Arezki IGHEMAT[1]
PhD en économie, Master en littérature francophone (Purdue University).
[1] L’auteur est détenteur d’un Ph. D en économie (1980) et d’un Master en Littérature francophone de Purdue University (USA, 2005). Il a enseigné dans plusieurs universités et instituts depuis près de 50 ans : Université d’Alger (1972-1994), Purdue University (2003-2005), Cape Coast (Ghana, 2000-2002), Legon University (Ghana, 2003), INSIM (Institut International de Management, Algérie (2005-2013). Il a aussi été chercheur au CREAD (Centre de Recherche en Économie du Développement (1980-92), ainsi que membre de l’équipe de recherche sur le Nouvel Ordre Économique International à l’INESG (Institut National de Stratégie Globale, Algérie). Il a publié quatre ouvrages sur diverses questions économiques et politiques en Algérie et dans le monde ainsi que plus d’une centaine d’articles dans divers journaux et revues, dont la Revue Géostratégiques de l’Académie de Géopolitique de Paris. L’auteur est aujourd’hui en retraite et est le Secrétaire Général du GRAL (Groupe de Réflexion sur l’Algérie).
Résumé : Le présent article a pour but d’évaluer la situation des droits des Palestiniens aujourd’hui. Pour ce faire, il commence par rappeler la situation de ces droits à l’époque de l’Empire Ottoman où les communautés Palestinienne et Juive étaient traitées de manière équitable et où les droits de chacune étaient reconnus et respectés. Il donne ensuite les quatre principales raisons qui ont conduit à la spoliation des droits des Palestiniens au cours de plusieurs décennies : le Mandat Britannique sur la Palestine, la Déclaration Balfour de 1917, le Plan de Partition de la Palestine de 1947, et les organisations sionistes. Il indique ensuite quelle est la situation des droits des Palestiniens en 1945-46, immédiatement après la Seconde Guerre Mondiale. Il conclut en disant que si le conflit entre les deux communautés et si aucune solution pérenne n’est pas trouvée à ce conflit, le peuple Palestinien et ses droits seront totalement oblitérés, ce qui pourrait conduire à un conflit dans toute la région, voire dans le monde dans son ensemble.
Mots-clés : Droits de l’Homme, Droit à l’autodétermination, Indépendance, Colonisation de peuplement, Sionisme, Immigration.
WHY IS THE PALESTINIAN PEOPLE’S RIGHT FOR INDEPENDENCE STILL NOT RECOGNIZED ?
Abstract : The present article aims at assessing the situation of the rights of the Palestinians today. To do this, it starts by reminding us of the situation of those rights during the Ottoman Empire era where the two communities—the Jewish and the Palestinians—were treated in an equitable manner et where the rights of both communities were recognized and respected. The article gives, thereafter, the four main reasons which have led to the spoliation of the rights of the Palestinians in the range of many decades : the British Mandate on Palestine, the Balfour Declaration of 1917, the Partition Plan of Palestine of 1947, and the Zionist organizations. It also indicates the state of Palestinian people’s rights—notably its right for independence– in 1945-46, immediately after the Second World War. It concludes by stating that, if the conflict between the two communities endures, and if a perennial solution is not found to the conflict, this would probably lead to the spreading of the conflict to the whole region, and eventually to the world as a whole.
Key Words : Human rights, Right to self-determination, Independence, Settler colonization, International organizations, Zionism, Immigration.
“The issue of equal rights for both Palestinians and Israelis can no longer be ignored. Instead, it must be the guiding light in any discussion about a possible shape of a solution. The solution can no longer be to shape the solution first and worry about rights later. Rather, we need a new paradigm that emphasizes a rights-based approach, regardless of solution”[1].
“Living in the same geographical space, but separated by walls, check points, road and entrenched military presence, are more than three million Palestinians, who are without rights, living under an oppressive rule of institutional discrimination and without a path to a genuine Palestinian State that the world has long promised is their right”[2].
INTRODUCTION
S’il y a un peuple dont les droits fondamentaux – à commencer par le droit à l’autodétermination et à l’indépendance – ont été ignorés et bafoués pendant plus d’un siècle, c’est bien le peuple Palestinien.
En effet, depuis 1917, année de l’adoption et de l’application de la Déclaration Balfour, les Palestiniens ne cessent, jusqu’à ce jour, de revendiquer la reconnaissance de leurs droits politiques fondamentaux, notamment le droit de souveraineté sur leur propre territoire – la Palestine, occupée illégalement par la communauté juive, venue principalement d’Europe suite à sa persécution en Allemagne nazie et dans d’autres pays européens. Depuis cette date, les droits des citoyens Palestiniens n’ont cessé d’être grignotés par des vagues de colons Juifs sponsorisés par l’Agence Juive (Jewish Agency) et d’autres organisations sionistes œuvrant sous le parapluie de l’Organisation Sioniste Mondiale (World Zionist Organization, WZO).
Ce grignotage des droits des Palestiniens – qui se poursuit à l’heure où nous écrivons – et le refus de leur droit existentiel à l’indépendance et à la création d’un État Palestinien, au même titre que les États Arabes de la région devenus indépendants entre temps, s’est effectué en plusieurs étapes dont les principales sont : (1) le Mandat Britannique sur la Palestine, (2) la Déclaration de Balfour de 1917, et (3) le Plan de Partition de la Palestine de 1947. À la suite de toutes ces étapes marquées par des guerres réciproques récurrentes entre la communauté Juive et la population autochtone Palestinienne – dont la plus récente est celle qui se déroule encore aujourd’hui et qui a été déclenchée par l’attaque du Hamas contre Israël, le 7 octobre 2023, suivie de la riposte musclée et non proportionnelle d’Israël contre Gaza – on a assisté à la création de l’État indépendant d’Israël sur le territoire Palestinien, tandis que le droit à l’indépendance des Palestiniens n’est toujours pas reconnu en dépit des promesses officielles faites par différentes Commissions et rapports internationaux, sa proclamation le 15 novembre 1988 à Alger par le Conseil National Palestinien et sa reconnaissance par 138 États (à fin avril 2022).
Afin de comprendre comment on est arrivé à cette situation de déni du droit d’un peuple, nous examinerons la situation des droits Palestiniens pendant les étapes suivantes : (1) le Mandat Britannique sur la Palestine, (2) la Déclaration Balfour de 1917, et (3) le Plan de Partition de la Palestine de 1947. Auparavant, nous décrirons – pour des besoins de comparaison – la situation des droits palestiniens pendant la période de plus de quatre siècles de règne de l’Empire ottoman sur la Palestine. Nous parlerons ensuite du rôle joué par les organisations sionistes – et, en général, le sionisme et son idéologie colonisatrice – dans la création « de fait » de l’État d’Israël (par le fait colonial) et l’occultation totale des droits des Palestiniens, notamment leur droit à un État indépendant. Nous terminerons ce survol – nous disons survol car pour retracer d’une manière exhaustive l’histoire des droits du peuple Palestinien, il faudrait plus d’un article ou même plus d’un ouvrage – par donner la situation des droits des Palestiniens en 1945-46, juste après la Seconde Guerre Mondiale, situation qui, est aujourd’hui comparable à un « Swiss cheese » selon certains observateurs.
L’ÉTAT DES DROITS DES PALESTINIENS À L’ÉPOQUE OTTOMANE
En 1516, l’Empire ottoman, après avoir vaincu les Mamluks, a conquis le Bilad al Sham qui comprenait alors quatre régions – Syrie, Liban, Jordanie et Palestine – ainsi que certaines régions de Turquie. Ce fut le début de 401 ans de règne ottoman en Palestine. La Palestine était alors composée de trois États : Jérusalem, Gaza et Nablus, tous trois rattachés à la province de Damas. Selon certaines sources, en 1600 la population de la Palestine comprenait 232 000 habitants de plusieurs confessions, dont les principales sont indiquées dans le tableau#1 :
Tableau#1 : Population de Palestine en 1600[3]
Communautés | Nombre d’habitants |
Musulmans | 219 000 |
Chrétiens | 11 000 |
Juifs | 2 000 |
Total | 232 000 |
Le nom « Palestine » lui fut donné au 12ème siècle avant J-C par les Égyptiens antiques. Les Assyriens, aux 7ème et 8ème siècles avant J-C, l’appelaient « Phalastu/Palastu/Pilistu ». Le nom « Palestine » apparut pour la première fois au 5ème siècle avant J-C lorsque l’historien de la Grèce Antique Hérodote parlait de « Palaistine », territoire situé entre l’Égypte et la Phénicie, comme un pays où cohabitent pacifiquement plusieurs confessions.
Selon plusieurs sources, pendant la période ottomane, les trois principales communautés religieuses composant la Palestine – Musulmans, Chrétiens et Juifs – vivaient en harmonie et en paix grâce au système dit du « Millet », dans lequel les autorités ottomanes accordaient une certaine autonomie aux trois communautés pour gérer leurs affaires religieuses et civiles selon leurs propres us et coutumes tout en se conformant aux lois et règlements de l’Empire. Dans son roman A Rift in Time : Travels with my Ottoman Uncle (Londres, Profile Books, 2010), Raja Shehadeh, un avocat Palestinien de Ramallah, écrivain et co-fondateur de l’Organisation Palestinienne des Droits de l’Homme, Al Haq, raconte que « La Palestine Ottomane accordait une grande importance à l’histoire et à l’identité Palestiniennes. C’était l’époque où les trois religions monothéistes coexistaient sans conflit »[4].
Parlant du système du « Millet », Kim Kemal Oke, professeur d’histoire et de relations internationales à la Istambul Ticaret University, écrivait : « c’était le talisman [le porte bohneur] de l’harmonie sociale »[5]. En effet, ce système valorisait chacune des communautés, leur accordait la possibilité de désigner leurs leaders religieux et de gérer leurs propres affaires, de pratiquer leurs propres langues, d’établir leurs propres tribunaux et de pratiquer leurs propres croyances. Ce système harmonieux et autonome est symbolisé par une inscription placée au-dessus du portail de Jaffa, dans la vieille ville de Jérusalem, indiquant en Arabe : « Il n’y a de Dieu qu’Allah et Ibrahim est son ami le plus proche ». Le portail de Jaffa lui-même, qui est l’un des sept portails de Jérusalem, porte le nom de « Bab el Khalil » (Porte de l’Ami).
Dans un article publié le 29 avril 1914 dans le Journal « Falastin », l’un des plus influents journaux fondé en 1911 à Jaffa, on pouvait lire : « Jusqu’il y a 10 ans de cela, les Juifs constituaient un élément natif et fraternel de l’époque Ottomane. Ils vivaient et se mélangeaient librement et en harmonie avec les autres éléments et s’engageaient dans des relations de travail, habitaient dans les mêmes zones et envoyaient leurs enfants dans la même école »[6]. Dans ses mémoires intitulés Childhood in Old Jerusalem (publiées en 1965), l’universitaire et auteur Yaacov Yehoshua, Rabbin Juif Polonais-Allemand, écrivait qu’à Jérusalem, « Il y avait des complexes de logements communs aux Juifs et aux Musulmans. Nous étions comme une seule famille […] Nos enfants jouaient avec les enfants des Musulmans dans la cour et si les enfants du quartier voisin nous faisaient du mal, les Musulmans qui vivaient dans notre complexe nous protégeaient. Ils étaient nos alliés »[7].
Comparant la vie en Palestine à l’époque ottomane avec la vie à l’ère du Mandat Britannique, Raja Shehadeh dira : « L’époque Ottomane n’est plus possible aujourd’hui, principalement en raison de la politisation de la religion, ce qui n’était pas le cas alors »[8]. La » Commission Royale pour la Palestine » de 1936 (appelée Commission ‘Peel’), présidée par Lord William Peel, chargée de faire une enquête sur les raisons des révoltes ayant lieu pendant la période du Mandat Britannique, était d’accord pour dire que la période avant le Mandat était une période de coexistence pacifique entre les deux communautés : « Un partisan de la cause Arabe nous a dit que les Arabes à travers leur histoire n’ont jamais eu un sentiment antisémite, mais ont montré que l’esprit de compromis est profondément ancré dans leur vie. Il n’y a pas, selon ce partisan, de personne {Arabe] mentalement décente qui ne voudrait pas faire tout ce qui était humainement possible pour soulager des personnes en détresse… »[9].
Cette coexistence entre les communautés de différentes confessions ne signifie pas, cependant, qu’une paix parfaite régnait en Palestine et dans la région en général. Pour ne citer que quelques-uns des conflits vécus par la Palestine à l’époque, une des révoltes était celle dite « Naquib al Ashraf », au 18ème siècle, ayant pour cause la répression et les taxes pratiquées par l’Empire ottoman. Une autre révolte était celle de « Zahir al Umar al-Zaydani », vers la fin du 18ème siècle, qui a permis d’établir une autonomie relative en Galilée. Deux autres révoltes contre le système de taxation avaient eu lieu en 1825 et 1831, cette dernière ayant été conduite par Ibrahim Pasha, fils du sultan Égyptien Mohammed Ali Pasha.
À ces révoltes internes, il faut ajouter celles venant de l’extérieur, comme l’invasion en 1799 des régions côtières de Gaza, Jaffa, Haïfa et Acre par Napoléon Bonaparte. Les années qui suivirent étaient aussi des années de turbulence provoquées par les rébellions égyptiennes et les factions palestiniennes locales contre les autorités ottomanes avant qu’une alliance des empires ottoman, britannique, russe et autrichien ait pu mettre l’armée égyptienne hors de nuire. En 1878, la Palestine avait été divisée en trois districts : le district de Jérusalem (gouverné directement par Istambul), le district de Nablus, et le district d’Acre (rattaché à la province de Beirut). À l’époque (1878), la population de la Palestine – qui qui avait doublé en 178 ans – se répartissait ainsi que l’indique le tableau#2 :
Tableau#2 : Population de la Palestine en 1878[10]
Communautés | Nombre d’habitants |
Musulmans | 403 795 |
Chrétiens | 43 659 |
Juifs | 15 011 |
Total | 462 465 |
Au même moment (en 1878), la première colonie sioniste avait été établie en Palestine et les premiers flux d’immigrants Juifs avaient commencé en 1882. Les millionnaires Juifs européens, Baron Edmond de Rothschild et Baron Maurice de Hirsch, avaient financé les premières colonies juives en Palestine. Suite à ces flux d’immigrants et à ces colonies de peuplement, un sentiment nationaliste naissait chez la population palestinienne avec pour résultat les premières révoltes contre le système de colonies sionistes. Cependant, la première guerre mondiale de 1914 et l’occupation de la Palestine par les forces britanniques en 1917 avaient contrecarré ces premières « Intifadas ». Le Mandat Britannique et la Déclaration Balfour de 1917 avaient mis fin aux velléités d’indépendance de la Palestine, d ’un côté et encouragé la colonisation du territoire palestinien par les Sionistes, d’un autre côté, notamment grâce aux flux d’immigrants Juifs venus d’Europe. Voyons maintenant, successivement, les trois causes principales qui ont conduit à l’occultation des droits des Palestiniens, notamment leur droit à l’autodétermination et à l’indépendance.
SITUATION DES DROITS DES PALESTINIENS PENDANT LE MANDAT BRITANNIQUE EN PALESTINE
Le Mandat Britannique en Palestine a été inspiré par un Mémorandum adopté en Juin 1922 par Winston Churchill, alors Secrétaire Colonial. Le Mémorandum, appelé aussi « White Paper on Palestine », avait été rédigé par Sir Herbert Samuel, alors Haut-Commissaire pour la Palestine, et avait pour but de mettre fin aux émeutes des Palestiniens qui réclamaient leur droit à la souveraineté sur leur territoire et l’arrêt de l’immigration juive vers la Palestine. Le Mémorandum réaffirmait deux principes de base selon lesquels la présence des Juifs en Palestine était : (1) « a right and not a sufferance » (un droit et non une souffrance) et (2) « a historic connection » (une relation historique). Ce dernier principe, selon la Commission Peel, signifiait que la communauté juive réclamait un lien historique avec la Palestine.
Le Mandat, qui est basé sur l’article 22 de la Convention de la Ligue des Nations (Société des Nations) et de la résolution de San Remo (Italie) du 25 avril 1920 du Conseil Suprême des Principales Puissances Alliées, n’a pris effet que le 29 Septembre 2023. La mission principale du Mandat était de porter assistance à la Palestine afin de lui permettre, au bout d’un certain temps, de se gouverner par elle-même. En réalité, comme nous le verrons plus loin lorsque nous aborderons la Déclaration Balfour, le vrai objectif du Mandat était de permettre l’établissement d’un « national home for the Jewish people » (un foyer national pour le peuple Juif), alors que la communauté juive ne représentait que 3 % avant le Mandat et 9 % en 1922. Depuis, suite à l’encouragement de l’immigration juive en Palestine par l’Agence Juive et d’autres organisations sionistes, la population juive est passée de 9 % à 22 % entre 1922 et 1936[11].
Initialement, le Mandat devait être une étape transitoire devant aboutir à l’indépendance de la Palestine. En effet, il était prévu que « les aspirations des communautés Palestinienne, Chrétienne et Juive seraient une considération principale dans le choix-même de la Puissance Mandatrice »[12]. Dans les faits, le Mandat Britannique a été établi sans prendre en compte l’article 22 (alinéa 4) de la Convention de la Ligue des Nations qui stipule que les désirs des communautés non-Juives doivent être une considération principale dans le choix de l’Autorité Mandatrice. Lord Sydenham, ancien gouverneur de Victoria, ancien Secrétaire du Comité de Défense Impériale et ancien Président du Tribunal d’Appel britannique, ira encore plus loin pour dire à Arthur Balfour : « Le mal fait en implantant une population étrangère dans un pays Arabe – Ar abe sur l’ensemble du territoire – ne sera peut-être jamais remédié… Ce que nous avons fait est (par concessions, non pas au peuple Juif, mais à la section extrémiste sioniste) est de créer un mal en train de se développer à l’Est, et que personne ne pourrait dire jusqu’où ce mal va aller »[13].
En dépit de toutes ces contradictions entre les faits, les textes et les déclarations, l’Organisation Sioniste a réussi à inscrire dans le texte final du Mandat les principes de la « connexion historique [attachement historique] et de la « reconstitution » de l’ État (ou du Commonwealth) Juif et à faire approuver le texte par la Ligue des Nations le 24 juillet 1922 qui est entré en vigueur en septembre 1923 suite au Traité de Lausanne entre les Puissances Alliées victorieuses et l’Empire ottoman, signé en Octobre 1922. Le texte final du Mandat a donné autorité aux Puissances Alliées pour se partager les pays sous mandats de la Ligue des Nations, la Palestine comprise, et a incorporé en son sein la Déclaration Balfour de 1917, déterminant ainsi le destin de la Palestine et l’émergence de l’État israélien.
Trois articles inscrits dans le Mandat sont particulièrement importants à souligner (articles 2, 4 et 6). L’article 2 stipule que « L’Autorité Mandatrice sera responsable pour placer le pays [la Palestine] sous des conditions politiques conduisant à assurer l’établissement du foyer national Juif… ». L’article 4 prévoit qu’ « Une Agence Juive [Jewish Agency] appropriée sera reconnue en tant que corps public avec pour but de conseiller et de coopérer avec ‘l’Autorité administrant la Palestine’ dans des conditions économiques, sociales et autres dans le but d’assurer l’établissement du foyer national Juif et les intérêts de la population Juive de Palestine… ». L’article 6 indique que « L’Administration de la Palestine […] facilitera l’immigration juive dans des conditions acceptables et encouragera, en collaboration avec l’Agence Juive, la colonisation du [territoire Palestinien] par les Juifs, incluant les terres publiques et les terres non travaillées »[14]. Aucune référence, par contre, n’était faite dans le texte final du Mandat aux droits des Palestiniens, à commencer par le droit de choisir leur autorité mandatrice.
LA DECLARATION BALFOUR ET LES DROITS DES PALESTINIENS
Dans une lettre adressée à Lionel Walter Rothschild, banquier, politicien et Président du Bureau des Députés Juifs Britanniques (1925-1926), le Secrétaire Britannique aux Affaires Étrangères, Arthur James Balfour écrivait :
« Cher Lord Rothschild,
J’ai le plaisir de vous faire part de la Déclaration suivante de sympathie du Gouvernement de Sa Majesté relative aux aspirations juives sionistes qui a été soumise à l’approbation du Cabinet :
« Le Gouvernement de Sa Majesté considère favorablement l’établissement d’un foyer national pour le peuple Juif [national home for the Jewish people], et utilisera tout ce qui est en son pouvoir pour faciliter la réalisation de cet objectif, étant entendu que rien ne sera fait qui puisse porter préjudice aux droits civils et religieux des communautés non-Juives de Palestine ou les droits et le statut politiques dont jouissent les Juifs dans les autres pays. Je vous serai gré de porter cette Déclaration à la connaissance de la Fédération Sioniste » (Signé : Arthur James Balfour).
Cette Déclaration porte, depuis, le nom de « Déclaration Balfour » et fait partie intégrante du Mandat Britannique examiné précédemment. Il faut rappeler que, en 1915, dans une autre correspondance entre Sherif Hussein, Émir de Mecca et Sir McMahon, Commissaire Britannique en Égypte, le Gouvernement Britannique avait promis l’indépendance de la Palestine. Dans cette correspondance, Hussein avait demandé, sans équivoque, l’indépendance des pays Arabes, y compris la Palestine. La réponse du Gouvernement Britannique était, également sans équivoque : « The Entente Powers are determined that the Arab race shall be given full opportunity of once again forming a nation in the world… and that no people shall be subject to another” (Les Puissances de l’Entente sont déterminées à ce que soit offerte à la race Arabe l’opportunité, une fois de plus, de constituer une nation au sein du monde…et qu’aucun peuple ne sera jamais soumis à la domination d’un autre)[15]. L’historien britannique Arnold J. Toynbee, alors membre du British Office, avait écrit en 1968, à propos de cette correspondance : « Ainsi que j’interprète la correspondance Hussein-McMahon, la Palestine n’a pas été exclue par le Gouvernement Britannique de la zone dans laquelle il avait promis au Roi Hussein de reconnaître et de soutenir l’indépendance arabe. Les Palestiniens-Arabes pourraient, par conséquent, parfaitement supposer que la Grande Bretagne s’est engagée à préparer la Palestine à devenir un État indépendant »[16].
Il faut aussi faire remarquer que la Déclaration Balfour parle de « national home » (foyer national) pour les Juifs, et non d’ « État » au sens de la Charte des Nations Unies. L’usage de l’expression « national home » au lieu de « État » laissait place à toutes sortes d’interprétations. Cependant, dans l’esprit de ses initiateurs, « National home always meant an eventual Jewish State » (National home a toujours voulu dire un éventuel État Juif)[17].
Selon certaines sources, quatre raisons principales non déclarées peuvent expliquer les motivations de la Déclaration Balfour : « (1) la volonté du gouvernement britannique et des autres puissances alliées de maintenir le contrôle sur la Palestine pour des raisons stratégiques (maintenir l’Égypte et le Canal de Suez sous la souveraineté et l’influence britannique ; (2) le besoin de la Grande-Bretagne de s’assurer l’appui des Juifs Américains et Russes en vue de soutenir l’effort de guerre et assurer la victoire des Alliés ; (3) l’importance représentée par le lobby Sioniste et les relations étroites entre la communauté Sioniste et le gouvernement britannique (certains membres du gouvernement britannique sont eux-mêmes membres du Mouvement Sioniste Mondial) ; et (4) la volonté du gouvernement britannique de se solidariser avec les Juifs persécutés en Europe »[18]. Il faut aussi souligner que, sans l’aval des autres puissances alliées, la Déclaration Balfour n’aurait probablement pas été adoptée.
S’agissant de l’appui Américain, dans une réunion du Cabinet Britannique tenue le 4 octobre 1917, Arthur Balfour aurait déclaré : « President Wilson is extremely favorable to the Movement » (le Président [Américain de l’époque] Wilson est extrêmement favorable au Mouvement)[19]. La France aussi avait appuyé la Déclaration Balfour. Dans une lettre adressée à Nahum Sokolow, Sioniste polonais, Jules Cambon, diplomate français, avait écrit que la France était favorable à une « Jewish colonization of Palestine » (la France était favorable à une colonisation juive de la Palestine). Cette lettre déclarait expressément : « Ce serait un acte de justice et de réparation que d’assister, par le biais de la protection des Puissances Alliées, à la renaissance de la nationalité Juive dans cette terre d’où les Juifs étaient exilés il y a tant de siècles »[20].
C’est cette contradiction dans les objectifs du Mandat et de la Déclaration Balfour – qui promettaient aux Juifs l’établissement d’un « national home », d’une part, et aux Arabes (dont la Palestine) l’obtention de leur indépendance au bout d’un certain temps, d’autre part – constitue le nœud gordien du conflit Israélo-Palestinien qui dure jusqu’à ce jour. Il faut souligner aussi qu’entre la première mouture de la Déclaration Balfour rédigée par l’Organisation Sioniste et sa version finale, il y a d’importantes nuances de langage. La première mouture déclarait : « Le Gouvernement de Sa Majesté accepte le principe que la Palestine serait « reconstituée » en tant que foyer du peuple Juif, tandis que la version finale indiquait : « Le Gouvernement de Sa Majesté considère favorablement l’établissement d’un « national home for the Jewish people ». Le terme « reconstitution » signifierait que le « foyer national Juif » existait déjà dans le passé et que le but était simplement de le « rétablir ». Une deuxième différence entre ces deux versions est que la première dit que « le gouvernement de Sa Majesté utilisera tout ce qui est en son pouvoir pour assurer la réalisation de cet objectif [reconstitution du foyer national Juif] et discutera des moyens et méthodes nécessaires « avec l’Organisation Sioniste », tandis que la version finale ne fait pas référence à l’Organisation Sioniste (la mention de cette Organisation ayant été supprimée à l’initiative de Chaim Weizmann[21]. Une autre source de contradiction de la Déclaration Balfour était que – en dépit du fait que la population palestinienne représentait 90 % de la population totale de la Palestine en 1917 dont elle était propriétaire de 97 % des terres – la Déclaration Balfour parlait de la communauté Palestinienne comme « the existing non-Jewish community in Palestine », c’est-à-dire comme si la communauté palestinienne était la « minorité » et que la communauté Juive était la majorité[22]. Une autre injustice contenue dans la Déclaration Balfour consistait dans la formule indiquée à la fin du texte : « that nothing shall be done which may prejudice the rights and political status enjoyed by Jews in any country » (que rien ne soit fait qui porte préjudice aux droits et statut politiques dont jouissent les Juifs dans tous les pays). L’injustice réside dans le fait que la Déclaration ne fait aucune référence aux droits politiques des Palestiniens, à commencer par leur droit à l’indépendance.
Plusieurs personnalités Britanniques avaient critiqué cette Déclaration Balfour. L’une d’elle est Lord Curzon, alors Secrétaire d’État aux Affaires Étrangères, Vice-Roi d’Inde et Président du Conseil de la Ligue des Nations. Curzon écrit : « Il [Chaim Weizmann] envisage un État Juif possédant l’essentiel des terres et dirigeant l’administration. Il [Weizmann] essaie de réaliser cela derrière l’écran et sous le parapluie des autorités Britanniques »[23]. Cependant, ceux qui étaient favorables à la Déclaration Balfour et donc à l’établissement d’un État Juif en Palestine étaient dominants. C’est ainsi que, lors d’une entrevue entre Arthur Balfour et Justice Brandeis (un Juge Juif Américain, ancien Président de l’Organisation Sioniste Mondiale, de 1914 à 1918), Brandeis avait déclaré : « Les Sionistes cherchent à établir ce foyer en Palestine parce qu’ils sont convaincus que le désir éternel des Juifs pour la Palestine est un fait de la plus grande importance ; que c’est la manifestation d’une lutte pour la survie d’un peuple ancien qui a établi son droit à vivre, un peuple dont la civilisation de trois mille ans a produit une foi, une culture et une individualité qui lui permet de contribuer largement dans le futur, comme il l’a fait dans le passé, à faire avancer la civilisation. Que ce n’est pas seulement un droit, mais un devoir pour la nationalité Juive de survivre et de se développer »[24]. Cette déclaration fait complètement fi de la légitimité du peuple Palestinien et de son droit à recouvrer sa patrie occupée.
LES DROITS DES PALESTINIENS SUITE AU PLAN DE PARTITION DE LA PALESTINE
Le Plan de Partition de la Palestine a été initié par les Nations-Unies le 29 novembre 1947. Ce Plan envisageait la création de deux États : un État Palestinien et un État Juif devant être intégrés par une Union Économique. Ce Plan prévoyait aussi la mise sous régime « corpus separatum » (corps avec régime à part) de Jérusalem, c’est-à-dire le placement de la Cité Sainte sous l’égide des Nations-Unies (Résolution 181 (II) de l’Assemblée Générale de l’ONU du 29 novembre 1947. Deux semaines après, le Secrétaire Britannique aux Colonies, Arthur Creech Jones, avait annoncé la fin du Mandat Britannique devant prendre effet le 15 mai 1948. Le 15 mai 1947, les Nations-Unies avaient créé un Comité Spécial d’Investigation sur la Palestine (UNSCOP) – formé de 11 pays (Australie, Canada, Tchécoslovaquie, Guatemala, Inde, Iran, Pays-Bas, Pérou, Suède, Uruguay et Yougoslavie) – chargé d’enquêter sur les causes du conflit Israélo-Palestinien et de trouver une solution au conflit.
Ce Comité avait soumis deux scénarios : (1) celui de la majorité des membres du Comité qui proposaient deux États séparés ayant des relations économiques entre eux ; et le scénario de la minorité des membres qui soutenaient la création d’un État unique binational (ou fédéral) composé de deux zones autonomes, l’une Juive, l’autre Palestinienne, avec Jérusalem comme capitale. La communauté Juive avait accepté le premier scénario (deux États), tandis que les Palestiniens se sont opposés aux deux scénarios. Un troisième scénario avait été proposé dans lequel seuls les Juifs qui étaient arrivés en Palestine avant la Déclaration Balfour (1917) seraient admis et reconnus comme citoyens de l’État envisagé. Ce dernier scénario avait été refusé par la communauté Juive. Le Haut Comité Arabe (représentant la cause palestinienne), dirigé par Amin al Husseini, le Grand Mufti de Jérusalem, avait refusé de reconnaître UNSCOP, prétextant que les droits des Palestiniens ne doivent pas être sujets à investigation et doivent être reconnus comme leurs droits naturels sur la base de la Charte des Nations Unies. Dans le cas des deux États séparés, le Plan de Partition prévoyait que l’État Palestinien aurait un territoire de 11 000 km2 (soit 42 % de la superficie de la Palestine) et l’État Juif un territoire de 14 000 km2 (soit 56 %), le reste (soit 2 %) – représenté par les cités de Jérusalem, Bethlehem et la région environnante – serait une zone administrée internationalement.
Le Plan de Partition prévoyait : (1) la fin du Mandat Britannique sur la Palestine ; (2) le retrait graduel des forces armées Britanniques et (3) la délimitation des frontières entre les deux États et Jérusalem. Le Plan proposait aussi une Union Économique entre les deux États et la protection des droits religieux des minorités. Ce Plan était accepté et célébré par la communauté Juive (notamment l’Agence Juive), mais le Haut Comité Arabe, la Ligue Arabe et d’autres pays arabes avaient refusé de l’adopter. Les palestiniens refusaient aussi le Plan parce qu’il violait le principe-même d’auto-détermination reconnu par la Charte des Nations Unies qui stipule que les peuples ont un droit à décider de leur propre sort.
Face à un tel imbroglio, et à l’absence d’accord sur une des solutions proposées, le Plan n’avait pas pu être appliqué, ce qui a eu pour résultat des attaques réciproques récurrentes, comme en témoigne l’attaque du 7 octobre 2023 de Hamas contre Israël et la riposte du gouvernement de Netanyahu qui se poursuit encore aujourd’hui, avec les dégâts humains que l’on connaît.
L’idée de la partition avait déjà été acceptée par le Gouvernement Britannique après l’adoption du « White Paper » de juillet 1937 et par la Commission Royale sur la Palestine (Commission Peel) à la suite de l’échec du Mandat Britannique. Le « White Paper » de 1937 justifiait le Plan de Partition de la manière suivante : « [1] Il y a un conflit irréconciliable entre les aspirations des Arabes et des Juifs en Palestine ; [2] « ces aspirations ne peuvent pas être satisfaites par les termes du présent Mandat et (3) il est [nécessaire] qu’un schéma de partition conforme aux recommandations de la Commission Royale représente la solution la plus adéquate pour sortir de l’impasse. Les Arabes obtiendraient leur indépendance et donc seraient en mesure de coopérer sur un même pied d’égalité avec les Arabes des autres pays voisins […]. Ils seraient finalement délivrés de la peur d’une domination Juive […] D’un autre côté, la partition assurerait l’établissement d’un foyer national Juif et délivrerait la communauté Juive de toute possibilité d’être soumise à un gouvernement Arabe »[25].
Le Plan de Partition aurait aussi eu pour résultat de convertir le « foyer national Juif » en un « État Juif »… et d’ignorer complètement la question du droit Palestinien à la création de leur propre État. Ce qu’il faut surtout souligner, c’est la dernière partie de la citation qui indique : « le foyer national Juif » serait, selon le Plan de Partition, converti en un « État Juif ». En d’autres termes, il était question de créer un « État de fait » (l’État Juif) dans un « État de Droit » (l’État Palestinien).
Un autre « White Paper », appelé « MacDonald White Paper » et rédigé le 17 mai 1939, avait déclaré que l’établissement de deux États indépendants – un État Juif et un État Palestinien – était « impraticable ». L’objectif du gouvernement Britannique, avec le Plan de Partition, était l’établissement, dans l’espace de dix ans, d’une Palestine indépendante. Ce devrait être un État dans lequel Palestiniens Juifs partageraient le gouvernement de telle manière à assurer que les intérêts de chaque communauté soient sauvegardés[26]. Pour les Juifs, cette solution allait contre leur projet d’établissement (ou plutôt de « reconstitution ») de l’État Juif. En 1942, réunis à l’Hôtel Biltmore (New York), les organisations Sionistes avaient proposé, dans une Déclaration appelée « Progamme de Biltmore », la création d’un Commonwealth Juif en Palestine où « les Juifs et les Arabes, pratiquant leur propres cultures et traditions respectives, coopèreraient en tant que citoyens libres et contribueraient à la prospérité et au bien-être de l’État unitaire. Les citoyens Arabes du Commonwealth Juif seraient considérés de la même manière que les citoyens parlant Français au Canada. Ce serait un État Juif démocratique composé de Juifs, Musulmans, et Chrétiens, et s’il y en a, les Boudhistes et autres [confessions] »[27]. Il est clair que dans ce Commonwealth, ce seraient les Juifs qui seraient aux commandes et les Palestiniens une « minorité » de simples sujets.
LE MOUVEMENT SIONISTE ET SA STRATEGIE D’OBLITERATION DES DROITS DES PALESTINIENS
La quatrième cause principale – indirecte mais effective – du conflit Israélo-Palestinien et de l’aggravation de la situation des droits palestiniens – certains la considèrent même comme la première cause – est le Mouvement Sioniste. Le Mouvement Sioniste, mis en œuvre par l’Organisation Sioniste et l’Agence Juive (Jewish Agency), est celui qui a théorisé et mis à exécution la stratégie et le plan d’établissement d’un État Juif en Palestine. Créé et dirigé par les leaders Sionistes comme Theodor Herzl, fondateur du Mouvement lors du Premier Congrès Sioniste de Bâle (Suisse) en 1897, et Chaim Azriel Weizmann, Président de l’Organisation Mondiale Sioniste (World Zionist Organization, WZO) de 1921 à 1931 puis de 1935 à 1946. L’objectif de la WZO était de créer une patrie Juive dans « Eretz Yisrael » (la terre d’Israël), c’est-à-dire la Palestine.
La WZO avait été appuyée par deux organisations alliées : une organisation financière appelée « Jewish Colonial Trust » (JCT), fondée en 1899 avec pour mission de financer la WZO, et une organisation foncière et immobilière, appelée « Jewish National Fund » (JNF), fondée en 1901 et chargée de l’acquisition des terres en Palestine. Certains membres du Mouvement Sioniste, ainsi qu’on l’a indiqué plus haut étaient, en même temps, membres du gouvernement britannique. C’est le cas d’Herbert Samuel, le premier officiel Britannique de confession Juive à faire partie du Cabinet Britannique et à être leader du Parti Libéral anglais. Défenseur du Sionisme au sein du gouvernement britannique, il rédigera un mémorandum en janvier-mars 1915 (deux mois après la déclaration de guerre contre l’Empire ottoman) intitulé « The Future of Palestine ». En 1920, il fut nommé Commissaire pour la Palestine, chargé de gouverner le territoire Palestinien. Dans ce mémorandum, Herbert Samuel écrivait : « The British annexation of Palestine [where] we plant 3 to 4 million European Jews”[28].
Chaim Weizmann, l’autre leader du Sionisme, de son côté, écrivait, dans une lettre adressée à un partisan du Sionisme : « Si la Palestine tombait dans la sphère d’influence britannique et si la Grande-Bretagne encourageait une colonie Juive en Palestine, en tant que dépendance britannique, nous pourrions avoir, dans 20 ou 30 ans, un million de Juifs en Palestine – et peut-être davantage…ils [les Juifs] formeraient une garde effective du Canal de Suez »[29].
Pour implémenter ses visées, l’Organisation Sioniste Mondiale utilisait trois moyens : (1) une immigration Juive à grande échelle vers la Palestine, (2) l’acquisition des terres Palestiniennes et (3) le refus d’employer les travailleurs Palestiniens. La politique d’immigration était appliquée par l’Agence Juive et la Fédération Générale des Travailleurs Juifs sous l’égide de la WZO. La politique d’acquisition des terres était du ressort du Département Colonisation de la WZO, de l’Association de Colonisation Juive en Palestine et de Keren ha-Yesod, une organisation chargée de récolter des fonds et de financer les colonies Juives en Palestine.
La politique relative à l’emploi des travailleurs Palestiniens était règlementée par la Constitution de l’Agence Juive qui stipulait que : « (1) l’Agence devra promouvoir la colonisation agricole basée sur le travail Juif…Il doit être érigé en principe que le travail Juif sera utilisé…, (2) « le colon, par suite, entreprend que…si et à tous moments lorsqu’il est obligé de recruter, doit recruter seulement des travailleurs Juifs »[30]. Face à ces visées colonialistes de la WZO, les Palestiniens avaient souligné que le problème Palestinien ne résidait pas dans la présence de la communauté Juive en Palestine : « Nous souhaitons souligner, une fois de plus, que la population Juive de Palestine, qui y vivait avant la guerre, n’a jamais connu de problème avec leurs voisins arabes. Elle jouissait des mêmes droits et privilèges que ceux des citoyens Ottomans et n’avait jamais été en faveur de la Déclaration Balfour »[31].
Un des leaders Sionistes, Vladimir Jobotinsky, écrivain, poète et fondateur de l’Organisation Sioniste de Self-Défense d’Odessa (Russie), disait en Juillet 1921 : « Aujourd’hui, les Juifs sont une minorité en Palestine. Dans vingt-ans, ils pourraient facilement devenir la majorité. Si nous étions Arabes, nous ne l’accepterions pas non plus »[32]. Un autre leader Sioniste Allemand, Arthur Ruppin, Directeur du « Palestine Office of the Zionist Organization », et chargé de l’immigration Juive en Palestine, déclarait, lors du 8è Congrès Sioniste en 1907 que l’objectif des Sionistes était : « La création d’un milieu Juif et d’une économie fermée Juive dans laquelle les producteurs, les consommateurs et les intermédiaires seraient tous Juifs »[33].
SITUATION DES DROITS DES PALESTINIENS EN 1945-1946
Dans les années suivant la Seconde Guerre Mondiale (1945-46), les positions des deux communautés – le peuple palestinien, qui était largement majoritaire, et la communauté juive, qui était minoritaire et qui était représentée et guidée principalement par les Organisations Sionistes – étaient totalement opposées, voire « irréconciliables » selon certains. Afin de synthétiser ces vues divergentes, nous citerons deux déclarations, l’une de l’Agence Juive en mai 1945 et l’autre des pays Arabes lors de la Conférence de Londres (de Septembre 1946 à Février 1947) qui avait pour objectif de résoudre la question Palestinienne et de trouver un moyen de mettre fin au Mandat Britannique sur la Palestine.
En mai 1945, l’Agence Juive avait présenté au Gouvernement Britannique les demandes suivantes : « (1) qu’une réponse immédiate soit trouvée pour établir la Palestine comme État Juif, (2) que l’Agence Juive soit investie de tous les pouvoirs nécessaires pour faire venir en Palestine autant de Juifs nécessaires et possibles pour occuper et développer, rapidement et pleinement, toutes les ressources du pays, notamment les ressources terriennes et énergétiques, (3) qu’un prêt international et autre type d’aide soient accordés pour le transfert du premier million de Juifs vers la Palestine et pour le développement économique du pays, (4) que des compensations en nature soient accordées au peuple Juif pour la reconstruction de la Palestine et – comme premier geste – que toutes les propriétés allemandes de Palestine soient utilisées pour le repeuplement des Juifs qui désirent s’installer en Palestine »[34]. Il est clair, à la lecture de ces demandes, que le but poursuivi par l’Agence Juive était l’occupation du territoire Palestinien et sa domination par la population Juive grâce notamment à l’immigration Juive en Palestine et l’oblitération totale des droits des Palestiniens.
De leur côté, Les Palestiniens avaient aussi fait au gouvernement britannique, lors de la Conférence de Londres de 1946/47, un certain nombre de demandes qui étaient totalement opposées à celles de l’Agence Juive. Ces demandes étaient principalement : « (1) que la Palestine soit un État unitaire avec une majorité Arabe permanente et qu’elle puisse atteindre son indépendance après une courte période de transition (2 à 3 ans) sous les auspices du Mandat Britannique, (2) qu’au sein de cet État unique, les Juifs qui auraient acquis la nationalité Palestinienne (dont la condition était d’avoir résidé pendant 10 ans) auraient les pleins droits civils au même titre que les autres citoyens de Palestine, (3) que des garde-fous soient établis pour protéger les droits religieux et culturels de la communauté Juive, (4) que la communauté Juive puisse obtenir un certain nombre de sièges à l’Assemblée Législative proportionnellement au nombre de citoyens Juifs en Palestine (ainsi que définis) à condition que, dans aucun cas, le nombre de représentants Juifs n’excède 1/3 du nombre total des membres, et (5) que toutes lois concernant l’immigration et le transfert des terres requièrent le consentement des Arabes de Palestine telle qu’exprimé par la majorité des membres Arabes de l’Assemblée Législative, et que les garde-fous établis par la communauté Juive ne puissent être changés que sur le consentement de la majorité des Juifs à l’Assemblée »[35]. Ce qui frappe surtout en lisant et en comparant les demandes de l’Agence Juive et celles des Palestiniens, c’est leur opposition quasi-totale. Tandis que les demandes des Palestiniens se préoccupaient de sauvegarder les intérêts de la communauté Juive, celles de l’Agence Juive ignoraient complètement les droits des Palestiniens, ce qui était—et qui est toujours—une source de conflits qui ont pour résultat une détérioration de la situation des droits des Palestiniens.
CONCLUSION
L’histoire des droits de la population palestinienne et de la Palestine en tant que nation ne peut pas être résumée, comme nous l’avons dit, dans un seul article tant elle est longue et complexe. Ce que nous avons présenté ci-dessus n’est qu’un aperçu, une vue d’avion, des principaux facteurs qui ont conduit à la spoliation graduelle de ces droits.
Avant de parler de ces facteurs, nous avons estimé utile de donner un aperçu de la situation des droits des Palestiniens à l’époque ottomane. Nous avons vu qu’au cours des 401 ans de règne ottoman sur la Palestine, les communautés juive et palestinienne vivaient en harmonie grâce au système du Millet qui accordait les mêmes droits à chacune des trois communautés principales (Musulmans, Chrétiens et Juifs). S’agissant des causes de la confiscation des droits des Palestiniens – qui se poursuit encore au moment où on écrit – nous avons vu que les principales sont : le Mandat Britannique sur la Palestine, la Déclaration Balfour de 1917, le Plan de Partition de la Palestine de 1947, et le Mouvement Sioniste dirigé par l’Organisation Sioniste Mondiale (WZO). Le Mandat Britannique en Palestine avait originellement pour objectif d’aider la Palestine administrativement, politiquement et économiquement à atteindre son indépendance au bout de quelques années.
Malheureusement, ainsi que nous l’avons vu, ce résultat ne sera jamais atteint jusqu’à ce jour. La Déclaration Balfour de 1917 n’était pas venue pour arranger les choses, au contraire. Elle avait encouragé la création d’un « national home for the Jewish people », notamment par le truchement de l’immigration Juive en Palestine, ignorant totalement les aspirations des Palestiniens et leur droit à l’autodétermination. Le résultat était l’émergence et le développement des conflits récurrents entre les deux communautés, conflits qui persistent encore aujourd’hui comme en témoigne l’attaque du 7 octobre 2023 du Hamas contre Israël et la riposte israélienne qui s’en est suivie et qui continue encore à ce jour.
Face à cette impasse, un Plan de Partition de la Palestine avait été adopté en 1947, partageant la Palestine en deux parties et accordant la plus grande part du territoire à la communauté juive et une infime part aux Palestiniens. Ce Plan, qui avait pour objectif de mettre fin aux conflits entre les deux communautés a eu, en fait, pour résultat d’aggraver la situation des droits des Palestiniens qui ont été réduits comme une peau de chagrin.
L’autre facteur majeur qui a contribué à l’émergence et à l’aggravation de la situation des droits des Palestiniens était le Mouvement Sioniste dont l’objectif, dès sa création en 1878, était d’établir un « État » Juif en terre palestinienne au moyen des colonies de peuplement qu’il n’a jamais cessé d’encourager jusqu’à ce jour. Plusieurs initiatives internationales avaient été adoptées pour tenter de résoudre ce conflit ancestral et éternel et rétablir le peuple Palestinien dans ses droits légitimes, mais aucune jusqu’à présent n’a réussi.
Au point où la situation se trouve en Palestine aujourd’hui, la question qui se pose alors est : « Est-il encore possible de parler « d’État » Palestinien et de droits des Palestiniens alors que le territoire occupé par les Palestiniens ne représente qu’environ 10 %, ou moins, et que les droits des Palestiniens, dont le droit à l’indépendance, sont réduits à néant aujourd’hui ? La supposée solution à deux États qui est toujours prônée par les instances internationales et les grandes puissances soutenant Israël et qui est, en fait, refusée par les deux communautés, ne ferait que créer un État « Goliath » face à un État « David », le premier absorbant totalement le second, et faisant disparaître le rêve légitime des palestiniens de vivre dans l’État qui leur revient de droit.
ÉLÉMENTS BIBLIOGRAPHIQUES :
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– Winder Alex, “Otoman Rule, 1516-1917”, Palquest.org (Interactive Encyclopedia).
[1] Muasher Marwan, Any Israel-Palestine Solution must Put Rights First, Carnegie Endowment for International Peace, 20 mars 2023.
[2] Lynk Michael, UN Special Rapporteur on the Situation of Human Rights in the Palestinian Territory Occupied since 1967, UN Human Rights Office of the High Commissioner, Genève, 25 Mars 2022.
[3] Tableau établi par Ighemat A., sur la base des informations indiquées dans History of Palestine : The Rise Of Islam (continued), WelcometoPalestine.com, lien : https://www.welcometopalestine.com/history-of-palestine/the-rise-of-islam2/
[4] Aytekin Ayse Betul, How Peace flourished in Ottoman Palestine: A Story of Coexistence, TRT (World.com), October 2023.
[5] Aytekin Ayse Betul, op. cit.
[6] Kamel Lorenzo, “Framing the Palestine Partition Plan”, dans The Cairo Review of Global Affairs, Hiver 2022.
[7] Kamel Lorenzo, op. cit.
[8] Shehadeh Reja, A Rift in Time: Travels with my Ottoman Uncle, Londres, Profile Books, 2010.
[9] British Government, Palestine Royal Commission, Report cmd 5479, 1937, p. 395.
[10] Tableau établi par Ighemat A., sur la base des informations indiquées dans Winder Alex, « Otoman Rule, 1516-1917 », dans Interactive Encyclopedia of the Palestine question.
[11] “A Brief History of the Israeli Occupation of Palestine”, TRT World, 2019.
[12] “The Question of Palestine: Origins and Evolution of the Palestine Problem, Part I (1917-1947)”, Unitednations.org, lien : https://www.un.org/unispal/history2/origins-and-evolution-of-the-palestine-problem/part-i-1917-1947/
[13] British Government, Hansard Report, House of Lords, 21 Juin 1922, p. 1025, cité dans The Question of Palestine: Origins and Evolution of the Palestine Problem, Part I (1917-1947), op.cit.
[14] The Question of Palestine: Origins and Evolution of the Palestine Problem, op.cit.
[15] The Question of Palestine: Origins and Evolution of the Palestine Problem, op.cit.
[16] The Question of Palestine: Origins and Evolution of the Palestine Problem, op.cit.
[17] Meeting entre Chaim Azriel Weizmann (un des principaux leaders du Sionisme Mondial), Arthur Balfour et Lloyd George, alors Premier Ministre Britannique, 1922.
[18] “A Brief History of the Israeli Occupation of Palestine”, TRT World, op.cit.
[19] “A Brief History of the Israeli Occupation of Palestine”, TRT World, op. cit.
[20] “A Brief History of the Israeli Occupation of Palestine”, TRT World, op. cit.
[21] The Question of Palestine: Origins and Evolution of the Palestine Problem, op.cit.
[22] Jeffries J.M.N, Palestine: The Reality, Londres, Longmans Green, 1939, pp. 248-257, cité dans « The Question of Palestine: Origins and Evolution of the Palestine Problem”, op. cit.
[23] British Government, Public Record Office Cabinet n0.27/23, 1918, cité dans « The Question of Palestine: Origins and Evolution of the Palestine Problem, op.cit.
[24] Dembitz Louis, Brandeis Speech à la Conférence des pays de l’Est du Conseil de Réforme des Rabbins, 25 avril, 1915) ; Brandeis Louis, « The Jewish Problem: How to Solve it », 17 Mai 2009.
[25] British Government, Palestine Partition Commission Report, cmd 5854 (1938), cité dans « The Question of Palestine: Origins and Evolution of the Palestine Problem, op. cit.
[26] Statement of Policy, MacDonald White Paper, cmd 6019 (1939), cité dans « The Question of Palestine: Origins and Evolution of the Palestine Problem, op.cit.
[27] Levinthal Louis E, The Case for a Jewish Commonwealth in Palestine, Sage Journal, Vol. 240, iss. 1, Juillet 1945.
[28] Weisgel Meyer (ed.), Chaim Weizmann, New York, Dial Press, 1944, p. 131, cité dans “The Question of Palestine: Origins and Evolution of the Palestine Problem, op. cit.
[29] Weizmann Chaim Azriel, Trial and Error, New York, Harper, 1999, p. 149.
[30] British Government in Palestine, Report on Immigration, Land and Settlement and Development, cmd 3686, pp. 52-53, cité dans The Question of Palestine: Origins and Evolution of the Palestine Problem, op.cit.
[31] Moore John Norton, The Arab-Isaraeli Conflict, Princeton, Princeton University Press, 1974, pp. 22FF, cité dans the Question of Palestine: Origins and Evolution of the Palestine Problem, op.cit.
[32] Kamel Lorenzo, Framing the Partition Plan for Palestine, op. cit.
[33] Kamel Lorenzo, Framing the Partition Plan for Palestine, op. cit.
[34] Royal Institute of International Affairs, RIIA, Great Britain in Palestine, pp. 139-140, cité dans « The Question of Palestine: Origins and Evolution of the Palestine Problem, op. cit.
[35] British Government, The Political History of Palestine, p. 38, cite dans « The Question of Palestine : Origins and Evolution of the Palestine Problem, op. cit.