Par exemple, dans la guerre entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, l’Iran chiite soutient l’Arménie chrétienne, Israël soutient l’Azerbaïdjan chiite. Évidemment, Israël vend des armes à l’Azerbaïdjan. Le roi Abdallah de Jordanie est très proche des Américains, alors que le prince héritier d’Arabie Saoudite prend ses distances et établit des liens diplomatiques avec l’Iran. L’Arabie Saoudite et l’Iran font partie des BRICS, maintenant. C’est vraiment un Orient encore plus compliqué que précédemment. La solution du blocage, c’est-à-dire rester dans la situation actuelle sans bouger, présente toujours le risque qu’Israël reprenne le génocide. C’est possible, mais ce n’est pas encore sûr. D’autant plus que les américains bloquent, car le mouvement de protestation dans les universités prend de l’ampleur. En 1968, le mouvement étudiant contre le Vietnam a empêché le président Johnson de se représenter. Il se trouve également que cette année, la convention démocrate se déroule à Chicago, là où s’est tenue celle de 1968. L’administration américaine craint donc que le mouvement étudiant ne prenne de l’ampleur. Ils feront tout pour empêcher Netanyahou de poursuivre le génocide. Donc la situation peut se figer. J’aimerais apporter une parabole. Au début du 19ème siècle, le Japon était une puissance pacifique (les seigneurs de la guerre se faisaient la guerre, mais entre eux), qui ne demandait rien à personne, qui était interdite aux étrangers (qui acceptait les étrangers qu’elle voulait, en particulier quelques prêtres portugais). Soudain, les États-Unis, voulant imposer le libre commerce, ont envoyé une petite escadre de quatre bateaux de guerre dans la baie de Tokyo pour ouvrir le Japon au commerce. Le commodore Perry, dirigeant l’opération, bombarda Tokyo (heureusement à blanc). Aujourd’hui, un tel bombardement ne serait pas à blanc. Et les Japonais cédèrent, ce qui produisit l’ère Meiji, durant laquelle le Japon tenta de rattraper et dépasser les Occidentaux, et y parvint, battant les Russes en 1904-1905 et attaquant Pearl Harbor en 1941. Les pays contraints d’accepter les règles de l’Occident collectif ne sont plus aussi faibles qu’auparavant. Le paradigme change avec les BRICS et d’autres organisations internationales, ce qui pourrait apporter une solution à Gaza en Palestine, peut-être à terme une solution à deux États ou la fin de l’apartheid. Mme Halima SADKI, Enseignante en langues, retraitée Je voudrais m’adresser au recteur Dumont qui a parlé de manifestations d’antisémitisme de plus en plus nombreuses. Je ne l’ai pas tellement vu, désolé. Il y a eu des marques sur des immeubles, mais on ne sait pas qui les a mises contre les boutiques tenues par des Juifs, etc. Il est important de revenir au fait que les Arabes aussi sont sémites. Quand j’entends parler d’antisémitisme, c’est plutôt de l’antisémitisme anti-arabe. Je conseillerais aux Arabes de porter plainte contre l’antisémitisme plutôt que contre l’islamophobie, car les Arabes sont aussi chrétiens et que le christianisme est né dans cette terre arabe. On n’est pas tous musulmans, on a aussi le droit d’être athées, et pour en revenir à un pays qui serait unique, ça pourrait s’appeler tout simplement la Palestine, Monsieur Jalloul, où tous seraient Palestiniens (Juifs, musulmans, chrétiens). Ce serait un État comme les autres, pas un État pour les Juifs seulement. Il faudrait trouver une langue commune ou deux langues, pourquoi pas l’hébreu et l’arabe ? La Belgique a bien trois langues. Historiquement, la Palestine a toujours existé. Les Juifs, d’où viennent-ils ? S’ils ont une identité profonde, de quelle terre sont-ils issus ? Peut-on être juif polonais, juif hongrois, juif italien, juif algérien, marocain, tunisien ? C’est bien une religion, pas une nationalité, ni un peuple. Moi, ça ne me dérange pas d’être en Palestine. Ils s’appelleraient Palestiniens et seraient là avec les autres. Ce serait la Palestine, pas si compliqué à établir, un État laïque où les religions auraient droit de cité, mais pas dans la constitution. Mme Noura MEBTOUCHE, Fonctionnaire à Masa. Moi aussi, je pense que, sur tous les plans (politique, culturel, économique), tous les intérêts vont dans le sens d’un seul État. Mais il y a plein de questions à ce sujet. La dame à côté de moi a dit que l’État pourrait s’appeler la Palestine, mais cela n’est pas évident, ne coule pas de source parce que peut-être que les Israéliens actuels, juifs, ne seraient peut-être pas d’accord de l’appeler ainsi, mais de l’autre les Arabes de Palestine ne seraient pas d’accord pour l’appeler le Nouvel Israël, donc il faudrait trouver un compromis. Ensuite, sur le plan économique, je suis vraiment persuadée que les Palestiniens ne s’en sortiront jamais seuls. Il y a vraiment besoin de cette coopération entre Israéliens et Palestiniens au sein d’un même État, même s’il est binational. Il est temps que les organisations internationales s’accordent pour imposer une telle entente, peut-être avec un cadre de sanctions pour usage abusif d’armes et colonisation. Je ne pense pas qu’on ait une communauté internationale pour rien. Une dernière question : comment est-ce qu’on envisage le statut de Jérusalem ? Pourrait-elle devenir une enclave neutre, comme la Suisse, sans nationalité, mais avec un statut international en tant que patrimoine international ? Karel VEREYCKEN, Chercheur à l’Institut Schiller. Une rapide anecdote : j’habite Argenteuil, et mon voisin s’appelle Goldenberg. Né au Panama car ses parents fuyaient le nazisme et sont allés aux États-Unis, mais toutes les portes étaient fermées, et donc les réfugiés juifs européens sont atterrés au Panama. Lui est athée, et n’a jamais mis les pieds dans une synagogue. Plus sérieusement, pour l’Institut Schiller, je me suis occupé de la question de l’eau, un sujet qui n’a pas été abordé aujourd’hui et mérite peut-être une conférence spéciale. Une grande partie des conquêtes israéliennes, pour faire un État dans le désert, nécessite des ressources en eau. La guerre des Six Jours visait les hauteurs du Golan, source du lac de Tibériade et du Jourdain. Il y avait également un volet « eau » dans les accords d’Oslo. C’est très important parce que c’est une région en « stress hydrique » : Gaza, la Cisjordanie, la Jordanie, encore pire. En augmentant les ressources en eau et leur partage, on pourrait donner un horizon de partage des richesses, de vouloir-vivre en commun, et ramener certaines parties à la table de négociation. Il faut se rappeler que 62 % du territoire israélien est désertique (Néguev) avec seulement 9 % de la population. Israël semble très développé, mais ce n’est pas vrai : il n’a pas de nucléaire civil, de barrages, ils importent du charbon, du pétrole et du gaz. Par exemple, un plan d’adduction d’eau de la Méditerranée à la mer Morte permettrait de dessaler l’eau de mer et sauver la mer Morte, tout en passant par Beersheba, capitale du Néguev, permettrait aux colons de faire de l’agriculture productive, sans embêter tout le monde. Donc l’aménagement du territoire israélien fait partie de la solution, et l’eau, comme le gaz et la potassium qui est dans la mer Morte, doivent être partagées, et permettre un vouloir-vivre en commun, un développement. Mme Agnès OLLIVIER Le partage de l’eau est très important, mais il ne peut se faire que dans des conditions de souveraineté respectée. Si un État palestinien est créé, aurait-il une souveraineté pleine et entière, supposant tous les attributs d’un véritable État (armée, infrastructures, etc.) ? Dans l’état actuel des choses, n’y aurait-il pas un dialogue à entamer ? Par rapport à l’aspect culturel, je voudrais parler de ce qu’il s’est passé au Rwanda, et de la manière – je l’ai vu, j’y étais à l’époque et j’ai donc pu voir à quel point de détestation les différences ethniques étaient arrivées – et finalement comment le Rwanda a pu dépasser tout cela et a pu entamer une voie de résilience et de dialogue entre les différentes ethnies. C’est quelque chose qui est un exemple à suivre, et je pense que dans l’hypothèse de la création de deux États, la coexistence de ces deux États devrait se faire dans cette perspective de résilience. Michel MUJICA RICARDO, Ancien Ambassadeur de la République Bolivarienne du Venezuela en France. Je me pose une question : Où vont vivre les Palestiniens ? Quelle est la place des Palestiniens exactement ? Parce que je ne comprends pas sur quel territoire vont vivre les Palestiniens ? C’est le problème. Je crois que la seule solution à long terme est la formation d’un État laïque. Le mouvement étudiant aux États-Unis n’est pas seul. Aujourd’hui, les syndicats soutiennent le mouvement contre ce qu’il se passe en Palestine et dans l’État d’Israël. Moi je suis un enseignant juif, et je ne comprends rien du tout. Des questions très intéressantes ont été posées. Comment définir quelqu’un qui est peut-être juif ? Moi je ne suis pas religieux, rien du tout, je ne suis pas athée, peut-être agnostique, et je crois que c’est très compliqué. Je pense que la seule solution à long-terme sera la création d’un État laïque. Jean-Pierre VETTOVAGLIA, Ancien Ambassadeur de Suisse, Banquier privé. Trois choses. La loi en Israël aujourd’hui limite à 20 % de la population totale le nombre des israéliens Arabes, qui ne peuvent dépasser ce chiffre, pour répondre à Madame. Monsieur à dit une chose très intéressante, qui est le blocage de la situation, une solution qui est – je vous l’assure – envisagée par Netanyahou et dans la tête de tous ses principaux ministres ou généraux. C’est ce que j’appelle le grignotage subreptice. On est passé de 48 % à 60 %, puis à 78 %, et aujourd’hui que reste-t-il de la Cisjordanie ? Il reste à peine 10 % de la Cisjordanie non-occupée par l’armée israélienne. Il suffit de grignoter subrepticement ces 10 %, et le problème est réglé du point de vue des Israéliens. Cela peut cimenter une situation, et il y aura peu de protestations lorsque l’armée israélienne occupera la totalité de la Cisjordanie, d’autant plus que si Trump gagne les élections… vous n’avez rien vu ! Biden, c’était quelque chose, mais en matière de soutien à Israël, Trump c’est puissance 10. Et je vous laisse – parce que vous savez que je suis un spécialiste des citations – une très courte citation du premier Premier ministre israélien Monsieur Ben Gourion. Il dit : « si j’étais un leader arabe, je ne signerais jamais un accord avec Israël. C’est normal. Nous sommes venus et nous avons volé leur pays. Pourquoi l’accepteraient-ils ? ». Voilà, je m’arrête là. J’aurais mille choses à dire, évidemment.